Recrachés des profondes ténèbres

Avec Arkhams -Terminé

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Dès sa sortie des geôles, il était retourné au seul endroit qu'il fréquentait depuis son retour sur les terres d'Hyrule. Il marchait le pas lourd, mais le cheveu léger, en direction de l'auberge tenue par l'affreux NuttyK. Dans les sombres locaux de la prison gérudo, libéré par les gardes rousses, on l'avait lavé, récuré, rasé. Il ressemblait maintenant à un apprenti ecclésiaste malgré la lassitude qu'exposait son regard. Il se passa la main sur son crâne ras, et soupira faiblement. Il savait qu'il allait boire jusqu'à s'en exposer la cervelle, avec les quelques rubis qu'on lui avait offert à sa sortie de prison. La nouvelle politique de Zelda concernant les miséreux enfermés pour vagabondage était de les laisser sortir rapidement, de leur rafraîchir le portrait avant de leur offrir une certaine somme de rubis pour qu'ils puissent subvenir à leurs besoins le temps de trouver un travail. Il avait fait partie -et faisant encore partie à l'instant présent- de ce genre d'êtres humains qui le révoltait tant. Pourtant, aujourd'hui, par cette tiède soirée, il n'en avait plus cure. Alors qu'il s'était raccroché ces derniers mois à sa seule identité pour garder espoir, il acceptait aujourd'hui sa condition de vagabond. Que pouvait-il faire d'autre, après tout ?
Arrivé devant l'auberge, il s'arrêta quelques secondes pour contempler l'insigne rongée par les mites qui laissait luire faiblement un vague « Auberge de NuttyK ». Il soupira de nouveau, conscient de sa pitoyable existence. Il se décida finalement à entrer dans l'établissement de mauvais augure, salua le patron pour la première fois qu'il venait ici sans être salué en retour, puis s'assit à l'un des tabourets hauts devant le comptoir. D'une voix lente et rauque, il commanda une bière, un alcool peu cher qui le rendrait ivre à long terme. « En pichet ou en choppe ? » demanda brutalement le vulgaire être qui servait de tenancier, un sourire cruel et moqueur sur les lèvres. Visiblement, il l'avait reconnu. « En choppe, vieux... et efface-moi ce sourire de vipère, tu ne vaux pas mieux que tes clients avec ta dégaine de pourceau. » Le rouge monta aux joues de NuttyK, qui finalement se détourna du jeune homme pour lui servir sa bière, prenant bien soin de cracher dans le verre avant de le lui tendre avec un air trop content de lui-même pour être honnête. « Oh, pardon, j'ai oublié de préciser : dans une choppe propre... gros dégueulasse, vas... » Les insultes étaient proférées plus avec lassitude qu'avec violence. Quelque part sa dignité le poussait toujours à dire ce qu'il pensait plutôt qu'à se taire et à baisser la tête devant le destin. L'aubergiste le contempla sans gêne plusieurs instants avec des éclairs dans les yeux, avant de lui resservir à contre-coeur une nouvelle choppe cette fois propre, dans la mesure où un ustensile pouvait être propre chez NuttyK. Il sirota le breuvage fait à base de malt et d'eau, et sentit sa gorge être parcourue par le liquide dans un frissonnement agréable. Ses yeux pointaient dans le vague, tandis qu'une certaine nostalgie l'entourait. « C'est ici que j'ai rencontré pour la première fois Arkhams... Qu'est-il devenu, ce vieux fourbe ? Probablement un grand sorcier dans une quelconque province éloignée, ou alors un vagabond comme moi... comme il le fut lorsque je lui proposai de refonder les Profondes Ténèbres... » Il remuait ces vieux souvenirs à voix basse, l'air ahuri et fatigué. Puis ses pensées se dirigèrent vers l'ascension prodigieuse des Quatre cavaliers de l'Apocalypse, et puis son brutal échec. Il ne se rappelait même plus la cause. De toute façon, ça n'avait plus d'importance. Il était tout seul dorénavant, il n'avait plus que lui sur qui compter, et encore... Il cracha dans une bassine prévue à cet effet, et intérieurement espérait qu'une bagarre commence dans le bar pour qu'il puisse y prendre part, et se retrouver en prison sans souvenirs de la nuit précédente, comme toutes ces soirées qu'il avait passées depuis qu'Hyrule l'avait rappelée.



