Posté le 14/07/2012 02:20
La témérité n'a jamais rien eu de vertueux. Pire que la lâcheté, sans doute, c'est le plus gros des vices que l'on puisse attacher au courage. Un chat est un chat, une pute qui parle bien reste une pute. Il faut plus que des mots pour faire une femme, comme il faut plus qu'une bague pour faire une Reine. Des gens à même de manier la langue avec une aisance des plus remarquable, il en avait rencontré tant. Des autrement plus doués qu'elle, des moins bons. Mais aucun qui n'osait découvrir son visage quand il lui fallait prendre la parole.
Cela étant dit, il fallait reconnaître que ça ne le dérangeait pas. Il n'avait rien à faire de qui était cette femelle, ni de pourquoi elle cachait sa silhouette. A chacun ses problèmes, après tout, et le sien était déjà suffisamment lourd à porter pour qu'il s'entiche de celui des autres.
S'il avait été d'humeur joyeuse, sans doute que la réplique de la jeune dame lui aurait lui aussi tiré un sourire provocateur, mais comme de coutume, ce lieu suffisait à le faire entrer dans le cercle vicieux des émotions noires. Ire antique avec pour partenaire une tristesse dont les seules bornes semblaient être les lignes des horizons. L'Hylien haïssait ce monde pour ce qu'il lui avait pris, comme il se haïssait de se l'être laissé prendre. Mais face à la peine, même la colère finit par s'effacer. N'en reste pas plus qu'une toile aussi sombre que le désespoir, et souvent aussi chatoyante qu'un noir des plus sobres.
Ah..! Que la défense de cette jeune fille lui semblait facile. Quoi de plus simple que la provocation ? Bien qu'avec les temps qui courraient, il fallait reconnaître que les téméraires se faisaient plus rares. Ou disons... Les rebelles moins insistants. Peu nombreux ceux qui osaient encore pousser la chanson plus loin qu'une première mise en garde. Bah..! Qu'importe. Mais que la Garde ne vienne pas se plaindre, alors.
Il n'avait que peu de doutes sur le genre d'identités que celle que pouvait revêtir l'inconnue. Dame de haute naissance, ou de prestigieuse lignée. Imbue d'elle même, oisive, et prétentieuse. De celles qui n'ont rien fait et jouissent de privilèges dus à papa, et en raison de papa s'estiment supérieurs aux autres. L'une des plus grosses véroles de ce monde. S'il n'existaient pas... Non. Nulle utilité que de ré-écrire l'histoire.
Cheveux-de-Jais n'avait prêté qu'un oeil au spectateur qui s'était tranquillement installé là où lui même se tenait un instant plutôt. Décidément, les gens tenaient à lui donner tort en ce début de nuit d'été, faisant de ce lieux qu'il pensait calme et esseulé un véritable carrefour, à la limite du comptoir commercial. Le tiers en question n'avait pas l'air de vouloir prendre part au conflit – les Déesses lui en faisait grâce, il lui serait désagréable de filer au trou parce qu'un autre homme lui coûtait des crosses – et se savoir observé ne le dérangeait pas (ne le dérangeait plus, en fait) outre mesure. Qu'est-ce qu'un animal blessé et n'ayant plus rien à perdre aurait à craindre d'être observé par un gamin amorphe et visiblement aphone ?
Enfin, dans un geste emprunt d'une élégance indéniable, et après des propos jurants avec ceux tenus jusqu'à présent, elle défit le voile qui pesait sur son identité. Mystère levé, il s'agissait de la très tristement célèbre Prêtresse de Din, épouse Dragmire. Ce fut son tour de voir son visage s'étirer en un rictus amusé – sobrement amusé, et toujours dans un bien sombre registre, mais amusé tout de même –. Non... Sérieusement ? Tout ce jeu pour ça ?
Grisaille quitta l'autel, et les quelques marches qui le séparait de la pauvre dame. Elle n'évoquait rien sinon mépris à ses yeux. Sa main droite – blessée – glissa silencieusement, alors qu'il était encore dissimulé par la petite table de bois vers le poignard à sa hanche (et suffisamment discrètement pour que l'autre n'y voit rien). D'un geste d'habitué, il le fit sien, et le cacha de nouveau dans les plis de sa manche. Son visage respirait désormais la tranquillité, tandis qu'il arborait un sourire content.
Un pas. Deux pas. Trois pas. Ils se retrouvèrent face à face. Sa main gauche vint caresser délicatement la joue, comme l'eut fait un amant. Puis, bien vite, sans que cela paraisse illogique – dans la continuité du mouvement – sa main se plaqua sur sa bouche, lui empêchant toute parole.
"Tais toi. Tu parles trop." Son regard gris chercha celui de l'avatar de la Déesse. Un regard parfois plus animal qu'humain. «Laisse-moi te rappeler, petite prêtresse, » Reprit-il, à son oreille, appuyant soudainement le fil du poignard contre le bas-ventre de la jeune femme, et dissimulant son acte par le biais de cette pèlerine grise qu'il portait. « que ceux qui n'essayent pas sont ceux dénués d'intérêts. Et nul n'ignore que tu as passé le plus clair de ton temps à geindre comme une enfant avant de te résigner. Belle tentative je dois dire. » Un léger temps de silence. Sa voix n'avait pas été élevée, et ce du début à la fin : il n'avait ni haussé le ton auparavant, ni à l'instant. La pression de la lame se fit sentir puis fortement, sans être dangereuse encore. « N'oublies pas non plus qu'il faut plus que de beaux atours pour faire une prêtresse, plus qu'une langue sournoise pour faire une femme, et plus qu'une bague, de quelque provenance qu'elle soit, pour faire une Reine... En revanche, il ne suffit que d'un geste pour faire une morte ce soir. »
L'Hylien joint alors le geste à la parole : un coup sec, vif et précis vint déchirer sur une longueur de trois pouces pleins la belle robe de la jeune femme. Plus de peur que de mal, elle n'avait rien. Il se détacha d'elle, et libéra ses lèvres.
"Oh ! Quelle maladresse ! Je vous prie de m'excuser, madame la prêtresse, et en espérant que votre divin estomac craigne moins l'acier que ne le faisaient ces soieries..!" Fit-il, lui tournant d'ores et déjà le dos, et reprenant un timbre normal (afin que tous les présents puissent l'entendre, et la tourner en dérision publiquement), quoique très clairement plaisantin. Et en deux pas, il quitta la Cathédrale, le poing refermé sur le propre anneau qu'il portait autour du cou.