Macchabée et ruiné : c'était les deux principaux termes à utiliser pour qualifier le Ranch Lonlon, six jours après l’attaque dévastatrice de Ganondorf. Les étables s'étaient transformées en véritable abattoirs et les lopins de terre autrefois immergés de fruits et de légumes savoureux étaient anéantis comme les dunes du Désert Gérudo. Les flammes avaient mangées et léchées les bâtiments. Le cycle de Nayru avait débuté et les temps plus froids étaient à venir. En « assassinant » le Ranch, le principal fournisseur en aliment d'Hyrule, le Roi des Voleuses n'avait plus qu'à attendre que les gens crient famine pour frapper à nouveau.
Certains garçons de ferme avaient fui durant l'attaque, laissant certain de leurs coéquipiers et animaux périrent dans les flammes ou encore écrasés par les lames des dangereux Stalfos. De ceux qui étaient revenu, certains s'étaient excusés de leur attitude qu'ils qualifiaient d’égoïste, mais Malon leur avait fait gentiment savoir que ce n'était pas nécessairement : en quoi était-ce égoïste de sauver sa vie ? Le domaine Lonlon pouvait être reconstruit, avoir une seconde vie, alors qu'ils en avaient une seule. Elle aussi avait pensé à fuir, mais tenue en otage – et ensuite faite « prisonnière » par un troupeau de chevaux angoissés – et attachée au Ranch comme un Capitaine à son navire, la fermière était restée, bien qu’elle n’avait pu avoir une grande marche de manœuvre pour sauver des vies ou les quelques précieux biens du Ranch. Ceux qui s'étaient éteint reposaient désormais auprès des trois muses célestes.
Malon gardait le moral, elle était le pilier des efforts fournit à la reconstruction, sans aucuns doutes. Talon y mettait du sien aussi, énormément. Jamais Malon ne l’avait vu prendre autant d’initiatives, autre que pour faire la sieste. Elle envoyait des encouragements par ci et par là, le sourire aux lèvres, s’attardait à nourrir et guérir les animaux qui avaient été amassés dans un petit enclos, là où l’herbe était toujours bonne, guérissait aussi les fermiers toujours en mauvais état ou qui se blessaient en déplaçant de lourdes poutres de bois calciné. Mais intérieurement, elle craquait, comme tout le monde.
La première semaine avait été éprouvante, à purifier les terres Lonlon des cadavres, avant qu’une épidémie ne se développe. Retrouver les cadavres de gens chers faisaient toujours mal et constater les pertes animales n’étaient pas encourageant. Et pour ce qui était des constructions, quand Malon les regardait, elle avait la forte impression que jamais elle ne pourrait reconstruire le ranch comme il était avant, mais s’il avait été construit une fois, son père et elle pouvait bien le refaire … pour les gens d’Hyrule et la mémoire de sa mère. Ce que sa chère mère aimait ce grand lopin de terre. Son cœur devait être dévasté de voir cet endroit dans un tel état.
Certaines personnes qui aidaient à la reconstruction du Ranch avaient dites avoir aperçu un homme à l’horizon, qui observait, tel un oiseau de proie, mais sans jamais chercher à s’approcher davantage. Une rumeur avait commencée à circuler comme quoi il était un agent de Ganondorf, que si la construction allait trop bien, le Seigneur Noir frapperait à nouveau. La jeune femme à la chevelure de feu les avait bien vite remis à leur place : il n’était certainement pas question de se laisser faire. La ferme Lonlon serait reconstruite, coûte que coûte et ce n’était certainement pas la peur qui les aiderait à acheminer leur objectif. Les gardes que la princesse avait mis à disposition s’occuperaient bien vite de ce voyou s’il était vraiment ce que les rumeurs disaient.
