Immersion voluptueuse dans l'Autre

Ou Un et Un font Un.

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Astre


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(vide)

Un enfer de couleurs. Je flotte en plein milieu d’une vague chromatique qui, si mon corps avait été présent, aurait fondu toute mon anatomie. Je n’ai pas vraiment pied, mais je n’ai pas besoin de toucher le sol pour garder équilibre. Car je flotte. J’ai l’esprit cotonneux, et les couleurs défilent… oui, elles forment une spirale devant moi, une spirale arc-en-ciel indescriptible, où le jaune se fond dans le rouge, le blanc dans le noir, et ainsi de suite. Tout est noir maintenant, mais je « vois » la couleur. Je ne suis pas plongé dans des ténèbres d’où on ne peut sortir sans lumière, non, car je sais que je suis entouré de noir. Je le sais et ça suffit à faire disparaître les craintes. Mais, il semblerait que cet espace vide, ou alors entièrement rempli, faisons un choix nous n’avons pas toute la nuit… n’ait pas fini de me surprendre. Car le noir se fend. Oui, cette énorme toile se déchire par quelque sort merveilleux, et la fable continue. Le blanc s’insinue hors des plaies et coule sur toute l’étendue. Je suis le spectateur parfait, ma vue balaye tout ce qui est à voir. J’observe l’armée de globules blancs qui paradent et se mettent en rangs serrés, avant de se lancer sur les sombres oppresseurs. Et cette vague immaculée, parfaitement stratégique, déferle sur ce noir qui la pollue. Consume ce qui est à consumer. Le blanc est vainqueur. Est-il prémonition de quelque réalité ? Dois-je disséquer chaque symbole ? Tout est-il métaphysique dans ce lieu inconnu ?

Tu pédales pour rien, Arkhams. Le monde d’ouate dans lequel tu patauges n’est pas matériel. Tes efforts sont inutiles. Blanc, noir, cet environnement t’aveugle et en même temps il t’offre un nouvel angle de vue. Oui, c’est en fermant les yeux que les plus belles choses nous apparaissent. Tu vas t’en rendre compte rapidement, Arkhams. Tu as raison, Arkhams. Je me fais trop de soucis, je prends trop au sérieux ce que j’ai sous les yeux. Pourtant, comment faire abstraction de cette irréalité déjà abstraite ? Je ne suis pas Dieu, Arkhams. Non, c’est vrai… Tu es Arkhams.

Quelque chose me dérange dans cette blanche intégralité. Oui… j’ai la nette impression qu’elle n’est pas si intégrale, qu’un parasite approche, qui contamine cette pureté environnante. Même le silence me semble altéré par quelque fouillis sonore. Je ne vois rien. Ferme les yeux, Arkhams. Mais comment ?! Je n’ai pas d’yeux, morbleu ! Ferme-les… D’accord.

Et là, je la décèle, cette tâche un peu moins pâle que l’Alentour. Qui au loin brise l’uniformité religieuse de ce lieu intemporel. Cette présence me semble être un blasphème, et… dans un certain sens j’accepte cette (ir)réalité-là, parce que la pureté m’ennuie, parce que je veux du désordre dans ce lieu où tout est déjà rangé. J’ai le désir puissant d’avoir mon utilité… Viens là, petit insecte bourdonnant. Car mes oreilles sifflent déjà du bruit qui les infecte. Ma tête grouille de mauvaises pensées. J’en ai la nausée.
Cette tâche vient à ma rencontre. Je la sens qui glisse subrepticement vers moi, comme le courant d’air miséricordieux dans un désert chaud… il s’approche, et bientôt, je le reconnais. Ce visage. C’est le mien.


« Non. C’est ton visage mais il ne t’appartient pas ». Les mots sont venus à mes oreilles de manière distincte, la voix sur un ton monocorde où les décibels sont tous parfaitement épurés. J’ai besoin de saturation, de violence, et on me jette de la neige. « Je suis toi, et tu es moi. Mais tu ne le sais pas. » Et les traits se brouillent, pour ne former bientôt qu’un amas de chair rosâtre et d’os rongés. Le masque d’horreur s’effondre, et là, je n’en crois pas mes yeux.

ASTRE !


John Doe


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(vide)

Une pression mortelle remplit mes oreilles, je sens peu à peu une résistance qui lâche. Mes tympans vont-ils éclater et être noyés par cette chose ? Je ne sais pas, mais que cela cesse.
Une chaleur écrasante grignote mon derme, je sens peu à peu ce papier qu’est ma peau se consumer. Va-t-elle la traverser pour déverser son magma dans mes organes ? Je ne sais pas, mais que cela cesse.
Ce noir oppressant bouche mes yeux, je sens un déséquilibre nauséeux dû à la cécité saisir mon estomac. Mes globes vont-ils se perdre à jamais dans l’infini nocturne ? Je ne sais pas, mais que cela cesse.
Un bourdonnement dégoutant là-bas, des cendres dans ma bouche. J’étouffe. Est-ce ça les Ténèbres ? Je croyais les adorer, les vénérer. Je souhaitais qu’elles enfantent en mon âme les pires abominations.
Je vomis du sable gris, luisant dans le noir. Aveugle, assourdi, je ne vois que le contenu de mon estomac brillant sur un sol ébène et chaud. Je pleure, je panique. QUE CELA CESSE !

Rendez-moi mes yeux, mes vices, mon ouïs, ma haine ! Lâchez-moi, Limbes !

Et tout cessa. Tout. Une larme bouillante roule sur ma joue squelettique. Je l’essuie, palpe mon visage osseux d’une main tremblante. Je ne suis pas moi. Mais je me connais. L’enfer s’était calmé, on m’avait exaucé. Des nuages immaculés scintillaient tout autour de moi. Leur blancheur si pure gommait le pétrole de mon univers. Certains moutons percutaient mes jambes qui n’étaient pas les miennes puis continuaient leurs routes en gazouillant telles des oiseaux de paradis. Le calme vint avec ces mélodies animales. Les cumulus d’argents avaient fini de nettoyer les immondices ténébreuses. Tout était tapissé de couleurs joyeuses, fusionnant entre elles, accouchant d’autres teintes superbes. Je les aime et les hais.

