Posté le 24/04/2016 18:04
Il réajusta la cape sur ses épaules ; non sans lâcher la bride. La jument allait au pas, dans son dos, tandis que son regard embrassait la cité encore endormie. Le soleil se levait tout juste, bien qu'il fut déjà plus tard qu'à l'accoutumée. De lourds nuages couvraient encore les cieux et l'humidité chargeait l'air. Çà et là, les commerces prenaient doucement vie au fur et à mesure que les Hyliens quittaient les baraques pour rejoindre les rues. Lentement mais sûrement, il arpentait les ruelles, guidant sa fière amie du Quartiers des Tanneurs à celui des soieries, veillant bien à éviter les quais. Il les savait particulièrement mouvementés en matinée, et la présence d'un cheval était largement suffisante pour entraver les déplacements de chariots et le trafic mercantile. Jetant un dernier coup d’œil sur le Castel dont il s'éloignait peu à peu, il se laissait aller vers le cœur de la Citadelle sans trop savoir où ses pas le porteraient précisément. La Princesse avait été claire et il en savait désormais beaucoup plus sur le vitrail que ce que n'avait pu dire le vieux sacerdoce mais tout cela ne lui en disait encore que trop peu. Slalomant doucement entre les commerçants, les vendeurs à la criée et les échoppes qui rognaient la chaussée, il réfléchissait à comment occuper son temps d'ici à ce que la jeune femme puisse se pencher davantage sur le détail de ce qu'il cherchait. « C'est bien là le problème l'ami », semblait lui souffler une voix au fond de son crâne. « tu n'as pas la moindre idée de ce que tu cherches ! » Il renifla, resserrant son appui sur les rennes et menant la jument d'étals en joueurs de cartes – ou de couteau –, quand les nourrices ne venaient pas interrompre sa course. Chaque fois qu'il foulait du pied les chemins pavés (ou boueux) de la Citadelle d'Hylia, il lui semblait redécouvrir ce spectacle bariolé ; bruyant et presque violent tant l'explosion de vies, d'odeurs, de couleurs ou de simples mouvements était brutale. Plus que jamais, le joyau du Nord lui semblait coupé du monde. C'était là une tout autre réalité, sur laquelle rien ne semblait avoir de réelle prise.
Et si, pour bien des raisons, l'ambiance de la ville royale lui pesait souvent ; il devait reconnaître qu'il aimait à se fondre dans cette masse indéfinie, grossière et anonyme. Personne ne savait qui il était ici, personne ne se souciait véritablement d'où il venait où ce qu'il souhaitait. Il appréciait cet étrange silence que lui permettait la Ville-Close ; elle dont le tumulte incessant couvrait tout le reste. Laissant le givre de ses yeux traîner d'un ferrailleur indépendant à une boulangère, alors qu'il gagnait enfin l'un des nombreux marchés de la ville, il ne put s'empêcher un demi-sourire : après toutes les morts de Cocorico, les pleurs qu'il avait entendu partout où le vent le portait, un tel contraste le réjouissait. Constater que certains mangeaient encore à leur faim, sans vivre derrière les imposantes murailles du Palais-des-Rois, avait quelque chose de rassurant. Instinctivement et sans véritablement le réaliser, sa main droite remonta jusqu'à son torse, sous la bure brune, à la recherche du petit pendentif que lui avait offert une amie, jadis. Quelques cohortes de gardes témoignaient pourtant de l'importance qu'avait pris le conflit. Des hommes en armure gardaient chaque arche qu'il avait pu passer, dévisageaient certains des étrangers. Certains ne portaient pas exactement les armes de la Couronne, mais il doutait de la volonté de Llanistar de laisser s'organiser des milices au sein même du poumon politique et économique du Royaume. Leur présence restait discrète – peut-être parce que lui même l'était – mais il restait certain de ne jamais avoir croisé ce genre de groupes, plus jeune. « Uh ! » Fit-il, sans trop s'en soucier, avant de faire claquer sa langue contre son palais, à l'intention de sa compagne sellée. S'arrachant aux regards de ces quelques cerbères, l'Enfant-du-Bois reprit sa marche, docilement suivi par Epona.