John Doe


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Le peuple ne se soucie guère des malandrins qui le harcèle. Leur nom ? Peu importe ? Leurs bannières ? Peu importe. Le Malin revêtait à présent le tabard cramoisi d’un ordre dégoutant. Finie la douce épopée des hommes en noir ténèbres. Quelle ironie alors, lorsqu’il se réveilla d’un coma lourd et sans fin, la gueule brisée s’étranglant dans un sang inconnu. Le sien, peut être ; celui d’un allié chasseur, probable ; celui d’un Phoenix, il l’espérait.
Cela faisait plusieurs jours qu’il trainait sa carcasse amaigrie et courbée depuis ce triste jour au Temple. Le déchet n’avait pas beaucoup marché. Il parcourait quelques mètres par jour. Pas plus. Pénible, lorsqu’on est au seuil du trépas. Cet humanoïde sans âme chuta dans un ultime effort de regagner on ne sait quel foyer qu’il ne possédait plus. A la grande bêtise des Hyruliens, ne se souciant pas de l’identité des monstres qui ravageaient leur pays, ils laissèrent ce cadavre pourrir. On a plus de respect pour les animaux de bât. Les soldats pensaient sans doute que laisser cette chaire se décomposer nourrirait la terre. “ Que ce pouilleux serve au moins à quelque chose ! ” Devait il philosopher. Personne donc ne reconnut le propriétaire de ce corps lacéré endormi sur le sol plat du village Cocorico.

L’humidité tombait dans le bourg rural, la soirée serait fraiche. Elle fit frémir la peau sale d’Arkhams, activant son cerveau abruti par la douleur. Le tas de viande faisandée se dressa sur ses jambes tel un insecte frêle mais non moins effrayant. Il se frotta le menton. Ou plutôt sa barbe longue d’un décimètre. Il était incognito derrière ses poils mal taillés. Ses vêtements moites étaient moisis jusque dans ses dessous. Arkhams tituba jusqu’à un arbre et retira ses chausses et c’est sans grâce superflue qu’il urina tout son saoule sur le saule endormie. Ce geste primale mais ô combien agréable permit au mendiant de lui prouver qu’il était bien vivant. Il se rhabilla sans autre réflexe d’hygiène. Il puerait sous peu la pisse, pensa t il avec humour. Ainsi vidé et content de lui, il décida de se faire plaisir et d’aller se saouler. Il fourra sa main dans une poche poisseuse de son pantalon. Elle semblait partir en bouillis, mais elle abritait un rubis très mal taillée. Il remercia les Déesses. Ces prostituées avaient le sens de l’humour à laisser à Arkhams, immonde débris humain, de quoi se rouler dans les vices de l’alcool. Ce dernier reconnut sans mal l’échoppe délabrée de NuttyK. Elle n’était pas mieux entretenue que dans le passé. Il aurait pu aisément décrire cette façade sans charme, vitrine d’un bar miteux. Mais il avait l’intellect trop engourdi pour jouir de la beauté de la devanture. Il ouvrit et fila jusqu’au comptoir, faisant profiter en un courant d’air son fumet à tous les clients. Arkhams posa son séant sur un tabouret branlant dans un bruit de tissu humide. Il grommela un nom de vinasse bas de gamme. Le professionnel le servit dans un verre crasseux qui ne dénotait pas avec l’aspect pitoyable de l’homme. Il porta le contenant à sa bouche et avala une infâme purée d’un fruit qu’il ne reconnut même pas. Etait-ce du vin ou du gruau d’ingrédients pourris ? Il n’en savait rien et le peu d’argent qu’il possédait ne pouvait pas lui permettre de gouter à autre chose. Il fini sa mélasse en salissant sa barbe. Elle était chargée de cette pâtée visqueuse. Arkhams sourit en pensant qu’il aurait ainsi la possibilité de manger pour plusieurs jours dans ces poils.

C’est la gorge étouffée par des glaires épais qu’il poussa un cri rauque :


« Que les Déesses soient violées ! Si le destin ne m’avait pas abandonné, NuttyK, tu serais en train de lécher mes pieds aux ongles jaunâtres et de me servir ta meilleure eau de vie ! »

Le tenancier ne réagissait pas. Il ne reconnaissait pas Arkhams et était trop habitué par le comportement excessif de ses clients pour prêter attention à l’insulte.


