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Aurore


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(vide)

Cette nuit-là je fis un doux rêve. Une enfant me tournait le dos. Dans l’une de ses mains se trouvait un archet qui allait et venait tandis que l’autre tenait fermement une vièle. Une musique enchanteresse se faisait entendre. Alors je m’approchais lentement, je contournais l’enfant, je tentais de la dévisager…

~~~

Je me réveillais en sursaut. Quelqu’un tambourinait à la porte de l’une des chambres du couloir.


« Je t’en prie reviens Anna… Ne me quitte paaaas. J’pourrais pas vivr’ sans toiii. »

Cela faisait maintenant bien une semaine que l’ivrogne essayait d’amadouer sa belle. A l’évidence il avait dû faire quelque bévue car la donzelle en question se murait dans le silence. Sans doute finirait-elle par le pardonner ou se lasser de ses geignements. Quoi qu’il en soit, je devais au balourd un bon mal de crâne, ce qui n’augurait rien de bon pour la journée à venir. J’avais l’impression que l’on m’avait arrachée à la douceur d’une tendre mélodie pour me plonger dans une cacophonie sans pareille. Je ne me souvenais absolument pas de mon rêve, juste la désagréable sensation que j’aurais voulu le continuer un peu plus.
Je m’approchais de la fenêtre et ouvrais les volets. C’était un matin d’automne comme les autres. Les étals étaient déjà installés sur la place, quelques villageois étaient déjà là, scrutant les meilleures offres.
Par cette heure matinale et ce froid, le lac Hylia devait être désert. Aussi m’habillais-je hâtivement, afin d’avoir le temps de m’y plonger à l’abri de regards grivois. Je pris, comme à mon accoutumée, mon épée dont le manche demeurait dissimulé dans un linge blanc puis posais les yeux sur ma vièle. Les eaux avaient su être clémentes une fois avec ma mémoire aussi peut être cela valait-il le coup de renouveler l’expérience en un autre lieu aquatique.


J’arrivais sur les bords du lac et me débarrassait des vêtements épais pour ne garder que le strict minimum. Peut-être était-ce par habitude, sinon par vieille coutume mais les eaux froides ne me déplaisaient guère. C’était comme si elles contenaient un pouvoir revivifiant, un remède à ma migraine, je n’aurais su le décrire autrement, mais une sensation de bien-être m’envahit. Je n’avais que peu de temps devant moi, je m’immergeais complètement. Je fis quelques brasses sous l’eau, admirant la végétation du fond lac, puis décidais qu’il était déjà temps de sortir. Je remis rapidement mes vêtements puis m’étendis quelques instants sur un tapis de feuilles dorées, récemment tombées des arbres. Je fermais les yeux. Une brise légère murmurait au creux de mes oreilles quelques notes mélodieuses, le chant du vent d’automne, emportant au loin les feuilles mortes.
Je rouvris les yeux et attirais à moi ma vièle. Je frottais mes mains l’une contre l’autre afin de les réchauffer quelque peu. Je me saisis de mon instrument et laissais couler l’archet sur les cordes. Un son retenti. Je fermais à nouveau les yeux et laissais mon esprit vagabonder au grès du vent.

Alors la mélodie reparut et je la laissais se poursuivre.


Astre


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(vide)

Sans travail régulier, j’avais un temps considérable à dépenser. J’étais de nouveau à vagabonder en Hyrule, comme un vieux fantôme errant qui ne fait plus peur à personne, une âme qui a tellement hanté qu’on a fini par l’ignorer. Seuls les gamins chargeaient leurs bas quand ils m’apercevaient, moi, pestiféré mental, lépreux social. Une grimace, la main sur le pommeau et ils détalaient comme des lapins. Enfin, cela, c’était quand ils ne se mettaient pas à rire avant de fuir vers d’autres aventures juvéniles. Je n’allais pas jusqu’à les poursuivre, je conservais un peu de dignité. La seule personne qui subissait mon influence était d’ailleurs un jeune gaillard que j’avais recueilli pour tromper ma solitude, et qui devait travailler à l’heure qu’il était. Il représentait la terre riche et fertile dans laquelle je voulais faire pousser mes mauvaises graines. J’envisageais d’en faire mon écuyer, mon chevalier-lige, le « protecteur » de l’Empire que j’allais fonder. Une quinte de rire fit cliqueter mon attirail. Les rêves impossibles sont les plus savoureux, mais ils laissent sur le palais une sorte d’amertume, l’aigreur de la déception.