Si les troubadours et les ménestrels, au même titre que les diseuses de bonne aventure ou les danseuses-acrobates, faisaient depuis longtemps parti du paysage de la Citadelle d'Hylia, c'est un tambourin militaire qui le poussa à s'arrêter de nouveau. Le crieur était monté sur une estrade, au centre de la place, dont les cinq trappes et la charnière indiquait qu'elle avait déjà servi d’échafaud. Presque mécaniquement, il imposa un presque-silence à la foire tout entière, battant la peau tendue comme pour motiver les soldats partants en guerre. Naturellement, le vagabond ramena la paume de sa main contre l'encolure de son amie équidé, la flattant pour mieux la rassurer. La jument avait connu quelques champs de bataille ; et les sonneries de cor ou de tambour produisaient toujours le même effet sur elle. « Tout doux.. — », murmura-t-il doucement à son égard, anticipant sa réaction. Il la connaissait suffisamment pour la sentir se raidir, mais aussi se calmer. Aussitôt que la bête fut apaisée, il reporta son regard de glace sur le messager royal. L'homme avait le visage buriné et balafré. La visière relevée de son armet ne permettait de distinguer qu'une seule cicatrice, qui barrait sa gueule de la joue au front. L’œil droit, sur le chemin de la lame, n'avait manifestement pas survécu au coup. Sa jambe et son épaule le faisaient également souffrir, à l'évidence, puisqu'il ne penchait et cherchait régulièrement son équilibre, faute de pouvoir s'appuyer sur ses deux genoux. Après avoir fait rouler les baguettes sur la caisse près d'une minute durant, il tira un parchemin d'une sacoche et commença par s'éclaircir la voix. Le crieur commença ensuite la lecture, détaillant dans son annonce la situation des caravaniers ainsi que la réponse qui avait été décidé. Avant même d'entendre parler d'une récompense qu'elle quelle soit, le Fils-de-Personne avait déjà pris sa décision. Le fait était que sa bourse se faisait particulièrement légère depuis de nombreux mois, certes, mais son intérêt était ailleurs. A l'inverse d'une majorité de ceux qui prenaient les armes sous la bannière de Zelda, il ne s'était jamais senti l'âme d'un soldat et se refusait catégoriquement à le devenir. Présent à chaque bataille depuis l'assaut sur le domaine Talon ; il se questionnait de plus en plus sur le sens que tout cela avait, que cet affrontement portait. La guerre avait quelque chose d'infini qu'il peinait de plus en plus à cerner et aucun de ses efforts ne semblaient profiter à ceux qu'il prétendait pourtant protéger.
"Viens par là." Lança-t-il simplement à la jument, l'attirant un peu à l'écart de la foule, avant de nouer les brides à une balustrade prévue à cet effet. Plus de foin couvrait les pavés que l'animal n'aurait pu en rêver ; et il serait de toute façon de retour sous peu. « Je reviens. — » Glissa-t-il à la bête, non sans flatter gentiment ses naseaux. Laissant l'animal, il entreprit de traverser la place en sens inverse. Immédiatement après la fin du discours du crieur, le commerce et l'activité avaient repris leurs droits : çà et là les rémouleurs hurlaient, profitant de la récente annonce pour vanter la nécessité de leur ouvrage. Un peu plus loin, une femme allaitait, suivie de quatre ou cinq gamins, tout en tenant grief à un forain sans doute trop cher. Des ouvriers réparaient la porte d'une auberge, défoncée lors d'une rixe la veille tandis que les mendiants mendiaient. Les amoureux des cartes se chamaillaient, pinaillant sur des points de règles qu'ils étaient sans doute les seuls à connaître et les files s'allongeaient devant les étals des bouchers, des habilleurs, des paysans et autres membres de guildes marchandes. Jouant des épaules, et parfois des coudes, il parvint finalement à rallier le comptoir derrière lequel le messager et quelques soldats s'étaient installés. Ignorant les quelques regards que lui lancèrent d'autres hommes en armes et les commentaires dont il n'était pas même sûr qu'ils le concernaient, il s'approcha d'un garde. L'homme était assis et chiquait un peu tabac. A sa main gauche, brûlée, il manquait trois doigts. Son nez avait été écrasé par un méchant coup et une de ses oreilles était partiellement rongé. « Llanistar