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Il était entrain de s’abandonner aux bras liquides de l’alcool lorsque les vociférations aiguës d’un ivrogne bien énervé le firent émerger des brumes éthyliques. Entendre mugir cet espèce de crétin si près de ses oreilles l’agaçait terriblement, mais il n’avait plus le courage de s’extirper de cette docilité paresseuse qui le clouait sur son siège. Il se revit jeune et beau, plein de fougue ; il aurait été le même qu’avant qu’il n’aurait pas hésité une seule seconde pour se lever et arranger le portrait de cette épave ambulante. Cela ne remontait pas à très loin. A présent, il ne pouvait s’empêcher de se dire qu’il était la copie conforme de ce loqueteux bruyant. Tout juste avait-il conservé son nom. « Pour l’instant », se disait-il, « tant que je n’aurais pas retrouvé mes galons de dignité, je ne saurais reprendre ce nom qu’on m’avait royalement attribué à la naissance. » Il risqua un coup d’œil vers l’agitateur et se retrouva chez ce personnage d’une manière si troublante qu’il en eut le vertige. Ce n’était pas seulement cette crasse qu’il avait délaissé il y a si peu de temps. Non, il y avait quelque chose en plus. Une certaine pudeur acquise –il en était presque certain- par une ascendance noble entourait le personnage. A moins que ce ne soit cette odeur tourbée de bois brûlé qui faisait ressurgir en lui cet homme qui avait été son frère. Mais cela ne se pouvait. Il détourna le regard, honteux de ses déboires sentimentaux, pour boire deux à trois gorgées de ce liquide ambré.
Il sifflota, envahi d’un sentiment de gêne, la main serrée autour du verre comme autour d’une épée. Il se laissa choir sur son siège. Défaitiste. Les paupières lourdes, l’alcool consuma en quelques secondes l’état d’éveil complet dans lequel il se trouvait. Sa tête lui tournait, il entendait le son lointain des épées qui s’entrechoquaient dans un opéra guerrier tout à fait à son goût, il se rappelait les rires tonitruants du chef rouge, il avait en lui la musique d’un passé glorieux où il brillait. Encre indélébile sur la feuille de son esprit. L’orgueil ne s’en irait jamais. Il dodelina la tête, comme pour accompagner la musique en lui. Le mouvement se fit de plus en plus rapide, avant qu’il ne se lève, le crâne faisant des va-et-vient dangereux. La grâce d’un cachalot hors de l’eau. Il sourit à cette idée, puis leva son verre très haut pour que tous le voient. Ce n’était pas la bible, mais c’était tout comme. Les paires d’yeux suivaient le diamant de fortune avec attention, et son sourire s’accentua. Masque de joie. Joie flétrie. Rictus. L’alcool inversait ses effets euphoriques. Masque de haine. Sa main retomba brusquement sur le comptoir, verre inclus. Ce dernier éclata, lâchant une plainte aigüe qui fit crisper les visages concentrés. Du sang dégoulinait de sa dextre. Sa face lunaire n’avait pas changé d’expression : toujours la même colère intrigante. Quels démons agitaient cet homme-là ?
« Mais qu’est-ce que je fous à boire de la pisse dans ce bar miteux, entouré de pochtrons et de fils de putains ? » Il lâcha ça un peu fort, comme s’il était seul ou alors en pleine confession avec le paroissien du coin. Mais nom d’un chien, il avait raison. Qu’est-ce qu’il foutait là ? « Après tout, je suis roi… » Les traits tirés, les yeux toujours exorbités dans la même expression, cet homme s’abandonnait littéralement aux voluptés néfastes de la bière.



