Posté le 21/04/2014 15:44
Elle ne manquait pas de ressources, ni de cran. Les nuages de fumée avaient souvent comme effet de désorienter et d'affoler ceux qu'ils surprenaient, mais elle ne s'y était pas laissé prendre. De bons réflexes, et une prise de décision rapide.... L'intérêt d'Aedelrik, déjà fort présent, redoubla lorsqu'elle n'eut comme première réponse qu'un rire cristallin et qui possédait un certain charme. Il s'attendait à ce qu'Enora réagisse de cette manière, ou du moins, lui résiste. C'était là un trait commun aux esprits forts et aux âmes éprises de liberté, qui pensent n'avoir besoin de personne. L'étranger avait plus d'expérience, et avait appris dans la douleur que la solitude devient dangereuse lorsqu'on entreprend de se soustraire au regard de dame Justice et de sa fille, Loi.
« Je crois que tu vas un peu vite en besogne, mon mignon. Ce n’est pas en épiant, en suivant, puis en asphyxiant une femme qu’on la charme pour obtenir ses faveurs ! »
Aedelrik se retint de lui répondre que si il en avait eu envie, faire voler une dague vers son coeur aurait été un jeu d'enfant, lorsqu'elle fuyait sans se rendre compte de sa présence. Mais il ne souhaitait pas la braquer, ni paraître arrogant. De fait, si le voleur faisait montre d'une dextérité éprouvée dans la maniement de ses lames, il répugnait à s'en servir, surtout contre les enfants de la nuit dont il était. Ainsi, il la laissa continuer, sa voix légèrement étouffée par le tissu dont elle s'était recouvert la bouche par crainte de la fumée,
« Qu’est-ce qui peut me garantir ta bonne foi hum ? Je suis plutôt du genre à travailler seule en plus mon chou, tu ne ferais que me ralentir avec ta petite fumée en pet de Zora. »
Bien sur, ils commençaient tous comme cela. Et puis il y avait ceux qui prenaient une voie plus ambitieuse, et ceux qui finissaient par tomber sous les coups de la Justice, seul et sans espoir que quiconque leur vienne en aide. Le regard d'Aedelrik s'attarda sur son poignet gauche, où la cicatrice laissée par les fers lui rappela les geoles de Doerin, et le cauchemar qu'il avait enduré là. De fait, la leçon l'avait marqué autant dans sa chair que dans son esprit, et il n'était pas prêt à recommencer les mêmes erreurs. Il attendit quelques instants que le nuage se dissipe, et fixa d'un regard particulier Enora. Alors, il tira une dague de sa ceinture, et la jeta au sol. Il commença à avancer vers la jeune femme, tirant une à une les neuf lames qu'il gardait sur lui, puis les sacoches contenant ses artifices. Pendant ce temps, il lui répondit, d'un calme olympien,
« Combien de temps crois tu que ta bonne étoile va te suivre ? Tu es douée, aucun doute là dessus, mais tu peux me faire confiance sur ces mots : il arrive toujours un moment où ta fougue, ton ambition, ton amour de l'or vont te faire te lancer dans un coup trop ardu pour toi. Tu t'y lanceras en choisissant d'ignorer les risques... Et tu t'y brûleras les ailes. On te jettera dans une cellule sombre, on te forcera à des aveux sous la douleur, on te fera un procès rapide et tu te balanceras à une corde au matin. Je le sais, parce que cela est arrivé plusieurs fois, à des amis. J'y ai moi même réchappé de peu. Et c'est ce qui t'attends. »
Aedelrik était arrivé face à elle, complètement désarmé. Sans arme, les runes de sa tenue déchargées, privé de ses artifices, il ne tremblait pas. Il fixait la jeune femme dans les yeux, un léger sourire triste sur son visage tandis que des souvenirs peu plaisants passaient furtivement dans son esprit. Puis il poursuivit,
« Le destin des voleurs est tragique, dit comme cela, n'est-ce pas ? Et bien ça n'est pas une fatalité. Il tira sa manche droite et dévoila un tatouage en forme de renard cherchant à attraper sa queue. L'étranger fit s'attarder son regard dessus, un regard emplit de nostalgie, C'est ce qui m'a sauvé, quand j'étais au bord du gouffre. Une compagnie, une fraternité, une associations de voleurs. On était pas nombreux au départ, mais on se soutenaient et on se protégeaient si bien que d'autres nous ont rejoint. En quelques temps, on faisait trembler les plus puissants. On n'avait pas d'autres règles que le respect et l'entraide, pas d'autres contraintes. C'était comme une famille, sans les chaînes qui vont avec. Certains partaient, puis revenaient. D'autres s'y sentaient si bien qu'ils n'avaient plus besoin de travailler seuls. »
Le voleur n'avait pu empêcher sa voix de se réchauffer en même temps que son coeur. C'était sans doute l'époque la plus heureuse de sa vie, et se la remémorer ainsi lui évoquait les émotions réconfortantes qui lui était attachée. Prenant conscience qu'il s'était relâché sans le vouloir, il se mordit la lèvre de gêne et pouffa nerveusement. On aurait dit un vieillard radotant. Mais ne dit on pas que les vieillards ont beaucoup à enseigner ? Il posa une main sur l'épaule d'Enora et conclua en lui disant,
« Ce que nous faisons est un art, Enora, mais un art dangereux. Il peut être profitable seul, je ne le conteste pas. Néanmoins, des associés en meute peuvent aller beaucoup plus loin qu'une louve solitaire. Les loups l'ont compris, et moi aussi, au bout d'un moment. Je ne te force à rien, jamais. Mais je serais heureux et honoré de m'associer avec une fille de la nuit aussi talentueuse que toi. Puisque tu le sais, je n'ai plus de raison de m'imposer. Réfléchis y et si tu en viens à être tentée... Cherche moi les jours de marché. Nul doute que nous nous trouverons. »
Aedelrik lui offrit un dernier sourire et commença à se retourner.
[hrp]Désolé du temps de réponse, j'ai eu un passage à vide niveau inspiration ^^[/hrp]