Vous chantiez ? Eh bien dansez, maintenant...

RP libre, premier post pour Ailill.

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Luka

Le Changelin

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(vide)

Luka n'avait pas choisi le meilleur jour pour se lancer dans un spectacle impromptu, au beau milieu de la Place du Marché : la foule abondait en tous sens, et l'animation habituelle décuplait depuis que l'été était venu chasser le mauvais temps. Curieusement pourtant, il - elle - il n'avait rien d'autre à faire de sa journée... Aedelrik n'avait pas sollicité la présence de la froide Lucrèce, son alter-ego, aussi Luka-le-ménestrel errait sans but, sans même avoir la force de composer quelques petites chansons de son cru. Ses jambes l'avaient mené bien loin des bas-quartiers auxquels il séjournait d'ordinaire, pour des rues moins étroites et des bâtisses moins délabrées. C'était avec une certaine paresse que l'artiste s'était immiscé entre les étals et leurs potentiels clients, et son pas traînant contrastait bien nettement avec l'empressement qui agitait le petit peuple de la Citadelle, en cette matinée chaude et radieuse.

Cependant, après avoir assez flâné, le ménestrel eut bien envie de pousser la chansonnette. Les portes de sa taverne favorite lui étaient pourtant fermées avant le début de soirée... Alors, sans que cela n'affecte vraiment sa bonne humeur, il se résigna à se produire dans la rue bondée. Tant pis s'il gênait un peu la circulation, cela lui ferait toujours plus de pourboire, au vu du monde qui affluait.

Luka se posa donc, après un bref moment d'hésitation, près de la fontaine en plein centre, entre deux couples qui se bécotaient sur les bancs adjacents. Il leur sourit brièvement avant de sortir sa mandoline de son étui. Il espérait qu'il ne les ferait pas fuir. Et toujours assis sur le rebord de la fontaine, sans craindre les gouttelettes qui tombaient périodiquement sur son dos, il accorda son instrument. Un enfant non-accompagné, sans doute un gosse des rues, s'arrêta devant lui pour l'observer. Le musicien lui sourit également, mais en gardant l'oeil sur lui, car il connaissait les gamins de son espèce : il lui suffisait d'un instant d'égarement pour qu'il lui fauche sa bourse. La main tranquille, pourtant, il parcourut les cordes du bout de ses doigts calleux, afin d’en vérifier la justesse. Satisfait, il replia une jambe par-dessus l’autre, avant de se lancer :


« La route avance toujours, encore et encore,
Dès le pas de la porte, où celle-ci commence. »


D'une voix claire qui parvenait à porter, malgré le fait qu’il chantait en extérieur, le ménestrel s’adonna tout entier à la chanson, les yeux plissés sous la concentration. Le temps n’avait plus prise sur lui, car il avait fait fi de tout. Plus rien ne comptait hormis les notes que ses doigts égrenaient, et la justesse de son chant, le vibrato de sa voix.

« Désormais loin devant, la route s'en est allée,
Et je me dois de suivre, si tant est je le peux. »


Luka s’était tant et si bien submergé dans sa musique qu’il n’aperçut pas tout de suite le petit groupe qui s’était rassemblé près de la fontaine pour pouvoir l’écouter. Ce n'était qu'après avoir terminé sa première chanson qu'il leva brièvement les yeux vers son public improvisé. Mais sa surprise se mua bien vite en ravissement, et il leur adressa un clin d’œil complice. Il se lança alors dans une chanson plus gaie, plus vivace, qui donnait plutôt envie de danser. La grande majorité du rassemblement resta pourtant inerte, passive dans leur écoute, et mouvante lorsque certains retournaient vaquer à leurs occupations.

« On s’écarte, ça gêne la circulation ! » Gueula subitement un soldat à quelques mètres de l'attroupement. Il ne semblait pas particulièrement hostile, mais le ménestrel se méfiait des gardes depuis son petit incident à la taverne, en compagnie du Renard, aussi leva-t-il aussitôt les yeux pour repérer l'agent de l'ordre. Sa voix ne faiblit pas, et ses doigts pinçaient toujours les cordes de sa mandoline avec dextérité, mais il eut un instant de panique lorsque celui-ci se rapprocha.