John Doe


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Sa gorge s’était mise à brûler. Ce magma irrita sa langue, son palais et finalement ses intestins. Pris d’une colite épouvantable, le clochard aux trois quarts saoul se mettait à haïr sa stupidité. Dépenser son unique rubis pour cette potée infernale, véritable cigüe du pauvre, fut du gaspillage. Il l’aurait volontiers échangée contre une poignée de graines mojo afin de les balancer à la face de l’imbécile qui avait percé ses magnifiques tympans. En même temps, sans rubis, il n’aurait jamais pénétré ici. Sa logique était défaillante, signe que l’alcool faisait son office. Arkhams n’était pas le seul ivrogne, mais lui comme d’autres avait au moins la délicatesse de ne pas déranger les clients. La masse informe de NuttyK allait surement rosser le pouilleux et le jeter dehors. Il n’irait pas en prison, il puait autant que lui même, les gardes ne le toucheraient jamais. Les méninges engluées d’Arkhams se mirent soudain à se dépêtrer de la mélasse éthylique. Le tempétueux client maudissait le bar, indigne de sa grandeur. Le Kokiri vieillard ne réagit toutefois pas, trop imbibé pour se lever. Il tortilla ses mains grasses de diverses saletés autour de sa minuscule chope. Il la serra enfin, espérant retrouver sa force antique et fêler le verre, sans succès. Frustré de sa maigreur sans doute irréversible, il dévora sa purée de fruits, d’un coup. Ragaillardi et furieux de pas trouver la tranquillité dans ce bar, Arkhams planta ses jambes branlantes sur le sol. Il vacilla.

Il fallait quelques instants pour stabiliser sa vue, lorsqu’enfin il prit la parole :


« Cela fait des lustres qu’il n’y a plus aucun roi ici, paysans. »

NuttyK devait suivre la conversation, sans doute surpris par les mots de ce client. Il avait organisé sa phrase sans faute de langage, avec une voix mielleuse. C’était un noble dans des frusques de gitans. Le gérant ramassa le verre vide, passant un coup de serviette sur les débris de l’autre. Il ne rouspéta pas, sachant très bien qu’il ne serait jamais remboursé.


« Je vais t’enseigner le protocole, rat. »

Lança t il enfin avec haine. L’homme en face de lui avait un éclat de démence au fond de son oeil jauni par le houblon, l’autre orbite bigleux était occupé à autre chose, dans le coin opposé de sa cavité. Il n’avait pas peur et était satisfait que le rustre rappelle en lui ses gênes supérieures. Ne voulant se révéler devant personne, Arkhams feignit d’être un gueux. Il hurla, la bave aux lèvres.

« Qu’on m’donne un cul d’bouteille ! Que j’l’éventre ! Je vais lui coudre son claque merde avec du verre pilé. Par ces foutues Déesses ! »


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Il était entrain de méditer sur les paroles qu’il venait de proférer lorsqu’une réponse vint à ses élucubrations. Un vague soupçon de regret dans la voix. Beaucoup d’agressivité. Il se tourna vers le téméraire, un petit sourire aux lèvres. Les yeux porcins de NuttyK guettaient la scène avec attention, sans toutefois que le gras messire ne fasse un geste pour arrêter ce qui allait peut-être devenir une querelle physique.
« Je vais t’enseigner le protocole, rat. » Les sourcils dressés par la surprise, il ricana doucement. Voilà bien longtemps qu’on ne l’avait pas défié si ouvertement. Ce n’était plus de la témérité mais de l’inconscience, pensa-t-il avec un déferlement de confiance en lui. Les doigts de sa main droite serraient fermement les débris du verre, provoquant de nouvelles coupures. Il gardait le sourire, sans savoir vraiment ce qu’il allait se passer. Il n’attendit pas longtemps. L’autre était en forme.
« Qu’on m’donne un cul d’bouteille ! Que j’l’éventre ! Je vais lui couvre son claque merde avec du verre pilé. Par ces foutus Déesses ! » Et là, le vagabond se réveilla.
« Tu vas bien la fermer, oui ! » Il laissa un rire aigrelet sortir de ses lèvres reptiliennes avant de secouer la tête. Il prévenait son adversaire par sa gestuelle qu’il y avait danger à continuer. « Tu dois être atteint d’une folie chronique, ou alors être complètement saoul, pour oser t’attaquer à moi de la sorte, imprudent… » NuttyK leva les yeux au ciel, une grimace moqueuse sur son visage de goret. Le repris de justice arqua un sourcil, marquant son mécontentement. « Quelque chose de drôle dans ce que je dis, minotaure ? Je ne vois pas de quoi tu peux rire ainsi… peut-être as-tu vu ton reflet dans l’un de tes verres crasseux ? » proposa-t-il, les yeux grand-ouvert dans une innocence feinte. Le tenancier grogna, mais ne dit rien. Sûrement avait-il envie de voir les deux clochards se battre pour pouvoir lancer des paris. « C’est bien ce que je pensais… » lâcha celui dont l’alcool avait rendu méchant, toutes dents dehors. Il reporta son attention sur l’autre, en face de lui, celui qui sentait l’alcool rance mais également cette senteur fumée des champs de bataille. Il balaya cette pensée en renâclant de dédain, et lui dit :
« Si tu savais qui j’étais, vieillard, tu te prosternerais à mes pieds et me prierais des larmes dans la voix de te laisser en vie. » Il renifla le front froncé. Cet homme puait le vin. « Et ta putain de mère t’a allaité avec quoi pour que tu sentes pareil ? De la vinasse dans le téton ? » Sur ces mots, il cracha au sol un glaire bien épais qui devait contenir tout un microcosme tant sa transparence laissait filtrer des morceaux. Il se passa une main dans les cheveux, et ses yeux luisirent un instant. Un éclair rouge sabra son regard. « Il » était revenu. Et « il » allait en découdre.