manque cruellement d'hommes... — », ne put-il s'empêcher de penser, constatant à quel point les ressources militaires de la Couronne étaient mobilisées. Il savait le désamour du Général pour les troupes itinérantes et indépendantes ; il connaissait ses craintes de les voir se retourner contre lui et Belle. Faire appel à des épées-à-louer ne devait pas être quelque chose que le Septentrional appréciait, il s'en doutait. A l'évidence, la guerre tendait trop le ressort pour qu'il puisse se permettre d'ouvrir un autre front, fut-il composé de quatre à cinq guerriers et d'une bête à abattre. Il grinça des dents. « Tu veux-tu 'rrêter d'm'mater ? Ma tronche t'reviens pas ? » Siffla le soldat, le tabac le forçant à avaler des syllabes qu'il n'aurait probablement pas prononcé de toute façon. « 'lors ? Volontaire ? » S'enquit-il, accompagnant sa question d'un geste du menton, levant les yeux pour croiser le regard de l'Hylien. « Oui. » Confirma simplement le blond, réalisant à quel point il était chanceux de n'avoir pour seule balafre qu'une cicatrice barrant sa joue, sous l’œil. « C'est-y quoi ton p'tit nom ? » Demanda le troupier, le regard désormais fixé à la feuille et pointe à écrire en main. « Link. » Il avait toujours été lapidaire, mais cela ne semblait pas déranger l'homme face à lui. « Signe dont là. » Souffla l'homme, après s'être longuement appliqué à griffer les quatre caractères sur le parchemin. « Si tu sais pas, mets-y donc une croix. » Le soldat finit tourner le bulletin après lui avoir tendu la pointe dont l'encre gouttait encore. Parcourant du regard l'ensemble des cases et des symboles, le Héros ne put s'empêcher de se mordre faiblement la lèvre inférieure. Enfant, Saria avait bien tenté de lui apprendre à déchiffrer le kokiri, mais il avait toujours été bien mauvais élève. Et en dehors de Navi et quelques fées, personne ne lisait ou écrivait l'hylien, dans les bois. Tâchant de cacher sa gêne tant bien que mal, l'Hylien glissa une croix noire, près de ce qu'il supposait être son prénom. Jouant ensuite la comédie, il compta sur l’inattention du garde et lui rendit la copie l'air aussi sûr de lui qu'il le pouvait, avant de s'en retourner vers les étables. Pestant contre lui même, les joues chaudes d'une honte qu'il peinait à dissimuler, il fendit la foule à contre courant.
Un rapide coup d’œil vers les cieux lui indiqua que le soleil serait bientôt à son zénith et que l'expédition ne devrait pas tarder à se mettre en route. Forçant l'allure, il gagna la jument qu'il avait laissée attachée sous le petit appentis. Il harnachait la bête à nouveau, vérifiant que tout tenait correctement, quand une voix s'éleva dans son dos. « C'est une bien jolie épée, ça. » Fit la femme, pointant du menton la lame de Swann qui reposait contre le flanc d'Epona. Tournant brièvement la tête vers son interlocutrice, il reconnut la jeune femme du Temple du Temps. « Effectivement », glissa-t-il pour toute réponse, peu désireux d’entamer une conversation et moins encore à ce sujet. Dans son dos, il sentait le regard vert de la jeune femme toiser tantôt la fusée de l'épée, tantôt sa nuque. « Où l'as-tu eue ? » S'enquit-elle simplement, visiblement intriguée. Resserrant les sangles qui fixaient la lame à la selle, l'Hylien garda d'abord le silence, une seconde. « Je l'ai trouvée. » Conclut-il finalement , avant de réitérer sa tache pour les lanières maintenant l'écu de Belle. Excalibur dormait à sa hanche, pour qu'il puisse la tirer même de sous la bure. « Je vois, fit-elle sobrement, avant de changer brusquement de sujet, alors comme-ça tu pars à la chasse au monstre ? Tu n'es pas effrayé ? » Il n'aurait su dire si le ton amusé qu'il lui semblait déceler était moqueur ou simplement enthousiaste. « H-hm. » Fit-il, répondant sans mots. « A ce propos... » Commença-t-il ensuite, avant qu'elle ne le coupe. « Vous partez. Je sais. ~ » Lança-t-elle brièvement. Il s'était retourné suffisamment tôt pour apercevoir un sourire sur les lèvres de la jeune femme. « En espérant te revoir en un seul morceau alors ! » Tonna-t-elle ensuite, avant de s'éloigner. Grimpant sur sa monture, l'Hylien avança au pas, rejoignant la petite troupe sur le départ.