Odyssée onirique [Rp privé avec Orpheos]

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Llanistar van Rusadir


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(vide)

"... done for want of wit, to memory now I cannot recall.
So fill me to the parting glass. Goodnight and joy be with you all."

Llanistar avait la sensation de voler. Comme un oiseau qui n'aurait plus besoin des vents pour se faire porter. Il fonçait dans un vide absolu, sans repère ni direction claire. Et pourtant, il se sentait comme flotter, à une vitesse affolante...Du moins qui aurait dû l'affoler. Mais il ne tremblait pas. Il n'avait pas peur, il n'y arrivait pas. Tous ce qu'il pouvait faire était de scruter le vide à la recherche de quelque chose à quoi se raccrocher. Il ne savait même pas si il pouvait se diriger, changer de direction. Perdu dans un néant infini, un tourment peu commun.
Soudain, il se sentit ralentir, jusqu'à se stopper complètement. En dessous de lui, une faible lumière semblait comme vibrer dans ce monde obscur. Il tenta de "nager" vers elle mais son corps restait suspendu dans le vide. Il sentit alors son souffle s'accélérer, la peur s'envahir. L'angoisse que cette fragile lueur ne s'évanouisse, qu'il ne rate peut être le seul repère restant de cet enfer aveuglant. Et aussi brusquement qu'il avait décéléré, il tomba. La chute fut vertigineuse et rapide. Parfaitement effrayé, il agitait les bras en une tentative absurde d'empêcher le choc avec un sol imaginaire. Puis, il ralentit à nouveau et arriva face à la flamme. Au centre d'une fontaine, elle ignorait l'eau qui aurait dû la tuer et brûlait plus ardemment que tout les feux qu'avait vu Llanistar de toute sa vie. Prudemment, il s'approcha, prenant par là conscience qu'il ne flottait plus.
Alors, jaillissant de l'ombre, une main le saisit à l'épaule et le retint. Sursautant de peur, le Rusadir se dégagea et se retourna. Devant lui se dressait...lui même. Son portrait craché, à tout point de vue, un sosie parfait. Mais il sut aussitôt à qui il s'adressait. Ce fut l'incrédulité qui lui fit néanmoins demander :


"Qui êtes vous ?"
"Puisque tu connais la réponse, pourquoi poser la question ?"
"Veren van Rusadir."
"Enchanté, sang de mon sang."


Veren, père d'Astegal père de Llanistar, dernier personnage illustre de la famille Rusadir. L'un des deux plus grands acteurs de la révolution glorieuse, considéré par certains comme un héros digne des grands mythes et par d'autres comme un boucher sanguinaire. A cet instant, le nordique comprit qu'il vivait un rêve. Il n'avait jamais connu son grand père, à quelques mois prés. Il fut saisit de leur ressemblance, ce que son père lui avait avoué avant de mourir. Astegal avait craint toute sa vie que Llanistar ressemble à celui dont les crimes de guerre étaient encore prit en exemple par les juges à Artensir comme les pire qu'un homme puisse commettre.

"Ne sois donc pas si effrayé. Je ne mérite pas ma légende sanglante."
"... Qui dois je croire ? Tous ceux qui m'ont parlé de tes actes ou toi ?"
"Les Markanis ne m'ont ils donc pas défendu ?"
"Ils...Ils voulaient me pousser à la rébellion. Ils voulaient que je renverse le Kairn..."
"Comme j'ai renversé l'ordre ancien de mon temps. Bien vu, sang de mon sang. Et comprend tu à quel point ils avaient raison ? A quel point le monde se serait mieux porté sans Jehovaren ?"
"... Pourquoi es tu revenu ? Comment ?"
"Qu'es-ce qui te prouve que je suis réel ? Pourquoi continue tu à me parler alors que tu es conscient qu'il ne s'agit que d'un rêve ? Parce que tu as toujours désiré me connaître. Et moi j'ai envie de te connaître."


Il désigna d'un ample mouvement de bras la fontaine et le feu qui y brûlait. Son visage n'affichait aucune expression et sa voix affichait à peine ses sentiments. On avait souvent décrit Veren à Llanistar comme une statue de marbre incapable d'émotion mais le nordique devina que le rêve appliquait cette description à cette apparition, tout comme elle lui donnait le physique que Astegal lui avait donné par ses dernières paroles : celui de Llanistar. Bien que troublé, il commençait à comprendre. Rassuré, il avança vers la fontaine et tendit la main. Juste avant de la plonger dans le feu, il se tourna vers Veren.

"Ca sera douloureux ?""
"Tout dépend à quel souvenir ce feu est attaché."


Llanistar plongea sa main et aussitôt le brasier aspira tout. Lui, Veren, la fontaine, le vide et une présence étrangère...Et tandis que le nordique rouvrait les yeux, il eut le souffle coupé. Devant lui, tandis que ce mettaient en place le décor de son premier souvenir se dressait Orpheos.


Orpheos


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(vide)

Cela faisait quelques jours que la porte de la chambre d’Orpheos ne s’ouvrait plus qu’aux alentours de midi. Il était de notoriété publique, à la cour royale, que le dernier des chanceliers n’avait jamais été lève-tôt… mais il s’arrangeait généralement pour être debout avant qu’il soit l’heure de déjeuner.

Mais plus les jours passaient, et plus ses nuits de sommeil s’allongeaient. Dans la pénombre de sa grande chambre et sous ses draps de lin, Orpheos se débattait. Immobile, les yeux fermés. Il rêvait qu’il était assis au milieu d’un désert de verdure, et qu’il regardait les saisons passer.

La nature se transforma sous ses yeux, naissante, fleurissante, et puis…
Mourante.

Il finit par se relever au milieu de l’immense prairie, maintenant recouverte de blanc et désertée par le soleil. Ses pieds commencèrent dès lors à le porter, à le faire avancer contre le froid, mais ses pas ne s’inscrivirent pas dans la neige. La terre vierge et immaculée s’étendait jusqu’à perte de vue. Il était seul. Ou du moins le pensait-il…

-Tu t’enfermes.

-Non, répondit-il à la voix qui le suivait. Au contraire, je m’apprête à sortir.
-Tu ne le pourras pas… Nous sommes les barreaux d’une prison que tu as décidé d’ériger. Et tu en es l’occupant.
-Je détiens les clefs pour m’échapper.
-Nullement. Elles sont perdues de l’autre côté du désert, et tu ne pourras jamais les récupérer.
-Nous verrons bien.


Il se mit alors à courir, sans se retourner, et sans regarder cette chose qui le pourchassait. Le blizzard glacé se leva, l’aveugla, et le mordit. La neige tourbillonnait autour de lui en ralentissant sa progression. Mais sans ralentir, il poursuivit sa course en espérant un Eldorado plus chaleureux que ce désert de froid et de solitude. D’ailleurs, l’air commença à se réchauffer, et la neige à disparaître. Le ciel blanc devint bleu. Et ses chaussures s’enfoncèrent bientôt non plus dans la neige, mais dans le sable.

Puis, une énorme colline de sable émergea de l’horizon, et se rapprocha de lui à toute vitesse. A moins que ce ne soit lui qui courait aussi vite que le vent, passé du glacial au brûlant. Il s’approcha d’elle jusqu’à découvrir l’entrée d’une grotte à sa base, pleine de ténèbres, et dans laquelle il s’engouffra. Dans laquelle il sentit ses poursuivants tenter de l’attraper, le griffer, et en une chose semblable à eux… le métamorphoser.


Et soudain : il atterrit face contre terre.

Il se trouvait désormais dans le long couloir d‘un palais. Oriental, à en déduire la décoration, et d’après la végétation du jardin intérieur que l’on voyait entre les colonnes. Puis, l’ombre de celles-ci se noircit, et prit de plus en plus d’espace sur le sol. L’air recommença à se glacer…

-Nous ne te permettons pas de partir. Mais vois : tu peux te faufiler chez ceux qui ont tissé un lien puissant avec toi. Tu as les clefs de certains de leurs rêves…

-Non…

La conscience d’Orpheos se réveilla dans son sommeil, en sachant qu’il y était encore enfermé. Mais se trouvait-il dans son propre rêve ? Une voix intérieure lui murmurait que…

-Llanistar !
-Orpheos !

Le prince d’Artensyr était apparu face à lui, mais au lieu de se diriger vers le musicien, il partit à la gauche de ce dernier pour serrer dans ses bras un Orpheos imaginaire.

-Llanistar… Je suis là.
-Il ne te voit pas. Il ne t’entend pas. Patiente… le moment pour lui parler viendra.


