Elle le méprisait. Le Renard pouvait le voir dans sa posture désinvolte, son regard sombre mais condescendant, son léger rictus moqueur... Il l'avait piégé et elle semblait à peine agacée par la situation. Au lieu de la retrouver d'égal à égal, dans un cadre où elle aurait pu l'esquiver ou l'affronter équitablement, Aedelrik était parvenu à la faire entrer dans la gueule du loup. Avec Fendril, il venait de claquer une première fois ses dents, de lui montrer qu'il était prêt à tout, même à la violence la plus crue, la plus dangereuse. Et Swann, dans cette situation, en retour, ne lui répondait qu'avec mépris.
Le Renard savait déceler la peur masquée chez autrui. Il ne se laissait plus berner par des numéros de mauvais acteurs ni même par des maîtres dans l'art de se contrôler soi même. Et, il devait bien l'admettre, ou bien la Dragmire jouait un rôle à la perfection, ou bien elle se tenait là, naturelle, orgueilleuse, droite, au bord de l'abysse.
Car le voleur conservait un avantage sur elle, décisif. Une donnée que Swann ne pouvait ignorer. Lui n'avait plus de combat à mener ces jours là, tandis qu'elle aurait une demi-finale et peut être - sans doute même - une finale à disputer. Aprement. Le cygne allait devoir mobiliser toutes ses forces pour cela. Elle s'en était bien tirée de leur premier combat, mais qu'adviendrait il si elle devait se blesser, ce soir là ? Si elle subissait une entorse ou un bras cassé, voire pire ? L'idée était alléchante. Le cygne aux ailes brisées, forcée d'abandonner le tournoi. Un bon moyen de la faire payer. De la forcer à adopter une autre attitude que ce mépris qui lui était insupportable, qu'il vomissait intérieurement.
« Que pourrais-je bien t'offrir qui t'intéresse tant ? » lui demanda t'elle, son mépris perceptible dans chaque mot.
Aedelrik compris aussitôt où elle voulait en venir. Elle le prenait pour plus vénal qu'il l'était, un simple voleur qui l'aurait attiré là pour lui soutirer des richesses dont le clan des Dragmire ne devait pas manquer, voire le prix du tournoi. Avec du recul, le Renard n'aurait pas pu lui en vouloir, car cela lui ressemblait bien... Mais cela aurait voulu dire qu'il avait participé au tournoi pour s'enrichir.
Sa main tremblait sous l'effet de la colère, lorsqu'il répondit, d'une voix lourde et profonde,
« Rends moi ce que tu m'as pris. Ma fierté. »
Il eut un regard pour elle, comme un tir de semonce, un avertissement. Dans ce regard était déversée toute sa colère, sa malveillance, et son désir brûlant de se venger d'elle. C'était un regard qu'aucune bête dans la nature n'aurait jamais, celui d'un homme à qui on a pris ce qu'il avait le plus cher, un homme qui a vu son orgueil être brisé et traîné dans la boue, un homme qui n'a plus rien à perdre. Et qui est prêt à abattre toutes ses cartes, même celles qu'il gardait dans sa manche.
Cette fois, le cri transperça le silence comme une dague lancée comme l'éclair,
« Krigh ! »
Un air profondément mauvais gravé sur son visage, Aedelrik retourna du pied le coin d'un des tapis qui jonchait le sol de la pièce. En dessous, une rune blanche s'illumina, puis grésilla en produisant un son strident comme deux lames frottées l'une contre l'autre. L'instant d'après, un éclair en jaillissait, suivit par d'autres. Partout devant le Renard, le sol fut parcouru de morceaux de foudre, sortant des nombreuses runes qu'il avait auparavant tracées puis camouflées. Toute sa poudre d'enchantement y était passée. Mais le spectacle valait bien ce sacrifice. Car Swann ne manquerait pas de goûter le piquant de la scène, jusque dans sa chair.
Dés lors que les runes furent vidées, c'est à dire à peine une poignée de secondes plus tard, le Renard bondit vers sa proie, aussi vivement qu'il le pouvait afin de profiter de son avantage. Alors, il saisit Swann d'une main dans son abondante chevelure et la tira vers lui, tandis que son autre main dégainait sa lame. Mais tandis que la lame s'approchait du visage de la Dragmire, Aedelrik sentit sa détermination vaciller. Il approcha un peu plus son arme de sa proie, mais son bras lui même semblait lui résister. Son regard croisa à nouveau celui du Cygne Noir, et sa main, si assurée, gouvernée par la rage, s'abaissa. La poigne de fer qui raidissaient ses deux mains perdit sa force, et lui même resta interdit, comme frappé par ses propres éclairs runiques. Non. Il avait eu beau se mentir à lui même, tenter de se nourrir de sa colère et de ses idées morbides depuis plusieurs jours, Aedelrik n'était pas un sadique, ni un assassin. Et cette évidence que son esprit fatigué avait oublié, quelque chose en lui venait de le lui rappeler. Il soupira, profondément las de tout cela.
Sa main acheva de relâcher la chevelure noire de Swann, qui s'écarta vivement de lui. Elle allait sûrement vouloir riposter, lui faire payer cela, le faire déguster... Le Renard, lui, fixait ses mains avec un mélange d'incompréhension et de tristesse. Elles lui semblaient être celles du garçon dont on avait tué le père et qu'on avait emmené loin, très loin du seul endroit au monde où il avait connu le bonheur. Alors, sans prendre la peine de viser, il envoya sa dague se planter dans la porte, où elle transperça la rune, détruisant du même coup le verrou qu'elle constituait.
Puis, lentement, Aedelril releva la tête. Son regard se posa sur cette femme qu'il avait tant haït, et dont le visage vint dans la lumière du feu de cheminée.
« Mighty gods. »
Sa langue natale avait jaillie dans ce juron incontrôlée, tant le Renard restait médusé, incapable de réagir comme sa colère le lui commandait à peine quelques instants plus tôt. Swann était belle. Pas de ce charme qu'avaient les catins et qui excitaient les plus bas instincts des hommes, ni de l'élégance raffinée des dames de haute naissance, inaccessibles et donc désirables. La beauté de la Dragmire était incroyable. Pouvoir observer ses traits avait agit comme un déclencheur. Tout ce qu'il avait refusé de voir auparavant, ses formes tout en rondeur et en équilibre, son élégance calculée et maîtrisée, la grâce de sa chevelure en cascade, tout ce qu'il s'était efforcé d'oublier avant leur duel, Aedelrik le voyait comme jamais. Et puis, il y avait ces traits, magnifiques, fins, dignes d'une statue de maître. Le Renard ne pouvait plus décrocher le regard de la jeune femme. Il n'en avait de toute façon aucune envie. Il eut un sourire triste avant de déclarer,
« Je n'aurais jamais espéré pouvoir mourir d'une si belle main. »