Les Fils de Din.

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Franc


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(vide)

Ah, ça y était, les rouges collines étaient en vue. De loin je pouvais déjà observer les nuages de poussières, véritable ouragan sablonneux capable de vous décaper la peau jusqu'à l'os. Mais je ne m'étais pas farci des kilomètres harassants de plaine pour admirer ce paysage brûlant. C'est que j'avais une curiosité à satisfaire, moi. Une vraie. Je voulais voir le Mal en personne. Les habitants, lapins terrifiés dans leur terrier, vantaient en tremblant les mérites du gérudo, allant jusqu'à l'allégorie suprême : c'était le Diable en personne. En effet j'avais découvert il y a peu dans mon Hyrule peuplée de licornes et de fleurs, que les méchants existaient.

Le voyage pour se rendre aux occidentales contrées arides fut pénible. Le soleil bien que printanier dardait avec enthousiasme sur ma petite tête et la chaleur était devenue bientôt insupportable sous l’effort de la marche. Sans carte, ma destination fut jalonnée d'erreurs, d'autant que les badauds semblaient refuser de me donner des indications. "Non, on ne te conduira pas en Enfer, petit". C'était donc ça Hyrule ? Des superstitieux trouillards et tyranniques qui m'imposaient leur peur comme loi ? Je revendiquais le droit à la folie. A la connerie même. Je revendiquais la liberté de faire n'importe quoi au mépris de ma sécurité.

En poursuivant cependant la mort du jour, je pus trouver mon bonheur. Un monde de rocailles brûlées et poncées par les vents infernaux. Des vallées sèches entre des pics tranchants faisaient chanter les rafales. La voix de la terre était profonde et terrifiante, m'écrasant de ses notes graves. J'éraflais mon petit corps tout en coudes et en os sur les arêtes des rochers. Il me fallait voir l'océan de sable. Après avoir lâché mon tribut de sang sur les pierres, j'y parvins enfin.

Le spectacle à couper le souffle m'ôta toute pensée. Une sorte de crainte anima mes boyaux à la vue de la forteresse Gérudo. Je ne la voyais que très peu, édifice de moellons gris sur fond jaune.  Cette partie du monde était interdite à qui n'était pas un "sbire". Oui, l'univers avait peur de quelques écumeurs, de quelques pirates des plaines soumis à un prestidigitateur surdoué. J'avais espéré aussi entrevoir les hanches larges des amazones, mais c'était peine perdue.


«Alors c'est ça, "Ganondorf" ?» Fis-je pour moi-même et pour mon maître. Je le savais déjà présent, m'épiant au détour d'une caillasse comme un crotale à l'ombre.

Astre m'avait enseigné bien plus que la vie. Il avait pourri mon monde de sa vision décadente et instillé en moi une schizophrénie déroutante. Je crois qu'une âme putride s'était mélangé à mon esprit simple. Le résultat mettait mes réflexions à rude épreuve, c'était une soupe aigre-douce épicé de contradictions. Je savais, par science infuse peut être, qu'Hyrule était complexe. Je sentais que tout était lié par des ficelles invisibles. Mais mon raisonnement d'enfant coupait de ciseaux puérils tous ces liens trop complexes. Il y avait le Blanc et il y avait le Noir, pas plus. On m'apprit que blanche était Zelda et noir était Ganondorf. J'avais vu l'une, mais point l'autre. D'où mon voyage jusqu'en Gérudo.

"Alors c'est ça, le "Noir" ?" pensais-je.

En réalité, tout semblait finalement gris. Trop peureux était ce monde pour basculer d'un coté. Il était pétochard, ne réfléchissait que par des " et si ... ?" sans jamais avoir le courage d'agir, des fois qu'il se trompe ! Ce monde était voué au statisme total, piégé dans une éternelle boucle insipide. Donc, ce monde n'était point Blanc. Et s'il n'était point Blanc, c'est qu'il était Noir tout simplement. Infaillible déduction. Mais quelqu'un pouvait il faire changer tout cela ? Était-ce seulement possible ? Hé bien oui, ça l'était. Le futur n'était pas écrit et restait à construire.

Après tout, est-ce que l'argile demande à son potier : que fais tu ? Cette glaise qu'est Hyrule se soumettrait aux mains expertes de glorieux faiseurs, car j'avais vu, oui, j'avais réellement vu qui étaient les héritiers bâtisseurs de Din. La Divine Rousse avait pétri de ses mains le néant de jadis, les esprits mortels modèleraient de leurs idées la fange d'aujourd'hui. Les races, toutes sans exception, grouillaient sur ce sol mais jamais n'élevaient les yeux au ciel. Leur existence naissait et crevait au ras de la terre. Il fallait l'intelligence de certains pour qu'Hyrule vécût. Elle ne faisait qu'attendre à ce jour. Mais attendre quoi ? Que les ambitions ridicules de quelques champion-magiciens, faiseurs de miracles se réaliseraient ? Non, aux regards des Dieux, ils se contentaient de faire apparaître des colombes dans des chapeaux. La grandeur est morte avec ces héros querelleurs, ces enfants railleurs.