Mes pieds impalpables n’étaient que fumée noirâtre. Mes orteils enfantaient des globules d’ombres. Ils chiaient, c’était le mot, ils chiaient leurs saletés dans ce monde tout propre. Je suis soulagé et révolté. Une brise douce faisait voleter des cheveux que je ne reconnaissais pas. Mon regard portait loin, à ce moment. Il épousait cette infinie colorée et un être que je connaissais.

Je glissais comme un spectre, gerbant par petons des excréments de Ténèbres partout.

« C’est beau ici.
- Non c’est laid.
- C’est calme ici.
- Non, c’est niais.
- Ferme-la.
- Je dispose de moi comme je l’ent… »

Je me tus. Il se tut. Je vis l’autre homme flotter comme un fœtus débile.

« Moi, ici ?
-Non. Toi, là-bas. »

Assez proche d’Arkhams, je me vis dans ses prunelles d’or. L’image que me renvoie ce regard mielleux me révulse. Je suis Astre. Je vomis des cendres. Les dernières. Je suis pur. Un sourire carnassier déforme ma face de diablotin sans que j’y prenne garde.


« Nous sommes Astre et Arkhams, hein ? » La voix émanait d’Arkhams et d’Astre, mêlée, jetée des deux bouches en même temps, sur le même ton. Celui de l’étonnement et de l’amusement.

Je sais ce qu’il veut de moi, il sait ce que je veux de lui. Son Noir épousera mon blanc. Je souris. Il sourit.


Astre


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(vide)

Ils se contemplaient, tels deux chiens de faïence, guettant les incertitudes, les faux semblants, les mensonges. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, et bientôt il ne resta de l’un et de l’autre que deux êtres mélangés. Ni tout à fait Astre, ni tout à fait Arkhams. Le décor se fragmenta lui aussi, pour refléter les deux visages impersonnels et fusionnés des deux hommes. Deux faces sombres, terrifiantes, qui de leurs yeux rouille fustigeaient les versions nature, dardant sur eux un regard accusateur. Qui êtes-vous, Hyliens, pour vous mesurer de telle sorte à ce qui vous dépasse ?
Et tout partit en fumée ; des fusées de gaz colorés dilapidaient leurs pigments sur la surface informe, sur le miroir agrandissant. Attaques aériennes menées à l’imperfection. Les deux êtres plièrent sous cette tempête déchainée de roses criards, de noirs fatigués, de blancs douteux, de rouges carmin ; ils furent cloués au sol par la violence de «l’air » et ne purent que subir l’assaut de couleurs. Entre temps, ils s’étaient fondus l’un à l’autre, et il en résultait un bloc couleur chair, hideux, flasque, muni de deux paires d’yeux, d’une bouche trop large en travers de rien du tout. Mais à nouveau les Déesses secouèrent la nappe et en bousculèrent les miettes, et ils reprirent forme humaine, l’un Astre et l’autre Arkhams, à moins que ce ne soit l’inverse. A moins encore que le vice ne poussa la Trinité à mettre Astre dans Arkhams et Arkhams dans Astre. Quoiqu’il en soit, ils étaient regardables, si témoin il y avait. Celui qui présentait les traits du Chevalier Noir voulut parler, mais seul un hoquet grotesque parvint à s’extirper de ses lèvres cousues, bientôt repris par les murs, que dis-je, les infinités de cet espace, et l’on sentait dans cette amplification agressive une moquerie sentencieuse, un dégoût profond envers les deux mortels. Le Vieux Kokiri voulut défendre son ami, car il avait bien compris qu’on se riait d’eux. Mais lorsqu’il essaya de hurler sa fureur, ses yeux s’exorbitèrent et il se rendit compte que le seul cri qu’il parvenait à lancer était muet. Ses traits se convulsèrent, et le masque de haine qui tomba sur sa figure fut jumeau du visage d’Astre.

Un courant d’air aux senteurs agréables, cerise griotte et pluie d’été, balaya gentiment la scène, et pendant un temps incertain les deux victimes de cette farce furent entraînées dans un tourbillon de mélasse, gluant et collant, dont ils n’arrivaient, en secouant leurs bras énergiquement, qu’à s’y empêtrer davantage. Dans le même temps ils semblaient tomber, tomber toujours plus bas, jusque dans les affres d’un passé lointain. Oui, bizarrement, Astre et Arkhams savaient vers quoi ils se dirigeaient. Pourtant ils ne pouvaient rien y faire, et surtout il leur était interdit de se sentir en sécurité. C’est ainsi que, malgré eux, ils prenaient peur pour leur vie futile et sans intérêt.

L’odeur s’était aigrie, ça sentait toujours la cerise oui ! mais la cerise pourrie, qui se nécrose et se vinifie en accéléré, et bientôt le parfum fut insoutenable. La paire d’andouilles avait le cœur au bord des lèvres, l’estomac recroquevillé. Clang. Cling. Clang. Le mécanisme de machines monstrueuses s’enclencha ; le tic-tac assourdissant d’une horloge géante résonna comme pour souligner l’absurdité de la vie, des secondes qui passent et des minutes, des heures, des journées, des mois, des années, avec le même Tong !, inlassable jugement : il vous reste tant à vivre. Ils furent emportés dans le courant du temps, aspirés vers le haut par une force titanesque.

