Maladresses

[Pv. Astre]

[ Hors timeline ]

Carmen


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(vide)

    La place du marché était bondée, comme à l'accoutumée. Le soleil, malgré la saison des feuilles tombantes naissante, tapait fort sur les environs.
    Carmen avait débarqué il y a peu de temps à la capitale ; elle s'était trouvé un logement provisoire, mais l'argent venait souvent à lui manquer. Ses repas, frugaux, ne se composaient pour la plupart jamais de grand chose ; juste, l'une ou l'autre fois, une pauvre pomme chipée sur un stand.
    Elle était vêtue comme toujours de vêtements amples et à la texture légère ; un haut aux longues manches tombantes, un short marron cachant ses cuisses des regards indiscrets, de solides bottes montant sur ses mollets. Ses yeux d'ambres parcouraient la place de long en large, se fixant par intermittence sur les étalages entre lesquels elle déambulait, croquant à pleines dents dans un fruit qu'elle avait discrètement retiré de l'un d'entre eux. Elle savoura un instant son maigre repas, avant de s'éloigner des coins les plus fréquentés, tout en captant les œillades discrètes de quelques passants intrigués par son accoutrement, certainement pas habitués à ce qu'une jeune fille d'à peine vingt ans ne soit pas habillé de robes tombantes. Pourtant, elle en était certaine, elle en avait croisée d'autres.
    Elle ne pouvait être la seule à ne pas se fier à ce code.
    Carmen ne parvenait pas à se concentrer sur ce qu'elle faisait, trop absorbée dans ses pensées. Elle ne comprenait plus ce qu'elle faisait là, en Hyrule. Voilà des jours qu'elle tournait en rond et se tournait les pouces, ne sachant que faire et où aller. Elle avait pris la décision de partir, et retrouver les assassins de feu sa mère. Mais par où commencer ? Elle avait été idiote, et irréfléchie. Cela ne changeait pas réellement de d'habitude, à vrai dire. Mais rester immobile lui semblait une épreuve de plus en plus insoutenable.
    « Que faire ? » soupira-t-elle en son fort intérieur, finissant sa pomme et jetant son trognon plus loin sur le sol.
    Elle continua sa route, engloutie par la vision de la foule dense, et fonça dans un gros gaillard plein de muscles qui la regarda ensuite de haut. Il sentait la boisson si fort que son haleine la fit grimacer.

    « Ben alors, mam'zelle, on tient plus sur ses guiboles ? se moqua-t-il de sa grosse voix, un rictus sévère se plantant sur ses lèvres.
    - Navrée, vraiment, » souffla la blonde pour toute réponse, baissant la tête afin de pouvoir continuer sa route incognito.

    Pourquoi avait-elle toujours le chic de ne pas savoir où mettre les pieds ? Voilà une chose de plus qu'il lui faudrait rapidement corriger. Pour sa propre survie, s'entend.

    « Eh, mam'zelle, j'te cause. T'es bien arrogante, pour une naine. »
    Carmen fit immédiatement volte-face, laissant voleter ses longs cheveux clairs autour de son visage, et l'assassinat littéralement du regard.

    « Certainement suis-je naine, mais je ne transpire pas l'alcool par tous les pores de ma peau, » siffla-t-elle, acide.

    Les sourcils de l'homme se froncèrent. Il ne sembla pas comprendre. Elle se retourna à nouveau, se mordit la langue pour ne rien ajouter de plus. Elle ne maîtrisait peut-être pas le B.A.-BA de la bonne petite voleuse, mais savoir manipuler les mots avec aisance et trop d'insistance lui valait souvent de se vautrer dans les emmerdes les plus inimaginables. Cela aussi, à corriger, un de ces jours.
    À peine quelques mètres plus loin, elle s'emmêla une fois de plus les pieds, et manqua de s'étaler au sol.

    « Mais c'est pas vrai... » souffla-t-elle, désespérée par sa propre maladresse.

    Elle se contenta de s'éloigner le plus possible de la cohue, et s'appuya contre un mur.


Astre


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(vide)

Astre marchait comme un prince, la tête haute et la fierté renouvelée. Son sang affluait vigoureusement dans ses veines, comme si la vitalité nouvelle qui coulait en lui était impatiente de s’exercer. Vêtu d’une chemise en lin noire sur des bas de même teinte, il portait les bottes hautes, à la mode seigneuriale, c’est-à-dire montantes jusqu’aux genoux. Une belle ceinture en cuir retourné ceignait le tout, boucle d’argent en tête de serpent comme seul signe d’ostentation. Une cape d’un bleu sombre lui couvrait les épaules, et c’est ainsi qu’il parcourait à grandes enjambées ce lieu de rencontres fort apprécié des villageois et artisans, la Place du Marché. Son regard électrisait la foule et obligeait les passants qui osaient lui jeter un regard à baisser le leur. Il suait l’orgueil et la puissance, lui qui semblait si faible il y a seulement plusieurs jours. Si faible et si ratatiné.