Déesses, il se rappelait bien de cette nuit fatidique où, pour sauver Aedelrik, il avait crevé les yeux de l'un d'entre eux... Le capitaine de garde corrompu, le fidèle toutou de Cass'dos le malfrat... Bien que Luka ne se sentait pas particulièrement coupable face à ses actes (cet homme-là l'avait mérité- pas de pitié- pas de pitié pour les vendus), il eut soudain un bref moment d'angoisse, persuadé que le soldat verrait sur son visage les traces de son crime. C'était stupide, se sermonna-t-il intérieurement ; personne n'avait vu son visage ce soir-là. Tous les autres témoins étaient morts, excepté le Renard, qui était dans son camp. Personne ne pourrait le démasquer. Mais la peur était là malgré tout, et elle enflait lentement en son sein, plus insidieuse que du poison.

Lorsque le soldat de la patrouille se posta juste devant le ménestrel, Luka manqua de fuir sans demander son reste. Mais il se retint à la dernière seconde. Fuir, ce serait admettre qu'il avait peur. Fuir, ce serait admettre qu'il était coupable. Alors, il continua à jouer de sa mandoline, même si son chant s'atténua quelque peu.


« T'as un permis pour jouer ici ? » lui demanda le garde, d'une voix qui portait. Les doigts agiles du musicien grattaient toujours doucement les cordes, mais cette fois-ci presque en sourdine lorsque Luka lui répondit, les yeux de nouveau rivés sur son instrument : « Non... mais je peux vous payer, si ça me permet de garder ma place ici jusqu'au soir. » Le ménestrel s'assura d'avoir le ton le plus posé, le plus conciliant qu'il soit.

Mais visiblement, cela ne suffit pas au soldat, qui se penchait au-dessus de lui comme une menace future.
« Ca se vend pas au jour le jour, ce genre de truc. Va me falloir 850 rubis, et z'aurez le droit de jouer ici tout le mois. »

« Vous plaisantez ? » Luka leva les yeux vers le garde, les yeux écarquillés. « J'ai pas 850 sur moi ! » Il ne devait même pas avoir 800 tout court, dans le matelas où il glissait toutes ses économies. Mais cela, il le garda pour lui.

« Bah j'y peux rien moi, mon bon m'sieur. Ecoutez, ce que je peux proposer, c'est 400 pour deux semaines. »

Le ménestrel était à court de mots. Il avait la sensation absurde de se retrouver dans une vente aux enchères inversée, tout en sachant pertinemment qu'il ne gagnerait jamais à ce petit jeu. Il ne devait pas même avoir 100 rubis sur lui.
Le garde attendait toujours sa réponse, impatiemment même, puisqu'il s'était mis à taper du pied. Ce pour quoi Luka balbutia, tout en quittant le rebord de la fontaine :
« Je crois que je vais partir, ce sera plus simple pour tout le monde... La circulation pourra reprendre normalement, les gens se dispersent déjà. » Il fit un geste éloquent de la main pour désigner la foule qui s'amenuisait effectivement, voyant que le musicien ne reprendrait pas d'aussitôt sa petite prestation. Tout en se levant, il se mit à ranger sa mandoline dans son étui, d'un geste fluide et habitué. Autant s'en aller tout de suite.

Mais le soldat ne voulait visiblement pas lâcher le morceau. Tout en le saisissant par l'épaule - un avertissement qui lui tira la chair de poule, face à l'angoisse qui monta brusquement dans son ventre à ce seul geste - l'agent de l'ordre reprit, impitoyable :
« Ouais, mais si ça se trouve, tu joues là depuis ce matin. Me prends pas pour un bleu. Ce sera 150 pour le dédommagement. »

Je suis là depuis moins d'un quart d'heure, voulut lui répliquer le ménestrel... mais il savait qu'il ne pourrait pas négocier avec ce type de personne. Alors, il cala le harnais de son instrument sur son épaule, et sortit sa bourse. C'était peine perdue, il le savait : il n'avait pas assez. Et même s'il ne le dit pas, l'air déconfit qui passait sur son visage devait bien indiquer sa précarité. « Je... hum. J'ai 80 rubis, ici... »

« Ca suffira pas, garçon. » Le soldat soupira. « Désolé. Mais va falloir que je t'embarque. »


Pyrope


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(vide)


Chantez, dansez, vivez !
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Ah, la Place du Marché ! Aux pieds du château, protégée de grands remparts. Épicentre de la vie d'Hyrule dans toute sa splendeur en cette journée radieuse. Cette jolie place si animée, si belle, si pleine de vie, de voix, de mouvements, de…

