Posté le 15/01/2013 04:14
La mine maussade et le regard embrumé, Llanistar regardait vaguement deux joueurs de lancers de dés. Depuis combien de temps ? Il n'aurait su le dire. Pendant un moment, les chopes de bière s'accumulaient sur sa table mais ensuite la serveuse du bar avait entreprit de l'en débarrasser. Il se doutait juste que le soleil était couché mais que la nuit n'avait pas assez avancé pour qu'il soit mit dehors, ou porté dans une chambre tant l'alcool avait eu raison de lui. Depuis des heures, il enchaînait les verres, ayant payé une somme astronomique quand il était encore en état de penser clairement. Longtemps, le général s'était contenté de fixer la neige, au dehors, puis chaque trogne de chaque dépravé qui, comme lui, venait oublier ses problèmes au lonlon bar.
Ah, oublier ses problèmes ! Plus facile à dire qu'à faire. A chaque fois que le nordique se redemandait pourquoi il s'était rendu dans ce débit de boisson, la réponse lui revenait avec plus de violence et il ressentait comme un coup de poignard dans une blessure ancienne mais qui n'avait jamais cicatrisée et dont l'état s'aggravait à mesure de ses nouveaux pics de souffrance. Au moins, dans ce bar loin de la cité, personne ne l'avait reconnu. Un bon point pour lui...Et pour eux. N'importe quel homme perdrait confiance en un dirigeant si il lui voyait dans un tel état...Si tant est que les hyliens lui aient jamais accordés leur confiance. Dans le fond de sa bouche, Llanistar sentait une bile de rancoeur se former et il ne parvenait pas à la faire disparaître. Son ressentiment restait là, bien ancré en lui.
Son humeur était déjà basse depuis un certain temps. Le mal du pays, surtout. Jamais le général ne s'était vraiment sentit chez lui à Hyrule et, à mesure que le temps passait, Artensir lui manquait de plus en plus. Waundel, ses montagnes enneigées , ses cours d'eau vive, ses forêts de pins élancés...Markand et ses innombrables délices, dont le meilleur lui manquait surement plus que tout ; Saad. Au début de sa relation avec Orpheos, Llanistar n'avait pas penser pouvoir se sentir déchiré entre ses deux amants mais son coeur ne lui obéissait plus, depuis peu. Jamais Saad et lui n'avaient vu leur relation comme autre chose qu'une amitié forte et noble mais Saad représentait son ancienne vie, sa vengeance, son passé. Orpheos, c'était Hyrule, la possibilité d'une vie normale mais honorable, un autre peuple à protéger...Et un amant qu'il commençait à aimer autant que le prince de Markand. Llanistar connaissait les vicissitudes du destin et son intuition commençait à lui faire comprendre qu'il finirait par devoir faire un choix. Un choix qui n'aurait rien de facile, qui le déchirerait en deux.
Devait il rejoindre Saad, suivre la prophétie de l'oracle d'Almanarian, assumer l'héritage de son grand père et accomplir son destin ?...Ou bien admettre la victoire de ses ennemis et accepter ce nouveau combat, protéger ce peuple, rester aux côtés de cet homme qui habitait déjà ses pensées à toute heure du jour et de la nuit ?
Llanistar s'était levé particulièrement maussade et mélancolique ce matin là. Comme d'ordinaire, il avait travaillé jusque tard dans la nuit de la veille et s'était trouvé trop éreinté pour aller dans les bras d'Orpheos oublier ses tourments. Lorsque sa servante lui avait apporté son déjeuner du matin, elle avait fait tomber de sa veste un journal. Par courtoisie, le nordique s'était penché pour le ramasser, et son regard encore ensommeillé avait parcouru quelques lignes. Ce qu'il avait lu le réveillé aussitôt et il se plongea dans la lecture, dédaignant toute nourriture. Il se rappelait encore de la mine embarrassée de sa servante. C'était une jeune fille bien, qui n'avait sûrement pas pensé à mal...Mais ce mal était fait. Il se souvint de l'effort qu'il avait dû effectuer pour lui ordonner doucement et en souriant de quitter la pièce. Lorsqu'il s'était retrouvé seul, il avait hurlé sa colère et jeté le torchon par la fenêtre de rage. On le disait inactif, impuissant, étranger, pas digne de confiance...Ce journal qui était lu par tout Hyrule le descendait en flèche, sans que personne n'y trouve sûrement à redire.
Le nordique avait souvent sentit cette défiance, ce mépris général. On respectait son grade, on se méfiait de sa personne. Un étranger, qui avait établit un couvre feu et fait entrer Hyrule dans la guerre. Llanistar agissait pratiquement seul : le vieux Cerscastel était son seul collaborateur. Et le chevalier n'avait pas une audience très large. Au final, le général pouvait bien travailler autant qu'il voulait, ses détracteurs le voyaient toujours comme un opportuniste illégitime. Il se rappela avoir crié.