John Doe


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Ce qu'il faut savoir dans les rixes des tavernes, à fortiori chez NuttyK, c'est que les provocations sont toutes aussi importantes que l'échaufouré. Les mauvaises langues diront que ce ne sont que des affrontements de coqs à la fierté bien mal placée. Toutefois il ne faut pas négliger ces bagarreurs, ils n'ont rien à perdre et sont dans l'ensemble trop saouls pour sentir la douleur. Ce qui était en parti le cas pour Arkhams. La répartie de son adversaire, bien que teintée de houblon, n'appartenait pas à ces racailles et autres coupes jarrets, véritables experts des bagarres sans règle. De tels gens sont astucieusement plus forts que les hommes d'arme formés à la guerre. Le Kokiri ne craignit donc pas son collègue dans l'alcool, qui devait être un vieux fantassin.

Les présentations étaient faites, après cet échange grossier. Il se jura intérieurement qu'il ne parlera plus jamais de manière si discourtoise, même en face d'un débris. Arkhams s'approcha de l'homme en titubant, l'une de ses jambes était raide comme un tronc de chêne. Ah ! Foutue vieillesse ! Alors qu'il s’apprêtait à prendre le client malodorant par le col de sa guenille, les maux d'estomac qu'il avait oubliés en raison de la montée de sa rage se manifestèrent sous une forme somme toute impressionnante. Au bas mot, il éructa le peu qu'il avait mangé et bu sur le tabouret le séparant de son ennemi d'un soir. Trop habitué aux odeurs corporelles fortes, Arkhams n'hésita pas, il profita de la surprise pour saisir le pied de la chaise et de l'envoyer dans les côtes du gars. Ainsi courbé, malgré la faiblesse de l'attaque, Arkhams se sentit d'humeur moqueuse et caressa la joue du clochard de sa main humide de fond d'estomac. Il ricana et envoya sa dernière boutade, avant de se faire très certainement briser la mâchoire :


« Veuillez me pardonner votre Altesse galeuse. »

Arkhams se savait condamné à présent. Il n'en avait que faire, il était à peine vivant, sa peau blafarde et ses muscles desséchés méritaient un trépas libérateur. Il n'aurait pas été en danger s'il fut armé d'une quelconque dague. Il ne pouvait se défendre qu'avec le tranchant de ses poings osseux. Ce n'était pas plus mal, la mort le réclamait.


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Le coup lui coupa le souffle à tel point que sa bouche ne lui servit qu’à cracher un peu de bile et un fond de bière. La chaise n’avait rien, c’était déjà quelque chose, pensa-t-il en se relevant sur les coudes. Tandis que le vagabond lui crachait des insanités déjà plus dignes de sa condition, sa tête fourmillait de pensées noires. L’envie de se venger de ce coup bas lui démangeait les doigts mais il décida d’attendre le moment opportun. Après l’exil qu’on lui avait imposé, il avait gagné en patience, une vertu qui pouvait se révéler aussi traitresse qu’amie. Ses yeux glissèrent sur le visage tout sauf glabre de l’agresseur. Une barbe mangeait ses joues, la folie rongeait son regard avec autant de ferveur et la tignasse qu’il avait sur le crâne était malgré sa saleté dignement coiffée dans un catogan de fortune. Cet homme-là, à l’instar de lui-même, n’appartenait pas au genre d’errants habituels. L’odeur de tourbe fit frétiller les ailes de ses narines, et il persista à croire qu’il connaissait l’ivrogne. D’un mouvement fluide quasi-félin dont il fut le premier surpris (il avait perdu sa force et sa souplesse et voilà qu’il pouvait gigoter comme une danseuse de cour), il se remit sur ses deux pattes avec des yeux qui ne rigolaient plus. La fièvre assassine polluait son regard, sa main pianotait dangereusement sa hanche. Il fit mine d’ouvrir la bouche pour entamer la discussion, quand soudain sa paume droite vint percuter le plexus solaire du vil maraud avec violence, le faisant tomber. La fierté revenue tandis que l’autre fléchissait les genoux tant la douleur causée par le coup était vive, « il » contempla avec mépris le lâche qu’il avait eu par ruse. Courbant malgré tout le dos avec un air souffreteux, le salopard ne l’avait pas loupé. Il se toucha le ventre comme pour en panser les plaies, avant de reporter son attention sur celui qui était désormais sous son joug. En apparence en tout cas.

