Posté le 16/03/2013 18:11
Il portait en permanence la main à sa gorge, à chacun des arrêts qu'il s'autorisait. C'était à me rendre folle ! Je ne réussissais pas à comprendre ce qui pouvait bien le prendre, et en raison de cela je ne pouvais m'en réjouir. Ou si peu.
Il était évident qu'il était en proie à une souffrance que nous ne connaissions pas, et de cela j'étais indubitablement joyeuse. Il est peu de choses en ce bas monde qui parviennent encore à m'émerveiller, mais l'entendre prononcer ce genre de plaintes depuis le départ réunissait sans mal tout ce qu'il fallait pour que je me délecte d'être encore vivante.
Des jours si pas plus que nous marchions sans nulle autre relâche que les rares instants où la lune brillait trop haut pour qu'il soit envisageable de continuer. C'est dans ces moments là qu'il se mettait en chasse et que ses gencives se couvraient d'un sang animal et étranger — pas le sien. En réalité, tout faisait l'affaire, pourvu qu'il y ai un peu de chair à dévorer. C'était là sa qualité ; il n'avait jamais fait le difficile. Tout ce que ces yeux décelaient étaient proies, et tout ce qui était proie était susceptible d'emplir sa panse au fond vraisemblablement percé.
C'était un limier qu'il était devenu, quoique j'ignore encore comment ce « Haut-Roi » Dragmire ai pu lui passer une laisse autour du cou. Le changement a été prompt et fugace mais semblait se pérenniser. Ce Seigneur du Désert dominait son chien de chasse par la peur.
Jamais nous n'avions tant voyagé que depuis ce sinistre jour, en réalité. Fedo ne m'avait emmenée qu'une et unique fois dans les Bois Perdus et pour cause : un Lobo au pelage noir-de-gris l'y avait éventré. Tandis que je pleurais sur sa dépouille, bien incapable de l'extirper des griffes de la mort (je serais bien en mal d'énoncer le peu de choses que je puisse réaliser, en vérité), le Traqueur enserra ma taille.
Les étendues sylvestres profondes s'improvisèrent notre domaine. Et puis vint ce jour où nous nous en éloignèrent, pour gravir la Montagne. Ca n'était pas le gibier qui manquait dans les bois, pourtant ! Et quand bien même, quand il rencontrait une pénurie, cet « Esprit de la Forêt » comme il se plaisait à se désigner, n'hésitait pas à tordre les cous et briser les nuques de nos amis Kokiris.
Cette nuit passée sur le Mont du Péril s'avéra plus riche en événements que mon existence toute entière. « Ca tire ! Ca tire et ça blesse ! » Pitoyable petite chose qu'il pouvait être depuis que le Gérudo l'avait soumis. De tout temps il m'avait inspiré un profond dégoût, je ne pouvais plus même cacher mon mépris.
Envoyés par delà les dunes, et les prairies, au plus profond du Lac nous avions à chercher. Cette marque qui se dessinait sur le dos de sa main – il me semblait bien qu'elle déchirait sa chair progressivement – représentait le plan qu'il nous fallait suivre. Somptueuse idée que de graver dans le sang une mappemonde évolutive !
Il posa cette même main sur une des colonnes de pierre blanche, qui montaient au dessus des eaux calmes de cette mer intérieure aux flots dénués de sel. La fatigue se lisait dans toute son attitude, de sa posture à sa façon même de se mouvoir. Cette marque que lui avait apposé l'enfant-mâle-parmi-les-femmes indiquait clairement l'endroit où nous devions nous rendre avec autant de précision qu'elle ne semblait sapper ses forces.
"Eeeernh ! Eeeernnh ! Ca être brulant ! Ca être trop chaud ! Vilain Roi-de-l'Eau-Rouge-qui-brûle !" Glapit-il comme pris de panique, avant d'enfoncer sa main droite sous l'eau. Son sang avait formé des lignes noires sur le dos de sa main (et qui se retrouvaient sur sa paume, comme si elles traversaient complètement sa patte) qui indiquaient le chemin. Visiblement pas soulagé par cette action il retira prestement sa dextre marquée. Ses ongles se mirent à la labourer en accompagnant tous ses cris qui m'arrachèrent un rire. Enfin viens le jour où le Traqueur sera brisé !
La marque brillait tout son saoul, malgré les griffes qui tâchaient de la déchirer. Vaincu et la main en charpie, le Limier se laissa chuter sur le dallage immaculé des vestiges du Temple Zora. « Vilain... Méchant ! Sssssssss..! » Siffla-t-il, alors que je soupçonnais des larmes qui courraient le long de ses joues. Si tel avait été le cas, elles auraient du s'écraser contre la pierre, dernier promontoire d'un antique lieu de culte, mais aurait surtout été preuve d'une forme d'humanité que je ne serais parvenue à croire. Il n'en fut rien.
La torture de cet animal reprit jusqu'à ce qu'il ne se jette dans l'eau. Je savais bien quelle en était sa peur, quelles étaient ses appréhensions. Mais ce sceau était éminemment plus fort que lui.