« - Maître ! Je vous en prie, arrêtez-vouuus ! »

… De jeune demoiselle rousse qui criait et criait à son seigneur de ralentir la cadence. Mais trop tard. Trop tard oui, car Ailill était parti si vite qu’on aurait pu le prendre pour un enfant, semant derrière lui servante épuisée et domestique agacé. Mais il fallait le comprendre, enfin ! Pendant si longtemps, on lui avait interdit de quitter la demeure. En cause, la visite de quelques autres nobliaux qui lui donnaient envie de fuir tant leurs discours étaient tous les mêmes. N’avaient-ils pas de grain de folie ? D’aventures trépidantes ? Eh bien non. Car la Forêt était sale et remplie d’enfants des bois, car le Désert et le Lac étaient si loin et si dangereux, car la Rivière était trop pleine d’eau ! Alors ils se confinaient dans leurs petits palais qu’étaient leurs demeures riches et bien protégées, sans jamais se demander quelles merveilles les attendaient au-delà du pas de la porte. C’était si triste. Un peu comme la course effrénée que menaient Renis et Lelga derrière lui, tentant de rattraper un héritier Sylvere un tout petit peu trop enjoué pour paraître normal.

Ce n’était qu’une Place, au fond. Qu’un simple marché, dans lequel des commerçants vendaient divers objets ou victuailles. Certes ! Mais cela n’était vrai que si on ne prêtait pas attention aux choses tout autour. Déjà, il avait pu remarquer deux silhouettes dans l’ombre d’une ruelle, plusieurs enfants courant et riant, une petite vieille sermonnant un petit-fils un peu trop charmeur envers une voisine débordée par son travail sur l’un des stands… Il y avait tant de détails importants sans l’être. Des personnes à voir, des sons à entendre… Des mélodies à écouter. Il se stoppa soudainement, laissant la rouquine et son compagnon à la tignasse grisée se heurter à son dos, sans que cela ne le déconcentre.

« - … Vous entendez ? »

Un silence se fit parmi les trois, les deux serviteurs s’entreregardant. Entendre quoi ? Mais c’était pourtant très clair ! Et dès lors qu’une autre note se détacha du brouhaha ambiant, il se retourna vivement.

« - Ca ! Quelqu’un joue… Quelqu’un chante… ! »

Et il repartit aussitôt, au plus grand désespoir de ses suiveurs qui reprirent leur marche. Ailill passa entre chaque personne, poussant délicatement certaines, ignorant quelques autres qui faisaient de même avec lui. On se retournait parfois sur son passage, car sa longue robe de noble trahissait – sans honte pour lui – ses origines. Fendant la foule, il s’approchait des notes. Lentement, mais sûrement, on jouait juste en face de lui. Et on chantait avec une justesse qui faisait battre son cœur comme jamais auparavant. Plus que tout, le brun était sensible à la musique. Lui-même adorait chanter, si seulement sa voix ne pouvait pas jouer des tours quelques fois, et faire des prouesses parfois insoupçonnables, surtout au moment où on s’y attendrait le moins. Mais écouter était aussi très divertissant, et il comptait bien trouver l’artiste qui se produisait ici !

Enfin, il s’arrêta devant la fontaine, et ses yeux s’illuminèrent en apercevant la personne assise à son côté. Pâle, aux cheveux noirs, ses vêtements firent peine à voir au jeune noble qui pensa un instant que sa propre richesse démontrée par ses habits risquaient de le vexer lorsqu’il s’approcherait. Et  pourtant, ces idées furent bien vite chassées de son esprit, car se trouvait juste en face du poète des rues… Un immonde garde. Beurk. Autant dire qu’il ne portait pas l’armée dans son cœur, pour de nombreuses raisons, mais surtout car la plupart étaient des rustres sans cervelle. Un peu d’éducation ne faisait pas de mal, enfin ! Quelques politesses, de belles phrases, un peu de courtoisie, et cela marcherait sans doute mieux qu’avec leur accent de péquenaud tout droit sorti de sa cambrousse. Un peu du genre de ceux qu’on extirpait de leurs champs, et à qui on enfilait une armure en quelques secondes pour les jeter sur les champs de bataille. Pas malin. Autant la pratique que les pauvres types.