« Vieillard infâme » chuchota-t-il, « je vais te révéler ma réelle identité. Allons faire un tour dehors… ». Les mots sifflés d’un ton doucereux ne souffraient aucune réplique. Il traîna le vieux fourbe par le coltard, poussa la porte avec sa botte et jeta la dépouille par terre. Personne n’osa les suivre, et sitôt les deux querelleurs partis, les clients avaient repris leur bière comme si rien ne s’était passé. « Il » toisa l’imprudent et lui dit : « Je suis Astre. » Ce nom signifiait tant de choses : fils coupés, familles brisées, vie d’impuretés et de violence, quête de pouvoir et désir de vengeance. Goût salé de ferraille. Goût de sang. Le triste sire guettait la réaction du vagabond, un sourire moqueur aux lèvres. Ses yeux dépoussiérés par la vanité, la pâleur cadavérique de sa peau était maintenant mis en valeur par la vitrine rubis qu’offrait son regard : meurtre.


John Doe


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Les yeux délavés du manant nauséabond se révulsèrent sous la puissance inattendue du coup. Dénué de muscle, son torse se brisa avec l'impact, comprimant son coeur et ses poumons. Il n'y vit plus rien. Il ne sentait que la salive couler de sa bouche à son insu, expulsée par la pression. Il ne possédait plus aucune perception hormis la mortelle impression d'être soulevé dans les airs. Ce qui fut le cas lorsque son corps assommé fracassa la porte du bar. Les jambes en compote, le cerveau à mille lieux de Cocorico, son cadavre en miettes s'écroula de toute sa faible masse.

... Je suis Astre ...

La phrase envahit les nimbes de son esprit. De sombres et floues images, meurtres et bâtisses en flammes, tapissaient les murs de son songe comateux. Cette fresque était tâchée d'une ombre macabre, ses yeux implacables perçaient la brume du rêve ...


« Keurf ... »

La glaise pleins la gorge, le mendiant fut pris d'une quinte de toux à couper l'appétit du plus affamé des prisonniers. Terre et glaires mêlées s'écrasèrent avec une violence moite sur le sol suivies de prés par un sang sombre. L'animal en lui se réveilla après l'électrochoc. Astre ! Un cagneux ne peut prononcer ce nom à faire trembler les nonnes sans être frappé par la foudre. Le Vil Larron attrapa la bouillasse glaireuse dans son poing et la balança au visage du boiteux. Tandis que le projectile fendait l'air, ses bras se balançaient avec un sourire déchirant son visage creusé par la faim. Ainsi courbé, on aurait dit un Effroi fraichement levé de sa tombe.

« Misérable canaille ... »

Seules quelques adjectifs abjectes emplissaient son cerveau. Le céphalé agité de spasmes de démence, la bile coulant de ses babines ensanglanté par sa mâchoire tremblante, l'homme s'élança comme un possédé sur son ennemi, bien décidé à disloqué ce tas de chair immonde.

« Ne salis pas ce nom avec ta gueule de rat ! »


Astre


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La rage avait dû atteindre le pitoyable pouilleux car de la bave s’était écoulé grassement hors de sa bouche. A genoux, la révélation semblait l’avoir plonger dans un état second ; en effet, ses yeux avaient roulé dans leurs orbites à une vitesse paranormale. Il s’était étouffé à moitié et, du poing, avait tapé le sol en crachant ses intestins. Puis, il avait relevé la tête avec violence, ramassé ses glaires ensanglantés, pour finalement les jeter droit vers la tête du jeune repris de justice. Ce dernier avait fermé les yeux en recevant l’ectoplasmique substance ; il l’avait senti couler sur tout l’espace de sa face lunaire, s’efforçant de ne pas vomir. L’autre l’avait ensuite asséné d’insultes. Néanmoins parmi les vulgarités il avait dit quelque chose d’assez intéressant que le jeune homme n’était pas sûr d’avoir saisi.
« Ne salis pas ce nom avec ta sale gueule de rat ! ».

