Il n'y eu aucune réponse ; à peine un regard.
Cécilia l'ayant suivie, la lionne se retrouvait avec une pression supplémentaire sur les épaules et elle n'aimait pas ça. Resserrant ses poignes sur les coutelas, l'acier et le fer s'entrechoquèrent pour la énième fois depuis le début du combat. Son ennemi privé de son arme, elle glissa dans son dos si vite qu'il eut à peine le temps de la voir passer ; la pointe de la lame pénétra son épaule et il ne put contenir un cri, très vite étouffé suite à ce puissant coup de talon qui le fit chuter du toit. Il s'écrasa plus bas, sonné, une silhouette le couvrant à la lueur de la lune. Swann expira fortement et reposa ses yeux en direction de la gérudo, qui s'en sortait à merveille. Comme à son habitude. Au moins n'avait-elle rien perdu de ses capacités ainsi que son sens du rythme. Pour autant, la dragmire se refusait à se satisfaire de cela tant la situation restait dangereuse, autant pour l'une que pour l'autre. Il leur fallait trouver un moyen de s'en sortir.
Le Cygne Noir enjamba les corps inertes des vaincus pour se rapprocher de son amie. La mine sombre, les lèvres serrées et les yeux perçants, elle ne s'accorda pas le plaisir de quelques paroles vaines et naïves, car déjà arrivaient sur eux le reste de la meute. Tant de mauvaises gens lancées à leur poursuite, était-ce bien raisonnable ? Et tant nécessaire que cela ? Ce diable de Kyrin avait pris la fâcheuse habitude d'en faire beaucoup à propos de pas grand-chose, et le cygne commençait à en être abusée. La rouste subie un peu plus tôt devait l'avoir profondément vexé, sinon était-ce une simple revanche personnelle après les humiliations répétées qu'elle lui faisait subir dans le passé. Encore une fois, sa simple présence corsait les choses ; et Cécilia était mêlée, malgré elle, à tout cela. Elle laissa échapper vers la jolie Mentina un regard qui, bien que d'abord toujours aussi noir, se radouci aussitôt pour y laisser se refléter le ciel étoilé. Était-il normal qu'elle ne l'entraîne sans cesse au devant du danger ?
Pour répondre, il aurait fallu un certain temps qui manquait. Les ombres assassines bondirent sur la toiture, et aussitôt filèrent vers les deux donzelles. Swann précipita l'un de ses couteaux sur la première d'entre-elles ; la lame se logeant dans son flanc, le truand arrêta sa course pour l'en retirer. A peine cela fait, la botte de la lionne percutait son front et le sonnait aussitôt. Le second couteau d'acier lui permit de dévier une épée longue qui filaient dans son foi. Presque furtivement, l'émérite assassin chopait l'avant-bras du porteur avec sa main libre tout en lui présentant son dos. Elle tira fortement vers l'avant, et le mercenaire bascula par-dessus son dos voûté avant de s'écraser sur les tuiles. La charpente, trop vieille pour supporter un tel choc, céda en un craquement inquiétant. Le cygne s'écarta alors que le corps creusait un trou et chutait à l'étage inférieur. Le regard de l'ancien ambrée fut alerté dans la foulée par la situation de l'alchimiste. Elle n'avait toujours rien, par miracle.
Pour autant, il était bon ton de ne pas tenter l'impossible en cette soirée déjà trop agitée. Des troupes continuaient à affluer dans les ruelles adjacentes, et sous la pression l'une des deux se retrouverait rapidement blessée, aucun doute là-dessus. Elles étaient fortes mais ne restaient constituées que de chaire et d'os jusqu'à preuve du contraire, et si la dragmire se montrait incroyablement orgueilleuse la plupart du temps, le fait que Cécilia soit présente l'empêchait de combattre avec la conscience apaisée. Il fallait donc filer d'ici, et au plus vite ; il y avait trop d'enjeu ailleurs pour qu'on en finissent avec elles ici, dans l'anonymat. Swann se dépêcha de se saisir d'une noix lorsque tous leurs ennemis finirent d'arriver. Elle para et esquiva lâchement leurs attaques, tout en les rapprochant de la gérudo. Une fois que tout le monde fut assez proche, le sombre assassin fit éclater la noix sur le sol, libérant un flash lumineux extrêmement déstabilisant pour des yeux s'étant habitués à l'obscurité.
« Viens ! » Siffla l'enfant de Ganondorf, se saisissant aussitôt du bras de son amie pour l'entraîner dans sa fuite. Lorsqu'ils purent enfin relever les paupières, les mercenaires constatèrent l'envol des deux oiseaux.
