Posté le 01/02/2011 06:41
Les ombres s’allongeaient de plus en plus, se faisaient paresseuses, tandis que la soirée s’installait. Et dans cette douce semi-pénombre, ce doux chant quasi-nocturne des rues qui se vidaient, on entendait, au coin d’une ruelle, un doux, mélodieux, serein :
« Bordel ! Mais lâche-moi un peu, bon sang ! »
Ah ! La journée était absolument parfaite- ainsi se chantait l’Autre à lui-même, ressentant une profonde joie intérieure. Il le savait, qu’il était parfois un peu vache, mais que cela était… intéressant. C’était avec une curiosité tout à fait scientifique qu’il testait les limites de son cher et tendre, et la problématique était ainsi : Jusqu’à où un jeune homme plein de vigueur pouvait-il crier avant de s’exploser les poumons ? La capacité de résistance, pour le moment, était tout à fait impressionnante.
Pourquoi ne pas tenter d’attirer un peu plus sur soi les foudres d’Abi-chou ?
Sa main, légère, se glissa sur son épaule, tandis qu’il guettait la réaction de son sujet d’expériences, qui ne se fit pas attendre, non. Pas de cris, quel dommage. Mais une bien belle querelle gestuelle tout de même. Ah ! Quelle colère ! Quelle haine, hargne, mes bons amis !
Au fil du temps il avait fini par cerner ce qui exaspérait au plus au point son cher compagnon, et à vrai dire, il n’avait jamais connu personne assez susceptible et fougueuse pour s’emporter au moindre souffle de taquinerie qu’on lui octroyait que le rouquin adoré. C’en devenait quasiment prévisible, parfois, mais toujours les cris étaient plus forts et son vocabulaire à l’égard de l’Autre se faisait même un peu plus fourni… On pouvait se permettre un peu d’espoir.
Mais autant pousser un petit peu cet élan d’enrichissement verbal, non ?
« Eh bien alors, Abi-chou, pourquoi cette violence à mon égard ? Ah ! Et dire que tant d'amitié, tant d'égards sont si ardemment rejetés ! Comme cela est triste ! Que faire donc pour que cesse cette affreuse animosité ? »
Hm-hm. Simple haussement de sourcil. Ah ! Il n’y aurait que peu de réactions, ce soir. C’était bien dommage. L’étude attendrait le lendemain, à partir d’une certaine heure, il avait remarqué que son cher ami fatiguait- et était donc moins enclin aux cris mélodieux et violents, Ah ! Oui. Bien dommage.
C’était parfois un peu déroutant, sous ses airs effarouchés, le petit pouvait se monter calme. Et oui, voir un Abigail calme, c’était… pour le moins… incongru, non ? Ah, oui, au premier abord, il était certain que ça l’avait dérouté, mais finalement, cela ne faisait qu’attiser ce drôle de plaisir que de voir les gens exploser à la moindre parole, et s’il n’avait jamais d’accalmie, l’éruption aurait bien mois de saveur ♥.
Une connaissance mutuelle était nécessaire, dans ce genre de travail, et il avait appris à connaître son doux ami. Bien sûr que c’était réciproque, Abi-chou l’avait constamment sur le dos, et à vivre ensemble on apprenait… deux ou trois petites choses, non ? Il leur arrivait même d’avoir des discussions sans éclats de voix, bien que cela restait rare, et généralement… imprévu, du moins du côté de l’Autre.
Mais là, Abigail était las, cela se voyait, dans ces yeux fatigués. Il craquait, comme ça lui arrivait parfois- mais il savait également que cela ne suffirait pas à calmer son ‘époux’.
« Pourquoi t'arrêtes pas, dis ? Pourquoi t'arrêtes pas ? Nan. T'approche pas. Arrête de me tripoter. J'en ai ras-l'cul, que tout l'monde ait l'air de croire qu'il y a cette... cette saloperie, entre nous. »
Nous y voilà. Hu hu. Tous ces mots inexprimés, Ah ! L’Autre comprenait bien le message, évidemment. Quoiqu’on puisse en dire, il n’était pas totalement idiot non plus, et pas totalement long à la compréhension. Surtout que ce langage du corps était devenu bien, bien éloquent. Mais que faire ? C’était plus fort que lui. Chassez le naturel… Il appréciait le rouquin. Il lui parlait souvent, et souvent le jeune homme lui parlait également, il pouvait se montrer compréhensif, et il s’était vraiment habitué à sa présence… Mais il avait toujours été trop. Irresponsable, léger, embêtant, taquin, toujours, et il ne pouvait changer à la moindre demande… non ?
« Ad'. »
Ce n’était qu’un souffle, et pourtant, cela le fit réagir. Ah ! Que de temps qu’on ne l’avait pas appelé de la sorte ! Ce n’était pas par un quelconque goût du mystère, qu’il se faisait appeler l’Autre, mais simplement car on l’avait rarement appelé autrement, et ce qui était à la base un simple surnom utilisé par son entourage était devenu son véritable patronyme, au point tel qu’il en avait presque oublié comment il se nommait. Rares était ceux qu’il jugeait nécessaire de mettre au courant, mais il y en avait, un peu… Un tout petit peu. Ce prénom était devenu obsolète. Mais il rappelait quelques souvenirs, quand même. Ah ! Cette camaraderie qui avait remplacé une romance inexistante ! Le regrettait-il vraiment ?
Et il le voyait, le pauvre garçon, tellement épuisé par ces incessantes moqueries ! Ah ! Cet épuisement était moins drôle, tout de suite. Il les voyait, ces suppliques non formulées, ce regard, mes bons amis ! Ces yeux fixés sur lui, dans une prière silencieuse !
« -Simplement parce que… c’est amusant, Abi-ch… Abigail ! Tu commence à me connaître, mon cher. C’est tout simplement une réaction réflexe, irrévocable et spontanée : Et si cela te lasse, Ah ! Ma foi, tu aurais dû tomber sur une autre personne, tu n’as pas de chance, vraiment. »
Prénom contre prénom, après tout, hmm ? Et, à la manière des yeux, le sourire se faisait éloquent : "Je suis comme ça, depuis que je suis tout petit, je suis comme ça, ne me demande pas de me comporter différemment, car même si, par le plus grand des hasards j’avais un jour envie de cesser, j’en serais bien incapable. C’est tellement… hilarant ! Alors je n’arrêterais pas, même si ça te dégoute, même si deux hommes s’aimant est une chose qui te révulse, tout simplement car… et bien tant pis pour toi, tu n’avais qu’à pas croiser ma route par ce charmant soir d’été, le jour de notre rencontre, hu hu ♥ "
Et tandis que les ombres s’allongeaient, son cher compagnon lui hurlait occulairement parlant de se calmer, il lui hurlait toute cette confiance, cette foi, et même si l’Autre la connaissait, il devait bien avouer que cela le mettait presque mal à l’aise. Si le scientifique s’attachait au cobaye, mais où allait le monde ? Si le cobaye s'attachait à son tourmenteur, alors là, mes bons amis...
Mais c'était... d'autant plus cocasse. ♥