C’était étrange, tout de même, d’être si inoccupé dans cette Hyrule en guerre. C’était comme si j’avais été figé dans une autre réalité, un autre plan, comme si je ne voyais les évènements que sous un filtre un peu terne, un peu passé. Etais-je véritablement devenu spectre ? J’évoluais dans un monde comme si j’y passais au travers : les gens semblaient ne pas me voir, ils ne me fuyaient pas plus qu’ils ne me fréquentaient. J’étais une page d’Histoire qui se laissait porter par le vent d’automne. Tout compte fait, j’étais peut-être mort, finalement… tous ces questionnements m’étaient permis justement par mon manque d’activité, j’avais pour seul loisir un peu macabre ce genre d’introspection, qui mène bien souvent à un égocentrisme exacerbé et une humeur poisseuse. Quelle époque trouble, si l’on y réfléchit. Les saints vivent au royaume des morts, dit-on. Je ne suis pas sûr que cela soit vrai : regardez-vous comme moi, morts en sursis, aliénés par des mœurs putrides qui n’en finissent pas de nous pourrir de l’intérieur. La forêt de notre âme est complètement parasitée par le lichen, elle se meurt doucement et nous n’y pouvons rien.

Mes yeux balayèrent l’horizon : les eaux du Lac Hylia paraissaient comme l’or qui fond, elles brillaient de mille feux car s’y reflétaient les centaines de paires d’yeux du soleil qui surveillaient avec force les cieux qui s’étendaient au-dessus de nous. Une jeune femme était allongée sur le sol, les vêtements humides et la peau luisante. Elle avait dû se baigner. Bizarre comme certaines femmes semblaient également hors du siècle, hors du monde, comme si celui-ci avait abandonné ses glacés assassins et ses grossiers bandits pour de gentils bouffons et de tendres chevaliers. J’avais beau être mort aux yeux des autres, j’étais homme du monde et une donzelle qui offre ainsi ses cuisses au soleil génère autour d’elle le désir ; j’ajouterai même que, quelque part, son corps le réclame et qu’il serait très peu courtois de refuser l’invitation. Mes pas me conduisirent jusqu’à elle, dont le visage pâle prenait une teinte dorée très charmante sous les rayons du dieu omnipotent.

Ma barbe me mangeait les joues, mes cheveux gardaient une longueur inaccoutumée ; de fait, malgré ma propreté, j’avais l’allure d’un rustre. Mais qu’à cela ne tienne, les femmes ne sont pas encore dévoyées par les images d’androgynes et ne cherchent pas à « aimer » ce qui les ressemble dans un désir malsain et déviant, elles conservent pour le moment leur autonomie animale qui les font désirer ce qui les comble physiquement. Pour se pâmer ainsi en toute liberté, cette gourgandine ne devait pas avoir qu’un seul maître. Un sourire goguenard se dessina sur ma face hirsute. Ma main s’approcha du visage avec l’intention d’en caresser les moindres contours.


Aurore


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Alors que mon esprit communiait à la nature un sentiment étrange m’envahit. Je me sentais tout à coup dérangée. Bien qu’aucun bruit de pas ne se soit fait entendre je sentais une présence au-dessus de moi. J’ouvris les yeux. Une main s’approchait de mon visage, lâchant mon instrument, je saisi fermement le poignet de l’inconnu stoppant ainsi net son geste. Les poils de mon avant-bras se hérissèrent lorsque ma peau entra en contact avec la sienne. Il y avait longtemps que je n’avais touché un homme. Comment avais-je pu être aussi naïve, alors que peu de jours auparavant, trois compères avaient fait preuve d’une perversité des plus répugnante à l’égard d’un jeune homme que je venais de rencontrer. Je cherchais des yeux mon épée qui était malheureusement hors de portée. Cette fois je n’aurais que ma langue pour me défendre.
