Posté le 22/09/2012 23:29
Astre marchait comme un prince, la tête haute et la fierté renouvelée. Son sang affluait vigoureusement dans ses veines, comme si la vitalité nouvelle qui coulait en lui était impatiente de s’exercer. Vêtu d’une chemise en lin noire sur des bas de même teinte, il portait les bottes hautes, à la mode seigneuriale, c’est-à-dire montantes jusqu’aux genoux. Une belle ceinture en cuir retourné ceignait le tout, boucle d’argent en tête de serpent comme seul signe d’ostentation. Une cape d’un bleu sombre lui couvrait les épaules, et c’est ainsi qu’il parcourait à grandes enjambées ce lieu de rencontres fort apprécié des villageois et artisans, la Place du Marché. Son regard électrisait la foule et obligeait les passants qui osaient lui jeter un regard à baisser le leur. Il suait l’orgueil et la puissance, lui qui semblait si faible il y a seulement plusieurs jours. Si faible et si ratatiné.
Dans la brume de ses pensées voletait quelque espoir à l’éclat peu brillant, mais assez communicatif pour qu’il puisse se sentir bien. L’espoir d’un avenir frais et brûlant, violent même, où l’épée aurait de quoi s’entretenir, consumait –à petit feu néanmoins- son énergie. Ses échecs passés ne sauraient être réitérés, il y veillerait. A nouveau il aurait le pouvoir de scintiller, à nouveau il marquerait les esprits de sa cruauté, cruauté nécessaire à l’instauration d’une nouvelle ère d’ordre. Les Phénix n’étaient pas un problème, après tout il n’était engagé que financièrement et corporellement dans cette guilde ; son honneur était sauf, il ne faisait que garder quelque santé physique le temps de réhabiliter dans ce monde de vices ses principes éradicateurs de débauche et de stupidité. Oui, sa langue habile allait à nouveau cracher, vomir sa bile empoisonnée, et le venin emporterait les bourgeois et les crétins dans une boue nauséeuse qui les retiendrait solidement.
L’astre solaire, grosse bille d’or fondu en plein milieu d’un ciel azur, baignait la place dans une lumière agréable. Certains lézardaient paresseusement sur un banc, ou contre les bâtiments sales. Astre, en les observant du coin de l’œil, avait envie de les tuer. Et oui, c’était décidément une bonne journée ! Il y avait autour de lui un espace suffisant pour qu’il puisse respirer, les femmes et les hommes le fuyant comme la peste. Il était heureux d’inspirer un minimum de crainte (synonyme de respect) et il dévorait de ses yeux cramoisis tout ce panorama urbain, à la fois repoussant et attirant, laid et beau, triste et joyeux. Il cracha par terre, habitude devenue tic chez lui tant il était dégoûté par le monde qui l’entourait. Un nuage voila un instant le soleil, et ses yeux s’inclinèrent par automatisme vers le sol. Une masse le projeta en arrière avec violence. Il fut repoussé de quelques mètres. Il plissa le front, fronça les sourcils et ses yeux jetèrent des éclairs. Il était prêt à faire éclater une sourde colère quand il aperçut le malandrin, le vil perturbateur, assis sur son derrière échauffé et la mine déboussolée. Il la toisa tout d’abord, arquant un sourcil méchant, puis soupira devant la bêtise et la maladresse infantile de la jeune demoiselle. Si elle avait été un homme, la réaction du Chevalier noir aurait probablement été tout autre. Mais les circonstances présentes le faisaient réagir plutôt bien, et il décida de saisir l’opportunité de sa calme attitude.
« Et bien… ». Il ne savait pas quoi dire. Il la dévisageait insolemment, de bas en haut, intrigué qu’une femme de son âge puisse porter des vêtements d’homme. Il passa outre, et lui tendit la main en guise de mots. Il ne savait pas quelle force divine le pousser à cette amabilité, mais il n’en tint cure et envoya les déesses au diable.