Leurs pieds heurtèrent le sol avec fracas -et non le plafond, eux qui s'étaient sentis pompés par l'En Haut-, et leurs yeux aveuglés mirent du temps à reprendre du service. Ils attendirent patiemment, prêts à repartir pour une nouvelle flopée d’absurdités, mais rien ne vint. Ils auraient pu attendre toute leur vie.
Ils se trouvaient dans une petite pièce sombre, au mobilier sobre –deux étagères et une table en bois brun-, avec pour seule source de lumière une petite chandelle qui luttait courageusement contre les ténèbres. La flamme vacillait, mais fougueuse qu’elle était, tenait bon. Rien que pour eux. Un sentiment de déjà-vu habitait Arkhams, qui se mit à parcourir le bureau de long en large. Les murs étaient faits de pains de pierre lourds, imposants, les trous comblés par du torchis.
« Je connais cet endroit », souffla-t-il. Et il fut surpris d’entendre le son de sa voix, sans artifice aucun. Astre ne pipait mot, les yeux suspicieux, tandis que l’Illusion Dépravée –qui ne semblait pas être une illusion, mais après tout, n’est-ce pas là le rôle même d’une illusion, de ne pas en paraître une ?!- palpait la roche, l’air concentré. « Nous sommes dans la citadelle de notre maître. Mais un détail parasite, si insignifiant que je n’en décèle pas la nature, perturbe l’atmosphère. » L’ex-Sénéchal lâcha d’une voix gutturale : « Il y a dans l’air une odeur de poussière. » Et à peine eut-il prononcé ces mots qu’Arkhams sentit peser dans ses poumons la crasse de plusieurs années.

A cette pensée, le cerveau du Caporal s’éveilla.
« J’ai compris. Ce fut long à venir, mais je sais maintenant. Ce qui me chiffonnait tout à l’heure… Voilà plus d'un an que cette pièce a été entièrement retapissée, réaménagée, de manière à loger les nouveaux venus. Or… nous la découvrons intacte. » Il se mit à fouiller dans les étagères, à prendre un livre pour le reposer, à lire quelques inscriptions, feuilletant sans ménagement les ouvrages jaunis.

Il se rendit brusquement compte de l’impavidité solennelle de son ancien coéquipier, alerté par le silence pesant et le cœur qui s’arrête momentanément. Il fit volte-face, et sur le visage d’Astre il y lut la peur.
« Nos ombres ne nous appartiennent pas… » murmurait-il, le ton tressautant, les pores luisants et les globes oculaires gonflés. Arkhams baissa les yeux, recula un peu pour déchiffrer son double noir. Cette forme ne lui appartenait pas. Elle semblait pourtant trop familière pour n’être que vomi d’encre. Il jeta un coup d’œil à celle d’Astre. Cette coupe recourbée, taillée de près, ces vêtements amples et serrés à la taille, cette taille justement fine et féminine, et ces deux bras supplémentaires qui n'étaient pas siens, reptiliens … « Je comprends… ». Il se concentra à nouveau sur son ombre. Si c’était Withered qu’il avait devinée dans l’ombre d’Astre, alors la sienne devait être… Tsubaki !

Les quatre cavaliers de l’Apocalypse étaient réunis, mais dans quel but, puisqu’ils n’existaient plus ? Puisque le quatuor, qui avait pour un temps merveilleux puni les attitudes bourgeoisement boursouflées des Hyliens, avait disparu, rayé de la carte par une plume énervée. Puisque l’honneur des Quatre avait été enterré, chacun à sa manière, dans une tombe profonde et oubliée. Pourquoi le songe les rassemblait-il pour une ultime rencontre, alors que cette équipe autrefois soudée et farouchement opposée à ses ennemis s’était effondrée pour moult raisons, et n’avait su se rétablir par la suite parce que justement l’honneur s’était évaporé dans l’ailleurs, gravé pour toujours dans une époque antérieure… souvenir indélébile de leur Gloire passée ?
Arkhams barra la route à ses pensées, d’un geste violent du bras.
« Il suffit… ». Il dodelina de la tête, geste pourtant propre à son comparse Astre – mais… en parlant du loup, où était-il passé ?

« Tu es tout seul Arkhams. Tu es tout seul depuis le début de cette aventure. » Cette voix trottait dans sa tête, comme une vilaine blague. « Que me racontes-tu là, crétine ?! Il y avait quelqu’un avec moi, il y avait Astre ! ». Il y eut un silence de plusieurs secondes, les plus longues qu’Arkhams ait jamais dû subir. « Astre ? Mais… tu l’as perdu depuis bien longtemps. Que viendrait-il faire ici, à traîner à tes côtés ? ». L’ex-chambellan insuffla un air qui ne voulait pas venir. Il s’égosilla vainement à recharger ses organes respiratoires d’un peu de vitalité, mais n’y parvint pas. « A qui essayes-tu de faire croire que tout va bien ? A qui essayes-tu de faire croire que tu mérites ton rang ? ». Et l’écho susurra « tu ne le mérites pas… tu ne le mérites pas tu ne le mérites pastu ne le mérites pas… TU NE LE MÉRITES PAS ! »

Arkhams tomba à genoux, les mains sur les oreilles, les yeux fermés de force et les traits crispés. « Arrêtez… » n’arrêtait-il pas d’implorer.

Pouf. Pouf. Il se risqua à relever les paupières, les yeux humides. Le blanc avait repris ses droits, mais un peu de noir délimitait le terrain, et partait faire le contour des murs et du sol. Assis sur une chaise aux contours également dessinés, Astre le contemplait, imperturbable.
« Où étais-tu passé ? » demanda-t-il, une lueur coléreuse dans le regard. Arkhams ne croyait pas ce qu’il voyait. Il se releva en appuyant son poing sur le sol, épousseta dignement les frusques dont il était revêtu, les yeux inclinés vers ce qu’il faisait. Où étais-TU passé ? aurait-il voulu hurler… Il tremblait encore du cauchemar qu’il avait fait dans ce rêve, mise en abîme terrible qu’il n’aurait voulu revivre pour rien au monde. « Je... » Il ne put terminer sa phrase, sa conscience passée à tabac.


John Doe


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(vide)

Il était évident qu’une main cruelle avait arraché l’esprit minable d’Arkhams hors de son corps. Boursouflé par les coups de boutoirs mentaux, on l’y avait réintroduit de force dans son réceptacle devenu trop petit pour accueillir l’âme gonflée d’ankyloses. Il voyait de ses yeux ardents de haine la chétive Illusion Dépravée. Son image semblait vaciller, comme si son existence hésitait entre la disparition totale et le maintien dans ce monde dégueulasse gouverné dans l’opprobre et l’incompétence.