Llanistar van Rusadir


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(vide)

"Si tu savais comme je suis heureux que tu sois là !" S'exclama t'il en serrant son amant, dans ses bras longuement. Il le maintint contre lui, profitant d'une proximité qui leur avait fait défaut depuis un certain temps, le général ne partageant pas les mêmes activités que le chancelier. Llanistar avait souvent regretté que la fatigue l'ai forcé à sombrer dans le sommeil sans pouvoir rendre une visite discrète à Orpheos. L'Hylien lui même ne s'était pas vraiment manifesté, sans doute occupé... Du moins le nordique l'espérait il. Lui donner plus de son temps, il l'aurait fait avec plaisir si ses fonctions ne l'en empêchaient pas. Et la tâche d'un général d'une armée en formation exigeait plus que presque n'importe quel autre poste à la cour d'Hyrule. La promesse faite à Zelda lui pesait tellement, lorsqu'il s'endormait seul dans son lit, face à ses démons, dans la noirceur de la nuit, sans la présence réconfortante de ces yeux verts et de cette crinière de jais. Cependant, malgré tout le bonheur qu'il ressentait à présent qu'il pressait son amant contre lui, il ne put s'empêcher de le demander, sa curiosité perçant dans sa voix.

"Mais...Comment se fait il que tu..."
"Shhhht..."Il posa son index sur la bouche de Llanistar."

Orpheos eut alors ce sourire qui faisait fondre le nordique, celui où se mêlait complicité et tendresse. Ils s'embrassèrent, comme de concert sans que l'un ne surprenne l'autre, longuement, faisant durer leur plaisir. Puis le chancelier répondit, presque en murmurant, d'une voix rassurante.

"Je ne suis jamais loin de toi, sache le. Et les rêves ne me sont pas étrangers."

Llanistar eut une impression étrange ; comme si il avait deviné à l'avance la réponse de son amant. Son don d'empathie ne marchait jamais dans les rêves et cette forme de prescience l'intrigua un instant...Avant que le songe en lui même ne détourne son attention. Tout autour de lui, la brume sombre s'évanouissait en cédant sa place au décor du rêve. Bien que chaque contour soit flou, ce dernier était assez reconnaissable pour Llanistar : un riche mobilier, des tapis magnifiques, une subtile senteur d'encens... Il se trouvait au sein d'un palais de Markand, dans de luxueux appartements. Mais de quel palais s'agissait il ? Si ce rêve était un souvenir, ça ne pouvait s'agir que d'un lieu qu'il avait connu. Etaient ils chez Saad, à Almanarian ? A la cité nouvelle de Mealin ? Au conseil des sages de Shamarah ? Difficile de le dire, tant la culture des Markanis présentait un aspect unifié, au premier abord. Il élimina rapidement Almanarian : sa connaissance du palais était totale et cette pièce n'y correspondait pas. Perplexe, il s'éloigna d'Orpheos et s'approcha d'une fenêtre, espérant reconnaître le décor de l'extérieur.
Dehors la nuit finissait de tomber. La fenêtre offrait une vue superbe sur de splendides jardins fournis en arbres de toutes tailles et en fleurs de toutes couleurs. Quelques couples y déambulaient, vêtus des plus beaux tissus du continent, des hommes tentaient de faire rire des femmes, qui le leur accordaient parfois, en un jeu de séduction dont tous connaissaient les règles et s'en amusaient. Une douce brise venait refroidir l'atmosphère encore étouffante du jour à présent tombé. En bref, la nuit était belle. Llanistar remarqua que son amant était venu le rejoindre à ses côtés et il passa un bras dans son dos, en dessous de sa chemise, caressant délicatement sa peau d'albâtre. Il sentit le frisson parcourir Orpheos avant que celui ci ne lui demande, comme il s'y attendait encore une fois :


"Tu as vraiment vécu ici ?"
"Oui. Une éternité a passé depuis."

Le nordique sourit, avec mélancolie. Il avait tant vécu, avec tant d'intensité, qu'il lui semblait en effet que cet instant béni datait d'un autre siècle, d'une autre vie. Car il se rappelait de ce séjour et de ce lieu : la Paix de Shamarah. Lorsqu'après avoir vaincu héroïquement la rébellion Markanis à la bataille des Marches de Markand, il avait signé la paix impériale à la capitale de la province, sous les vivats de la foule, consciente de son indulgence à leur égard. Après la bataille, il avait reçu des ordres outrageants, lui demandant d'entrer dans chaque ville et d'y faire couler le sang, de faire un exemple à chaque cité gouvernée par un Emir rebelle ou neutre. Il n'en avait rien fait et aucune porte n'était restée fermée devant lui. Les Markanis avaient reconnu sa victoire, certains demandant même qu'il soit nommé gouverneur de leur pays. En revanche, aucune nouvelle ne lui était parvenue de Reihnor et du Kairn. Un silence total et inquiétant. Mais il n'y avait pas pensé. Enivré par sa victoire, l'héritier de Veren exultait et profitait d'un repos bien mérité. Alors qu'il se remémorait de sa tenue digne d'un Emir Markanis qu'il portait en ces jours bénis, celle ci apparu sur lui. C'est alors qu'Orpheos, comme si il avait lu ses pensées, lui demanda :

"Tu étais donc victorieux, honoré de tes ennemis, coulant des jours paisibles dans une gloire légitime...Quand ta vie a t'elle dérapé ?"

La réponse le frappa comme un poing au milieu de la figure. Il murmura.

"Cette nuit là."

Alors, comme il s'y attendait, la porte de la chambre s'ouvrit d'un coup. Llanistar tira son sabre et vint se placer devant Orpheos tandis que l'assassin se précipita sur lui. Comme sept ans auparavant, il fut plus rapide. Saisissant l'ouverture dans la garde de l'agresseur, il le trancha du flanc droit à l'épaule gauche. Le cadavre en devenir chercha un instant à retenir ses tripes avant de s'écrouler. Aussitôt, Thrain, son principal lieutenant de l'époque, apparut à la porte, essoufflé et une profonde terreur dans le regard. Son regard ne s'attarda qu'un instant sur le corps gisant avant d'haleter difficilement :

"Mon général, la situation est grave. Vous devez fuir, immédiatement !" Et comme dans son souvenir, Llanistar lui répondit mécaniquement.
"Il n'était pas seul ? Que se passe t'il ? Les Markanis nous ont trahit ?"
"Ils sont des dizaines messire ! Pas le temps de vous expliquer maintenant ! Suivez moi !"

Comme sept ans auparavant, Llanistar sentit la peur l'envahir. Faisant attention à ce qu'Orpheos ne soit pas distancé, il suivit son soldat dans les immenses couloirs, étrangement vides, courant aussi vite qu'il pouvait, défiant sa fatigue dans un effort intense pour échapper à ce danger invisible, à cette mort cachée qui le poursuivait. Vite, ils arrivèrent prés de la cour conduisant en dehors du palais mais Thrain lui fit signe de s'arrêter brusquement. Un groupe d'hommes habillé de noir et de blanc couraient à leur rencontre. Aussitôt, ils rebroussèrent chemin. Mais si la porte principale était gardée, comment faire ? Llanistar ne connaissait pas d'autres issues et il doutait que son lieutenant en sache plus que lui. Thrain les guida alors dans une direction étrange, vers la tour ouest. Ce ne fut qu'au beau milieu de son ascension que Llanistar réalisa l'intention de son ami. Arrivé au sommet, il se pencha au dessus des créneaux. De nombreux assassins convergeaient vers leur direction. Il se retourna vers Thrain et lui demanda, au bord de la panique :

"Et quel est ton plan à présent ? Sauter du haut de cette tour ?!" Il criait, désignant du bras le vide abyssal qui les séparait...des douves. Alors il comprit, mais l'idée ne lui plaisait toujours pas. Pour autant, Thrain était déjà perché sur les créneaux et lui tendait le bras pour le hisser à sa suite. Il entendit des bruits de bottes dans l'escalier de la tour. Peu rassuré mais conscient d'être acculé, il s'exécuta et tendit à son tour la main à Orpheos, plutôt calme. Sans doute ne réalisait il pas bien, ou cachait il bien sa peur. Thrain, Llanistar et Orpheos se tinrent là un instant, droits au dessus du gouffre, respirant profondément. Puis, sans dire un mot ni faire un geste, il sautèrent au même instant, plongeant vers les eaux froides et sombres des douves.