Astre


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(vide)

C’était le désert, la dictature du chaud et de l’ocre, pas d’horizon libérateur dans cette étendue interminable. Franc paraissait, malgré la fatigue, tout guilleret de ces petites aventures. J’admirais sa jeunesse, sa fougue, sa foi surtout, qui restait intacte, malgré les viols commis sur son esprit. Je le sentais changé, mûri, plus cynique, mais la belle part de son âme continuait à habiter son corps juvénile. Tant mieux, d’une certaine manière… Arkhams aurait tout temps de s’installer dans cette enveloppe corporelle plus tard, s’il lui en prenait l’envie.

Loin devant moi, Franc dévorait du regard tout ce qu’il voyait, tout ce qui pouvait enrichir ses maigres connaissances du monde extérieur. Parfois, il souriait : une grimace imbécile et béate assez communicative. Ce morpion avait sur moi un effet attendrissant ; je m’énervais moins, j’étais plus calme, la haine était plus réfléchie. D’une certaine manière, j’étais plus posé, plus attentif à ce qui m’entourait.

Withered est repartie. Sans prévenir. Elle n’a jamais été friande d’adieux, c’est une grande sensible dans le fond. Ca tombe bien, moi aussi. Avant qu’elle ne disparaisse, nous avions entamé des négociations avec un brigand dont le nom m’échappe, parce que son importance n’est pas primordiale, parce que mes pensées sont véritablement retournées à la source de toute ma motivation : le groupe, autrement dit la perfection, l’entité complète, les Profondes Ténèbres. Tsubaki fut la première à s’éclipser : elle avait dû retourner dans sa forêt, en quête de cette paix intérieure et de cette stabilité matérielle qui avait toujours été ses besoins les plus criants. C’était son côté spirituel : moi, j’avais renié le mien, je m’étais enfoncé dans le matérialisme le plus cynique, j’avais abandonné toute aspiration supérieure à ma propre personne. J’étais la créature de l’individualisme, et en ce sens, mon individualité en avait pris un coup. Je comprends mieux, aujourd’hui, maintenant que Withered s’en est retournée dans des contrées lointaines. Nous ne nous reverrons probablement jamais. Arkhams est mort. J’aurais dû me douter que, lui fini, je ne pourrais plus jamais rien créer de bon. Tous mes échecs et toutes mes victoires ont toujours dépendu de lui, d’une certaine manière. Il était ma force et ma faiblesse. Il était mon frère. Je n’arrive pas à te rendre hommage, Withered… ta force tranquille, ta froide détermination, tu étais une tueuse. La perfection n’existe plus, j’en suis réduit au stage de l’homme terrien. Je me rends compte, maintenant, à quel point la solitude ne m’a jamais quitté. A quel point tout mon univers, forcément égocentrique, s’est forgé autour de mythes et d’absurdités. J’ai polarisé autour de ma personne des individualités fortes et originales, des héros. Aujourd’hui, ils sont partis. Aujourd’hui, je ne suis plus rien.

La grisaille a vaincu. Il ne reste plus rien : plus de rêves, plus de héros, que des morts vivants, que des créatures amoindries et stupides. Hyrule est figée dans une situation sans lendemains. Ganondorf est assez fort pour que plane sur le royaume une odeur de mort et de peur, mais trop faible pour s’emparer véritablement du pouvoir. Moi, je suis là, triste statue, et je regarde ce gamin s’émerveiller devant tant de nouveautés. Qu’il est beau, l’empire du Mal, qu’il est grand ! ah, ça oui, qu’il est majestueux ! mais être roi d’un désert, ce n’est pas être roi. C’est comme être princesse dans une étable, ça n’a pas grand sens. Ce chef de tribu n’a jamais pu transcender ses origines miteuses de nomade émasculé. Cette catin n’a jamais réussi à asseoir son autorité. Toujours, des conseillers plus fins, des généraux plus hardis, l’ont guidée comme bon leur semblait. Mais leur incompétence a maintenu Ganondorf dans ses rêves. D’une certaine manière, tous ces rois, ces princes, ces régimes, tous font partie d’une même réalité, d’une perfection au sens « harmonie », au sens « ce qui est tout », ce qui se complète. Peut-être le monde a-t-il toujours fonctionné ainsi : une sorte de complicité tacite entre deux adversaires, un bien, un mal, les deux égaux en force et en faiblesse pour qu’aucun ne puisse l’emporter sur l’autre. J’aurais pu y croire, à cette harmonie, si, dans la réalité la plus pragmatique des choses, la grisaille n’avait pas tout conquis. Incompétence ! Stupidité ! Matérialisme ! Individualisme ! Manque de ressources ! Absence d’honneur ! Ils n’ont rien accompli. Jugement sévère, mais n’est-ce pas la vérité la plus objective ? la plus pragmatique ?  