Quelle était donc cette colère qui rongeait son estomac ? Et pourquoi se voyait-il par le regard d’Astre et pourquoi cette hargne à son encontre ? Arkhams semblait comprendre, il percevait tout à travers le corps de celui qu’il avait un jour trahi. Il se regardait avec tristesse, un genou à terre, alors que l’esprit d’Astre manifestait soudain sa rancœur devant cette image. Les jambes d’Arkhams s’enfoncèrent dans la terre battue comme dans un liquide mielleux. La bougie déclara forfait au profit des ténèbres et le bois de la cabane éclata. Une gangue de pierre moite et farcie de calcaire semblait compressait leur logis. Les planches tombèrent au sol, dans cette mélasse de glaise, et se noyèrent. Une odeur dérangeante d’humidité saturait les nasaux. Une fraicheur angoissante leur tirait la chair de poule.

Il fut propulsé hors d’Astre, planant entre les deux corps figés. Une malicieuse Déesse avait mis la scène en pause afin qu’il puisse jouir de tous les détails. Ils étaient dans une grotte, ou peut être un obscur caveau, voire une geôle souterraine. Des serpents de ferrailles rouillées jaillirent du sol maintenant dur et pavé de dalles. Les reptiles se jetèrent avec avidité sur les membres inertes d’Arkhams. Astre riait comme un dément devant l’emprisonnement de son ancien frère.


« La Reine ou le Roi, je sais même pu, t’a condamné à mort. L’une comme l’autre, tu les as trahis. Pas par intérêt mais par lâcheté. Bien pour ça que tu seras raccourci de ton chef hideux de Kokiri mal foutu. »

L’âme d’Arkhams, toujours en lévitation au-dessus de ce théâtre malsain, n’était pas un ectoplasme gazeux, mais une paire d’yeux à l’iris d’or fondu. Elle ressemblait à s’y méprendre à celle de Ganondorf.
Un monstrueux guerrier enchâssé dans une armure noir et argent apparut du fond de la salle et s’approcha d’Arkhams d’un pas lourd et trainant. D’une main immense il empoigna l’épaule rachitique de l’ancien Général du Malin, le força à se coucher. Il sortit un estramaçon gargantuesque de son fourreau dorsal et fit parler l’acier. La lame embrassa la nuque du pauvre bougre. La tête se détacha du corps.
Un éclair arracha un cri muet à l’âme d’Arkhams. Il sentait son sang se répandre, sa moelle épinière tranchée en proie aux flammes. Astre ne riait plus.


« A mon tour, maintenant. Tout cela est de ta faute, minable. »

Le bourreau se retourna vers l’ancien Sénéchal. Ce dernier baissa la tête et offrit son col. Le meurtrier accepta le présent d’un coup sec. Le crâne d’Astre roula sur le sol. Le calme revint et le tortionnaire repartit. Arkhams pleurait de trouille et de douleur. Mais ses yeux étaient obligés de contempler la scène, malgré le sel de ses larmes lui rongeant les globes.
La tête d’Astre se mit à virevolter dans la pièce, à rire de cette démence qui caractérisait tous les éclats de joie de son compère des Ombres.


« De ta faute, de ta faute, de ta faute ! »

Fit-il avec espièglerie. Le sang de son frère s’anima et devint flamme. Répandue partout dans la caverne, l’hémoglobine n’était plus que draperies infernales de rouge d’orange de vert et de bleu. L’esprit flottant se réinséra dans le corps d’un garçon, sans préambule. Le décor ‘était celui d’une calme forêt. Mais le feu était encore là. Il se mouvait vers Arkhams, à présent un enfant Kokiri qui braillait, et se projeta dans son œil droit. La douleur était insoutenable mais l’iris aspirait sans pitié toutes les flammes. Une main ardente enserra sa gorge et brûla ses cordes vocales avant de disparaitre dans son œil.
La souffrance le fit rendre sa bile. Au cœur de cette mare verdâtre naquit un fœtus ensanglanté répugnant et tout gluant. Il souriait. Sa minuscule bouche tordue ria enfin. C’était la voix d’Astre, sa folie déformant son timbre.
Accouché de son ami était une sensation étrange et intolérable. Y réfléchir lui donnait l’envie de dégobiller. La larve d’humain riait toujours comme dans un cauchemar absurde. Arkhams se tenait la tête, ses pupilles brûlées cherchant la lumière dans ce monde de cécité, sa gorge se contorsionnant sans émettre aucun son.


« Dis-moi quoi faire, damné têtard d’Astre ! Dis-moi ce que tu veux et sors-moi de là. »

Il répéta ceci comme une prière. Il voulait qu’Astre le prenne en pitié et surtout qu’il entende cette sourde requête qui ne faisait que raisonner dans sa tête, tout incapable qu’il était de parler. Cette plainte muette dura des années. Arkhams ne sut quand elle allait finir. Il était en Enfer et ce peut être pour l’éternité.


Astre


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(vide)

Astre se sentait ballotté entre différents univers, entre différentes époques. Son esprit secoué hésitait entre le prime et l’ultime ballonnement, celui du nourrisson qui n’a pas appris à maîtriser son organe défécateur et celui du vieillard mort, l’estomac et l’anus relâchés, les us et coutumes de toute une vie oubliés dans les méandres de la terre. Les mains noueuses de cet environnement chaotique s’amusaient à les accuser, à les condamner, à jeter hors du monde les deux frères comme deux vulgaires acariens. Astre, du haut de la petite lucarne d’une tour sans fondations, apercevait les métamorphoses du genre humain, qui de la joie passe à la colère, de l’amour passe à la haine. Il se voyait détruire et punir son double. Arkhams souffrait les innombrables attaques de son confrère. Quel plus vil assaut que celui perpétré par son plus fidèle ami ?