Orpheos


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(vide)

Orpheos observa son amant serrer un corps imaginaire contre lui, et ne put retenir un sourire franc. Cela l’arrangeait un peu de ne pas être vu : il était le genre d’homme à apprécier de mettre une distance entre lui et autrui. Y compris avec ses proches.
Voir le visage apaisé de Llanistar, qui faisait face à son apparition, l’apaisa lui-même. Il n’avait pas vraiment imaginé que le général se sentait bien à ce point, en sa compagnie. Même dans ses rêves. Cependant, son front s’assombrit légèrement, et par il ne savait quelle magie, Orpheos sut ce qu’il souhaitait demander.


-Mais...Comment se fait il que tu...
-Shhhht...

La propre image du chancelier lui apparut alors, l’index posé sur les lèvres de son amant. Celles qu’il se mit à embrasser longuement, doucement. Un spectacle très étrange qu’était celui-ci de se voir, surtout en train de faire "ça".

-Je ne suis jamais loin de toi, sache-le. Et les rêves ne me sont pas étrangers.

En voyant le regard bleu gris du nordique, Orpheos eut la sensation que la remarque n’était pas tombée dans une oreille sourde. Le décor du couloir changea alors, dans une brume sombre, afin de se reconstituer en vastes appartements richement décorés. La nouvelle pièce semblait faire partie du même palais.
Llanistar s’approcha d’une fenêtre, où "dehors", le jour venait de tomber. De là où il se trouvait, Orpheos reconnaissait bien le genre de jardins des pays d’orient qu’il venait de voir. Dans quel palais étaient-ils tombés ? Etait-ce un endroit que Llanistar avait visité, bien plus tôt dans sa vie, et bien avant de voir le château d’Hyrule ? L’autre Orpheos s’approcha de Llanistar.


-Tu as vraiment vécu ici ? disait-il avec la voix qui était bien la sienne, le bras sous la chemise du général.
-Oui. Une éternité a passé depuis.

Sans voir son visage, Orpheos devina une mélancolie certaine dans ses yeux gris. Le palais avait donc bien été une étape de son parcours… Il était curieux de savoir ce qui s’y était passé de particulier, pour que l’inconscient de Llanistar ait envie d’y revenir.

-Tu étais donc victorieux, honoré de tes ennemis, coulant des jours paisibles dans une gloire légitime... Quand ta vie a-t-elle dérapée ?


L’autre Orpheos paraissait au courant des choses qui venaient de se passer, à ce moment de sa vie.

-Cette nuit-là.

La porte de la chambre s’ouvrit dans un grand fracas. Llanistar tira un sabre -lui qu’Orpheos n’avait jamais vu tenir autre arme blanche qu’une épée- pour se placer devant son alter-égo imaginaire. Et avant même que le chancelier ait eu le temps de tout comprendre, la terrible lame avait déjà tranché un homme, qui s’écroula au sol un instant plus tard. Mort.
Un autre homme débarqua dans la chambre, haletant, soufflant comme si la mort était à ses trousses.


-Mon général, la situation est grave. Vous devez fuir, immédiatement.
-Il n'était pas seul ? Que se passe-t-il ? Les Markanis nous ont trahis ?
-Ils sont des dizaines messire ! Pas le temps de vous expliquer maintenant ! Suivez-moi !

Llanistar s’élança à la suite de son lieutenant, et les deux Orpheos en firent de même. Ils parvinrent aux abords d’une cour plongée dans la pénombre, puis firent demi-tour lorsqu’ils aperçurent un groupe de nouveaux assassins. Il leur fallut alors très peu de temps pour atteindre une tour dont ils grimpèrent les marches quatre à quatre, avant de parvenir au sommet. Tout ceci s'était-il réellement passé ? Orpheos avait l'intuition formelle que oui. Mais les choses se déroulaient si vite qu'il n'avait même pas le temps de ressentir quoique ce soit pour son ami, et encore moins le temps de comprendre ce qui lui était arrivé cette nuit-là. Llanistar lui-même parut pris de panique.

-Et quel est ton plan à présent ? Sauter du haut de cette tour ?!

Les bottes des soldats se firent peu à peu entendre, impressionnantes, et annonciatrices de mort. Alors, Llanistar tendit la main vers l’autre Orpheos et se prépara à sauter… Mais juste avant la chute, son alter-égo jeta un sourire par-dessus son épaule. Et il aurait juré que ce sourire lui était adressé.

Orpheos se retrouva ainsi seul au sommet de la tour, pendant un bref instant.
Puis, lorsque les soldats arrivèrent, le décor se remodela une nouvelle fois.


Llanistar van Rusadir


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(vide)

La chute vertigineuse allait le tuer. Il en était quasi certain tandis qu'il tombait, bras en avant, tentant de rendre le choc avec l'eau aussi doux que possible. La surface noire des douves se rapprochait. Il avait envie de crier mais sa voix semblait figée par la peur. Plus que quelques mètres. Thrain le dépassa, plus imposant de taille, il atteindrait leur destination avant lui. Il atterrit dans un plouf sonore et disparu sous ce qui apparaissait comme de l'encre noire. Llanistar vit les dernières mètres fondre et l'eau l'aspira.
Glacées, les douves l'étaient. Comme tout dans le désert, brûlant le jour et gelé la nuit, l'eau semblait attaquer le nordique, le mordre de tout part, tant le choc était rude à supporter. Surprit par cette douleur, il ouvrit la bouche, laissant les flots noirs s'y engouffrer. Il perdit son inspiration, étouffa. Prit dans les plis et replis de son vêtement markanis, il battait des mains et des pieds en des efforts vain pour retrouver l'air. C'est alors qu'une flèche le frôla. Elle aurait dû lui transperce le bras mais son élan s'était brisé en entrant dans l'eau. Quelle ironie. Il aurait pu mourir de ces traits mais il devrait se contenter de la noyade. Lui qui avait passé bien des hivers dans les torrents glacés de Waundel, il ne supportait plus le froid. Llanistar avait bien changé. Peut être s'était il perdu, après toutes ces années...Il sentit la fin approcher, des taches sombres envahissant sa vue, l'étreinte glacial moins forte...

Soudain, une poigne puissant le projeta vers la surface. Thrain le maintenait fermement et usait de toutes ses forces pour le ramener à l'air libre. Et lorsque le général fendit la surface des eaux, ce fut une libération. Il recracha sans grâce les flos qu'il avait avalé et nagea du mieux qu'il put vers le bord, tandis que d'autres flèches se perdaient dans les douves, sans parvenir à le toucher. Après s'être hissé avec peine sur la terre ferme, il prit enfin le temps de respirer, redécouvrant ce plaisir simple avant que Thrain ne lui fasse signe de se hâter. C'est alors qu'il remarqua qu'Orpheos se dressait à côté de lui, parfaitement sec. Avait il seulement chuté avec eux ? Sûrement, mais il ne fallait jamais trop questionner un rêve. Llanistar suivit son lieutenant vers un lieu plus sûr. Ils zigzaguaient dans les ruelles de la vieille ville, au milieu des marchants remballant leurs étales, des femmes allées chercher de l'eau à une fontaine ou bien des bandes de gamins profitant de leurs derniers instants de jeux de la journée. Certains lui adressèrent des regards intrigués, peu nombreux furent ceux qui semblèrent le reconnaître mais aucun ne réagit autrement que par un signe de tête ou un geste d'hommage. Le nordique était encore vu à cette époque comme le petit fils d'un homme honorable, lui même d'une grande magnanimité à l'égard des rebelles qu'il avait vaincu. Le coeur de Llanistar se serra à la vue de ses regards où il ne lisait que du respect. Au détour d'une ruelle, un gamin le fixa longuement, ses grands yeux brûlants écarquillés sous le coup de la surprise. Et le général ne put supporter de retrouver ce regard empli d'admiration, ce regard qui semblait lui dire :

"Tu es mon héros !"

Après un certain temps, ils arrivèrent non loin des portes de la ville. Ils longèrent dans une ruelle étroite, une grande avenue que Llanistar avait emprunté en entrant triomphalement dans la ville. Le soleil brillait comme jamais, ce jour là. Le vent soufflait doucement pour accueillir le plus grand héros de la guerre des Marches. Le général était entré avec deux légions, une cohorte élite de nordiques l'entourant, lui même monté sur un cheval du plus pur sang. Devant son passage, la foule qui l'acclamait jetait des pétales de roses. Un triomphe digne des anciens rois de jadis ! Une erreur, due à la jeunesse et à son orgueil. Il avait voulu montrer à ses ennemis de la cour du Kairn sa puissance, et maintenant il fuyait pour tenter de sauver sa vie. Thrain avançait toujours devant lui et Orpheos. Le lieutenant semblait connaître parfaitement son chemin, nul doute qu'il connaissait ce quartier, étant donné que tous les bordels y étaient concentrés. Llanistar était plus étonné par son amant, étonnamment calme en des circonstances qui éprouvaient fortement les nerfs du nordique. Ce dernier se sentit soudain obligé de rompre le silence qui s'était imposé depuis l'épisode des douves.
"Thrain...Merci de m'avoir sauvé, quand je me noyais. Ta fidélité me sera toujours précieuse."
"Elle vous est toute acquise, mon général. Je n'ai fait que mon devoir."
"En ces temps troublés, c'est déjà beaucoup."