Pour autant, toute ma vie, toutes nos vies, n’ont fait que suivre des cycles : amitiés, disputes, départs, réconciliations, disputes, départs. C’est bien la première fois que nous nous quittons sans éclats. La raison à cela, c’est que nous avons abandonné toute velléité de conquête. Nous n’étions plus motivés, nous n’agissions plus. Quel destin abracadabrant, quand même. Ah, Franc, que vas-tu faire ? J’aimerais, dans un sens, que tu sois le prochain conquérant. Pour rétablir l’honneur, pour remettre à l’honneur Withered, Tsubaki, Arkhams et moi-même. Nous deviendrions alors les inspirations mythiques de l’empereur Franc d’Hyrule. N’attends pas que je meurs, fripouille. Je ne voudrais pas manquer le spectacle…


Franc


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(vide)

Le monde qui s'étalait sous mes yeux était d'un statisme semblable à celui d'un bâtiment. Un bâtiment qui aurait été érigé par les premiers hommes. Immuable, éternel. C'est après de nombreuses heures de contemplation, devinai-je grâce au soleil mourant, que je compris enfin ce que je cherchais ici.

La Preuve de l'existence des Déesses.

L'astre du jour succombait aux charges impitoyables de la nuit. Agonisant, son hémorragie coulait sur l'univers, d'un pourpre funeste mais somptueux, mélange de sang et de miel. Mais dans mon esprit, tout s'éclaira. En mon âme, c'était le zénith d'une révélation vitale. Enfant, j'avais appris. A présent
je comprenais.

Mon regard avait passé la journée à effectuer des sauts de puce, de roche en roche, de dunes en dunes, scrutant quelques chose. J'avais cherché du mysticisme, une réponse à une question que je ne connaissais même pas. Alors que l'illumination me parvint à la mort du jour, cela avait quelque chose d'ironique. Cette façon comique de se dévoiler aux Hommes, le Monde n'allait cesser de m'en étonner tout au long de ma vie.

L'ocre du Désert, l'orange violent des monts secs étaient un précieux indice, pourtant évident ! Avec un brin de connaissance, je savais que la Déesse Din était l'architecte d'Hyrule. Ses fines mains de femme, d'un érotisme surnaturel, avait modelé et potelé le monde. Courbes, crevasses, monts. Tout. Nous marchions jour après jour sur son Oeuvre, sans respect, sans même penser à Elle. Au Diable les Hommes, ingrates créatures. Sous mon regard d'enfant, j'admirais le corps de la Déesse même. Les rondeurs du paysages, les teintes douces et tendres, l'haleine chaude du vent ... Tout cela formaient les attributs de la superbe femme que Din était. Le constater si tard, après des heures d'observation, fut une profonde leçon d'humilité. L'Incarnation de la Force s'étendait là, nue, offerte si simplement aux regards des mortels était pourtant invisible aux plus pressés. Il fallut que je souffre des heures durant, immobile, subissant les affres du sable griffant mon corps si frêle, tel un caillou éphémère et érodé pour que je découvre ma Reine du Feu. J'avais assez souffert pour elle, alors elle levait en moi son voile pudique de mes yeux aveugles.

Je pus également percevoir, par intuition plus que par sagesse, la consistance du Temps. Concept totalement abstrait pour le Commun. En me fouettant des grains du désert, Din me représentait le Temps qui passe. Le Désert était une clepsydre cruelle, qui abîme le corps, comme le Temps inflige la vieillesse.

Un enfant comme moi, innocent, a tel point naïf que c'en était un crime, n'aurait jamais pu comprendre tout cela. Il y avait d'une part Din, qui s'était laissée entrevoir à mon regard myope d'humain ; et d'autre part il y avait une intuition non naturelle. Elle n'était pas surnaturelle, je me savais ni medium ni mage. Elle était perverse, contrevenant aux règles habituelles de la nature. Quelque chose m'instruisait d'une connaissance que je ne méritais pas. Un apprenti n'a pas le droit de connaitre les secrets de décennies de travaux d'un Maitre-Artisan. La manière dont le monde était fait l'interdisait, telle une censure. Ce que je savais d'Hyrule, du haut de mes 12 ans, était un blasphème, un paradoxe brisant l'harmonie de la Création.