Accroupie dans l’enclos destiné aux animaux, la belle s’attardait à soigner l’entorse d’un étalon, un de ceux qui avaient paniqué et avaient cherché la voix réconfortante de la fermière en traversant la laiterie. Certaines des bêtes autour étaient toujours angoissées, piaffant de nervosité dès que quelqu’un de plus ou moins connu s’approchait. Pour Malon, il suffisait de se mettre à chanter, tout doucement : un simple murmure et le troupeau se rassérénait. C’est d’ailleurs pourquoi elle s’y trouvait, la plupart du temps.
Le vent soufflait doucement et le ciel s’était couvert de nuages en cette journée un peu plus froide. Il allait bientôt neigeoter. Les petites tentes où ils avaient tous trouvé refuge le temps de la construction n’allaient pas tenir longtemps, surtout si la première neige était pour bientôt. Cette douce brise menait cette odeur calcinée au nez de la demoiselle. Un désagréable parfum que Malon détestait plus que tout, mais au final, elle s’y était accoutumée. L’odeur lui collait à la peau jour après jour.
Reniflant légèrement en se relevant, la jeune femme caressa la robe de l’animal. Un petit sourire aux lèvres, les yeux perdu dans le geste qu’elle effectuait, il était très facile de voir que la petite rousse était épuisée. Des cernes soulignaient ces deux billes d’un bleu éteint, ses cheveux étaient un peu plus en bataille qu’à l’habitude. Sa peau était tachetée de saleté, n’ayant pas nécessairement eu le temps de penser à se laver, ne serait-ce qu’avec un bout de tissu imbibé d’eau.
Ses gestes étaient effectués au ralenti, tel un automate. Ses yeux se levèrent un peu et croisèrent ceux d’Epona. La jument devait sentir toutes les émotions de chamboulements que sa maîtresse ressentait. Elle se surprit à sourire un peu plus, comme si ce simple geste pouvait réconforter la jument, un sourire qui voulait dire « ne t’en fais pas, tout va bien. »
En parlant de la jument à la robe rousse, qu’elle ne fut pas la surprise de Malon de la retrouver parmi le troupeau de bête affolées, alors qu’elle ne devait même pas s’y trouver. Elle devait être avec Link. Blessée à une patte – elle avait dû essayer de sauter par-dessus une clôture –, Malon s’était empressée de la soigner, non pas parce qu’il s’agissait de sa jument et qu’elle passait avant tout les autres sur la liste des blessés, mais bel et bien parce que Link risquait d’en avoir besoin pour ses déplacements. Même si en six jours, l’entaille n’avait pas dû cicatriser.
Mais Epona était toujours là, dans le petit enclos, couchée. Rare était les fois où la farouche jument demeurait aussi longtemps au Ranch. Peut-être qu’il savait Epona blessée ? Ou alors il s’était aventuré dans des landes où il n’avait pas besoin de l’animal ? Peut-être que Link était blessé ? Voir pire …?
Non, non, elle ne voulait pas y penser et se convaincu à l’aide de la deuxième option. Ce devait être aussi pour cette raison qu’il n’était pas venu à la rescousse du Ranch, d’ailleurs. Si elle lui en voulait, un peu, mais Malon s’en voulait surtout à elle de ne pas avoir pu défendre le Ranch. Peu importe, il ne devrait pas tarder à venir, pour s’assurer que Malon et Talon et tous les autres aillent bien, avant de reprendre la route, comme il faisait souvent. Après tout, l’événement n’était pas passé inaperçu. Tout Hyrule en avait été informé d’une manière ou d’une autre.
Malon soupira légèrement, sentant la fatigue la gagner de plus bel. Elle était déboussolée, traumatisée par les événements, marquée. La main toujours sur la robe du cheval, elle leva les yeux un peu au ciel, décidément inquiète par tous ses questionnements. Elle y avait levé les yeux pour espérer y voir un rayon de soleil, mais ce dernier ne vint pas. C’était un peu comme l’avenir d’Hyrule : la lumière au bout du tunnel serait longue à trouver.