C'est alors que Llanistar sentit brusquement une douleur fulgurante jaillir dans son épaule. Un simple regard suffit à lui comprendre la situation : un carreau d'arbalète l'avait transpercé, de derrière vers l'avant, manquant surement de peu un poumon. Thrain réagit au quart de tour. Sa dague s'envola vers un toit, où le nordique repéra son agresseur. Le jet de Thrain était parfait, l'assassin n'eut pas le temps d'esquiver et il ne put que se tenir vainement la poitrine pour empêcher le sang de couler, avant de s'effondrer jusque dans la ruelle. Conscient que le temps leur manquait mais incapable de faire taire sa curiosité, il s'approcha du cadavre. Après avoir fouillé ses poches, il en dénicha une lettre, qu'il rangea avec précaution : sans doute possible la clé de l'énigme. Quand bien même les assassins étaient embauchés en groupe, tous gardaient un exemplaire de l'acte de la transaction. Ce papier allait lui révéler qui...

"Raaaaaaaaaaah !"

Le carreau dans son épaule s'était légèrement tourné, lui arrachant un cri de douleur. Llanistar sut qu'il ne pourrait pas continuer ainsi mais la perspective de ce qu'il allait avoir à vivre ne plus plaisait guère. Il vit que Thrain le regardait, interdit, comme pour obtenir confirmation de ce qu'ils avaient tous deux en tête. Le général lui fit signe de s'exécuter et son lieutenant s'approcha de lui. Llanistar prit alors la main d'Orpheos, conscient qu'il aurait besoin de lui cette fois. A l'époque de ce rêve, il était fort, mais à présent...Il aurait besoin d'aide. Thrain posa la main sur le carreau, testant une fois, d'une secousse dessus, la résistance du projectile. Cette simple saccade dans sa chair faillit arracher un nouveau cri au nordique mais il sur se retenir. Conscient de l'horreur qu'il avait subir, il plaqua ses lèvres contre celles d'Orpheos, tandis que Thrain poussait violemment le carreau vers l'avant, hors de son épaule. Llanistar ne cria pas, mais il manqua tourner de l'oeil. La souffrance était au delà des mots. Comme si son âme était aspirée en dehors de lui. Il lui fallut s'asseoir. Pendant quelques instants, il resta là, mi éveillé, mi endormit, l'esprit comme le corps assommés par la douleur.


"Mon seigneur, nous devons continuer !"


C'était la voix de la sagesse qui parlait et Llanistar se força à revenir sur ses deux pieds. A partir de cet instant, il ne put faire le chemin que titubant, appuyé sur son lieutenant. Plusieurs fois, ils durent s'arrêter au détour d'une rue, attendant qu'un assassin n'aille les chercher ailleurs. Enfin, le calvaire du nordique sembla toucher à sa fin lorsqu'ils parvinrent aux écuries de la porte sud. Thrain alla chercher deux montures tandis que Llanistar tentait de reprendre le plus de forces avant de prendre la route. Il fixa alors Orpheos, toujours assez calme. Cette fois, il se sentait en distance avec le rêve, ses pensées dérivèrent sur le papier qu'il avait prit sur l'assassin. Quelque chose le poussait à attendre qu'ils aient quitté la ville pour le lire, comme cela s'était passé réellement, mais il savait déjà ce qui y était inscrit. Il demanda, d'un ton amusé à son amant, l'acte d'engagement dans la main.

"Tu as sans doute envie de savoir ce qu'il y a d'écrit dessus, non ? Ca ne manque pas de piquant, crois moi."

C'est là que Thrain revint, les montures avec lui. Llanistar grimpa sur l'une d'entre elle et tendit une main à Orpheos pour l'y faire grimper également. Etrangement, le chancelier ne sembla rien peser sur le cheval. Enfin, ils se dirigèrent vers la porte. Juste avant d'arriver, le lieutenant les fit stopper.

"Je vais m'assurer que nous pouvons sortir. Restez en arrière. Si il m'arrive malheur, forcez le passage et ne vous en faites pas pour moi."

Thrain s'approcha des gardes de la porte. Ils étaient visiblement des étrangers enrôlés dans la garde de la ville, vu leur teint de peau. Alors, Llanistar comprit. Mais avant qu'il ne puisse avertir son officier, celui ci avait mi pied à terre et les assassins se débarrassèrent de leur déguisement et le poignardèrent par deux fois. Le Rusadir s'éveilla en lui, pour la deuxième fois de sa vie, et il chargea.

"Når vinteren tar deg!" Cria t'il de toute la puissance de sa voix, tirant son sabre. Et comme les deux meurtriers se précipitaient sur lui, il trancha furieusement, la gorge de l'un, le bras de l'autre. Et continuant sur la lancée de son cheval, il enserra de son bras Thrain au passage, et le hissa de toutes ses forces sur la monture, qui passa les portes. Et tandis qu'ils quittaient l'enfer, Llanistar hurlait encore, ivre de fureur. "Le crime sera châtié !"

C'est alors qu'il sortit la lettre et vit dessus le nom. Ce nom sur un simple bout de papier, qui avait bouleversé sa vie.

"Kairn Jehovaren."

Le cheval de Llanistar replongea dans la brume du rêve, et le décor changea.


Orpheos


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(vide)

Le décor du rêve reprit place au pied de la tour, pour Orpheos. Llanistar était en train de ressortir des douves par l’aide de son lieutenant, tandis que des flèches se décochaient au-dessus de leurs têtes pour atterrir à leurs pieds. A côté, parfaitement sec, l’autre Orpheos ne bougeait pas. Les flèches le traversaient comme un fantôme, et ne le blessaient pas. Mais cela, Llanistar ne le remarqua pas puisqu’il repartit très vite au pas de course, vers la ville, en laissant des traces d’eau derrière lui.

Les gardes perdirent leur filature au cœur des marchés éteints, seulement occupés par les commerçants tardifs, et par les promeneurs de tous âges qui profitaient du début de soirée. Quelques-uns prêtèrent attention au général, réagissant par ci ou là de signes de têtes honorés, mais aucun ne l’arrêta pour tenter de l’assassiner. Orpheos sentait que cela n’était qu’une question de temps.

La tentative survint aux environs des portes de la ville. Alors qu’ils passaient un énième coin de mur, le chancelier se retourna et leva la tête par instinct.


-Llanistar, baisse-toi !

Mais même si le général avait pu entendre Orpheos, il n’aurait pu éviter le carreau d’arbalète qui transperça son épaule. Le lieutenant de Llanistar riposta aussitôt d’une dague qui vint se planter en plein cœur du soldat. L’homme fit une très lourde chute.
Orpheos suivit le duo du nord jusqu’à l’ex-assassin, à l’instar de sa propre image. Llanistar dénicha une lettre dans les poches du cadavre, avant de la ranger dans l’une des siennes…

Un horrible cri de douleur s’échappa de sa gorge juste après. La flèche tirée avait dû se tordre dans sa chair, et ne faisait plus que la déchirer à l’intérieur. Quand il ordonna d’un silence à son lieutenant de la lui arracher, Llanistar fit quelque chose à laquelle Orpheos ne s’attendit pas. Son double, qui s’était de nouveau rapproché d’eux, se laissa emparer par les mains du général… puis par ses lèvres. Thrain arracha le carreau par son torse, les jambes de Llanistar faiblirent, mais sa bouche resta collée à celle du Orpheos onirique.


-Je ne savais pas mon soutien si important… murmura le chancelier.
-Mon seigneur, nous devons continuer ! s’écria Thrain à Llanistar, qui se releva après s’être plié sous la douleur.

Dès lors, jusqu’à atteindre des écuries, Llanistar ne parvint plus qu’à tituber. Et quand son lieutenant partit chercher des chevaux, le nordique ressortit la lettre volée au corps de l’assassin.


-Tu as sans doute envie de savoir ce qu'il y a d'écrit dessus, non ? disait-il à l’autre Orpheos, silencieux. Ça ne manque pas de piquant, crois-moi.
-Je sais, répondit le chancelier inaudible. Je me souviens.

Le lieutenant Thrain revint ensuite promptement avec les montures, et grimpa avec Llanistar qui plaça le double d’Orpheos derrière lui. Le vrai resta aux côtés de son cheval.