« - Ouais, mais si ça se trouve, tu joues là depuis ce matin. Me prends pas pour un bleu. Ce sera 150 pour le dédommagement. »

A ces mots, Ailill manqua de s’étrangler. Oui, comme ces donzelles de la « haute » à qui on ne proposait pas « un thé » mais « un thé ». … Comment ça, c’est la même chose ? Bien sûr que non ! Il y a une grande différence entre « un thé » et « un thé » enfin ! Vous ne la voyez pas ? … Eh bien tant pis. Voyant l’autre farfouiller dans sa bourse, il l’imita, mais bel et bien pour en sortir l’argent nécessaire.

« - M…Maître ? » souffla Renis. « Mais… Que faites-vous ?!
- Je paie pour lui, pardi ! »

Ignorant les plaintes du vieux, qui était toujours aussi rabat-joie qu’à l’ordinaire, il se hâta auprès du musicien, et tendit violemment une main pleine de rubis, rouges et violets principalement. Car il n’avait pas vraiment fait attention à la somme, mais une chose était sûre, il y aurait largement plus que les 150 demandés.

« - Tenez. Prenez ça, et déguerpissez. » lâcha-t-il. « N’avez-vous pas honte ? D’ainsi extorquer de l’argent à un simple artiste de rue, ne demandant que quelques instants pour enchanter nos oreilles et nos yeux ? C’est indécent, sire. Indécent, vous dis-je. Et je suis certain que mon père, Alfarr Sylvere, sera du même avis que moi, et qu’il sera ravi d’envoyer une longue missive à notre Souveraine, lui expliquant comment ses fidèles soldats dépouillent sans aucun remord les pauvres gens, pour qui elle se démène corps et âme pour les protéger et leur donner une vie décente. Je ne pense pas que cela lui plaira, voyez-vous. »

Bien sûr que son paternel n’allait pas envoyer de missive du tout. Mais il fallait bien faire un peu jouer ses liens familiaux, de temps en temps, non ? Tiens, il allait même appuyer un peu, pour s’amuser. Il savait bien que ni Renis ni Lelga, qui étaient non loin de lui, n’approuveraient pas. Mais qu’importe !

« - L’art est quelque chose de nécessaire pour nous. Dans ces temps troubles, il nous faut quelque chose qui allège notre peine, ne croyez-vous pas ? »

Il se tourna un instant vers le garçon et eut un soupir doux, presque empreint d’affection. Peut-être que l’homme de la Rivière* avait raison. Peut-être était-il un homme-serpent. Et dans ce cas, alors un simple ménestrel, au talent indéniable, arriverait sans l’ombre d’un doute à le faire danser comme jamais !


* Eckard.


Luka

Le Changelin

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(vide)

Du coin de l'oeil, Luka détecta une silhouette qui se faufilait en toute hâte auprès de lui, du côté de sa sacoche. Persuadé qu'un voleur à la sauvette avait entrevu les quelques rubis qui trônaient dans sa main, le ménestrel s'empressa de glisser sa précieuse monnaie dans le revers de sa tunique. Mais c'était peine perdue, et il le constata bien assez tôt, lorsqu'il s'aperçut que son agresseur présumé était en réalité un adjuvant : son sauveur tendait au garde un amoncellement de rubis, tous de plus haute finition les uns que les autres, d'une qualité indéniable. Luka, qui lui-même n'avait pas même un seul rubis de bonne taille en main, tenta de ne pas avoir l'air trop abasourdi par la situation.

« Tenez. Prenez ça, et déguerpissez, » ordonna l'inconnu, sur un ton autoritaire que Luka n'avait pas entendu depuis bien longtemps. Un ton d'aristocrate, qui n'avait cure des modes de vie des autres, et qui montrait sans honte sa haute condition aux yeux de tous. Un homme ? Une femme ? Un homme. Le musicien le reconnaissait à la somptueuse tunique d'apparat que son sauveur temporaire portait sur lui. Il avait visiblement les moyens d'étaler sa fortune, puisqu'un homme âgé le suivait, son domestique sans doute. Le ménestrel se demanda brièvement pourquoi un noble manifestement aussi riche que celui-ci conservait un serviteur aussi vieux, lorsqu'il pouvait se permettre d'engager un homme plus compétent.