« OUI ! QUEL PLUS VIL ASSAUT QUE CELUI PERPETRE PAR SON PLUS FIDELE AMI ? », tonna le Chevalier Noir, des larmes dans les yeux. Cette phrase corrodait tous ses nerfs, et la toile gigantesque de ses souvenirs perdait de sa structure, entraînant dans sa chute les récents évènements. Surgissant hors de ce flot intarissable, d’affreuses réminiscences venaient ronger le trognon de son esprit. Les quelques lambeaux de chair spirituelle qui subsistaient semblaient grouiller de vers. Arkhams… pourquoi m’as-tu trahi ?

Et les horreurs cauchemardesques qui avaient tenu en éveil ce pauvre Chevalier pendant de si longues nuits, écrasé dans l’étau de ses principes tandis que le narguait à la sortie de cet effroyable tunnel un Arkhams couronné, certes tenu en laisse mais le poil soyeux et la chair grasse, s’imposèrent au Vil Gredin comme un mal de crâne soudain. Le tambour des Anciens Temps vint cogner l’intérieur bicéphale de sa tête d’enfant… le son énervé brisait toutes les défenses de cet homme réduit à l’état de chenille, larve poisseuse et ratatinée.
Ainsi Arkhams gisait, sur un sol ni tout à fait chaud ni tout à fait froid –sans pour autant être de cette tiédeur agréable. Il grelottait, la peau blafarde et le corps suant à grosses gouttes, pris d’une fièvre de remords qui ne s’arrêterait peut-être jamais de le grignoter.

Astre, habillé comme un seigneur, toge noire de soie qui lui allait comme une deuxième peau, s’approcha du gamin terrorisé. Son visage, privé d’émotions, toisait la petite chose sans compassion. Il pouvait voir à présent le Kokiri vieillir à feu rapide ; Arkhams, l’Illusion Dépravée telle qu’il l’avait connue…

« Regarde ce que tu as fait. Ce dont tu t’es rendu coupable. » Et des milliers de mots vinrent agresser l’esprit tendu à l’excès de l’autrefois Vice-roi, Roi du Vice par la même occasion. Un seul cependant vint se graver dans la pierre de sa fumeuse mémoire : Rancœur.

Astre se voyait juger l’homme qu’il avait tant respecté, tant haï, et il ne pouvait rien faire pour arrêter ce tragique jugement, car il ne se contrôlait pas. Il n’était pas maître de ses actes. Pourtant, il n’était pas fait que de haine, ce n’était pas vrai, son corps hargneux pouvait ressentir d’autres émotions. Et il sentit sur ses joues creuses les tristes sillons de ces larmes criminelles, qui témoignaient autant de son humanité que de sa faiblesse.
« Pourquoi m’as-tu abandonné ? » s’entendit-il crier à l’âme tétanisée qui tapissait le sol. Et elle qui ne pouvait s’arrêter de hurler :

« Dis-moi quoi faire, damné têtard d’Astre ! Dis-moi ce que tu veux et sors-moi de là. »

AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH ! MAIS TAIS-TOI DONC MISERABLE INSECTE ! N’EN AS-TU PAS MARRE DE CETTE COUARDISE QUI T’ANIME ?! SALE PETIT JOUEUR DE FLÛTE, PERSIFLEUR ET MENTEUR, TRAÎTRE SANS HONNEUR !
Ce n’était pas Astre qui avait grondé ces mots, c’était cette chose vivante de laquelle ils étaient prisonniers depuis toutes ces minutes… qui paraissaient durer des millénaires. L’espace vide se remplit tout d’un coup de flammes gigantesques, qui avaient pour mission de purifier l’Ici de toute trace de leurs présences. Deux petits résidus de cendre fumeux semblaient résister à la charge infernale, et après des heures et des heures de cette harcelante fournaise, la pièce changea d’auteur, pour quelqu’un de plus clément, de plus stable. Les deux tas poudreux et gris se retrouvaient dans un huis-clos. « Pourquoi m’as-tu trahi… »… Le tas qui correspondait à Astre fondit, et le liquide liquoreux qui en résulta s’écoula partout, avant de disparaître dans les interstices de la niche. Mort. Perdu à jamais dans les limbes glorieuses de leur passé commun… au paradis des guerriers valeureux. Les sanglots silencieux de l’ « Arkhams cendrifié » ne tardèrent pas à se faire entendre.

Ailleurs, le hurlement animal de quelque volatile perdu déchira le silence. Arkhams s’arrêta de pleurer, troublé et surpris de cette tierce présence. Nouveau cri, qui véhiculait une joie sans précédent. A travers le carreau de fenêtre qui ornait la pièce sombre, l’ex-chambellan aperçut un Phénix, oui, cet oiseau de flammes qui dessinait dans le ciel des trainées de bonheur enflammées. Astre.

Arkhams retrouva forme humaine, chagriné et fatigué… essoufflé par ces sinistres épisodes. Il tendit le poing, et l’oiseau magique vint amicalement atterrir dessus. Le Pardonné caressa d’un doigt pointu le bel animal, calmé et attendri par ce doux spectacle. Mais l’agréable torpeur dans laquelle il s’était laissé aller prit rapidement fin. Le cauchemar reprit. Horrifié, il vit la peau dorée du Phénix se tendre subitement, se friper, et finalement s’effondrer dans un bruit de succion écœurant. Plus de Phénix sur le poing mais un Serpent noir sifflant, les yeux rouges et méchants. En muant, l’animal avait révélé sa véritable identité.