-Je vais m'assurer que nous pouvons sortir, déclara Thrain une fois arrivés devant les portes de la ville. Restez en arrière. Si il m'arrive malheur, forcez le passage et ne vous en faites pas pour moi.

Le pressenti du militaire s’avéra tristement juste… Des assassins, postés à la garde des portes, volèrent comme des ombres pour l’assaillir de leurs couteaux. Llanistar hurla, à sabre tiré, bientôt couvert du sang des tueurs. Sans oublier de hisser Thrain sur son cheval, le général passa les portes.

-Le crime sera châtié ! l’entendit-on hurler tandis qu’il s’éloignait, son cheval galopant.

Orpheos le regarda s’éloigner pendant quelques instants. Lui et sa monture fonçaient vers l’horizon infini, décoré de sable rosi par les dernières lueurs du soleil.


-La princesse Zelda ne te trahira pas comme l’a fait Jehovaren.

-C’est peut-être quelqu’un de moins élevée qu’elle, mais plus proche de lui qui le fera ?

Le chancelier se retourna. Les deux tueurs que venaient de massacrer Llanistar s’étaient relevés, et marchaient vers lui comme si leurs corps n’avaient pas été tranchés. Ils parlaient simultanément, d’une même voix.

-Que voulez-vous dire ?
-Tu as peur de ce qui t’est offert, notamment en refusant d’étendre ton influence dans l’inconscient de ton bien-aimé.
-Ce rêve, ce souvenir, lui appartient. Je n’ai pas à y intervenir…
-Tu le pourrais…
-Et je ne trahirai pas Llanistar. Pourquoi le ferais-je ?
-Parce que notre influence pousse toujours nos détenteurs à la traitrise, assoiffés de pouvoir.
-…Balivernes.

Orpheos détourna les yeux sans prêter attention à ce que lui dirent les deux "hommes"… A ce moment, le décor se remodela.


Llanistar van Rusadir


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(vide)

A mesure qu'il entrait dans la brume, Llanistar sentit la présence d'Orpheos s'éloigner de lui, et une autre approcher par devant. Le cheval qu'il montait disparu progressivement mais il put se rétablir aisément sur ses deux jambes, tandis que son grand père venait à sa rencontre, une fois de plus. Toujours aussi ressemblant qu'un reflet, le même regard, la même faiblesse, charriée par le même sang. Etait il seulement possible qu'Astegal eut été le véritable fils de Veren ? Llanistar ne s'était jamais sentit proche de son père, par le caractère comme par le corps, et voilà qu'il se retrouvait face à son jumeau, qui le précédait tout de même d'un demi siècle. Ce dernier lui sourit, un air amusé mais aussi satisfait sur le visage. Il parla le premier, son descendant muet pour l'instant.

"C'est cette nuit là que ta vie a basculé. Depuis ton entrée à la cour du Kairn puis surtout ta sortie de l'école militaire, tu avais conscience d'avancer sur un fil tendu au dessus d'un abysse. Ton amour pour ta soeur n'était pas un crime à tes yeux mais tu savais pertinemment qu'il serait vu ainsi par le monde des hommes. Et puis...Tu avais tué ton frère et ton père. Dés lors, la peur ne t'avait jamais vraiment quitté." Il leva le bras et fit un mouvement étrange de la main. La fontaine à la flamme réapparu. Et là où le feu semblait auparavant lutter pour survivre, il avait gagné en taille et en force. Veren reprit. "Jusque là, tes craintes étaient infondées. Llanistar van Rusadir, qui allait éclipser par ses succès le nom de ses ancêtres et gagner sa place dans l'histoire ! Tu as oublié à quel monstre tu avais prêté serment. Cette nuit là, le destin te l'a rappelé. Et ta longue errance dans le désert a écarté tes doutes : Jehovaren te haïssait et te craignait. Il ne voyait ta gloire que comme un danger pour sa vie et son pouvoir. Il n'a jamais su voir la loyauté. Toujours, le Kairn n'a vu que complots et sournoiserie. Chez toi comme chez moi.

Veren s'approcha de la fontaine, tournant le dos à son petit fils, et tendit une main au dessus du feu et de l'eau. Les flammes léchèrent sa main sans le blesser, mais Llanistar n'eut pas envie de l'imiter. Ce qui ne blessait pas un esprit pouvait s'en prendre à une âme encore en vie. Il songeait à ce que venait de lui dire son aïeul. Veren avait raison sur toute la ligne. Dés la bataille des gorges, où on l'avait privé de la majorité de son armée, il avait suspecté que quelqu'un voulait sa mort ; un haut conseiller, un noble important...Mais jamais le nom de Jehovaren ne s'était imposé à lui, trop obsédé qu'il restait par son serment passé et sa foi envers celui qui l'avait accueillit lorsque lui et Valenrya n'avaient plus rien. Cette lettre brisa quelque chose en lui. L'enfant qu'il avait été disparu, avalé par le désert brûlant. Néanmoins...

"Néanmoins tu n'étais pas brisé, toi, Llanistar van Rusadir, l'homme." Poursuivit Veren, sachant visiblement pertinemment ce à quoi pensait son petit fils. Il le fixait, l'air grave. "Jehovaren voulait te briser, comme il m'avait brisé en mon temps. Et ce fut Saïon qui lui en fournit le moyen. Quelle folie tu commis en lui laissant la vie, mon fils. Saïon était un chacal, sans honneur ni moralité. Tu aurais dû deviner qu'il saurait pour toi et Valenrya. Deviner qu'il prendrait un jour sa revanche sur toi, et donc sur elle..."

Llanistar eut envie de répondre mais il ne put pas. Il n'avait rien à répondre à cela. Tout ce que disait Veren sentait l'odeur désagréable de la vérité. Mais il pouvait clairement expliquer la raison de sa clémence envers son frère. Etait-ce son expression de peur minable ? La manière qu'il avait eu de se blottir dans un coin de la pièce, tandis que leur frère aîné mourrait par le poison ? Ses supplications répétées, d'une voix faible et pitoyable ? Surement rien de tout cela. Au fond de lui, le général s'avoua qu'il ne l'avait épargné que par fierté mal placée, refusant d'abattre un adversaire qui n'osait pas l'affronter. Jusqu'au bout Alfar s'était dressé contre lui et Llanistar l'avait tué sans remords. Mais il n'avait pu se résoudre à prendre une vie aussi misérable que celle de Saïon...Sans imaginer le mal qu'il en découlerait.

"Mais comment aurais tu pu deviner ? Comment un jeune homme amoureux aurait il pu imaginer pareille tragédie ?...Ce fut le prix à payer. Et il fut infiniment trop lourd pour toi. Il en aurait été de même pour n'importe quel homme sur cette terre... »

Le brouillard se jeta alors sur eux. Veren disparu en un instant et Llanistar fut happé à sa suite. Cette fois, le décor n’apparut pas aussi rapidement que la première fois. Le nordique ne voyait pas à plus de trois pieds devant lui et commençait à trouver cette attente inconfortable...malsaine même. Il lui semblait qu'une force étrangère interférait à son rêve, qu'elle envahissait ses souvenirs ! Mais aussitôt qu'il eut cette pensée, le brouillard recula. Cela aurait sûrement dû le calmer mais il n'en fut que plus inquiété. Et comme le souvenir ne se construisait pas encore, il se mit à marcher, au hasard mais toujours dans la même direction. Puis, il courut, de plus en plus vite jusqu'au moment où il eut l'impression de sentir le vent sur sa peau. Alors, Llanistar sut que le souvenir venait. Et lorsque, bien avant le décor, les sons lui parvinrent, il sut où il se trouvait.

« Repoussez les ! Vers le pont ! »

Le général venait de crier des mots qui lui avait appartenu, plusieurs années auparavant. Et à mesure qu'il se rappelait, le décor vint. La bataille du pont d'Alven, à l'est d'Artensir. Une victoire décisive qu'il avait remporté contre la horde de Ulric, le barbare des steppes. Depuis des mois, l'empire subissait les assauts de ce roi en haillons, son armée nomade pillant, ravageant avec tant de férocité qu'on avait fini par l'appeler « Fléau ». Et puis, il avait osé franchir les frontières d'Artensir, et menacer l'Est du Royaume. Jehovaren ne l'avait pas toléré. Le Kairn avait envoyé plus de la moitié de l'armée impériale, avec à sa tête le général le plus renommé : Llanistar.