Enfin je me décidais à scruter celui qui avait dérangé ma sérénade. L’homme n’était pas dénué d’un certain attrait. Un visage dont les traits ne me rappelaient guère ceux des habitants du village sur un corps longiligne. Peut-être était-il étranger ? Ces habits eux non plus ne m’étaient pas familiers.
Fronçant les sourcils, je levais les yeux vers les siens, une étroite pupille rouge s’y balançait, mais je ne pouvais dire s’il y avait une quelconque animosité dans son regard.


« Que me voulez-vous ? » lui demandais-je sur un ton froid et cassant. J’avais ma petite idée sur la question, néanmoins je n’avais su que dire d’autre.


Astre


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La gueuse s’était rendu compte de mon irruption dans son monde voluptueux : à présent, ses grands yeux en amande me dévisageaient comme si j’avais été une sorte d’animal étrange, une bête curieuse qui mérite qu’on lui accorde un instant de son temps. Sa main m’avait attrapé le poignet, j’étais bel et bien identifié comme un intrus. Le contact de sa peau sur ma peau m’avait légèrement fait frissonner.

Elle semblait s’interroger sur le souci de ma venue, comme quoi elle n’était pas aussi naïve qu’elle ne le paraissait. Après tout, quelles peuvent être les raisons pour un homme de tourner autour d’une jeune femme, par ce matin frais, comme un gros bourdon autour d’une jolie fleur ? J’eus un sourire goguenard, dévoilant mes dents carnassières, pour lui montrer que, si mes intentions ne lui étaient pas forcément bénéfiques, j’avais dans tous les cas beaucoup d’humour. Un humour grinçant, certes, qui ne servait que l’émetteur car le récepteur bien souvent ne pouvait partager le recul de la plaisanterie puisqu’il était lui-même victime de celle-ci. De fait, je pressentais que tous ses sens étaient en alerte : cette pauvre femme désarmée devait être en train d’échafauder un plan de défense avec la conscience cynique que celle-ci serait bien fragile.


« Que me voulez-vous ? »

Sa voix était un désert, une étendue aride qu’elle contrôlait avec brio. Pas de sentiment, ni joie ni peine, dans sa petite tirade. Diantre, elle se refermait comme une huître, elle qui était auparavant si ouverte aux vents et aux regards. Qu’attendait-elle ? Le prince charmant, elle aussi ? Si c’était le cas, je doute que la stratégie soit la bonne. Ecarter ses gambettes au premier venu ne produisait pas forcément de l’amour, généralement plutôt un bâtard indésirable et des souffrances post-traumatiques très lourdes. D’une certaine manière, je n’étais pas sûr que la femme savait vraiment ce qu’elle recherchait : à la fois consciente de son pouvoir de séduction, elle ne se rendait pas forcément compte que son corps désirait quelque chose que son âme rechignait à vouloir. Un non peut être oui, un oui rarement un non. La nature est bien faite.

Avant de lui répondre par la voie orale, je laissais mes yeux glisser sur son corps avec une lenteur exquise, plus un jeu qu’un réel désir, une volonté de la déstabiliser, de faire éclater son système de défense. Nous sommes dans un endroit isolé, je la regarde avec gourmandise, elle pourrait crier, espérant faire réagir la garde ou bien quelques Zoras courageux. En temps de paix, peut-être, mais de nos jours, la garde elle-même n’était pas souvent la plus exemplaire des corps d’arme et les habitants restaient reclus chez eux au moindre cri.


« Oh, je venais m’enivrer de ce petit matin… » commençai-je. Mon regard continua son inspection. « Je ne savais pas l’automne aussi langoureux », poursuivis-je avec un sourire narquois et des yeux pétillant de malice. Sa main formait un bracelet autour de mon poignet, car elle ne m’avait toujours pas lâché. Comme si elle concentrait toute sa puissance, toute son énergie, dans ce simple geste, pour me signifier d’emblée qu’il ne fallait pas la chercher, qu’elle pouvait être dangereuse. A moins qu’il n’y eut autre chose, mais je doutais fortement qu’elle pût avoir le temps de préméditer mon acte : seul son instinct de défense était réveillé. A voir si je pouvais en réveiller un autre…


Aurore


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Je lâchais l’inconnu. Il avait au moins cela pour lui de ne pas être violent, ou du moins pour le moment. Il semblait juste vouloir s’amuser, tentant de m’intimider. Me toisant lentement de haut en bas comme un prédateur sachant qu’il a déjà gagné ; sachant que la proie finira inéluctablement dans son estomac. Malheureusement pour lui, s’il avait cru tomber sur l’une de ces bourgeoises prête à crier au loup dès qu’un matou venait les accoster, il serait déçu. Je n’étais ni dupe, ni née de la dernière pluie et je sentais bien qu’il ne lâcherait pas l’affaire.