« N’avez-vous pas honte ? D’ainsi extorquer de l’argent à un simple artiste de rue, ne demandant que quelques instants pour enchanter nos oreilles et nos yeux ? » Le noble n'en avait visiblement pas terminé avec le garde, qui semblait partagé entre le ravissement confus de recevoir une somme d'argent aussi conséquente, et la honte d'être sermonné publiquement par un représentant de la noblesse. Médusé, Luka observa l'échange sans rien dire. Il pouvait profiter de la distraction pour prendre la fuite, maintenant qu'il était à nouveau certain d'être libre... Mais dans le même temps...

« C’est indécent, sire. Indécent, vous dis-je. Et je suis certain que mon père, Alfarr Sylvere, sera du même avis que moi, et qu’il sera ravi d’envoyer une longue missive à notre Souveraine, lui expliquant comment ses fidèles soldats dépouillent sans aucun remord les pauvres gens, pour qui elle se démène corps et âme pour les protéger et leur donner une vie décente. Je ne pense pas que cela lui plaira, voyez-vous. »

...Dans le même temps, ce noble semblait influent. Et riche. Le nom de Sylvere ne disait pas grand chose au ménestrel, mais tout ce qu'il savait, c'est qu'il avait la possibilité de lui soutirer quelques rubis. Et seules les Déesses avaient conscience de la précarité financière dans laquelle l'artiste pataugeait quotidiennement.
Pour survivre, il lui fallait s'accrocher.


« L’art est quelque chose de nécessaire pour nous. Dans ces temps troubles, il nous faut quelque chose qui allège notre peine, ne croyez-vous pas ? »

« Euh oui messire... Oui bien sûr... » Le garde marmonnait tout bas, les yeux baissés, mais il avait déjà rangé les rubis du noble dans le sac accroché à sa ceinture. Il ne semblait avoir qu'une seule envie : celle de partir à son tour. Luka, à ce stade, ne pouvait que compatir.

« C'est aussi ce que je pense, monseigneur ! » S'exclama le ménestrel, bien qu'il pensait tout le contraire. Cet aristocrate lui paraissait, en réalité, bien culotté, et bien trop idéaliste pour qu'il puisse l'approuver : son art ne lui servait plus à faire rêver les petites gens depuis bien longtemps. Ne restait plus que la survie, désormais, et si la musique pouvait lui troquer une bouchée de pain, Luka n'hésiterait pas.
Tout, Déesses. Tout, sauf la prostitution.

Il lui fallait désormais jouer de son éloquence pour pouvoir soutirer quelques sympathies à ce noble décidément bien naïf. Pas que Luka s'en plaignait : si cela pouvait lui procurer un peu de monnaie supplémentaire, il serait prêt à s'humilier publiquement. Voilà dans quelles extrémités il se retrouvait, désormais.

Le sourire que le ménestrel décocha à son interlocuteur était à la fois optimiste et rayonnant.
« Il n'y a rien de plus agréable que de jouer pour les passants, vous avez bien raison. On ne demande pas grand chose en retour, et avec un peu de chance, on vend un peu de rêve. La musique est parfaite pour s'évader des problèmes de la vie courante, d'oublier un peu la guerre. Quelque part, les gens ne demandent pas beaucoup non plus. Et moi, je suis content de pouvoir donner un peu de joie dans ce monde infâme, ça me permet de trouver un peu de bonheur pour moi-même, aussi. Surtout quand je vois les gosses danser. »

Luka s'installa à nouveau sur le rebord de la fontaine, ce qui provoqua tout de suite une réaction chez le garde toujours présent. « Qu'est-ce que je viens de dire, garçon ? Faut payer pour avoir le droit de jouer ici ! »

« Oui, et monseigneur ici présent vient de payer, » lui rétorqua le ménestrel, non sans se montrer acerbe. Une facette du caractère lunatique de Lucrèce ressortait un peu dans tout l'agacement qu'il laissait empiéter sur les traits de Luka. « Je compte bien assez pour un permis de deux semaines, là. Il vous a donné combien ? Montrez-moi, je recompte pour vous. »

Le visage du patrouilleur sembla se décomposer à ces mots. Sans doute que l'aristocrate avait tant donné qu'il en avait pour bien plus qu'un permis de deux semaines. Luka s'en moquait bien ; tout ce qu'il voulait, c'était qu'il le laisse tranquille, une bonne fois pour toutes. Alors, avec un dédain et une complaisance bien digne de Lucrèce, le musicien se tourna vers le noble qui lui avait porté secours, tout en tournant délibérément le dos au garde. « Vous voyez ça ? Les hommes s'abrutissent dès qu'il s'agit d'argent. Enfin. Allez, milord. Pour vous remercier, que diriez-vous d'une petite chanson ? N'importe laquelle, celle que vous préférez, tant que je la connais aussi. »