Soudain, une épée apparu dans la main du nordique, la sienne. Sans plus pouvoir se contrôler, il bloqua un coup invisible, ouvrit une gorge encore immatérielle, enchaîna sur une aisselle masquée à sa vue. Déjà, Llanistar n'était plus vraiment le rêveur. Il était à mi chemin entre le rêve et le souvenir. Et à mesure qu'il avançait, comme gravissant une colline, le champ de bataille lui apparu. La victoire était alors proche. Après avoir opposé à Ulric la discipline impériale d'une formation en étoile pour briser sa charge de cavalerie, il avait opéré un contournement du le flan ennemi par ses troupes tirailleurs et avait enfoncé les lignes ennemis profondément. A présent, la horde tentait un repli au delà du fleuve, par le pont d'Alven...Se condamnant du même coup.
Il leva le bras haut pour que les sapeurs puisse le voir de leur position. Patiemment, Llanistar attendit que l'ennemi fut largement engagé au dessus des eaux. Les barbares fuyaient aussi vite qu'ils pouvaient, dans un désordre suffisant pour qu'aucun officier ne puisse questionner la solidité du pont. Ce fut leur erreur. Quand prés de la moitié des envahisseurs fut dans le piège, il abaissa vivement le bras. Les sapeurs enflammèrent les poutres qui soutenaient la galerie creusée en dessous du fleuve, sous le pont. Ses fondations cédant brutalement, l'édifice ne tint pas et céda, en cent points différents, entraînant tout ceux qui l'empruntaient dans les eaux en crue du fleuve. L'armée impériale se jeta sur les survivants de son côté des flots, tandis qu'Ulric observait depuis la rive orientale ses rêves de gloire mourir brusquement.

Llanistar fut alors acclamé par l'armée, considéré comme le grand vainqueur du fléau et un héros, alors qu'il avait l'impression d'avoir fait une balade de santé. La Horde des steppes avait terrorisé les campagnes des provinces extérieures parce qu'elle n'avait rencontré aucune résistance. Mais cette bataille n'avait fait qu'illustrer leurs lacunes dans les arts de la guerre. Arts que l'empire maîtrisait à merveille. Conscient toutefois que sa victoire était méritée et éreinté par plusieurs semaines de préparatifs ainsi que par l'ardeur des combats, Llanistar se retira sous sa tente. Comme d'ordinaire, il avait combattu au premier rang, au cœur du chaos, luttant coude à coude avec la fine fleur de l'armée. Il était l'unique général d'Artensir à opérer ainsi, avec son ami Cerwyn, et ne comprenait pas que ce fut aussi rare. Les hommes se battaient mieux pour un général qui partageait leurs peines, les ennemis prenaient peur à voir leur ennemi face à eux, prêt à les découper.

Ce n'est qu'alors que Llanistar remarqua Orpheos à ses côtés. Tout ce temps, il l'avait perdu de vue et de pensée. Comme si le souvenir s'emparait de lui, que le vrai Llanistar peinait à s'imposer à l'ancien. Versant du vin Artensis dans deux coupes, il en donna une à son amant et leva la sienne.


« A ma victoire. Ah... » soupira t'il. « Sais tu ce qu'est de remporter une victoire Orpheos ? Une vraie victoire, où l'ennemi ne peut que s'incliner et d'où on ressort grandi ? Moi je sais ce que ça fait...Et il n'y a rien de meilleur au monde...Pas même une nuit avec un demi-dieu comme toi. Il s'approcha du chancelier, la fatigue et l'alcool lui ôtant toute gène. « On se sent fort...Et même au delà : immortel ! Comme si le monde t'appartenait, d'un coup ! On a envie de profiter de chaque instant, de s'enivrer et surtout... » Il se pressa contre son amant, son bas ventre déjà enflammé. « Surtout, on veut baiser. Se sentir vivant, parce qu'on a réussit à le rester. Ressentir notre vie pleinement, dans notre âme et notre corps... Et rendre à la nature ce qu'elle n'a pas réussit à nous prendre. »

Il allait passer aux choses sérieuses quand il entendit son nom depuis l'extérieur de la tente. Profondément agacé, Llanistar indiqua à l'intrus qu'il pouvait entrer. Sa surprise fut immense lorsqu'il vit trois hommes visiblement de l'inquisition le rejoindre, suivit par ses plus fidèles lieutenants. Rasés comme leur ordre l'imposait et vêtu de robes blanches de prêtres, les trois religieux affichaient des visage de fer, bloqués dans une expression froide et hautaine. Intrigué et irrité par la surprise de leur arrivée, le général ne put se contenir.

«  Et bien, mes frères, c'est à quel sujet ? D'ordinaire, un message me prévient de votre arrivée, il ne me semble pas en avoir reçu. » Déclara t'il, d'une voix dans laquelle perçait le reproche. Mais le plus important des trois inquisiteurs se contenta de s'avancer, de sortir un parchemin et après l'avoir déroulé, de lire d'une voix glaciale, qui gela le cœur de Llanistar.

« Lord Llanistar van Rusadir, duc de Waundel, pair du Royaume, second général de l'armée impériale, premier général de l'armée de l'est, je suis ici pour vous signifier votre arrestation par décret impérial. Le Kairn Jehovaren a été convaincu d'accusations de haute trahison, parricide, fratricide et inceste, portées contre vous. Il a exigé votre mise aux arrêts immédiate et votre retour à la cité impériale de Rheinnor pour répondre de ces accusations et vous mettre à la disposition de sa justice. Je vous prierais de nous suivre sans... »

L'inquisiteur ne put jamais finir sa lecture. La dague de Thrain l'avait percé au cou, en direction du cœur, tandis que deux autres officiers assassinaient pareillement ses deux sbires. En un instant, les trois prêtres gisaient, morts, sur le sol. Llanistar, lui, était presque tombé à la renverse, sous le choc. Depuis des années, il craignait ce jour. Depuis des mois, il sentait la haine du Kairn à son égard grandir...Mais jamais il n'avait vraiment imaginé que Jehovaren agirait ainsi, alors que le nordique venait de sauver un quart de son royaume du chaos. Il dut s'asseoir pour ne pas tomber à la renverse. Puis soudain, la réalité le frappa, comme un poing dans la figure : si il avait été arrêté, Valenrya l'était sûrement aussi! Thrain posa alors une main sur son épaule et lui demanda.

« Que faisons nous, général ? »

La question méritait d'être posée. Si ses hommes venait de le sauver, Llanistar était à présent dans le camp des rebelles à l'empire, qu'il le veuille ou non. Si il le voulait, il pouvait profiter de cette bataille, de la fidélité de ses troupes, de la gratitude de l'Est et de l'allégeance du Nord à son profit. Il pouvait...Détrôner l'empereur. Défaire le Kairn, monter sur le trône, accomplir ce que même Veren van Rusadir n'avait su faire...Mais pas tant que Valenrya serait en danger. D'abord, il devait aller la sauver, quoique cela puisse lui coûter ! Considérant Orpheos, toujours silencieux, puis ses hommes : Thrain, Aran, Feltir et Damos, il finit par se lever et ordonner.

« Nous partons pour Rheinnor ! Seuls. »

Ses rêves de gloire attendraient. Le Brouillard revint.


Orpheos


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(vide)

Orpheos attendit que le décor du rêve se reforme en quelques secondes, comme les fois précédentes… Mais il attendit trop longtemps. Quelque chose n’allait pas.

-C’est toi qui le retiens, lui dit une voix juste à côté de lui, sans qu’il puisse voir dans le noir à quelle créature physique elle appartenait. Si seulement elle était physique.

Orpheos ne comprit pas, tout d’abord… jusqu’à ce qu’il se remémore ce que venaient de lui dire les Ombres, lorsqu’elles avaient pris possession des tueurs occis par Llanistar. Elles avaient parlé de son « influence » dans le rêve de son bien aimé… Et s’il s’agissait de cela ? S’il s’agissait tout simplement du fait qu’au fond de lui, Orpheos ne souhaitait plus assister à ses souffrances, et empêchait inconsciemment Llanistar de rejoindre la suite de ses souvenirs ? Le chancelier les devinait douloureux. Et il savait l’Artensys meurtri par ceux-ci. Il ne voulait pas voir ça, et bloquait l’inconscient du général du nord malgré lui… grâce au pouvoir que lui conféraient les Ombres.

-Llanistar me loue une entière confiance… C’est pour cela que j’ai autant de pouvoir dans ses rêves les plus intenses. Mais je ne veux pas abuser de cette confiance, ni de ce pouvoir. Je ne suis pas en droit de l’empêcher de rêver… même s’il s’agit de souvenirs cauchemardesques.

Orpheos sentit quelque chose se libérer en son cœur. Et au même moment, le décor se reforma.

