Il tritura un instant la flute de Skull Kid qu'il avait volé à un enfant perdu. En un instant, il nous éleva aussi haut qu'il était possible de monter sur cette pseudo falaise qui bordait cet espèce de canyon miniature, porte vers la Forteresse. Entre ses dents dormait ces boulettes vertes et feuillues que seuls les plus noirs des Fils-du-Vénérable avaient un jour vu. Non seulement, il était important qu'elles soient humidifiées pour tenir toutes ensembles et ainsi jouir d'un effet des plus efficaces, mais en plus ses mains étaient ainsi débarrassés de tout ce qui aurait pu nous mettre en danger au cours de l'ascension.
Bientôt, notre silhouette se dessinait derrière les deux sots qui s'étaient aventurés à découverts dans un accoutrement aussi ridicule que celui que portait l'animal qui me servait de compagnon. La flute-sarbacane quitta sa hanche, pour rejoindre ses lèvres. Il souffla sèchement, projetant une à une les petites masses sylvestres au pied des ingénus et naïfs ennemis de notre dorénavant Roi à tous les deux. Les vapeurs, portées par le vent ne tarderaient pas plus d'une minute avant de faire effet. Sous peu... Leur sang s'épaissirait bloquant progressivement leurs veines et artères. Et les Trois catins savaient à quel point cela pouvait être douloureux : Fedo n'aurait pu tuer le Lobo qui l'avait éventré s'il n'en avait pas enduit sa lame auparavant.
Et puis il commença à jouer, doucement, pour les pousser à se retourner. Un de ces airs macabres, un de ces airs qui débutait si tendrement, délicatement, pour finir au contraire enfiévré, déchaîné, sans plus rythme ni tempo. Fou. Tout à fait fou. Si les idiots se retournaient ou se lançaient à sa poursuite, dans la mesure ou c'était possible avant que ne s'écoule la pauvre minute qu'il ne leur restait, ils auraient le somptueux déplaisir de se retrouver acculés par une dizaine des ces rousses qui n'éprouvaient aucun remords à frapper de dos. Si le poison ne les tuait pas, sans doute l'acier le ferait !
La course reprit. Nous bondirent, et en un instant furent à nous hors de portée. Ils auraient bien trop à faire pour nous suivre...
Les pattes de l'animal, malsaines, effilées, longues et maigres comme autant de serpents qu'il ne possédait de doigts, s'amusaient à torturer la soie blanche et sublime. Chaque nouvelle rotation qu'il infligeait au fil d'Arachne la Skultulla en brisait un peu plus la beauté, sans en affaiblir la resistance. Ces araignées massives qu'il avait su dompter pour extraire plus de cordage qu'il n'aurait fallu pour couvrir l'ensemble de la plaine d'Hyrule n'avaient guère eu le choix quand le monstre avait commencé à les éventrer une à une. Désormais, le chef d'oeuvre complexe de ces créatures aussi effrayantes que fascinantes se retrouvait tordu, noué, malmené par les doigts osseux et secs de cette maudite chimère. Et tandis qu'il ne fixait sa toile sur une des roches, bien caché tant du soleil que de toute forme de vie qui aurait pu exister, son atroce petite voix murmurait doucement des mots qui aussi pervers et vicieux que le Désert ne savait être fourbe.
”Blanc est le fil, blanc
Blancs, les cadavres, blancs,
Blancs, les ossements blancs,
Blanc le fil de l'araignée ? Non, non
La grosse bête dévorer nous avons,
Rouge la soie, rouge les nuages pleureront
Et sur les gorges blanches nous danserons !”