Astre s’essuya avec la manche de sa chemise, honteux de s’être fait ainsi humilier de telle façon. Il expédia un direct du droit sous le menton de l’imprudent, afin de calmer ses ardeurs et égaliser les chances de vaincre. Puis, se massant le poing, il lâcha sous le coup d’une improvisation fortuite :
« Un seul homme aurait pu protéger ainsi mon nom. Et il n’est sûrement plus de ce monde. » A ses mots, il envoya valser sa jambe dans le bas-ventre du mendiant. Bien vite essoufflé par cet excès d’exercice, lui qui n’était plus que l’ombre de ce qu’il avait été, posait maintenant les mains sur son torse comme pour canaliser l’air qui entrait dans ses poumons tandis que l’autre se tortillait de douleur sur le sol pavé.
« Maintenant, sordide sac à vin » parvint-il à dire entre deux inspirations, « tu vas maudire le ciel de m’avoir renvoyé ici… ». Il était à présent courbé, si fatigué qu’il en était prêt à abandonner la partie. Non. Pas maintenant. Plus maintenant. Il était trop tard pour reculer, pour perdre. Il allait briller à nouveau, de cette noire lumière dont se nourrissaient les démons de l’Ancien temps. Il s’étira un instant ; l’abattement temporaire de son adversaire lui permettait de prendre son temps et il en était reconnaissant aux Déesses –ces chiennes qui jouaient avec lui- de lui accorder une deuxième chance. Il cracha par terre –comme si ça allait lui rendre le souffle !- puis, avec le calme animal dont il savait parfois faire preuve, il attendit la réaction de l’autre.


John Doe


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Sa charge avait rendu sa vision flou, sa course devenue comique et compliquée par l'alcool, se stoppa net. Le bas de son visage s'enfonça sèchement contre un poing de fer, le choc fut tel que le malandrin côtoya de très près les abysses du coma, une nouvelle fois. Mais cette fois ci ce n'était pas de doux rêves qui berçaient son esprit mais bien une absence totale d'image. Du noir, rien que du noir. Le temps s'était arrêté, il n'avait plus de corps. Toute douleur s'était échappée de lui. Ah ! Il n'avait pas vécu longtemps sa renaissance ! A peine le temps de ramper jusqu'à une taverne, ingurgité un potage dégoutant et vomir ses champignons pleins d'encre mangés du matin. Le voilà déjà mort.

Vint un éclair qui déchira sa rétine. Il déclencha une migraine assourdissante qui martelait le cerveau du voleur à la petite semaine. Il crut ses yeux fondre dans ses orbites, à moins que ce ne fut du sang qui bouillonnait de rage à travers ses pupilles. Il n'eut pas le temps de réfléchir à la question, une enclume venait de lui rompre définitivement sa cage thoracique. Il ne pu à peine rétorquer une insulte. Ainsi cloué au sol, la gorge noyée sous l'hémoglobine, débordant de sa bouche à flots réguliers, le Vil Larron regardait son agresseur avec un mélange de stupeur et de joie. Ce type venait de briser son corps, coquille ridicule qui accueillait un esprit brillant et aux ambitions divines. C'est avec une force qu'il ne possédait pas qu'il tenta de bafouiller quelques mots, étouffés par le sang.



L'héritier de ce nom ... Tu l'as en face de toi !

Après cet effort et la faiblesse mortelle du corps d'Arkhams, ses muscles se raidirent. Seuls ses yeux purent bouger, sa langue clapotait toujours dans le jus vital. Il n'était plus que spectateur de la scène. Cela n’empêchait pas ses méninges de fonctionner. Ce bâtard de paysanne avait raison. Il avait une mission, un rôle. Il devait continuer à lutter et à semer les macabres projets qu'il avait jadis entretenu avec son frère, Astre. Il regarda son bourreau, les yeux finalement vides de toutes pensées.