Il se trouvait maintenant dans une grande tente, où avait été dressé une table entourée de chaises. Les bruits de la guerre écrasaient l’air, au dehors. Mais ce qui intrigua Orpheos, c’était que Llanistar n’était plus du tout avec lui.
Des ombres couraient sur le tissu de la tente.


-Où est passé Llanistar ? demanda Orpheos devant les noires entités.
-Demande-toi plutôt où est passé l’autre.
-…L’autre ?

Mais les Ombres disparurent et se turent. Quelques minutes plus tard, une immense vague d’acclamations tonitruèrent dehors ; le chancelier devina que l’armée menée par Llanistar venait de gagner. Et encore un peu plus tard, il revint sous sa tente… sans être accompagné, cette fois, du double d’Orpheos.
Le véritable Sheikah resta toutefois muet, observant avec attention le général du nord dans la plus fière des humeurs : celle des gagnants. Pour la première fois, il voyait son visage véritablement éclairé par une pleine et immense satisfaction. Jusqu’à présent, Orpheos avait toujours discerné de la peine dans les yeux de Llanistar…

Et soudain, le général remarqua la présence de son ami.


-A ma victoire, dit-il en lui offrant une coupe de vin.

Le chancelier, cœur battant, eut peine à croire ce qui était en train de se passer. Comme par magie, Llanistar le voyait enfin, lui parlait enfin, et n’était plus secondé par ce double parfaitement imaginaire. Mais comment ?


-Sais tu ce qu'est de remporter une victoire Orpheos ? Une vraie victoire, où l'ennemi ne peut que s'incliner et d'où on ressort grandi ? Moi je sais ce que ça fait...Et il n'y a rien de meilleur au monde...Pas même une nuit avec un demi-dieu comme toi.

La bouche d’Orpheos toujours clouée par la surprise, celle-ci parvint à s’étirer en un sourire gêné. Le compliment était fort de sens. Trop, pour quelqu’un comme lui.


-On se sent fort...Et même au-delà : immortel ! Comme si le monde t'appartenait, d'un coup ! On a envie de profiter de chaque instant, de s'enivrer et surtout... Surtout, on veut baiser. Se sentir vivant, parce qu'on a réussi à le rester. Ressentir notre vie pleinement, dans notre âme et notre corps... Et rendre à la nature ce qu'elle n'a pas réussi à nous prendre.

Llanistar s’était collé à lui… et tous deux pouvaient sentir qu’ils n’étaient pas insensibles à ce contact. Mais soudain…

-Général Rusadir, s’écria-t-on devant la tente.
-Oui, répondit l’interpellé exaspéré et en rut. Veuillez entrer !

De l’inquiétude fit très vite redescendre l’excitation. Trois hommes rasés et vêtus de blanc entrèrent, visages de marbre.

-Et bien, mes frères, c'est à quel sujet ? D'ordinaire, un message me prévient de votre arrivée, il ne me semble pas en avoir reçu.
-Lord Llanistar van Rusadir, déclama l’un des trois autres en s’avançant et sortant un parchemin, duc de Waundel, pair du Royaume, second général de l'armée impériale, premier général de l'armée de l'est, je suis ici pour vous signifier votre arrestation par décret impérial. Le Kairn Jehovaren a été convaincu d'accusations de haute trahison, parricide, fratricide et inceste, portées contre vous.

Orpheos ferma les yeux. A côté, Llanistar ne dit encore rien…

-Il a exigé votre mise aux arrêts immédiate et votre retour à la cité impériale de Rheinnor pour répondre de ces accusations et vous mettre à la disposition de sa justice. Je vous prierais de nous suivre sans- ARGH !

Une dague avait interrompu le discours du religieux, tué sur le coup avec ses deux comparses. C’était Thrain, le lieutenant qu’Orpheos avait vu dans le rêve précédent de Llanistar. Et ce dernier venait de tomber à la renverse… sous le choc.

-Que faisons-nous, général ? demanda gravement Thrain en posant une main sur son épaule.
-…Nous partons pour Rheinnor ! Seuls.

Avant que le général ne donne une réponse, Orpheos et Llanistar avaient échangé un regard. Le premier ignorait si le second sentait qu’il était plus réel que le double qu’il avait remplacé… mais dans ce regard, il voulait mettre tout le soutien qu’il souhaitait exprimer à Llanistar. Un soutien qui se faisait sans mots.

Le brouillard revint… Et instinctivement, pour ne pas perdre à nouveau Llanistar de vue, Orpheos attrapa sa main. A ce moment, il réalisa pourquoi son double avait disparu. C'était lui qui l'avait fait disparaître, inconsciemment. Il l'avait fait parce qu'il voulait accompagner son ami, de tout son être, et même s'il s'agissait de simples souvenirs mêlés au sommeil, dans ces épreuves qui l'avaient tant meurtri.

Et le rêve changea.


Llanistar van Rusadir


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(vide)

Avec le brouillard revint son grand père, Veren, et la fontaine avec lui. Encore une fois, Orpheos n'apparaissait pas, sans que Llanistar soit sur qu'il était absent. Une boule d'angoisse grandissait en lui à mesure que son intuition lui faisait saisir que le noeud du rêve approchait. Le coeur du tourment, dont les évènements qu'il avait revécu n'étaient que les prémices discrets. Mais, caprice du songe lui même, il ne parvenait plus à se rappeler...Sa mémoire était bloquée à ce fameux départ du camp, où ses hommes avaient massacré la suite des inquisiteurs venus l'arrêter. Un carrosse avait même été transformé en cage pour l'occasion, des barreaux aux fenêtres et un verrou à chaque porte. Si la prudence lui avait commandé, il s'en serait servit pou donner le change et faire croire aux agents de l'empereur sur la route que rien ne s'était produit au camp militaire...Mais l'urgence l'avait poussé à chevaucher à bride abattue, et à commettre des erreurs.
Doucement, Veren étendit sa main au dessus de la fontaine et de la flamme étrange, sans être brûlé. Puis il leva un pied et entra dans l'eau, dans un parfait silence. Longtemps il ne dit rien, tournant le dos à son petit fils. Llanistar s'approcha, intrigué par son attitude curieuse et il le contourna... Pour se rendre compte que Veren van Rusadir, le boucher de la révolution, pleurait. A chaudes larmes, secoué de sanglots, le visage reposant dans une main. Le nordique se demanda pourquoi il se laissait ainsi aller, quelle est était la cause et si il devait pleurer lui aussi... Mais il lui semblait que cela lui serait impossible. Ses yeux ne lui avaient jamais parus aussi secs, comme si toutes ses larmes l'avaient quitté pour remplir cette fontaine et tenter d'étouffer cette flamme ardente et au contact douloureux. Veren parvint alors à lui dire, entre ses sanglots,


"J'aurais tant voulu une meilleure vie pour toi. Mais je savais que le destin ne t'épargnerais pas, comme il m'avait pourchassé de ma première heure à mon trépas. Nous sommes Rusadirs, nés du sang, du fer et du feu intérieur de notre ancêtre dont tu porte le prénom. Depuis toujours notre famille donne des êtres d'exception, qui ne connaissent jamais le bonheur." Un violent hoquet le prit, le forçant à se taire quelques instants, avant de poursuivre. "Comme moi, tu as cru pouvoir échapper à ton destin, mais il t'a rattrapé. Il vous a tous les deux rattrapé. Et comme Jehovaren avait détruit mes espoirs et mes rêves en un autre temps, ce tyran t'a presque tué de chagrin. Cette flamme... Tu ne dois jamais la laisser s'éteindre. C'est ce qui reste de l'ancien Llanistar mais aussi ce qu'il reste de moi et de l'héritage que je t'ai laissé : la soif de Justice qui nous habite tous les deux. Ne l'oublie pas. Ne la laisse pas faiblir, mon fils."