"Qui sont ils pour me traîner dans la boue ?! J'ai fait tant pour eux ! J'ai plus agit pour le royaume que dix de leurs rois et voilà ma récompense ?! Ingrats ! Tous ingrats !"
Sous le coup de la rage, il avait retourné son bureau, envoyant valser l'amas de paperasse qui s'entassait dessus. Des mois qu'il se saignait, qu'il ne dormait presque pas, qu'il s'empêchait de côtoyer son amant pour se consacrer à son labeur et tout cela pour quoi ? Du mécontentement. Si seulement ils savaient ! Si seulement ces écrivains de pacotille pouvaient mesurer l'ampleur de la tache ! Furieux, il s'était vêtu comme un homme du commun et avait quitté le château discrètement, alors que la plupart de ses occupants dormaient encore. Son but : se saouler pour oublier ses tourments et cette feuille de chou à peine digne de torcher son cul. Llanistar n'avait même pas envie de se venger des calomniateurs. Si ils pensaient ainsi, tout Hyrule devait sans doute penser de même. Et il était las de tout ça. Las de devoir se défendre, d'endurer les soupçons, le mensonge, de devoir cacher ses amours aux yeux des hommes, de subir les excès de fiel de certains. Incognito, à pied, il sortit du bourg et se rendit d'un pas lent et fatigué vers un lieu où il était encore inconnu de visage : le ranch lonlon et son bar. Le soleil d'hiver tombait déjà, tôt dans cette journée courte, quand il arriva et s'installa. Et là il était, la tête lui tournant, la pensée lente et la douleur étouffée par l'alcool dieu. Si ils existaient, ces dieux, son sort serait il différent ? Llanistar en doutait : le destin lui même semblait le détester, et il le lui rendait bien. Quand à savoir si ce fut ce même destin qui plaça sur sa route la dernière personne qu'il aurait voulu voir, il n'en sut rien mais il grogna une malédiction dans sa barbe courte, le regardant venir vers lui d'un air mauvais.
Link le fixait d'un air outré, une expression clairement réprobatrice sur son visage. Pour qui se prenait il, ce petit morveux ! Pour un parangon de vertu ? Ah ! Pas foutu de se mettre au service de la couronne mais ça venait lui donner des leçons de morale ! Ce gosse n'était pas un chevalier, c'était un justicier. Et si, plus sobre, Llanistar aurait pu comprendre ses raisons, l'alcool rendait ce rôle à vomir, à ses yeux. Le gamin lui déposa une légère tape sur l'épaule, qui fit frissonner le nordique, puis s'installa en face de lui, avant de déclarer, de son ton horripilant :
"Par les Déesses, que faites-vous dans un endroit pareil, à une heure pareille, et dans pareil accoutrement ? Parlez !
Un instant, Llanistar fut tenté de lui envoyer sa chope à la figure. Ouais, dans ce si beau p'tit visage d'enfant ! Et puis son poing ensuite. On ne lui avait plus parlé ainsi depuis longtemps, peut être trop longtemps. Mais aviné ainsi, il prit la question comme un interrogatoire et l'invitation à répondre comme un ordre brusque. Il détourna la tête de ces yeux trop bleus. Puis il finit par lâcher, la voix rauque et caverneuse, une voix qui ne lui ressemblait pas :
"Mêle toi de ce qui te regarde, gamin."
Le nordique était sec. Il se sentait mal en présence de Link. Le gamin l'énervait, avec sa pureté, son innocence, sa morale ...Mais surtout il renvoyait à Llanistar une bien piètre image de lui même. Le gosse lui faisait penser à un autre gamin, quelques années auparavant, plein d'espoir et d'illusions sur le monde. Un gamin qui aimait une femme plus que tous, s'émerveillait devant un coucher de soleil et ne voyait que le bien chez autrui. Un gamin qui était mort, un beau jour, sous une pluie battante, au pied d'une croix.
Ressentant un malaise à avoir eu une attitude aussi sèche, il reprit, toujours sans regarder Link, plus doucement.
"Excuse moi...C'est juste que...ca va pas bien fort."
Il vida sa chope d'un coup et fit signe à la serveuse de lui en rapporter une. Puis, avant que Link ne pose sa question, il tira de sa chope un exemplaire du journal, qu'il avait récupéré en traversant le bourg. Dieux qu'il avait envie de cramer ce torchon...Mais en faire disparaître un ne ferait rien. Il ne restait plus que l'alcool pour oublier...Et arrêter de penser.