[ Hors timeline ]
« - Je n’sais plus si j’vous l’ai déjà dit, mais j’ai une très mauvaise mémoire…
- OUI. On sait ! »
Excédé, le vieillard fit signe à son épouse d’abandonner le combat contre cette créature rousse. C’était évident qu’ils ne retrouveraient jamais la bourse de l’ancienne. Depuis au moins une bonne dizaine de minutes, ce qui avait paru une heure ou deux et suffit à la perte du peu de patience restante du couple, l’adulte au comportement d’enfant les baratinait, leur « démontrant » son innocence en les noyant sous un flot incessant de paroles, s’arrêtant parfois brusquement, puis reprenant, et surtout, répétant des choses, sans cesse. Parce que oui, vous comprenez, c’est sa mauvaise mémoire… Ca aussi, il ne cessait de le dire. Jugeant en avoir assez entendu, ils repartirent, la pauvre petite vieille gémissant et se plaignant d’avoir perdu ses rubis, son mari lui répondant que tous les rubis du monde ne valaient pas une telle torture pour leurs oreilles. Et pour Pyrope, c’était une petite, toute petite victoire, brillant dans ses yeux verts comme l’argent qui dépassait du petit sac levé à son regard et vite caché sous sa cape. Ca n’était pas bien de voler. C’était malhonnête de mentir. C’était lâche de s’en prendre à des personnes âgées. Mais ça tombait bien, il n’était ni bon, ni honnête, ni courageux, alors !
Au fond, on le connaissait un petit peu, ici. A force d’habitude, de l’avoir croisé, maintenant ou avant. Il lui arrivait de revoir quelques habitués de l’auberge de son enfance, des hommes seuls, des femmes et leurs marmots, ou les marmots des leurs, tous à le regarder de loin en se disant à eux-mêmes ou entre eux que c’était dommage pour ce « pauvre garçon » mais que, qui sait, un jour, « si les Déesses l’entendent, il mettra la main sur un métier et il fera quelque chose de sa vie ». Lui n’y croyait plus vraiment, ou plutôt, il faisait partie de ces gens qui avaient juste assez de motivation pour s’en sortir chaque jour, et pas assez pour vouloir trouver quelque chose de durable dans le temps. Si l’occasion se présentait, peut-être saurait-il la saisir.
Il ne se rappelait pas d’une pareille chance un jour. Lui avait-on déjà proposé un emploi ? Un lieu où loger ? Lui avait-on déjà fait des avances ou des propositions douteuses dans une ruelle sombre, entre deux barils, là où personne ne pourrait l’entendre crier ? Peut-être. Peut-être pas. Ah, cette mémoire, alors… Il se souvenait de son arrivée sur les pavés, des regards qu’on avait lancé au mioche qu’il était. Parfois, on le fixait de la même façon, même aujourd’hui malgré son corps d’adulte. Parce qu’il n’était pas de ces gens matures et responsables qui devaient bien s’ennuyer dans leurs vies. Il n’était pas non plus de ces pauvres gens qui pleuraient parce que justement, ils étaient des pauvres gens. Ca ne servait à rien de pleurer et de s’agiter, de toute façon. Ca ne changeait pas les choses. Et il était certain que les Déesses riaient plutôt bien en voyant l’humanité se répandre en larmes. Les Déesses étaient-elles méchantes ? Mauvaises ? Mais le Mal, c’est Ganondorf. Les Déesses sont-elles comme Ganondorf ? Ganondorf est-il la « meilleure » création des Déesses ? … C’était trop compliqué, comme les chances à saisir.
Pour l’instant, tout ce qu’il pensa à saisir fut le bord de sa capuche, la rabattant sur son visage, fourrant sa tignasse flamboyante et toute bouclée sous le tissu mal rapiécé et terne. Puis, il fit quelques pas, se mêlant aux gens, cherchant encore quelqu’un qui pourrait lui faire gentiment don de ses possessions. Plus que pour l’argent, il faisait ça aussi pour l’amusement, pour l’instant d’excitation que cela lui procurait, et peut-être aussi, un peu, parce qu’il avait oublié la somme que contenait sa nouvelle petite bourse, et qu’il préférait être prévoyant. Il bouscula, frôla des poches, des vestes, agrippa quelques vêtements, les relâcha. Un jeu. Et s’il perdait et se faisait attraper, c’était juste qu’il n’avait pas été assez bon… Et c’était tant pis pour lui.
Dans la vie, il y avait deux solutions : soit on avait de la chance, et tout marchait comme on le voulait, soit on n’en avait pas, et nos plans rataient. Et pour le coup, il n’avait pas eu vraiment de chance. Pourtant, la cible semblait parfaite. Il l’avait repéré parmi la foule, ce garçon qui marchait, chargé de planches. Il avait fait un petit détour, contournant quelques étals, quelques passants, pour arriver face à lui et tenter de dérober quelque chose. Il semblait si occupé, se disait-il, que sa main se glissant discrètement dans ses poches ne risquait pas d’être remarquée.
Et pourtant.