Avant que Llanistar n'ait pu ajouter quoi que ça soit, le brouillard les avala. Perdu dans les méandres de son rêve, le dernier des Rusadir ne comprenait pas encore les mots de son grand père. Que signifiaient ces pleurs, comment Jehovaren avait il pu l'atteindre ainsi sans qu'il s'en souvienne ? Mais bientôt, le brouillard se dissipa. Le décor fut installé en une seconde, et il le frappa en plein ventre. Ce ciel gris, presque noire, qu'une pale lueur vers l'ouest tentait de percer. Cette pluie, froide et battante qui le trempait jusqu'aux os. Mais surtout, le nordique retrouva le Llanistar de ce jour là, et l'état dans lequel il se trouvait. Ce jour là, la peur s'était emparé de lui. Pendant deux semaines depuis le camp il avait chevauché, sans ménager ses montures, changeant aux auberges, s'arrêtant aussi peu que possible. Mais la nécessité l'avoir poussé à éviter le détour de la route royale et à s'engager à travers le pays du Rhein et ses collines, puis à s'arrêter chez le seigneur local, au Castel du Rhein. Là, les assassins du Kairn l'auraient eu si le seigneur en question n'avait pas prit son parti. Et depuis, Llanistar et ses hommes se savaient pourchassés...et le nordique sentait en son coeur que sa vie prenait une tournure tragique. Plus rien ne pourrait être comme avant, puisque son roi avait décidé de s'engager si loin dans cette voie... Mais il devait sauver Valenrya avant de songer à un quelconque avenir ! Tout tenait à elle. Son envie de vivre tenait dans l'amour de Valenrya, l'ardeur de ses baisers, la chaleur de leur couche. Le général de l'empire n'osait pas imaginer de futur sans elle. Et c'est la peur au ventre qu'il venait de franchir en douce les murs de la capitale impériale, Rheinnor.

Que devait il donc faire ? L'espace d'un instant, la question se posa. Un peu de persuasion avait suffit à faire croire aux gardes que le général Rusadir rentrait en avance de son armée pour faire un rapport expresse au kairn. Braves soldats, ils n'avaient pas posé plus de questions ni averti leur supérieur. Une chance, mais cela ne disait pas à Llanistar où pouvait se trouver Valenrya. La rumeur dans un village où ils étaient passés deux jours auparavant la disait arrêtée par l'inquisition. Il devina donc qu'elle devait être retenue dans le Temple de justice, comme les religieux l'appelaient. Un moment durant son voyage, le général avait pensé à se rendre à Jehovaren, à lui réaffirmer sa loyauté et à l'implorer d'être indulgent envers lui et son amour... Mais il connaissait trop le kairn. Celui ci le jugeait dangereux depuis des années et il n'avait surement saisit ce crime envers les dieux comme un simple prétexte. Si il devait passer en procés, on accuserait surement Llanistar d'être un traître en plus d'un incestueux. Non, il devrait agir seul et penser contre son ancien maître. Il ordonna à ses hommes de se diriger discrètement vers la place du soleil, que bordait le Temple de Justice, et s'y rendit lui même par une ruelle détournée. La prudence s'était rendue maître sur son impatience et ses angoisses, bien qu'il trembla encore comme jamais, et pas de froid. Il vit alors la misère qui avait envahit les quartiers populaires, les déchets jonchant le sol, les individus louches qui semblaient cacher des couteaux sous leurs haillons, les enfants fiévreux au regard éteint. Etaient ils déjà ainsi lorsqu'il entrait en triomphe dans la cité, 3 ans auparavant ? Le monde se révélait il ce soir à ses yeux dans toute sa laideur ou bien la situation avait elle empiré ces derniers temps ? Il n'aurait su le dire, mais cela lui arracha le coeur de n'avoir rien à donner à ces âmes en peine. Ramenant son lourd manteau sur ses épaules fatiguées, il passa comme une ombre au milieu de cette misère. Au moins, lui, allait il revoir son amour ! Oui, il la sauverait de ses agresseurs ! Comme il l'avait arraché à leur famille, à ces frères sadiques et à ce père violent ! Il ne laisserait personne lui faire le moindre mal.

Lorsque le soleil amorça son coucher, toujours voilé derrière un rideau grisâtre, Llanistar approcha de la place. Ecartant un vieillard qui lui disait de ne pas approcher, il franchit la dernière ruelle qui le séparait de la place, tout impatient de revoir sa bien aimée. Mais à mesure qu'il avançait vers l'immense espace vide où la pluie battait furieusement les pavés, son coeur s'accéléra et il se mit à trembler de plus en plus. Marchant de plus en plus vite puis courant, il renversa un gamin puis un étal de légumes. Plusieurs fois, son corps éreinté faiblit et il trébucha, perdit l'équilibre et alla percuter un mur, meurtrissant un peu plus ses épaules. Ce n'est qu'une fois arrivé devant l'innommable, l'impossible spectacle qu'il ralentit.

Au centre de la place, sur une estrade, était dressée une croix. Et sur elle, une femme gisait, morte. Cette femme était belle, grande, aux cheveux d'or, à la peau claire...Si belle qu'on eu dit un ange. Valenrya.
Les jambes de Llanistar l'abandonnèrent et il s'effondra sur les pavés, tête la première, s'ouvrant le front sur le coup. Incapable de pleinement réalisé, sa voix éteinte par le choc, tremblant de tous ses membres, prêt à éclater en sanglot, Llanistar regardait l'unique amour de sa vie, celle qui donnait un sens à sa vie, morte sur cette croix infernale. Chancelant, il tenta deux fois de se lever et échoua. Puis, rampant difficilement jusqu'à l'estrade, il s'appuya dessus pour se redresser et monter sur ce bois trempé. La pluie avait redoublé d'ardeur, comme si le ciel pleurait de concert avec lui. Rendu comme fou de douleur, le nordique posa une main sur le pied de la croix. Là, il put hurler.


NOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOON !


Le cri résonna dans toute la place et il sembla qu'il montait jusqu'aux cieux. Llanistar hurlait plus fort qu'il n'en était capable, avec désespoir, comme pour refuser cette réalité tragique qui s'imposait à lui, comme pour ramener l'âme de Valenrya. Il hurlait contre ses ennemis, contre ceux qui n'avaient rien fait pour empêcher cela, contre le monde entier et sa laideur insupportable, contre le destin et les dieux sadiques... Mais surtout contre lui même. Se frappant violemment la poitrine tandis qu'il criait, il s'insultait et se meurtrissait.

"Tu aurais dû être là ! Tu aurais dû la protéger ! Elle t'a attendu et tu arrives trop tard ! Moins que rien ! Déchet ! Elle mérite cent fois plus que toi de vivre !"

Les larmes inondaient ses joues, il se laissait aller au chagrin comme jamais auparavant. Sous le cadavre de son amour, Llanistar mourrait lui aussi. Et soudain, il sentit la présence d'Orpheos à ses côtés, réconfortante bien que cette chaleur soit dérisoire dans un pareil instant. Il remarqua que nombre de passant s'étaient assemblés autour de la croix. Tous semblaient tristes, certains pleuraient autant que lui. D'autres fixaient le sol avec une peine évidente sur leurs visages. Pour tous, Valenrya avait été un soleil. Sa soeur s'était toujours occupé des miséreux, des laissés pour compte. Il savait qu'elle était aimée par ceux que personne n'écoutait, ceux du peuple. Alors, porté par la souffrance partagé de cette assemblée autour de lui, Llanistar ravala ses sanglots, au moins pour un temps, et grimpa sur la croix.
Sa fatigue n'importait plus, plus rien n'avait d'importance désormais. Il décrocha chaque clou qui retenait son amour et la descendit ainsi de cet instrument de mort. La portant dans ses bras, il descendit de l'estrade et avança dans la foule, Orpheos toujours à son côté. Lentement, il se dirigea vers la porte de la ville, par l'avenue principale. Il n'y avait plus de peur en lui. La mort ne l'effrayait plus, il n'était même plus sur de vouloir vivre.

Dieux, qu'elle était froide dans ses bras. Elle dont les tendresses lui réchauffait toujours le coeur, elle qui avait habité d'ardeur des nuits froides d'hiver, elle dont les baisers brûlaient de passion... Sa beauté presque intacte, elle n'en était pas moins partie au loin, là où il ne pourrait la retrouver. Et plus jamais il ne la verrait sourire, danser comme elle savait si bien le faire, et lui rappeler ô combien la vie valait d'être vécue. Llanistar la pressa contre lui, se retenant de verser de nouvelles larmes. Il sentait une partie de son être s'arracher à lui, rester au pied de cette croix, et dépérir... Là où elle avait périt.
Sa voix n'était que murmure lorsqu'il confia à Orpheos.


"Je n'aurais jamais pu l'empêcher... Mais je porterais toujours ce fardeau, celui de n'avoir pas su protéger celle que j'aimais. Personne au monde ne saura jamais la remplacer. Jamais le miel n'aura le même goût qu'avant ce jour. Je ne vivrais plus que dans des nuances de gris, que dans la souffrance."

Il remarqua alors que l'assemblée de la place le suivait, et avait encore grossit. Il y avait à présent une foule derrière lui, plus imposante à mesure qu'ils marchaient...Et alors qu'il approchait de la porte, Valenrya dans ses bras, Orpheos à ses côtés et ses hommes ainsi que le peuple derrière lui, le brouillard le reprit.