Dans la brume de ses pensées voletait quelque espoir à l’éclat peu brillant, mais assez communicatif pour qu’il puisse se sentir bien. L’espoir d’un avenir frais et brûlant, violent même, où l’épée aurait de quoi s’entretenir, consumait –à petit feu néanmoins- son énergie. Ses échecs passés ne sauraient être réitérés, il y veillerait. A nouveau il aurait le pouvoir de scintiller, à nouveau il marquerait les esprits de sa cruauté, cruauté nécessaire à l’instauration d’une nouvelle ère d’ordre. Les Phénix n’étaient pas un problème, après tout il n’était engagé que financièrement et corporellement dans cette guilde ; son honneur était sauf, il ne faisait que garder quelque santé physique le temps de réhabiliter dans ce monde de vices ses principes éradicateurs de débauche et de stupidité. Oui, sa langue habile allait à nouveau cracher, vomir sa bile empoisonnée, et le venin emporterait les bourgeois et les crétins dans une boue nauséeuse qui les retiendrait solidement.

L’astre solaire, grosse bille d’or fondu en plein milieu d’un ciel azur, baignait la place dans une lumière agréable. Certains lézardaient paresseusement sur un banc, ou contre les bâtiments sales. Astre, en les observant du coin de l’œil, avait envie de les tuer. Et oui, c’était décidément une bonne journée ! Il y avait autour de lui un espace suffisant pour qu’il puisse respirer, les femmes et les hommes le fuyant comme la peste. Il était heureux d’inspirer un minimum de crainte (synonyme de respect) et il dévorait de ses yeux cramoisis tout ce panorama urbain, à la fois repoussant et attirant, laid et beau, triste et joyeux. Il cracha par terre, habitude devenue tic chez lui tant il était dégoûté par le monde qui l’entourait. Un nuage voila un instant le soleil, et ses yeux s’inclinèrent par automatisme vers le sol. Une masse le projeta en arrière avec violence. Il fut repoussé de quelques mètres. Il plissa le front, fronça les sourcils et ses yeux jetèrent des éclairs. Il était prêt à faire éclater une sourde colère quand il aperçut le malandrin, le vil perturbateur, assis sur son derrière échauffé et la mine déboussolée. Il la toisa tout d’abord, arquant un sourcil méchant, puis soupira devant la bêtise et la maladresse infantile de la jeune demoiselle. Si elle avait été un homme, la réaction du Chevalier noir aurait probablement été tout autre. Mais les circonstances présentes le faisaient réagir plutôt bien, et il décida de saisir l’opportunité de sa calme attitude.

« Et bien… ». Il ne savait pas quoi dire. Il la dévisageait insolemment, de bas en haut, intrigué qu’une femme de son âge puisse porter des vêtements d’homme. Il passa outre, et lui tendit la main en guise de mots. Il ne savait pas quelle force divine le pousser à cette amabilité, mais il n’en tint cure et envoya les déesses au diable.


Carmen


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(vide)

Définitivement, ce n'était pas sa journée.
À peine éloignée de la foule – pour ne pas causer plus d'ennuis et ne pas se ratatiner contre le sol comme une pauvre imbécile ingénue incapable de mettre un pied devant l'autre, notamment – Carmen prit une longue inspiration, et considéra la place. De là où elle se trouvait, et souhaitant probablement se diriger vers son domicile – ou tout autre endroit que celui-ci, grouillant de monde –, elle constata à son grand désespoir qu'elle devrait traverser la place dans sa largeur pour pouvoir y parvenir. Elle se molesta intérieurement, levant les yeux au ciel.
La jeune femme slaloma entre les passants plus ou moins pressés, et, ne faisant – une fois de plus – pas réellement attention, se cogna avec force contre quelqu'un – là aussi « une fois de plus ». Projetée en arrière et atterrissant peu élégamment sur son arrière-train, elle laissa échapper un petit « ouch » sonore.

« Et bien… »

Elle se figea un instant, releva ensuite lentement les yeux. Il lui sembla qu'une éternité s'était déroulée entre le moment où elle avait commencé à les lever et celui où elle croisa les perles rubis de l'homme qu'elle avait bousculé. De là où elle se tenait, assise sur le sol, l'homme paraissait si haut qu'elle en aurait presque eu le vertige. Il la fixait d'un air si effronté que, si elle ne s'était pas retrouvée en une telle position de faiblesse, elle lui aurait craché quelque vilénie à la figure. Néanmoins, un peu sonnée, elle se vit si chétive face à lui qu'elle ne put même pas articuler une excuse palote et sans intérêt. Ce n'était pas tant sa taille qui lui faisait craindre le pire, mais plutôt cette lueur malsaine qui dansait au fond de son regard ainsi que cette aura de fauve qui se dégageait de lui. Cette aura d'arrogance et de puissance que possèdent les gens si imbus d'eux-même qu'ils ne sentaient même plus leurs chevilles enfler.
Une chose qui l'étonna beaucoup plus, ce fut ce geste pas réellement humble, mais qu'aucun homme si hautain – comme elle l'imaginait – ne se serait abaissé à exécuter. L'homme lui tendit la main, l'interrogation brillant dans ses pupilles. Sans réellement comprendre, elle l'attrapa pour se hisser à nouveau sur ses jambes fines, tout en proférant un faible :

« Je suis désolée. » Elle ne se rendit compte qu'après coup que celui-ci avait dû être totalement inaudible.