Les travées du Bourg connurent une agitation soudaine ; les mercenaires se dispersaient et couraient à toute vitesse sur les pavés et les toits, ne manquant pas d'instaurer une atmosphère inquiétante pour les habitants du quartier. Si la plupart dormait, des bougies s'allumèrent petit à petit dans les chaumières et des têtes apparurent aux fenêtres pour tenter de comprendre ce qu'il se passait. Les règlements de compte étaient monnaie courante, pour autant il était surprenant de voir autant de bandits bondirent dans tous les sens et crier de frustration à chaque coin de rue. Certains, moins malins que les autres, furent pris en chasse par des soldats qui patrouillaient après une probable cuite à la taverne du coin.
Dans ce discret chaos, les deux donzelles se mouvaient avec agilité et talent pour se frayer un chemin entre les groupes d'ennemis qui leur couraient après. Cachées derrière une pile de barils, l'assassin et l'alchimiste attendaient le bon moment pour s'élancer habilement. Mais la situation s'envenimait, avec quelques claquements d'acier non loin d'elles. Swann pesta, doucement, lorsqu'elle remarqua un groupe de trois individus qui s'approchait. « Chhhht... », souffla-t-elle doucement pour signaler à son amie de ne pas esquisser le moindre geste au risque de révéler leur présence. Elles se cachèrent et attendirent que le son des bottes de fer claquant sur les pavés des rues ne s'entendent plus. « Maintenant », souffla la dragmire, s'élançant pour quitter leur cachette.
Mais le quartier était trop dangereux et les silhouettes des deux jeunes femmes ensembles trop évidentes pour qu'elles puissent gagner le centre du Bourg, certainement plus calme et où elles seraient loin de tout danger. Finalement, le Cygne Noir opta pour une solution moins périlleuse lorsque ses yeux trouvèrent un endroit idéal pour y trouver refuge. « Suis-moi », invita-t-elle la jeune Mentina. La lionne sembla glisser jusqu'à la porte d'entrée d'un modeste magasin ; elle se saisit ensuite d'une barrette de fer dissimulée dans ses cheveux, puis crocheta la serrure, alors que des bruits de pas se rapprochaient dangereusement. Elle ouvrit la porte précipitamment et se dépêcha d'y faire entrer la gérudo avant de s'enfermer avec elle dans la boutique. Elle ne pu contenir un souffle, soulagée.
Silencieusement - autant qu'il était possible de l'être avec des planches qui grince dès que l'on pose le pied dessus ! -, la lionne chercha dans la boutique la première chose qui puisse servir à produire un peu de lumière. Elle trouva bien vite une bougie dans l'arrière-boutique, qu'elle alluma sans mal grâce à l'étincelle de Din, avant de retourner aussitôt auprès de Cécilia. Elle posa la petite flamme sur le comptoir, entre elles deux. La lueur était faible et donnait un air inquiétant aux deux femmes ; Elle leur léchait le visage, moitié feu, moitié ombre selon l'inclinaison de leur tête. L'assassin en esquissa un très léger sourire, qu'elle perdit aussitôt en entendant des bruits de pas dans la ruelle. Une forte tension la gagna, et même s'ils ne cherchèrent pas à entrer dans la boutique, un frisson l'avait parcouru de part en part. Suivi d'une profonde remise en question.
La pression redescendue et hors de danger dans l'immédiat, Swann se laissa aller à quelques réflexions, d'abord anodines, ensuite profondément justes, sur la relation dangereuse qu'entretenait les sœurs de feu. Si leur complicité n'était plus à prouver, il apparaissait néanmoins un constat évident aux yeux de la dragmire : chaque fois qu'elles se trouvaient ensemble, elles bravaient un danger. Et celui-ci était toujours plus conséquent à chaque fois ; comment oublier, déjà, qu'elle avait entraînée la gérudo au fin fond du Temple du Feu, où elles avaient risquées leurs vies plus d'une fois. Elles y avaient certes récupérer des objets intéressants, et notamment Swann qui y avait acquit Dent de Dragon, mais le jeu n'en valait pas tant la chandelle.