Pyrope


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(vide)










Ce sentiment de satisfaction était peut-être un peu malsain, non ? Mais il n’y pouvait rien. Il aimait qu’on l’écoute. Il aimait écraser les gens sous sa volonté. Bien sûr, on ne pouvait pas dire qu’il était un modèle de diplomatie de ce fait. Faire des concessions, très peu pour lui. Il était de ceux qui aimaient diriger. Et à défaut de pouvoir diriger la vie des autres, il le ferait avec lui-même. Il ne se pliait que rarement aux codes qu’on lui imposait. Certes, la noblesse l’obligeait à quelques cérémonies, mais il en esquivait la plupart pour n’en réaliser que peu, les moins pénibles, ou les plus distrayantes, sans pour autant toujours les trouver agréables.

Tout cela pour dire, que le soldat agissait exactement comme il le souhaitait. Qu’il parte ! Il troublait la paix de ce lieu ! Enfin, surtout sa paix personnelle… Dos à eux, il ne voyait pas les visages stupéfaits de ses serviteurs, et leur soudain changement d’humeur. Lelga semblait navrée, peinée de voir son maître ainsi se donner en spectacle, en quelque sorte. Elle qui venait du peuple, elle ne pouvait pas se ranger de son côté, mais en même temps, elle ne pouvait pas non plus prendre position pour n’importe quel « camp » dans cette histoire. Quant à lui, Renis, né de bonne famille, posait sur le jeune noble un regard plus que réprobateur. Il ne pouvait comprendre les intentions de son protégé. Se drapant dans son aristocratie tout en tentant de toucher le peuple… Sans doute que seul l’intéressé lui-même pouvait y voir l’intérêt qui échappait à tout le monde, famille comprise.

Il écouta les mots du musicien, laissant un doux rire s’échapper de ses lèvres, qu’il recouvrit de ses doigts fins. Ailill était tout excité par la situation, qui n’avait pourtant rien d’extraordinaire. Mais il n’était pas sorti depuis longtemps de sa demeure, autant dire de sa cage dorée, et c’était une véritable bouffée d’air frais. Sans attendre, il prit place sur le bord, aux côtés du ménestrel, lui adressant le sourire le plus heureux qu’il put. Ses domestiques, quant à eux, s’installèrent non loin, prêts à satisfaire le moindre désir de l’héritier.

« - Jouez ce que vous voulez, du moment que la mélodie est joyeuse. Peut-être arriverez-vous à me faire chanter et danser ? Si tel est le cas… »

Sa main vint discrètement se poser auprès de sa bourse, encore bien remplie malgré le nombre de rubis donnés au garde. C’était qu’il n’aimait pas sortir sans emporter un peu d’argent… ! On pouvait toujours en avoir besoin, pour s’acheter deux ou trois petites choses, offrir à quelques mendiants, et surtout…

« - … Je pense que ma joie se traduira par une bonne récompense. »

… Faire jouer les artistes à sa guise ?



Luka

Le Changelin

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(vide)

Le ménestrel fit de son mieux pour ne pas pincer des lèvres face au rire cristallin que la situation provoquait chez le jeune nobliau. Luka n'avait que mépris pour les hommes de ce calibre, surtout chez les aristocrates - ceux qui se drapaient à la fois dans leurs richesses et dans la valeur de leur titre. Et tout cela pour quoi ? Pour une situation tellement ordinaire pour le ménestrel que l'attitude du sang-bleu lui paraissait presque risible. D'autant plus qu'il semblait se gausser du soldat qu'il venait d'acheter ; Luka avait beau s'être confronté au garde quelques instants plus tôt, il n'appréciait pas de voir quelqu'un du bas-peuple se faire renflouer aussi aisément. Mais il tenta tout de même de ne pas se laisser distraire, et décocha un sourire lumineux à son bienfaiteur. D'après ce qu'il en avait vu, le Sylvere pouvait très bien être du genre à jeter son argent par les fenêtres.