« Oh, je venais m’enivrer de ce petit matin… » Dit-il me laissant ainsi entendre pour la première fois sa voix grave. « Je ne savais pas l’automne aussi langoureux »  ajoutât-il de façon suggestive avec un sourire carnassier, les yeux brillants de ce bon repas dont il allait se délecter.

Tel était ma devise : il me fallait tirer profit de chaque situation, même si celle-ci en l’occurrence était bien corsée. Mon esprit commença à constituer lentement une toile arachnoïde, associant idée par idée. Je devais gagner du temps pendant que je trouverais ne serait-ce qu’un minime avantage à cette nouvelle rencontre. Je commençais à détailler son corps membres après membres en une sorte de mimétisme moqueur, espérant ainsi décrocher une quelconque réaction, qu’elle soit rire ou agacement. Se faisant, je constatais une nouvelle fois qu’il était bel homme. A moins que ce ne fût mon cruel manque de présence masculine depuis des mois qui me joua des tours.

Ma réflexion était achevée. Sans doute était-elle bancale, mais elle avait au moins cela pour elle de me préserver du risque d’être prise pour une fille facile. J’espérais que ma proposition aurait a minima, l’effet de surprendre quelque peu mon adversaire. Laissant planer un leger mystère autour de ma personne.
Je me relevais et prenais mon épée en main. Ne lui laissant pas le loisir de décider s’il y aurait affrontement ou pas, je la sortais de son fourreau. Ce qu’il désirait, il devrait le gagner.


« J’imagine qu’après ces sous entendus, le « tu » sera plus de rigueur que le « vous ». » dis-je en premier lieu.
« Je te propose un marché. Ou plutôt un duel à l’épée. » annonçais-je sans plus attendre. « Si je gagne, tu devras t’arranger pour parler de moi aux gens que tu connais et leur proposer mes services en tant que maître d’armes. Si tu gagnes… ma foi, tu auras ce que tu désires. » Je fis une courte pause avant d’ajouter sans détours : « Mais je dois néanmoins te prévenir que cela ne pourra se faire aujourd’hui. Je n’ai aucune envie d’avoir à assumer les conséquences d’un tel acte et il est certaines décoctions qui peuvent m’en préserver… Vois-tu, je ne me figurais pas que je ferais pareille rencontre à une heure si matinale et je n’ai donc pas pris mes précautions… »
Sans doute n’avait-il pas envie de savoir tout cela. Ces trucs de femme n’intéressaient guère les hommes. Pour eux, l’acte finit, plus rien n’avait d’importance. Il n’en allait pas de même pour nous les femmes.  Quoi qu’il en soit, je n’avais pas envie qu’il pense que je disais cela pour mieux me défiler.

De deux chose l’une, si je gagnais, j’aurais su tirer le plus grand profit de la situation. Et dans le cas où je perdais, au moins aurais-je la satisfaction de passer ce moment avec un homme d’une certaine trempe. C’était tout de même mieux que de se faire violer par une bête infâme. Et puis, ce qu’il me proposait aurait au moins pour utilité de me débarrasser d’une certaine tension accumulée par ces nombreux mois d’abstinence.


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La gueuse, sans prévenir, avait bondi et avant que je n’eusse le temps de réagir, son arme était orientée vers moi. Il y avait assez de distance entre elle et moi pour que je ne fusse pas inquiété entièrement, mais toute de même, la rapidité de son geste m’avait surpris.

« J’imagine qu’après ces sous entendus, le « tu » sera plus de rigueur que le « vous »". Quel toupet : la garce jouait sa vie avec tant d’insolence. Certes, j’étais celui venu troubler la paix de cette jolie dame, mais à la rigueur j’étais homme et guerrier et j’avais assez d’expérience dans le domaine pour me prévaloir de ce genre de dédain. La force finirait par l’emporter.