John Doe


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Les serres se mirent à couler comme de l’acier en fusion. Griffes embrasées d’aigle devinrent écailles glacées de reptile. Le dégout pour cette vision ignoble poussa Arkhams, enfin maitre de son propre corps maladif, à se trancher le bras. Une mystérieuse dague était apparue à sa ceinture, comme dans les rêves où tout ce que l’on désire se transforme en réalité tangible. La salvatrice épée entra dans la chair tandis que l’ignoble rampant chuchotait des insanités macabres. Dans un songe, la douleur est une vague idée sans vraie sensation. Ici, c’était diffèrent. La souffrance fit hurler l’Illusion Dépravée. Pis encore, la lame semblait diablement émoussée. Le Maitre des lieux se gaussait quelque part sur son trône de dieu. Arkhams ne pouvait se défaire de son bras, entamé jusqu’à l’os. Ce morceau de moelle ne pouvait être scié par l’arme. L’amputation aurait mis fin à cette douleurdéchirante, à l’horrible son du fer cognant contre le squelette. Le serpent, lui, au bout de son membre cruellement lacéré ricanait, son regard plantait dans le siens. Il savourait le salaud ! Il se lova sur son avant-bras puis glissa telle une araignée morbide vers son biceps. Le Dramirois sentait l’haleine froide de l’animal, sentait les postillons corrosifs de son venin. Il bavait d’appétit. Sa bouche écailleuse se fendit, dénudant des crocs jaunes et usés, une fourche rose plaquée contre la mâchoire. Arkhams cria sa peur. Les dents tranchantes s’enfonçaient dans son front, brisant le crâne, tandis que le bas de bouche humide de salive savourait la chair tendre de son menton barbu. Le serpent goba le bougre en un instant et les acides digestifs de la bête des enfers suçaient déjà l’épiderme de la proie suffocante et aveugle dans ce monde de chair parfumé d’odeurs de fermentations et de déjections.

Assommé par les gaz internes du reptile, Arkhams parvint à se réveiller pour souffrir encore davantage. Les anneaux musculeux de l’animal le faisaient s’enfoncer de plus en plus. Un jour peut être ses ossements atteindraient la queue, pensa le malheureux avec ironie.

Tout changea. L’air libre. Arkhams happa l’oxygène avec gloutonnerie comme un nageur retrouvant par bonheur la surface. Il était nu, frusques rongées par le poison et peau gluante de sucs poisseux. Un tremblement de terre secoua la tour et l’ébranla. Elle s’effondra en emportant le corps inerte du Porte-Etendard du Malin. Les roches brisèrent ses os un a un durant la chute, avec précision et diablerie. Le hasard manipulait tout pour malmener sa cible. Il atterrit lourdement sur les fondations du phare. C’était une ile perdue dans une mer nordique aux couleurs brunâtres déprimantes. Le Serpent l’attendait, le cou joyeusement tendu.


« Je t’ai gouté crevard. A ton tour ! »

Le monstre bondit dans sa gorge, sa bouche brisée étant incapable du moindre réflexe de survie contre cette abomination. Arkhams sentit le spaghetti froid glisser dans ses entrailles, obstruant les moindres conduits. Il suffoquait encore et commençait même à détester l’air qui remplissait ses poumons.
« Pitié, que l’oxygène me fuit et que je crève ! »
Le serpent interrompit son intime exploration. Il fit un nœud avec son corps, déchirant l’intestin grêle. Sa fraicheur devint magma en fusion. La bête se mua de nouveau en Corbaque Eternel, frappant les parois intestinales de ses plumes prisonnières. Arkhams dégobilla le piaf qui roula sur la pierre. Le volatile s’ébroua sans grâce aucune puis observa le Torturé.


« Maintenant tu sais ce que c’est que d’avaler des couleuvres. Voilà ce que j’ai senti lors de ta trahison. »


Arkhams pleurait, il regrettait maintenant, dans ce monde d’horreurs perpétuelles et d’apocalypse absurde. Mais il se savait trop lâche pour formuler des excuses.

Au milieu des eaux tumultueuses, la barque était malmenée par le courant puissant. Astre tenait fermement les rames, prêt à les mouvoir en cas de besoin. Il souriait comme un maitre d’école voyant son élève apprendre les conséquences de sa bêtise. On était certes loin du bonnet d’âne et du tirage d’oreille, mais l’esprit était le même. Il adorait voir son clone torturer son ami. Il lui fallait bien ça. Une vague conséquente bloquait l’horizon, souleva l’esquif misérable et la porta en haut de sa lame. Du givre couru le long de la mer avant de stopper tout net l’eau saline, prise dans la glace. Un monde de silence dérangeant naquit alors.
Arkhams, sous forme de vieillard puant attendait, poser sur des jambes squelettiques mal assurées sur la patinoire océanique. Astre bondit hors de sa monture de bois et s’approcha de son ami. Des flammes roses bourdonnaient autours de son corps puissant et entrainé, léchant la glace aux alentours. Bien qu’assez âgé pour crever dans l’instant, l’Illusion Dépravée semblait apprécier le décor hivernal. L’ancien Sénéchal de Profondes Ténèbres pointa son doigt brulant vers le front ridé du vieillard.



« Ma haine est flamme. Ta lâcheté de glace. »

L’échange s’opéra rapidement et Arkhams palpitait d’une colère incandescente et Astre jouissant d’un sang-froid arctique. La chaleur du sentiment fit fondre la glace sous les pieds du pépé et il se noya. Astre vit son pauvre corps tourbillonner dans les abysses. Lui, il restait sereinement là à observer le spectacle. Le décor allait de nouveau changer, il le sentait dans l’air tandis que son haleine créait de plus en plus de vapeur. La brume qui sortait de sa bouche s’étendit sur le monde environnant. On ne distinguait plus rien.

Un rire guttural, haché et autoritaire raisonnait dans un couloir ensoleillé. Un tapis poussiéreux sous les bottes d’Astre soulevait des nuages de poussières. D’un geste agacé il chassa les particules urticantes. Il se trouvait perdu dans les méandres d’une citadelle aux tours acérés, déchirant le ciel avec agressivité. Le rire persista et s’intensifia à mesure que le Chevalier Noir avançait dans le corridor mal entretenu. Il crut reconnaitre la joie démente du Seigneur Ganondorf, quelque part. Il sentait son hostilité à son encontre. Il voulait le tuer. Il savait que le Sire ne chassait pas les proies non royales. Il sut à cet instant que le bras armé du Malin était Arkhams. Ce rat Dragmirois devait courir dans les murs, attendant un détour pour tuer Astre le Phénixien.