Lorsque le noble s'installa à ses côtés, il tenta de ne pas se décaler de manière trop ostensible. Son malaise s'accentuait alors que les serviteurs de l'aristocrate se postaient non loin de lui. Sans doute ne faisaient-il que surveiller leur maître - celui-ci avait l'air d'être de ceux qui se prenaient toutes les libertés - mais depuis qu'il avait trempé ses doigts dans la pègre, Luka n'avait pas la conscience tranquille. Et quelque chose de plus crucial encore accentuait sa paranoïa. Un crime plus ancien, qu'il occultait délibérément de ses souvenirs.

(Il, elle se souvenait de la fuite. L'odeur de chair brûlée lui collait encore à la peau.)

« Jouez ce que vous voulez, » déclara le Sylvere tout en lui souriant d'un air affable, ce qui le tira promptement de ses pensées noires. « du moment que la mélodie est joyeuse. Peut-être arriverez-vous à me faire chanter et danser ? »

A ces mots, le musicien ne put s'empêcher de sourire. Son visage exprimait tout son amusement, mais aussi toute son incrédulité. Ce type était sérieux ? Il venait d'exposer une bonne partie de sa bourse à la foule qui grouillait vers les marchés, et il trouvait qu'il ne s'était pas fait assez remarqué ? Nous ne sommes pas à un bal d'apparat, et encore moins à une audition privée dans votre beau salon, voulut-il répliquer vertement à ce petit nobliau trop imbu de lui-même. Mais il se mordit la langue à la dernière seconde, car la récompense promettait beaucoup, tant qu'il se pliait à sa demande.

« Si tel est le cas... Je pense que ma joie se traduira par une bonne récompense. »

Et comme s'il agitait un os sous le nez d'un chien, le nobliau lui désigna sa sacoche encore pleine de rubis. Tout sourire, comme toujours. Luka - Lucrèce ? - Luka sentit une bouffée de colère monter en lui, mais il la réprima aussitôt qu'il sentit sa poitrine s'enflammer. C'était stupide de s'énerver pour une  telle broutille ; il savait qu'il n'était rien. Un visage indistinct, un anonyme. C'était ce qu'il avait choisi d'être, jusque-là, et cela lui réussissait bien. Alors autant en assumer toutes les conséquences.

Tout en quittant d'un bond sa place près de la fontaine, le ménestrel fit face à son nouveau mécène pour esquisser une humble courbette à son égard.
« A votre service, mon bon monsieur. Alors, je me lance. » Et sans se départir un seul instant de son sourire solaire, le musicien ressortit sa mandoline de son harnais, la cala tranquillement entre ses bras, et en testa les notes. Les réajustements furent rapides, il avait l'habitude de son vieil instrument - celui-ci se désaccordait facilement - et il profita de la distraction pour creuser dans sa mémoire, à la recherche d'un morceau convenable.

Il se décida enfin pour une vieille ballade de son pays, et sans plus attendre, ses doigts que les pratiques avaient rendu calleux vinrent pincer les cordes de son instrument. Très vite, une douce mélodie embauma l'air, comme une offrande qui prenait le temps d'éclore. Et après une brève introduction musicale, la voix claire du ménestrel - sa voix d'enfant de choeur, sa voix de jeune fille en fleur - se joignit à son instrument :


Si le noble voulait danser, il n'avait qu'à se lancer. Il pouvait même d'ailleurs, s'il le souhaitait, chanter et danser en même temps, bien que cela étonnerait fortement Luka : à sa connaissance, cela relevait de l'exploit, et/ou d'une envie de faire la démonstration de tous ses talents à la fois, ce qui ne pouvait que se conjuguer en catastrophe. Dans tous les cas, le ménestrel lui fournissait un rythme, une mesure, mais il prenait tout de même ses précautions : si la performance du Sylvere se révélait médiocre, il ne voulait pas avoir sa part de responsabilité. Ce pour quoi il se décala légèrement, laissant amplement la place à l'aristocrate pour se lancer, sans pour autant exclure la foule qui grouillait toujours autour d'eux. S'il pouvait faire d'une pierre deux coups, d'une chanson deux publics, il n'hésiterait pas.

Jouer quelques morceaux pour quelques rubis supplémentaires ? Il trouvait cela honnête, de la part de quelqu'un qui pourrait tout aussi bien lui forcer la main pour l'acheter lui plutôt que son art. Luka ne voulait en aucun cas finir en chien de la Cour, aussi royale qu'elle soit.