Et puis il n'y avait pas que cela, puisque peu de temps après elle risquait sa vie et sa place dans le clan en aidant Cécilia à fuir la forteresse ; celle-ci lui rendant la pareille, avec les mêmes risques inconsidérés, peu après son attaque sur le village de Cocorico. Et encore, les Larmes du Clan prenaient à peine le temps de se remémorer les risques encourus dans le temple de l'Ombre. Et dorénavant, il fallait en plus compter sur le monde de la nuit pour s'en prendre à elles lorsqu'elles se retrouvaient enfin ? L'assassin avait beau combattre l'adversité, elle n'avait pas aimer que cela se passe encore une fois aussi mal. Il était malheureusement évident qu'ensembles, elles couraient plus de risques que chacune de leur côté.
Il aurait s'agit de n'importe qui d'autre, Swann aurait balayé ces mauvaises pensées et aurait continuer à risquer sa vie bêtement. Le problème étant que Cécilia n'était pas « n'importe qui », mais bien l'être le plus cher à son cœur. La seule qui l'avait comprise, la seule dont la vie lui importait plus que la sienne. Pour résumer, l'être aimée. Tout simplement. « Cécilia... », entama-t-elle, tête basse. Son amie ne devait certainement pas comprendre ce qui se passait dans l'esprit de l'assassin, et pourtant sur le visage de celui-ci se lisait une profonde résignation. Un sentiment de frustration comme elle n'aimait pas les connaître, et contre lesquels elle combattait sans relâche la plupart du temps. Les doigts de la dragmire allèrent lui masser doucement la nuque, trahissant le malaise qui l'avait prise. Doucement, elle fit quelques pas en avant, gagnant l'ombre ; son terrain naturel. Peut-être s'y sentirait-elle plus à l'aise, pensait-elle.
Son cœur sembla se resserrer dans sa poitrine ; elle posa délicatement une main dessus, dans l'espoir de le calmer. Mais rien y faisait. La jeune femme serra les dents, incapable du moindre mot alors qu'une boule lui remonta de l'estomac jusqu'au cerveau ; dos à la femme du désert, elle remercia doucement que cette scène se déroule de nuit. Car ainsi, dans cette obscurité, la jolie Mentina ne verrait pas les larmes qui coururent furtivement sur les pommettes de la fille du Trône. Et il en était mieux ainsi. « Je crois... », reprit-elle, sans pouvoir continuer immédiatement. Elle déglutit. « Je crois qu'il faut que l'on cesse de se voir. », balança-t-elle, finalement, abruptement. Sans sommation.
L'affaire était entendue : plus jamais la gérudo ne risquerait sa vie par sa propre faute. En se tenant loin d'elle, l'être qu'elle chérissait le plus au monde serait à l'écart de tout danger potentiel. Du moins, elle serait à l'écart de ses nombreux ennemis ; et ça, c'était déjà de sacrés risques en moins. Il était temps que la barrière qui séparait les deux sœurs de feu prennent davantage d'importance et se matérialise en des paroles fortes et lourdes de sens. En cela, la lionne avait déjà réfléchit à un discours qui, bien que maladroit, suffirait à faire passer le message dans l'esprit de Cécilia.
« Il faut arrêter de se le cacher », souffla-t-elle, dure, alors qu'elle se retournait pour faire face à sa jeune amie. Elle ne pouvait décemment pas lui dire qu'elle décidait de ne plus la voir à cause des risques qu'elles encouraient quand elles se retrouvaient ; elle était trop jeune, et n'aurait certainement pas compris. Trop imprudente, aussi. La preuve en était avec cette dernière soirée, alors que Swann avait tenté de lui faire comprendre de ne pas la suivre et de partir. Il fallait être plus catégorique. Quitte à être fausse, au moins le résultat serait le même, espérait-elle.
« Nous sommes ennemies », cracha-t-elle, sourcil froncés ; le cœur meurtri. « J'ai feins d'être ton amie, peut-être maladroitement, mais il faut se rendre à l'évidence que nous ne pouvons plus être ensemble comme avant. Tu crois en des choses que je ne tolère plus depuis des mois. Tu es dépassée et naïve, ma fille. Et si j'ai décidée un temps de l'être avec toi, c'est maintenant fini. Dorénavant, je te considérerai comme tous les autres royalistes : quelqu'un à abattre. Un obstacle de trop sur mon chemin. »
C'en était trop, elle n'en pouvait plus de lui mentir avec tant de virulence. Avant de céder au chagrin et d'entendre les mots de la gérudo qui saurait sans doute la désarçonner définitivement, la dragmire se dépêcha d'ouvrir la porte de la boutique. Un pied dehors, elle s'arrêta, et déclara froidement : « Je t'aimes, mais si tu réapparais devant moi à l'avenir, je n'aurais aucun scrupule à te trancher la gorge. »
La porte se referma dans un claquement. Le Cygne Noir s'envola.