Astre


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(vide)

Cours, cours à la vie, petit vermisseau, car je suis derrière toi. Précipite-toi, vole, fuis, déguerpis de mes terres, ou tu nourriras les vers de terre. Je suis à ta poursuite, je vais t’attraper. Tu ne m’échapperas pas, couard ! Si je t’attrape, je brûlerais chaque parcelle de ta peau blafarde, je tordrais tes os maigrelets et j’en ferais des avirons pour mes futurs repas… je te briserais, sac à puces, chien ! tu n’as qu’un maître et c’est moi ! N’essaye pas de me passer entre les pattes, je t’écraserai misérable insecte. La haine à mon égard ne te sauvera pas de mes mains. Je te méprise, ô créature sans cervelle, assez stupide pour me quereller jusque dans mon antre.

J’ai lâché les toutous, ils glapissent à tes trousses, ils bavent leur rage contre toi, ils ont faim. Prends garde à tes chevilles, ou il ne restera que des miettes de ton corps lorsque tu te seras affalé ! Vas, Arkhams, saigne-moi donc ce pauvre animal, pour le dîner il fera l’affaire.
« Oui Maître. » Mais que fais-tu encore là, minable ?! Cours après lui, tue moi ce porc ! « Bien, maître ». Ahah… tu portes bien ton titre. Illusion dépravée, dépravée de lâcheté, obséquieux envers ceux qui te tendent un os… Illusion totale de l’être que tu aurais pu devenir. Eheheh. Si tu savais pourquoi je voulais Astre… l’un des seuls à avoir une conscience propre. Oh, que je hais ce genre de personnages grandiloquents, forts honorables et bien fidèles à leurs principes. Ces gens-là n’ont que ce mot à la bouche, honneur. S’il était resté parmi nous, cette force aurait pu nous être utile. Car au nom de l’honneur, les fous peuvent faire de grands massacres. Hmm, et il m’en a offerts quelques grandioses, du temps où il souillait ses lèvres sur mes bottes. Oui, je ne veux plus de lui en vie, parce qu’il est trop valeureux pour être vivant. Que dis-je, sa valeur devient en fait son absence de valeur. Les guerriers de sa trempe n’ont rien à faire dans un monde pourri. Quelque part, c’est un service que je lui rends. Mais, eh là Arkhams, que fais-tu encore à mes basques ? « Mais je vous écoute, Sire. » Maudit majordome, réduits tes initiatives et obéis-moi quand je t’ordonne quelque chose. Il s’échappe, maintenant ! « C’est voulu, Sire. » Epargne-moi ce sourire insolent, espèce d’idiot. Tu ne mérites pas ton rang, tu me dois tout ! JE t’ai accepté quand tu es revenu me pleurer dessus, moucher ton nez muqueux dans ma cape, déplorant tes ambitions détestables et ton affiliation avec l’autre morpion ! Tu n’es qu’un scorpion, dont le dard a autant de venin que tu n’as de puissance, c’est-à-dire bien peu de choses. Tu n’es rien, rien de plus qu’un serviteur. Quand je te vois, je me retiens de vomir. En venant vers moi, l’once de fierté qui pouvait te rester, le soupçon de panache qui t’avait servi il y a tant d’années, tu les as jetés derrière toi sans un regard en arrière. Tu as trahi… plusieurs fois. Je t’exècre, prêcheur de balivernes ! Et sur cette figure basanée se superposa pour un moment fugace le visage accusateur de son frère Astre.

« Tu jacasses comme une vieille poule, Seigneur Ganondorf ! » Tu as la langue bien fourchue, Astre ! Je penserai à te la couper lorsque tu seras coincé entre mes griffes. « Arrête ce futur bien trop proche du conditionnel, tu ne m’auras pas… ». ARKHAMS ! ATTRAPE CE FAUX-JETON QUI SE JOUE DE MOI ! « Je… » NE PARLE PAS ET AGIS, MAUVIETTE ! « Bien… »

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C’est un tunnel qui n’en finissait pas, dont la sortie s’éloignait à mesure qu’il s’en approchait. La lumière tout au bout aguichait, agaçait, énervait, rendait fou. Véritable supplice de Tantale. Astre fonça; il dilapidait son énergie jusque dans les réserves les plus profondes de son être. Il devançait de quelques dizaines de mètres un Arkhams acharné, qui filait comme une étoile dans cet univers noir.
« Epargne-toi l’effort, Astre. Je ne te ferai pas de mal. » Il parvint à lâcher ces mots, le ton sifflant, entre deux inspirations profondes. « Je ne… te crois pas ! » hurla le Chevalier Noir en tournant sa tête.
Il trébucha sur une excroissance du sol, vissée sur la pierre comme pour en faire tomber les coursiers. Astre traversa l’air, prenant le temps de danser avec lui, avant de s’effondrer sur le sol. Son menton fut le premier à encaisser le choc ; il sentit dans un premier temps des vibrations violentes lui soubresauter le corps. Une vilaine estafilade lui barrait le menton, et sanglotait du sang, d’abord sécrétant quelques bulles cramoisies avant qu’il n’en sorte l’hémoglobine dans son état liquide. Ses yeux clignaient sans interruption, parcourant de leurs iris secoués quelques soleils passagers. Astre sentit une main arachnoïde se poser légèrement sur son crâne éclaté. Il reçut cette caresse avec gratitude, du moins jusqu’à ce qu’elle ne se mette à lui soulever la tête par les cheveux avec une vigueur insultante.
« Tu me fuyais ?! ». La haine tatouée au fer sur les traits de l’ex-chambellan remplit d’incertitude le convalescent, qui ne pouvait répondre à son tortionnaire parce qu’il était perdu entre deux galaxies, mais aussi parce qu’il s’était mordu la langue lorsqu’il avait heurté le sol. Arkhams lui jeta au visage un sourire goguenard. « Maudit bâtard. Si tu avais été plus flexible et moins borné… ». Il tenait un couteau de cuisine, et en plaça la partie censée ne pas couper vers la gorge du Chevalier, qui se rendit bien vite compte que le Vil gredin avait également aiguisé cette partie pour mieux faciliter l’égorgement de ses proies. « ». Du sang bulla hors des lèvres filiformes d’Astre sans qu’il puisse prononcer un seul mot. « Que dis-tu ?! Parle donc, mon frère, tu es libre ! ». Arkhams savourait ce moment, mais, au comble de l’excitation, n’en tenant plus, il enfonça lentement la lame dans la chair tendue, et décrivit un arc de cercle le long de la gorge, tranchant les cordes vocales de son ami, et par la même occasion tout ce qui allait avec.