De tout cela, je devais faire pénitence au plus vite. Je me tournais alors vers mon vieux maitre, occulté par une roche sombre, après des heures d'immobilité. Ce dernier n'avait d'ailleurs pas bougé d'un pouce, respectueux ou curieux de ma passion pour ce paysage, peut être.



"Cher Maitre. Que pouvez m'apprendre que je ne sais déjà ?" Un méchant sourire, habillé d'un voix de miel qui ne m'appartenait pas assassina le silence religieux et les psaumes du vent du désert, chantant l'Hymne de Din.

Mon timbre n'était pas le miens, mon expression faciale non plus. Ils appartenaient à un autre que je connaissais pas.


Astre


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(vide)

« Cher Maitre. Que pouvez m'apprendre que je ne sais déjà ? »

Phrase en suspens, comme une épée de Damoclès au-dessus de mes certitudes. Un sourire goguenard qui ne lui ressemblait pas donnait à sa jeune figure une agressivité paranormale. A moins que ce ne fût tout simplement l’obscurité qui voilait son regard et donnait de fait plus de relief à sa vilaine grimace. Que puis-je t’apprendre que tu ne saches déjà ? C’était une question impertinente, insolente même, mais qui avait le don de me déstabiliser. Je pouvais deviner en lui la détermination nouvelle de l’homme qui a vu, de celui qui a dépassé le stade matérialiste. Ce que j’avais pris pour l’élan de sa curiosité était en fait la dynamique de sa première transcendance. Il n’était plus le même. Une parcelle de son innocence venait de se perdre dans les sables infinis, il n’y aurait plus de retour possible. Ce n’était pas une altération de sa pureté juvénile, plutôt la perte d’une vertu pour le gain d’une autre. Une nouvelle humanité se dessinait en son sein et lui donnait des sens supplémentaires : les cinq de départ, eux-mêmes généralement mal utilisés par la masse, ne lui suffisaient déjà plus. Il avait atteint la communion des sens et me toisait de haut, avec raison peut-être, parce qu’il avait effleuré le divin. Mais pour les vrais héros, le divin ne s’effleure pas : il se vit.

Allais-je lui donner une raclée ? Ce serait lui donner raison, et souligner mon incapacité à lui répondre. Pourtant, ce n’était pas une réponse avec des mots qu’il attendait, mais bien des actes. Une gifle suffirait-elle ? La démonstration de ma force, pour lui faire comprendre qu’il n’était rien, était-elle appropriée ? Dans un souci de pédagogie, je me sentais tout de même soucieux d’accompagner quelque acte que ce soit par un discours, fût-il concis. Je m’approchai de lui et le jaugeai à nouveau : je voulais déceler le rayonnement de son âme et ne pas me contenter de ses traits d’esprits adolescents. L’atmosphère s’était chargée d’électricité, comme si le poids d’une paire d’yeux supplémentaires observait la situation en sachant déjà ce qui allait se produire. Oui. Il y avait du sacré dans l’air ; pas le divin même en tant qu’essence à l’origine de tout, mais l’une de ses manifestations.

L’une de ses manifestations : Arkhams. Notre réunion au royaume des morts n’avait donc pas été un rêve, plutôt l’illustration de son influence sur le monde terrestre couplée avec mes désirs les plus chers. Une vision, en somme. Il devait guetter ma réaction, sans passion, au courant. Mon cerveau bouillonnait, je fermai les yeux un instant pour récupérer une certaine sérénité, puis les rouvris.

D’un revers de la main, j’envoyai son arrogance manger le sable. Sans passion, froidement déterminé.

« Il te manque la force, il te manque l’intelligence. La jeunesse devrait pouvoir te donner cette dynamique, si tu évites d’être trop complaisant avec toi-même. Il ne s’agit pas d’humilité, simplement d’être en mesure justement de mesurer la valeur de ton savoir et de tes forces. »

La transcendance a des degrés, une unique expérience –de faible amplitude d’autant plus- ne suffit pas à se prétendre demi-dieu. L’aspiration au divin, stoïque et virile, doit rester son horizon de conquête ; s’il se prend déjà pour un messager des créateurs, ce qu’il est d’une certaine manière mais il ne sait pas encore pourquoi, alors sa fierté est vaine.

Je décidai de me diriger vers l’est, puisque le soleil s’y lève.


« Viens donc, jeune champion. Partons à la conquête d’Hyrule… »