A ma grande surprise, des lignes de sang s'extirpa une bulle d'oxygène qui vint entourer le bas de son visage, pour lui fournir les apports en air que nécessiterait une telle traversée. Il agitait bras et jambes avec tant de force que je décelait sa panique sans même la voir. Chaque coup de bassin qu'il mettait pour tenter d'avancer m'envoyait voler contre cette sempiternelle cellule que je connaissais depuis des années si pas des décennies.
Nous coulions, sans qu'il n'y puisse quoique ce soit. La pression devait grimper, sans doute, et je me surprenais à espérer qu'elle ne fissure le bocal dans lequel j'étais enfermé. Après tout, quand bien même je ne pourrais quitter le lac, j'aurais eu loisir de me retrouver libre une dernière fois !
Il reprit contenance petit à petit, et je compris que ses pieds avaient touchés terre, comme si l'eau n'existait plus, il s'avança lentement jusqu'à tomber nez à nez avec un lourd grillage de fer oxydé. Sans que je ne saisisse la portée de ses actes – son instinct restait toujours aussi flou qu'au premier jours à mes yeux – il se mit à grimper s'aidant des divers barreaux d'acier.
Aussitôt qu'il lui fit possible de le faire, son poing s'abattit sur un cristal. Le genre d'interrupteur qu'on ne rencontre pas au plus profond des Bois Perdus.
Malgré cette masse aqueuse qui entourait et oppressait chaque particule physique, la grille se releva dans un vacarme assourdissant. Nous qui n'avions jamais quitté quitté le Domaine du très Vénérable Arbre Mojo à peine un mois plus tôt pénétrions dorénavant dans le Temple de l'Eau.
Ce véritable labyrinthe n'avait en fait rien d'une épreuve. Car tout aussi douloureuse qu'elle puisse être pour lui, la marque nous guidait sans heurt. Non, ce qui se révélait être complexe à traverser, c'était cet « étage » à gravir. Je le voyais regarder sa main puis au ciel. L'évidence était qu'il ne savait comment s'y prendre.
Ca nous jeta au sol. Je ne comprenais pas ce qui nous arrivait. Mon coeur s'accéléra à mesure que la peur ne le saisissait. Les sons qui glissaient à mes oreilles ne m'aidaient pas à me calmer. Les mandibules claquaient, la salive suintait sur les crocs de cette... chose. Ces bruits de mort, ça ne tarda pas à l'enhardir. Et bien vite – bien plus promptement que je n'aurais su le faire – son pied s'écrasa sur la gueule du monstre. Il répéta l'opération jusqu'à ce que l'arachnide géante recule. Une deuxième vint sur notre gauche. Je nous sentis décoller quand il bondit sur la première. Les dents frôlèrent son bras, y laissant une longue trace carmin. Sans s'en soucier, il retourna l'Araknon, et d'un coup violent perça le cuir tendre qui recouvrait son ventre si peu protégé.
" Ouuuuuuuh ! Le Traqueur est Roi ! Eeeernh ! Eeeernh !" Ses mugissement firent reculer la soeur de la moribonde créature. Le sang chaud recouvrait le bras du Traqueur jusqu'au coude, et le coeur de la bête continuait de palpiter légèrement entre ses doigts, dans le creux de sa main.
D'un geste victorieux, il jeta l'organe à la gueule de cette araignée géante à quatre pattes, avant de foncer sur elle. Bien plus rapide qu'elle ne l'était, il parvint à se hisser sur son dos caparaçonné. Ses jambes se refermèrent sur les flancs de l'animal, comme pour le garder prisonnier. Les coups commencèrent. Un oeil fut crevé dans un accès de fureur, et l'arachnide se mit à bondir partout, désorientée. Ses pattes la portaient sur l'eau, et sans doute espérait-elle se débarrasser de nous en s'y jetant. Triste erreur.
Ma main vint couvrir ma bouche. Je sentais mes tripes remonter depuis l'instant ou la pauvre bête avait été retournée, mais ces sauts successifs achevaient de me retourner les intestins. Trop concentrée sur mon état, je ne pus empêcher le choc d'écraser mon diaphragme. Je ne saurais sans doute jamais comment, mais il avait réussi à nous hisser là où la marque l'ordonnait.
La salle qui suivait était vaste ; bien trop à mon goût. Deux cascades qui s'enfonçaient dans des abimes aussi noires que la nuit. Si l'eau le paniquait, il ne lui fallut que quelques bonds supplémentaires pour gravir chaque plateforme et s'élever jusqu'à la prochaine épreuve. Plus simple d'accès physiquement, nous continuèrent l'avancée sans nous inquiéter de ce qui restait. La marque brillait avec une force qu'elle n'avait encore jamais manifestée.
Un coup d'épaule força la douce porte à sortir de ses gonds. Et nos yeux purent contempler une étendue vide.
"Dehors !" Grogna le Traqueur, en frappant de ses deux mains le film aquatique qui recouvrait le sol. « Le Corps-de-Fumé doit se lever ! Le Vouloir du Maitre ! » Continua-t-il, tout en frappant l'eau avec plus de rage encore, comme s'il cherchait à éveiller quelque entité enfouie.