« Je te propose un marché. Ou plutôt un duel à l’épée. Si je gagne, tu devras t’arranger pour parler de moi aux gens que tu connais et leur proposer mes services en tant que maître d’armes. Si tu gagnes… ma foi, tu auras ce que tu désires.  Mais je dois néanmoins te prévenir que cela ne pourra se faire aujourd’hui. Je n’ai aucune envie d’avoir à assumer les conséquences d’un tel acte et il est certaines décoctions qui peuvent m’en préserver… Vois-tu, je ne me figurais pas que je ferais pareille rencontre à une heure si matinale et je n’ai donc pas pris mes précautions… »

Quelle tirade ! quelle source de mots ! cette gourgandine ne méritait pas seulement ce qui allait lui arriver, elle le désirait réellement, puisqu’elle supputait qu’il y avait cinquante pour cent de chances pour que le mauvais sort ne s’abatte sur elle à grands fracas… et à grands cris. Cette fille faisait preuve d’un cynisme et d’une froideur d’esprit assez consternante : elle tentait de tromper la peur en anticipant le pire qui pouvait lui arriver. Elle retournait la situation à son avantage, faisant de moi non plus l’agresseur mais le pourvoyeur de services. En acceptant son défi, elle m’obligeait moralement, dans la victoire comme dans la défaite, à me plier à ses conditions et donc à répondre à ses attentes. Or, cela contrevenait totalement à l’esprit d’agression. Cette fille n’avait rien compris : un homme ne se contente pas de ce qu’on lui laisse prendre, un homme aime prendre ce qu’on ne veut pas lui donner.

Pour qu’elle me proposât ainsi ce marché toute honte bue, il fallait bien que cette femme fût ou bien folle, ou bien en manque, ou bien syphilitique. La garce cultivait-elle en son jardin secret de moisis champignons ? J’eus une bouffée de dégoût. Pestes soient les femmes ! (et cette pensée commençait à me revenir par trop de fois). Je sortis mon épée de son fourreau, la laissant pointer vers le bas comme si j’avais dans la main ni plus ni moins qu’une bêche ou une pelle. Ma nonchalance était assez arrogante, je le reconnais : je gardai une impavidité solennelle sur le visage, et conservant mon mutisme de circonstance, je me jetai sur la belle, senestre et dextre toutes deux sur le manche de mon arme. L’utilisant comme une lance, transperçant dans un premier temps l’air devant la donzelle en subodorant que cette dernière allait parer avec plus ou moins de difficulté cette attaque assez bancale. J’y avais cependant mis assez de force pour qu’elle fût au moins décontenancée par la violence du coup.





Aurore


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Pour toute réponse, l’homme sorti l’épée de son fourreau. Il me fit penser à un bourreau, exécutant sa tâche sans plus de plaisir qu’un boucher ne découpe un morceau de viande. Son expression semblait résignée avec un je ne sais quoi d’assurance. Comme si de toute manière ce n’était qu’une histoire de temps avant qu’il n’obtienne son dû. Je posais les yeux sur sa dextre, un léger crispement m’alerta. Une fraction de seconde après, la bête se jetait sur moi, pointant son dard avec violence. J’eus tout juste le temps de faire un bond en arrière ; le combat était lancé.

Reprenant mes esprits, j’assenais un coup d’épée dans la sienne, répondant à sa violence par la mienne. L’effet ne devait pas être le même. Ma condition féminine m’empêchait d’être son égal du point de vue de la force de mon geste. Mais j’espérais au moins faire dévier légèrement son bras de sa trajectoire initiale et ainsi le déstabiliser quelques peu.
Nous échangeâmes quelques coup cherchant à nous déstabiliser l’un et l’autre en une sorte de danse de fer. Chacun de nous se retrancha du côté de « son » territoire, préparant surement le prochain coup. Je me rendis à l’évidence, je n’étais pas la seule à posséder des qualités d’épéiste.


« Puis je connaître le prénom de mon adversaire ? » lui demandais-je le souffle court.

Je gardai mon épée en position de défense, peut-être n’aurait-il pas envie de répondre et en profiterait-il pour m’assener un nouveau coup rapide.