Sa main était large ; une véritable main d'homme. Ce constat l'effraya quelque peu, et elle le lâcha précipitamment.

« Merci, » murmura-t-elle simplement, un peu mal à l'aise. Elle n'avait pas pour habitude qu'on lui propose une aide, et la plupart des hommes qui posaient la main sur elle n'avaient pas d'intentions très charitables. Souvent, elle en ressortait indemne, mais de nombreux hématomes parsemaient son corps, qu'elle poussait jusqu'à sa limite.

C'était aussi ça, vivre en dehors de toutes les lois.
Elle releva finalement les yeux, et confirma que l'homme en face d'elle était bien plus grand que ce qu'elle avait même osé imaginer. Se raclant la gorge, elle reprit néanmoins d'une voix claire et bien plus assurée qu'elle ne l'était :

« Désolée de vous avoir bousculé, je ne vous avais pas... vu. » Sa voix flancha sur le dernier mot.

Elle disait la vérité, bien évidemment. Simplement, plus elle le regardait, et plus elle se rendait compte que sa remarque avait été complètement idiote. Ce type, comment pouvait-on faire pour ne pas le remarquer ?


Astre


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(vide)

Elle avait pris la main qu’il lui tendait avec la fougue qui caractérisait sa jeunesse. Hissée –et vissée surtout- sur ses deux jambes elle marmonna quelque chose que l’ouïe pourtant si fine du guerrier ne parvint pas à entendre. Elle semblait dans un autre monde. Alors que les deux sphères d’ambre qui lui servaient d’yeux papillonnaient autour, elle les arrêta pendant un instant qui parut une éternité sur la paluche d’Astre qu’elle tenait fermement –un peu trop même, avant de s’en défaire comme si elle avait pris conscience du contact et que ça l’avait effrayée. Elle le remercia sobrement, un peu secouée. Astre faisait abstraction de la situation, comme si l’avoir soulevée et remise sur pieds était une action bien antérieure à ce jour. Il affichait sur ses traits délicats une expression d’ennui ; était-il ennuyé par sa propre faiblesse, par celle de la donzelle, ou bien parce qu’elle lui avait lâché la main ? Il eut un ricanement muet. Voilà fort longtemps qu’il n’avait pas eu de contact physique –si petit que fut cette poignée de mains- avec une femme !

« Désolée de vous avoir bousculé, je ne vous avais pas... vu. »

Elle avait un ton troublé ; lui faisait-il peur ? Astre aurait voulu avoir un miroir pour se gausser un peu de son portrait. Son visage, même s’il avait repris un peu de consistance, restait émacié et la pâleur mortelle qui le peignait ne l’avait pas quitté. Malgré tout, drapé qu’il était dans le noir le plus funèbre, sa haute taille et les deux torches qui brûlaient au fond de ses orbites, il ne devait pas briller de sa superbe. Il avait probablement une tête à s’occuper des rites funéraires.

Ils restaient là, presque penauds, ne sachant que dire ou que faire, comme deux amis d’enfance qui ne se sont pas croisés de longue date. La caresse du vent soulevait les mèches rebelles de la jeune fille, et ajoutait un filtre de brillance à ses yeux déjà scintillants. Astre avait la tête penchée sur le côté de quelques degrés, comme un reptile qui guette sa proie. Sa figure impassible évoquait une pierre tombale ; quelques inscriptions qui vous en disent juste assez sur la personne en face, sans pour autant creuser tous les détails. L’ex-sbire du Seigneur Ganondorf avait oublié tous les hurlements sauvages des maraîchers, le claquement des sabots contre les pavés, le vrombissement général de cette masse humaine dégoûtante… bref, tout le tohu-bohu de ces êtres préhistoriques, enfoncés dans leur vulgarité comme la hampe d’un drapeau dans le sol meuble. Il s’était exilé lui aussi, dans une terre bien connue, celles de rêves anciens, d’insouciance mièvre et d’innocence crasse. Il eut un sourire sans narquoiserie aucune, que ce soit envers la donzelle aux deux pieds gauches ou sa propre personne, maladroit dans l’âme.

« Il n’y a pas de mal… » dit-il d’un ton qui se voulait affable. Avant de reprendre, dans un murmure : « tu t’en tires bien… ». Il avait baissé la tête à cette phrase, peut-être plongé dans la contemplation soudaine de ses deux bottes, ou alors pour ne pas trop fixer de son regard de feu la petite princesse des rues. Des mots préfabriqués sortirent de sa gorge comme le magma d’un volcan.

« Tu es nouvelle, par ici ? » Il s’en serait mordu les doigts, ou plutôt tranché, pour sauver l’honneur sali par ce genre de banalités énervantes qu’il condamnait habituellement. Certains auraient jeté du sel par-dessus leur épaule, priant les déesses de leur pardonner cette boue verbale sans intérêt ; lui, pour conjurer le mauvais sort, il cracha par terre.