Un moment de silence, un long flottement pendant lequel il regardait, bien caché sous sa capuche, son poignet être serré, à en faire mal, par ce type. L’ombre qui masquait en partie son visage ne s’éclaircit que lorsqu’il releva la tête pour observer en face sa cible, par curiosité. Ses deux billes vertes s’ancrèrent dans celles de son vis-à-vis, et une mèche de cheveux roux et bouclés s’étaient fait la malle, reposant sur son épaule, bien visible. Il avait parfaitement l’air du gamin pris sur le fait, maintenant, mais étrangement, son échec n’était pas la chose la plus marquante qui venait de se produire. Non… Autre chose le dérangeait.
« - T’as l’air au moins aussi fauché que moi. » lâcha-t-il d’une voix neutre.
Une simple constatation. La bourse qu’il tenait dans sa main semblait bien peu remplie par rapport à ce qu’il avait pu tâter auparavant. C’était plutôt désespérant, décevant même. Lui qui avait espéré une bonne pioche s’en retrouvait avec les quelques misérables rubis d’un gars aux vêtements franchement, franchement trop colorés pour lui. Il remua un peu sa main, sans une grimace, sans l’ombre d’une expression.
« - Tu me fais mal… Lâche-moi, je te la rends, ta bourse. Y’a rien à en tirer, de toute façon… »
Quelques regards d’habitants curieux se posaient sur eux mais passaient vite à autre chose. Pourquoi s’intéresser plus que cela à deux péquenauds qui discutaient à voix basse ? Enfin, Pyrope espérait qu’ils le pensaient. Sinon, ils allaient avoir plus de problèmes dans quelques temps, et il voulait pouvoir s’en sortir sans trop de remous. Comme « promis », il lui rendit l’objet, reprenant son observation, le détaillant. Son visage, son allure, c’était comme si sa mémoire arrivait à le situer dans un souvenir, mais il n’arrivait pas trop à dire lequel.
« - J’ai l’impression de t’avoir vu quelque part… »
Ahh… Alors c’était donc cela. Oui, il aurait dû s’en rappeler. Enfin non, il ne se rappelait jamais de rien, de toute façon… Une habitude à prendre. S’il avait su écrire et lire, il aurait tenu un petit journal pour se souvenir des choses qu’il avait vécu, mais la vie était ainsi faite qu’il connaissait mieux plusieurs façons d’insulter une femme que comment écrire son prénom. Ce garçon devant lui devait savoir, lui. C’était un artiste. Parfois, il se demandait s’il n’aurait pas mieux fait de se trouver une quelconque troupe et de commencer une telle carrière. Mais il n’avait pas de talent particulier, donc ça n’aurait servi à rien. Et en plus, ce pauvre gars avait l’air aussi mal loti que lui, donc foutu pour foutu, au moins s’amuser un peu, et il prenait des fois beaucoup de plaisir à chiper çà et là quelques affaires à de quelconques passants innocents.
Ma dégaine t’emmerde, pensa-t-il sans s’autoriser à le dire, car il était bloqué ici avec lui. Non pas physiquement, il aurait toujours pu cogner de ses maigres forces, déstabiliser l’individu, et s’échapper rapidement en se faufilant dans les ombres des ruelles toutes proches, mais plutôt « moralement ». Pas qu’il ait une morale, non, non. Mais sa question posée l’obligeait un peu à répondre. Oui, s’il fuyait, alors il aurait tout de suite été jugé comme coupable ! Alors que pour une fois, eh, c’était pas lui !
« - C’est marrant, t’as une tronche de niais et tu joues les durs. » lâcha-t-il finalement, sans ton particulier. Un simple constat. « Désolé, mais la chance, le hasard, tout ça, c’marche pas dans la réalité. Non, non, m’sieur, moi j’t’ai rien volé. J’m’en serais souvenu, d’un type comme toi. Enfin quoique. T’sais, j’ai une mauvaise mémoire. Mais j’en suis sûr, quelqu'un avec une gueule pareille, j’m’en serais souv’nu, certain. J’en vois pas souvent des comme toi, moi. »
Il leva finalement ses mains, ses paumes légèrement marquées présentées à son interlocuteur. Dans son regard, toujours cette espèce de lueur d’innocence, comme un enfant qui ne comprenait pas pourquoi on le disputait.
« - Pour preuve, tu l’vois. J’ai plus rien sur moi, plus un sou. J’ai faim, en plus. Si j’t’avais volé, tu crois que ça se passerait comme ça ? J’suis pas le gars le plus honnête du coin, mais là, pour le coup, va falloir que tu me croies, parce que je peux pas te donner plus de preuves que ça. »
Le rouquin baissa doucement ses bras, et ses yeux, qui rencontrèrent la mèche qui s’était posée sur son épaule. D’un geste un peu lent, il la rangea dans sa cape, revenant finalement à son vis-à-vis. C’était facile de plaider l’innocence face à quelqu’un dont on ignorait tout. D’ailleurs, il ne s’attendait même pas à ce que ça marche, ni même qu’on puisse avoir pitié de lui, mais plutôt à un poing dans la face, un crachat ou un simple abandon dans ce coin. La vie était ainsi faite qu’en période de crise, ceux qui possédaient le moins se permettait la plus haute méfiance. N’était-il pas lui-même comme ça ? Non, pas vraiment. Car chez lui, il n’y avait rien à prendre.
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