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« Arkhams, vite, suis-moi, il est derrière nous ! » Dans le labyrinthe de leurs âmes sclérosées, ils ne parvenaient pas à faire la différence entre chaque irréalité. Cette fois-ci, ils étaient deux à être poursuivis par une force invisible et terrifiante, qui se mouvait dans la noire atmosphère comme un gaz périlleux. « DEPECHE-TOI, C’EST DERRIERE NOUS ! » hurla à la mort le désespéré diablotin. « Non, c’est derrière toi… » murmura froidement son coéquipier. Il eut à peine le temps de se retourner qu’Arkhams lui assénait un coup violent sur le haut du crâne. Astre s’abandonna à l’inconscience à l’instant même où son ami le frappait.

Lorsqu’il se réveilla, il aperçut son compagnon qui faisait un feu sans bois, à partir du néant.
« Que fais-tu… ? » demanda-t-il, méfiant. « Tu vois bien, je nous prépare un petit feu. » « Pourquoi m’as-tu frappé ? ». Arkhams prit le soin de choisir précisément ses mots. « Parce que tu cauchemardais, et que seul un autre rêve aurait pu te sauver de celui-ci. » « Je ne comprends pas. », s’impatienta-t-il. « Tu étais le seul à voir ces ombres derrière toi, je t’ai assommé afin qu’elles arrêtent leur course mortelle. Je t’ai sorti du bourbier. » Le Chevalier Noir se massa la tête mécaniquement, alors que bizarrement il ne ressentait aucune séquelle du choc provoqué.

« J’ai rêvé de Ganondorf », dirent-ils d’une seule voix. Leurs regards se croisèrent, suspicieux et énervés. Puis la tension se relâcha d’un bond et les deux malandrins éclatèrent de rire, soulagés d’être au moins deux à partager cette folie. « Il voulait me tuer », dit Astre une fois la joie estompée. « Il voulait te sauver », corrigea Arkhams. Il avait sa version, « j’avais la mienne. »


John Doe


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(vide)

Astre avait l’impression d’avoir couru un marathon, toutefois aucun souvenir n’était imprimé dans son crâne. Une telle amnésie lui était insupportable et la sensation de sénilité constituait une faiblesse intolérable pour ce guerrier grandiose qu’il était. Il frappa du poing par terre et celui-ci resta au contact du sol, son corps tétanisé par l’étrange hypnose qui absorbait son attention au cœur des flammes. Ses paupières étaient mi-closes, son cœur apaisé, ses muscles en pleins repos. L’étrange univers chavira, provoquant chez Astre une nausée terrible. Il craignit une nouvelle téléportation dans un ailleurs grotesque et dénué de sens, mais rien, simplement les flammes, rien que les flammes. Elles s’envolaient avec volupté dans l’air à l’instar de draps de soierie couteux soumis aux vents. Les petites branches minables et invisibles craquaient sous la chaleur et une lourdeur engourdissait l’esprit fébrile du ténébreux bretteur. Scène absurde. Son ami Arkhams, de l’autre côté du feu, souriait comme un idiot.

« Il me regarde comme un dégénéré, comme un faible ou je ne sais quoi d’autre de répugnant. »

Le courage lui manquait et aucun mot ne sortit de sa bouche venimeuse pour rabattre le caquais de cet énergumène sans gêne. Il s’attarda sur le visage de l’Illusion Dépravée à travers le petit brasier. Le rictus de l’imbécile s’affaissait, jusqu’à n’être plus qu’une ridule sur la face de plus en plus pâle du Larron. Sa peau se desséchait comme un fruit conservé au chaud et se craquelait par endroit. Astre s’étonna et s’inquiéta des rides toujours plus nombreuses et des os qui tiraient sur une peau de plus en plus fine et blafarde. Arkhams toussa avec lassitude et faiblesse, de cette toux de pépé asthmatique caractéristique chez ces …


« … vieilles branches. »

Anodine comparaison peu poétique mais qui s’imposait d’elle-même et qui était impossible à retenir. Le Phénix eut l’impression d’avoir prononcé une formule mystique, car à ces mots l’étendard de Ganondorf se leva en craquant des genoux, droit comme un i. En quelques minutes, ce dernier était devenu un ancêtre pathétique, aux doigts désarticulés et au menton tremblant.

« Aide moi corniaud, je ne vois plus rien et une racine m’étouffe et tranche ma gorge. »

Le ton monocorde de sa prière était celle d’un mourant suppliant la grâce. Astre souleva un sourcil perplexe, ne comprenant rien à ce que son camarade racontait. Il était debout et libre, ses yeux n’étaient pas laiteux et aucun bois ne venait lacérer son cou.

Comme si le Seigneur et Maitre de tout ce délire avait entendu l’incompréhension de l’épéiste, il matérialisa la chose. Une épaisse racine défonça le sol aux pieds d’Arkhams pour s’enrouler autour de sa gorge et le soulever à quelques centimètres du sol, tel un vulgaire pendu. D’autres sarments vinrent ligoter le pauvre vieux Dragmire. Astre savait son ami prompt à manier ses sorts pour se défaire de déconvenues de ce genre et c’est ce qu’il vit. Son compagnon faisait pulser du givre au travers son corps décati mais les lianes étaient manifestement trop épaisses pour se briser. Astre voyait les muscles fripés du gibet de potence se contracter et le monde alentours devenait de plus en plus polaire. Il neigea et le feu de camp givra d’un seul coup, emprisonnant ses flammes orangées à présent immobiles dans un cube de glace. Mais l’étreinte des racines ne cessa point.

Un hurlement de loup sinistre au loin, au cœur de l’hiver, semblait chuchoter ceci d’une voix douce et féminine :


« Ne le sauve pas. »