Talon s'occupait de Grehdi, un étalon somptueux aux muscles perforant, au clair pelage doux, épais et luisant, à la crinière lisse, avec des yeux aquatiques, comme si l'eau coulait à l'intérieur de ses orbites. L'animal semblait vous regarder à travers vous, car elle n'avait pas à proprement parler d'iris. Le gérant du ranch lui décrottait les sabots, un travail fastidieux et déplaisant pour le plus grand flemmard de ces terres d'Hyrule. Heureusement, il entretenait de petites pauses à chaque minute de nettoyage des pattes passée. Il piquait un petit roupillon, ses jambes boudinées relevées, les mains croisées en prêtre sur le plexus, les ronflements ardents faisant peur aux enfants du coin.
Après huit heures de dur labeur, Talon s'arrêta enfin. Cependant, il n'avait pas totalement fini de lustrer les sabots récalcitrants de Grehdi. Il n'avait alors plus qu'à demander à sa fille de le faire, car lui-même avait faim. Il se dirigea vers le magasin du Ranch. Malon, jeune femme souriante aux cheveux flamboyants, avait une beauté assez pleine, fraiche et sans équivoque. Elle était derrière le comptoir, à lire un énorme ouvrage sur l'éducation des poules. Rien qu'à en voir les centaines, voire milliers de pages qui semblaient se propager en ce seul livre, le père de la petite eut mal au coeur. Mais bon, le travail avant tout, comme on dit. D'un raclement de gorge, il fit sursauter sa fille qui porta son attention sur lui, main sur la poitrine du fait qu'elle avait failli avoir une crise cardiaque. Visiblement, elle ne l'avait pas vu entrer.
-Papa ! déclara Malon avec un ton chargé de reproches.
Tu ne pourrais pas prévenir, frapper avant d'entrer, comme tout le monde ?
Son regard était farouchement énervé, certes avec une sublime teinte d'élégance, mais quand même à éviter. D'ailleurs, Talon baissa les yeux comme à chaque fois que sa femme ou sa fille haussait le ton. Enfin bon, après quelques plates excuses en se dandinant du pied comme un enfant qui a fait une bêtise, Talon se demanda s'il fallait après tout demander à son honorable fille de s'occuper du canasson. Il redoutait un peu sa réaction. Dans le doute, mais avec appréhension, il tenta sa chance.
-Malon, ma p'tite ! Tu voudrais pas terminer l'sabots de l'grand Grehdi ? demanda allègrement Talon, la peur brisant ses mots comme s'il avait de la bouse dans les dents.
Les yeux de sa progéniture semblèrent s'enflammer, un rictus se dessinant sur les lèvres polies de la femme. Le sang de Talon ne fit qu'un tour dans son sang, mais il préféra se taire et attendre que sa fille s'énerve. Contre toute attente, après une série de soupirs et les traits affaissés, elle consentit à dire:
-Bon d'accord, papa... Mais tu t'occuperas du dîné ! Ingo est parti acheté des selles de Termina, il ne reviendra que demain ou après demain, selon le temps et la disponibilité des carrioles.
-Merci ma douce, remercia le père avec satisfaction.
Joignant acte aux mots, il embrassa tendrement son enfant sur la joue, sa moustache tendre et touffue comme un bouquet d'hortensias faisant partie lui aussi du baiser. Malon partit donc s'occuper du cheval, et Talon quant à lui, se servit dans le magasin pour préparer son déjeuner. Il se versa du lait dans un bol, et but goulument le liquide enivrant. Il mangea se maïs à la va-vite, et s'affala sur le fauteuil derrière le comptoir comme s'il venait de faire cent bornes à la course. A peine enfoncé dans son siège qu'il commença à ronfler, dormant comme un bébé à la lueur du soleil traversant la petite fenêtre carrée pour conquérir l'espace cloitré. Seulement, sa sieste fut de courte durée car la sonnette qui s'actionne quand on ouvre la porte du magasin retentit sourdement, et Talon bien que réputé comme le plus gros dormeur de tous les temps, reconnaissait entre mille le son de la cloche. Un nouveau client venait, sûrement. Ne prenant pas le temps de détailler le sieur ou la dame, il dit simplement:
-Bonjour !
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