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Après quelques échanges de coups, une sorte d’évaluation réciproque des capacités combattives de l’adversaire, nous finîmes par nous fixer, chiens de faïence essoufflés. La jeune femme prit les devants des négociations, elle devait se dire qu’elle ne ferait pas le poids et déjà la renarde usait de ses stratagèmes féminins pour mettre en suspens un duel dont elle ne ressortirait pas vainqueur.

« Puis je connaître le prénom de mon adversaire ? ». Sa voix s’était faite discrète. Une brise un peu fraîche avait accompagné la question, et soulevé au passage quelques mèches brunes rebelles. Ses yeux limpides continuaient à me guetter : elle était comme un chat sauvage, prête à cracher, griffer, tousser ; prête également, lorsque le moment l’exigerait, à ronronner, se frotter, câliner. J’étirai alors ma nuque, pour me donner un temps de réflexion. Finalement, j’étais en train de me demander si j’avais véritablement envie de la réduire à néant et de profiter, une fois victoire acquise, d’un corps dépossédé de son énergie propre, endolori, tordu et fragilisé, et dont les muscles tendus rendraient la chair non ferme et vigoureuse mais raide et difforme. Et puis je me laissais prendre à ce jeu de félin filou, de chat-souris et souris-chat qui se tirent l’amour pour mieux fuir aussitôt.

A sa mine susceptible je lui opposai un large sourire gourmand sous des yeux pétillants de malice. Il était évident qu’elle ne savait pas encore ce qu’elle voulait ; elle se rendait compte du danger, elle tentait de le capitaliser peut-être spirituellement même si, en l’état des choses, une femme agressée restait une femme agressée et ce même si, au terme des négociations, elle finissait par profiter de cette attaque impromptue. Je me doutais bien qu’elle cherchait à gagner du temps, pour mieux se faire à l’idée d’une défaite inévitable. Je devais bien lui reconnaître un esprit clair et concis, assez surprenant de la part d’une gueuse dont la réalité biologique en fait généralement de lamentables pleureuses. Pour autant, il était également évident qu’elle n’était pas trop mal tombée ; que je n’étais ni gros, ni gigantesque, tout en subtilités et en beauté glaciale, un véritable artiste de la profession. Cela pouvait faire pencher son esprit en faveur d’une conciliation quasi-volontaire avec la défaite. Que quitte à perdre, autant donner de bonne grâce son tribut au vainqueur.

« Mon identité n’est nullement secrète. Astre est mon nom. » Je m’étais fait grandiloquent épéiste, alliant l’art de l’escrime à celui des mots. « Et toi, jeune femme ? ». Mon ton était volontairement condescendant : après tout, c’était une gueuse en passe de perdre. Je n’avais pas à limiter mon dédain au nom de conventions homme-femme déjà bafouées par mon intrusion dans son intimité. Intrusion qui pourrait se poursuivre à des fins plus physiques et jubilatoires. Ah, cueille-le jour et fais-toi plaisir, tu ne sais pas de quoi est fait le lendemain !



Aurore


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Je retenais mon souffle, suspendue aux lèvres de l’intéressé. Il marqua un temps de pause comme pour ajuster au suspens de la scène. Il semblait en pleine réflexion. Je ne m’attendais pas au regard malicieux suspendu d’un sourire affamé qu’il me fit. Je restais de marbre ne sachant comment réagir.
Malgré la situation, cet homme commençait à éveiller mon intérêt. J’avais du mal à le cerner. J’avais toujours eu une certaine représentation des hommes qui pouvaient violer une femme : barbares, rustres, manquant cruellement d’intelligence et pourtant il ces traits ne semblaient pas correspondre à mon adversaire.


« Mon identité n’est nullement secrète. Astre est mon nom. » dit-il enfin. « Astre » me dis-je en moi-même. J’esquissais un sourire. C’était un joli prénom. Restait à savoir s’il s’agissait de l’Astre du jour ou de celui de la nuit mais quelque chose me poussait à croire que l’homme que j’avais devant moi était plutôt lunaire que solaire.