Astre


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« L’héritier de ce nom… tu l’as en face de toi ! » cracha le vagabond, usé. Astre agita ses mains et toisa le vieil homme ; la quarantaine bien entamée, les yeux délavés et le cheveu rare et blanc- non pas de ce blanc pur et bienveillant, plutôt une décoloration progressive d’un noir intense-, les traits d’un enfant qu’on aurait tendu et distendu, fondu et refroidi. Le banni plissa les yeux, comme pour tenter de reconnaitre son ami. Il y a bien longtemps qu’il n’avait pas vu l’Illusion Dépravée, mais sous ce masque émacié se cachait peut-être bien le visage du seigneur noir.
Il ferma les yeux, comme pour se concentrer et visualiser le portrait de son frère. Il les rouvrit, hésita, l’air dubitatif. Il se pouvait très bien que ce clochard soit Arkhams. Et en même temps, il ne voulait pas se tromper. Il ne pouvait pas.
Il attrapa la maigre loque par le col et la remonta à ses yeux, pour l’observer dans un face à face étrange. Des vagues diverses d’émotions se battaient ; espoir de retrouver son double maléfique, peur de ne voir qu’un charlatan. Il scruta patiemment le démuni torturé. Après un long examen, son regard pourpre pétilla d’une lueur joyeuse. Il fallait se rendre à l’évidence ; cet épave décharnée était bien Arkhams, le Chambellan des Profondes Ténèbres, porteur d’un passé épique et sanglant. Il secoua la tête, pour revenir à l’essentiel.
« Ne me reconnais-tu pas, Arkhams ? Ne reconnais-tu pas ton ami et frère, ton élève et ton maître, ton passé et ton futur ? » Les yeux presque embués, il ne revenait pas de la chance qu’il avait. Non seulement les Gueuses divines l’avaient remis dans la course, mais en plus elles lui offraient le meilleur homme qu’ait jamais connu la Terre sacrée d’Hyrule. Son adversaire et partenaire ne pouvait esquisser le moindre geste car son corps était disloqué ; un apprentissage physique serait inévitable pour qu’il puisse à nouveau mépriser sans crainte d’être battu. Il supporta le poids de son ami jusqu’à l’entrée du bar, et le posa délicatement sur le sol. Il s’assit à son tour à ses côtés.
Arkhams n’aurait pas pu le reconnaitre car ses yeux délicieux avaient perdu de leur éclat et sa tignasse ébène était coupée trop court. Hormis son teint blafard qui aurait pu être indice de son identité, seul un mage prédicateur aurait pu deviner qui il était vraiment. Il était efflanqué, sans muscles et sans graisse, méconnaissable.
Il ne savait pas si l’autre était toujours conscient mais il lâcha, distraitement, avec un grand sourire d’enfant sur les lèvres : « Maintenant que tu es là, nous brillerons à nouveau. Nous serons les oriflammes d’un monde nouveau. »


John Doe


Inventaire

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(vide)

La voix douçâtre de l'homme victorieux n'avait aucune égale. Ce son, tentant vainement d'être sympathique ne sied guère au timbre naturellement haineux d'Astre. Le loqueteux paralysé esquissa un faible sourire, épreuve très difficile. Mais qu'importe ! N'était-ce pas un sublime coup de pouce du Destin d'avoir réuni fortuitement les deux plus grands fléaux humains pourtant séparés à jamais ? La seule chose que pu produire son fragile organisme était une vague chaleur de réconfort.
Le frère du Kokiri porta le cadavre à l'abri de la nuit, dans le bar. Il le flanqua avec virilité mais non sans compassion sur la parquet souillé par les ouvriers alcooliques du village. Astre posa son séant près de lui, dans une suprême élégance qui trahissait son aspect négligé.

Plusieurs minutes passèrent dans le silence. Pudique attente, chacun savourant sa chance. Les deux hommes brisés par la vie se mettaient déjà à envisager l'avenir, chose impossible quelques heures auparavant. L'espoir faisait vivre et il donna la force à Arkhams pour clore leur tacite pacte d'union .


« Que tu es laid, Astre. J'ai honte d'être à tes côtés. »

Boutade grivoise qui fit rire le vieux Kokiri lui même. Il porta ses mains jusqu'à ses yeux. Ses dents gâtées, tantôt jaunies tantôt noircies, telles les touches d'un orgue plusieurs fois centenaires, écartèrent ses lèvres gercées. Il souriait. Sourire d'ambitions funestes.