Posté le 10/03/2014 18:44
L'écorce, dure et rêche, respirait sous ses doigts. Son oreille captait les vibrations qui secouait l'arbre. Derrière les paupières qui reposaient sur ses pupilles, il en devinait la structure. La première vraie accroche arrivait aux alentours de huit pieds. Peut être neuf. Quelque chose comme ça. Le Kokiri soupira, les yeux toujours fermés. Lentement, il recula. Le bois accrochait la pulpe de ses doigts, comme pourrait le faire une pierre un peu poreuse. Il s'éloigna, d'un pas. Puis de deux. De trois, de quatre, de cinq. Il aurait besoin d'élan. Plus que d'habitude, pour grimper sur de petits monticules, ou des Grands-de-Bois aux branches plus basses.
Une nouvelle fois, il soupira. Comme pour se vider de tout l'air qui emplissait ses poumons, avant d'ouvrir les yeux. D'avantage neuf pieds que huit, en vérité. Son regard, d'un bleu plus clair que la glace qui venait emprisonner certains pans du village en hiver, balaya rapidement de haut en bas, puis de bas en haut. Il fléchit les jambes, prêt à courir, avant d'inspirer un grand coup. Son talon, nu, s'arracha au terreau frais de la Forêt. Et le blondin démarra comme une balle. Un mètre cinquante. Ses yeux s'attardèrent un quart de seconde sur la grosse roche, à gauche de l'arbre. Un mètre dix-neuf. D'un bref regard, il prit en compte la façade de la masure, un peu plus loin, dans l'angle mort droit de son objectif. Soixante-dix centimètres. Ses pouces s'enfoncèrent sous ses doigts, contre sa paume. Quatorze centimètres. Link s'éleva en l'air, dans un bond planifié après le début de la course. Il avait déjà dépassé l'arbre depuis au moins trente centimètres quand la plante de ses pieds s'écrasa contre le mur du cabanon. Sans prendre une seconde pour réfléchir, entièrement guidé par son instinct, il laissa ses genoux se plier jusqu'à ce qu'ils n'en puissent plus. Aussitôt, Ses jambes se détendirent et il repartit en sens inverse. Son corps se tordait dans un angle un peu douloureux, tandis qu'il se retournait pour voir l'arbre de nouveau, mais il n'en tint pas compte. Ça ne serait pas bien long, de toute façon.
Bras en avant, comme s'il s'essayait au vol, il délia ses poings. Bien vite, et avant qu'il ne soit véritablement prêt, ses paumes rencontrèrent une première branche. Il tarda à s'agripper, et poussa un léger cri de surprise. L'écorce ne tarda pas à craquer sous son poids. Cette prise n'en était pas une, et il le savait bien. Trop fourbe pour qu'il puisse compter dessus. Il grinça des dents, alors qu'elle craquait de nouveau, et se penchait. S'il chutait, il ne s'en sortirait de toute évidence pas sans une fracture. Il était déjà tombé de plus haut, certes, mais ça n'avait jamais été ses expériences préférées. Sans prendre le temps de se livrer à une analyse, il tâcha d'enrouler ses petites jambes autour d'un tronc, mais n'y parvint que partiellement. Il lâcha la branche, d'une main, à la recherche d'un nouveau support, qu'il ne trouva pas. Son poignet droit, puis son bras et enfin son épaule partirent à la renverse. Le seul appui dont il disposait venait de se séparer de l'arbre.
Il ne hurla pas pour autant. Tout allait trop vite, sans doute, pour que l'idée même ne lui vienne à l'esprit. Les yeux grand ouvert, il voyait la terre se rapprocher. Vite. Bien trop vite. A peine eut-il le temps de se protéger le crâne des deux bras, qu'il percuta le sol. Douloureusement. « Ugnh... ... — » Souffla-t-il tant bien que mal, en se recroquevillant sur lui même, au sol. Il lui semblait qu'une lance - même s'il n'en avait jamais vu et n'était même pas sûr que ce genre d'instruments dont parlait certains Kokiris existaient vraiment - lui traversait la paume, le poignet et le coude. La douleur irradiait de cet espace infime entre l'ongle et le doigt jusqu'à la toute fin de son avant-bras. Ses yeux brillaient, tant il en avait mal. Et son nez était poisseux. Il collait étonnamment son bras blessé. Dans sa chute quelques branches lui avaient fouetté le visage avec suffisamment d'insistance pour y laisser trois minces rayures. Minces, mais assez profonde pour saigner. Une nouvelle fois, l'Enfant-des-Bois gémit, de peine. Il n'avait beau n'être encore que de bois vert, il en souffrait tout de même trop pour se relever.
Il tâcha tout de même de tendre le bras... avant d'y renoncer bien vite. Il lui semblait qu'un éclair, dont il ignorait s'il était de feu ou de glace, lui foudroyait le bras au moindre mouvement. Et bientôt, il lui fallut admettre qu'il ne pourrait plus compter sur ce bras-ci. Ses dents grincèrent à nouveau tandis que sur son visage, mu par la douleur, se brossait une colère brouillonne et confuse. Contre lui même, contre son inconscience, mais aussi contre son incapacité à ré-essayer. Ce défi qu'il s'imposait l'avait, pour l'heure, défait, mais tôt ou tard il saurait le remporter. Pour l'heure, il se contenta de rouler, jusqu'à se retrouver sur le dos. Et une fois sur le dos, il s'accorda quelques pour souffler. De là, il réitéra l'opération, jusqu'à s'appuyer sur son bras encore valide. Doucement, et sans forcer, le gamin se souleva. Dieu ! Que tout était plus simple quand on avait ses deux mains !
Quand il fut debout, le Kokiri n'eut d'autre réflexe que de plisser les yeux et froncer les sourcils. Il savait qu'il passerait un sale quart d'heure, mais la seule qui pourrait l'aider n'était autre que Saria, sa seule véritable amie parmi tous les enfants à Fées qui peuplaient la Forêt. Il ne lui fallut guère longtemps pour la retrouver : elle était de celles dont l'aura éclairait le village, et la sienne mieux que nulle autre. Le gamin à la tignasse d'un blond cendré s'élança, en courant d'abord, avant que le mal ne le rappelle à l'ordre. Si chaque pas n'était pas si douloureux, courir était un supplice.
"Saria ! Saria !" Il criait aussi fort qu'il le pouvait, tout en se gardant d'alerter les Kokiris à des lieux à la rondes. D'une part parce qu'il préférait une certaine forme de solitude à la compagnie de tous ces gens, et d'autre part... Il ne souhaitait certainement pas s'exhiber ainsi (et particulièrement blessé), face à certains qu'il n'estimait pas le moins du monde.