Posté le 07/08/2012 12:52
Astre n’avait que trop de temps à perdre. Il hantait les rues du bourg d’Hyrule, glissant sur le sol pavé, contre le mur ; personne ne le pouvait le voir, car il l’avait décidé. Sa dignité, son honneur, sa fierté, son orgueil… Ces idéaux qui n’avaient plus aucun sens dans ce monde où les récompenses ne se donnaient non pas grâce à un travail bien fait mais au terme de flatteries et de bouche-à-queues. Il les gardait bien enfouis au fond de son être. L’insigne Phénix, qu’il portait en vue du contrat qu’il avait tacitement signé, brillait comme pour signaler la déchéance intégrale du Chevalier noir, et la honte qui pesait sur ses épaules comme un sac rempli de pierres. La broche en forme de phénix était l’insignifiante preuve de son appartenance à la ligue héroïque, mais elle suffisait à elle seule à lui rappeler sa condition de sans-famille. Par faiblesse, il s’était rallié à la guilde royaliste. De dépit, il envoya un glaire nourrir les pigeons, qui guettaient dans la nuit quelque épis de blé ou merde de chien à grignoter. Ces maudits volatiles ne lui évoquaient que trop bien les hauts dignitaires de cette société corrompue. Hideux, sales, puants, prêts à tout pour avoir un morceau de choix. Et lui qui, par acquis de conscience, se refusait à en faire partie restait seul. Quelle connerie…
Il marchait dans l’une des ruelles principales de la place du marché. Il l’avait tant et tant parcourue auparavant, le pas aérien et le port altier, plein de fierté, bouffi d’importance, majestueux comme un oiseau de proie. Réduit à néant par les trahisons successives de son « père » et de ses «frère et sœurs ». A moins qu’ils n’aient finalement eu plus d’ambition que lui… qu’ils aient préféré choisir gagner quelques miettes, quitte à abandonner l’habit d’aigle pour celui de pigeon. Astre n’en savait rien, ne voulait pas savoir. L’état des choses, c’est qu’il s’était accroché à ses principes et qu’il avait accepté tous ces malheurs sans broncher, malgré les terribles jumelles -déception et mélancolie- qui s’étaient éprises de lui. Les gueuses… s’il était resté seul depuis le départ, il n’aurait pas attaché d’importance aux autres, qui se révélaient tous sans exception des pourritures sans honneur.
Sans s’en rendre compte, il était arrivé devant l’auberge de l’affreux NuttyK, ce troll sans vergogne et sans scrupules, qui vendait sa vase à prix d’or. Le chien… Astre entra ; il avait quelques rubis qui pesaient dans sa bourse, et vu qu’il ne savait qu’en faire, cela méritait bien un petit remontant. La moins pire des boissons dans les vitrines crasseuses de ce bâtard de tavernier, c’était probablement la bière. Goût de pisse, odeur de pisse, texture de pisse. Non qu’il n’en ait déjà bu, mais il devinait que si la pisse devait avoir un goût, ce serait celle de sa bière. Il ne serait pas étonné d’ailleurs que NuttyK coupe cette boisson avec sa propre urine, rien que pour économiser quelques rubis. Commerçant pourri, symbole de cette Hyrule décadente.
« Une bière… ». Quand il pensait qu’il avait scellé le pace des nouvelles Profondes Ténèbres à ce même endroit, et qu’il avait retrouvé son frère d’armes après leur chute toujours ici, il rageait. En cette soirée sans couleurs, il était sûr qu’il ne se passerait rien. Peut-être un chahuteur viendrait tout au plus l’emmerder, et le Damné lui collerait un ou deux pains dans la gueule pour le calmer.