Le Traqueur continuait de tourner la corde autour du rocher, non loin de la dernière prise du Malin. La marque sur sa main droite n'entamait plus sa chair, dorénavant, mais la cicatrice restait suffisamment vivace pour qu'elle ne m'échappe pas. Qu'il fusse question de lui ou de moi, doucement nous commencions à prendre conscience de ce que signifiait véritablement devenir le Limier du Dragmire. Nous comprenions. Et en toute sincérité, chacun d'entre nous y trouvait son compte. Bien qu'il y perdait l'adrénaline de la chasse et qu'il lui arrivât – souvent – de se plaindre de la douleur due à la marque, nous y trouvions notre compte. Il avait espoir de tuer, j'avais espoir de le voir mort. Quoi de plus efficace pour lui ouvrir la jugulaire qu'une belle épée d'acier forgé ? Les Kokiris n'en avaient jamais eu la moindre. En revanche, la guerre promettait de fournir nombre d'hommes en armes tous plus capables les uns que les autres. Aujourd'hui plus que jamais il me devenait possible de le voir étendu au sol, noyé dans un flot carmin. Nous aimions cette voie qui se dessinait sous nos pieds, oh oui nous l'aimions.
"
Oui, oui, nous danserons. Des cous et des gorges le Roi-de-l'Eau-Rouge-Qui-Brûle a promis !" Cette joie morbide donnait à sa voix pourtant éraillée au point d'en devenir frêle un ton presque heureux. Il m'était purement et simplement impossible de distinguer ses yeux — je ne les avais vu qu'une seule et unique fois, mais je me le representais devenus immenses et rieurs comme ceux de Fedo quand Selina avait été jusqu'à poser ses lèvres sur ses joues. Cette fois-ci la jalousie ne s'emparait pas de moi, bien au contraire. Cette même adrénaline nous envahissait tout deux. Et, contrairement à ce qui avait été décidé (ce que j'avais pu en saisir, en fait), notre vol démarra avant que le Cygne – trop d'animaux, et bien plus encore à plumes dans les environs – n'en lance le signal. Le Chien voulait grimper ? Il grimperait.
La finesse que l'on pouvait reprocher à ses doigts n'en demeurait pas moins l'un de ses premiers atouts quand il s'agissait pour nous de nous élever à même la pierre. Ses mollets comme ses cuisses, forts de dizaines d'années de pratique nous emmenaient toujours et invariablement plus haut, plus loin. Du moins... Usuellement. Dans le silence le plus absolu qui soit, la bête du Seigneur Ganondorf avait su pratiquer une désescalade parfaite sur le flanc de la falaise. A quelques pieds de nous chantait joyeusement la rivière issue des chutes. Le faciès mutilé de l'hybride – mi humain, mi animal en un sens – se reflétait entre les vaguelettes tranquilles. Si une moitié de son visage conservait un aspect doux et agréable, l'autre était... —
Traverser la rivière n'était en réalité pas si complexe que ne l'avait été le chemin jusqu'au Temple de l'Eau et bien vite nous étions à nouveau en train d'escalader à même la roche. En provenance du flanc Ouest, nous affrontions dorénavant le flanc Est, de l'autre côté du Pont de bois. Lequel devrait bientôt brûler de toute évidence.
Le Traqueur détacha la corde de soie qu'il avait conservé accrochée à sa ceinture jusqu'à présent, pour mieux la fixer à un pan de la falaise. L'instinct lui dictait certainement que le passage le plus évident qui reliait les deux rives ne serait plus praticable bientôt. Je doutais qu'il ai pour autant saisi l'idée du Cygne Noir.
Nous pénètrent la tente en arrivant par le bas-côté, camouflés par les roches et les Ombres. Il s'arrêta et huma l'air, comme inquiet. «
Ca pas sentir les Grands-Bruns-et-Verts-qui-craquent. » Cracha-t-il, avant de se diriger vers les deux hommes, assoupis. Ses mains brisèrent la nuque du plus vieux avant de se diriger vers une caisse, le détournant de son second objectif : la gorge de celui aux cheveux-azurs.
"
Pouah !" Souffla-t-il à nouveau en découvrant le contenu du coffret de bois : des explosifs ; de la poudre et de quoi tout faire sauter.
Quand la tente et tout ce qu'elle contenait fut balayée par le souffle surpuissant de l'explosion, nous étions déjà loin. Nul doute que le garçon aux cheveux bleus souffrirait de lourdes séquelles, s'il survivait à la deflagration Le fil de soie s'était improvisé tyrolienne, la bête était rentrée.