« Et toi, jeune femme ? » je fus surprise qu’il me le demandât. Cela le rendait plus humain bien que le ton de sa voix indiquait que ça ne changerait pas grand choses qu’il le sache ou non. Sans détour je lui répondis : « Aurore, je m’appelle Aurore. ».

Je ne savais plus que faire… poursuivre la discussion qui semblait se profiler sous les hospices de la banalité ou reprendre les hostilités là où elles s’étaient arrêtées.
Je m’avançais lentement vers lui arme toujours brandie attendant de voir comment il réagirait. Quelque part j’avais envie de rire que cela soit dû à la nervosité ou simplement à l’étrangeté de la situation que j’avais co-créée.


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Aurore, je m’appelle Aurore.

Ce prénom faisait écho au mien. J’étais le moyen, elle la fin. L’aurore, c’est le moment de destruction délicate où la nuit et le jour fusionnent, où les deux dieux s’affrontent dans une lutte à mort. Le vainqueur est désigné d’avance, la nuit n’y peut rien. En hiver, elle peut retarder ce moment de plusieurs heures, mais l’été lui ronge une grande partie de son domaine. Et Aurore, la belle Aurore, cette Hélène pour laquelle s’entretuent les deux dieux Diurne et Nocturne, rayonne avec mélancolie sur le monde qui s’éveille. C’était une belle légende que celle-ci… une légende qui faisait écho aux saintes écritures de la Trinité.

J’eus une sorte de sourire triste : les femmes sont vraiment le poison de l’homme, elles portent en elle la langueur du vice qui détourne le guerrier de ses objectifs premiers. Pour l’homme, même le plus reclus, même l’inverti, la pire des gueuses reste un joyau pourvu que sa figure réponde à ses critères esthétiques. Et quand bien même déciderait-il de s’en détourner, de faire battre toutes les putains et de les envoyer mourir en régiments entiers dans des abattoirs gigantesques, un mot sucré suffit à lui faire perdre raison. N’ayant aucun objectif pour le moment, errant entre plusieurs mondes sans savoir lequel choisir, je suis encore plus perméable à ce genre de créatures. C’est que je prends parfois les choses trop au sérieux, je suis trop globalisant, et même si j’ai raison, je deviens angoissé, obsédé, perdu entre le vice et des sentiments plus purs. Je perds mon intégrité. Pestes soient les femmes.

Aurore, belle Aurore. Je ferais mieux de te tuer. Je m’approchais d’elle avec nonchalance, le pas léger, sûr de moi-même, et d’un mouvement de poignet finement exécuté, je désarmai la musicienne.

« A présent, que faisons-nous ? » lui dis-je, narquois et carnassier, le carquois verbal encore plein de flèches empoisonnées. C’était un bel échauffement, nous nous étions bien amusés, mais il s’agissait dès à présent de faire un choix, celui de la mort, celui de la vie, celui de la douceur, celui de la dureté. Dualité complète, manichéisme violent, pas d’entre-deux, purement biblique… la vérité est bien souvent plus équilibrée, mais je préférais découper les choses ainsi. C’était plus cruel pour elle, cela semblait plus abouti.

Le froid commençait à devenir désagréable, malgré mon lourd manteau et mes nombreuses couches de tissu. Pestes soient les femmes et leur chant de sirène. Ennemies mortelles.


Aurore


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Je regardais mon épée s’écraser lentement avec fracas sur le sol, emportant avec elle mes chances de dominer la situation.

« A présent, que faisons-nous ? » dit-il, savourant le plaisir de se sentir maître de mon destin.

Le soleil fit une pâle apparition entre deux nuages. Il réfléchissait ses rayons sur le visage immaculé de mon adversaire. J’eu envie de le toucher pour rendre la situation bien réelle. J’approchais ma main de sa joue et la laisser l’effleurer, comme lui-même avait voulu le faire auparavant. Je rencontrais des poils hirsutes provoquant de légers picotements sur mes doigts. Son teint blafard avait tout de même quelque chose d’apetissant. Une sorte de mélancolie enchanteresse. Je songeais que de bourreau il pourrait passer à amant, comme dans l’une de ces balades que chantaient les ménestrels. Asséner la vie par un acte symbolique ou embrasser la mort. Choisir la douleur ou le plaisir. Au fond, peu m’importait de mourir ou de vivre, je n’avais rien à perdre. Aucune famille, aucun ami, tout juste des espoirs qui s’étaient profilés à l’horizon.
Je fis le choix, qui peut être à ses yeux n’en était pas un, de le laisser maître de la décision. Au moins aurais-je la satisfaction de ne pas lui en apprendre d’avantage sur moi-même. Car toute décision quelle qu’elle soit révèle la personnalité de celui qui la prend.


« Ma foi… c’est toi qui tiens l’arme, la suite dépend donc de toi. » dis-je un peu maladroitement.

Je restais droite et le visage impassible, sachant que peut être je vivais mes derniers instants. Au fond, de son côté, qu’il me tue ou qu’il me baise, cela assouvirait ses pulsions. Restait à savoir laquelle des deux modalités lui procurerait le plus de plaisir. Puis me vint l’esprit qu’il n’avait peut-être même pas à choisir. Rien ne l’empêchait de mettre à exécution les deux options l’une après l’autre.
Je regardais ses prunelles rouges appelant le sang. J’avais peur. De manière futile, je m’accrochais au semblant de dignité qu’il me restait, ne laissant rien transparaitre de mes émotions. Peut-être n’avais-je pas pris conscience du potentiel monstre de barbarie qui se trouvait devant moi.


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(vide)

La situation avait fini par tourner à l’aigre doux. La brise et le silence ne parvenaient pas à réduire le taux d’étrangeté dans l’air. Je la tenais en joue. La belle Aurore était sous mon joug lunatique.  

J’aurais pu batifoler avec cette vagabonde comme je l’aurais fait avec une putain ou une courtisane. J’aurais atteint une jouissance matérielle instantanée, et puis mon esprit aurait senti le vide caractéristique de l’après-jouissance l’envahir. Vide ou accomplissement, tout dépendait du jouisseur… mais je me savais peu inspiré par la réalité. Un fantasme finit d’être magique une fois qu’il est accompli. Et pour autant on continue de subir son joug tant qu’il ne l’est pas. Situation délicate que celle où il faut choisir entre frustration et déception. Elle était belle, pourtant, un brin sauvage. Mais mon amour pour la gente féminine était doublé de mépris et de haine. Elles ne comprenaient rien, elles ne voulaient rien comprendre, elles vivaient dans leur petit monde de séduction et de veulerie ; le pire, c’est qu’elles tentaient de nous y entraîner. Nous, les hommes, la race des hommes, promis à de grands destins… à peine commencions-nous l’ascension que la chaîne qui nous enserrait le pied nous tirait vers le bas. La douleur était réelle. La femme, dans l’esprit de l’homme, était un but à atteindre, un rêve miroitant à aimer sans relâche, un mirage. Non, gueuse, toi et ta réalité m'avez beaucoup trop ennuyé...

Une saute d’humeur et j’arrêtais de sourire, de jouer avec le feu. Déjà je voguais sur des eaux plus glauques, grises et lentes. J’étais sur une barque, symbole de vie, et flottai sur la mort. Les deux se touchaient, comme par obligation. Moi, je trempai mon pied dans cette gadoue terne. Un pied dans la tombe.

Je secouai la tête. Je n’allais pas la tuer, c’était stupide. Je ne suis pas un psychopathe. Sociopathe, certainement, mais je ne m’amusais pas à assassiner des demoiselles pour le simple plaisir. Lenneth était une exception, un coup de folie, un autrefois, une autre époque. Non, Aurore, tu ne mourras pas aujourd’hui. Je souris à cette pensée sarcastique. Dans mon royaume boueux de mélancolie, j’étais souverain.

Mon épée finit par se ranger toute seule dans son fourreau : j’avais fini de m’amuser, il était temps pour moi de poursuivre mes errances, comme un mort perdu au milieu des vivants, une âme vagabonde qu’on a renvoyé du domaine des macchabées. Mes yeux se posèrent sur le doux visage d’Aurore, s’appesantissant sur chaque partie, nez, bouche, menton, front, pommettes, et puis sans crier gare, je finis par lui tourner le dos et partis. Longeant le lac reflet du ciel, gris et funèbre, une plaque de fer qui exhale dans l’air ses odeurs minérales.