Posté le 19/09/2012 04:37
Le vieux Cerscastel s'étira longuement, s'autorisant un de ses rares instants de détente sur les quelques heures qu'avait duré leur réunion de travail. Par commodité, les deux hommes s'étaient établit dans les appartements même du vieux chevalier, fuyant la salle de ban qui accueillait les organisateurs des "nuits d'or". Déjà le zénith, Llanistar et lui épluchaient les rapports des espions, les reçus des derniers convois de vivres et les actes de recrutement. Plusieurs centaines de recrues le premier jours et un flux assez fort la semaine qui avait suivit...depuis il en arrivait peu mais chaque matin. Au final, l'armée pouvait compter sur un peu moins de deux mille âmes. Largement assez pour les plans du nordique...Et pour que le "vioque" commence à lui faire confiance. Leur regard fatigués se croisèrent et un léger sourire leur vint en même temps. Malgré la rudesse des premiers instants de leur cohabitation, Llanistar avait finit par trouver le vieil ours grincheux mais sympathique, doté d'une volonté de fer et par ailleurs d'une bonté d'âme rare. Il n'était pas fait du même bois que ces nobliaux qui naissaient riches, grandissaient riches et auxquels il fallait une armure blanche pour paraître plus ange que démon. Cercastel était têtu, certes, mais il avait bon fond et ne vivait que pour sa tâche. Le nordique commençait à se prendre d'affection pour lui.
Dehors, le loup hurla et le dernier Rusadir releva la tête de sa paperasse pour regarder la montagne du péril par la fenêtre, immense colosse noir qui masquait encore la lune montante. La nuit tombait et avec le jour s'en allait l'obligation de travailler. Car si les nuits d'or étaient synonymes de fête pour le petit peuple, c'était surtout pour Llanistar une période de paix où il n'aurait, normalement, rien à risquer de l'envahisseur. L'occasion pour lui de récupérer un peu et peut être de profiter un peu d'Orpheos. Son amant avait surement travaillé ardemment à l'organisation de la fête de la cité. Il se leva et s'étira à son tour. Cerscastel lui jetait un de ses regards dont il avait le secret. Il lui demanda alors, d'un ton qui surprit le nordique par son espièglerie.
-Alors ? Prêt pour une nuit agitée ?
Que !...
Llanistar dégluti difficilement. Il avait prévu d'attirer Orpheos à l'écart des festivités et de... Mais comment le vieux pouvait il savoir pour eux deux ? S'en fichait il à ce point pour en parler avec désinvolture ? Etait une ironie menaçante ? Ce n'est que lorsque le chevalier reprit que le nordique put à nouveau respirer.
-Je sais que vous préfériez aller dormir, mais le peuple voudra vous voir. Epargnez vous le calvaire de la dance si vous le voulez mais vous ne pourrez couper à un bain de foule. Oh, vous détesterez ça autant que moi !
Il pouffa et Llanistar l'imita tout en remerciant le ciel de s'être trompé. Jusque là, le secret était demeuré inconnu de tous excepté des deux amants, pour leur plus grand bonheur. Rares étaient devenues les nuits qu'ils ne passaient pas ensemble. L'un et l'autre profitaient intensément des passages secrets qui reliaient leurs deux chambres...Et qui semblaient s'étirer dans tout le château bien qu'ils n'aient jamais poussé leur curiosité jusqu'à les explorer à fond. Le nordique savait néanmoins qu'un accès secret pouvait le mener aux jardins ou en dehors du château si il le désirait...Ou si une situation urgente l'exigeait. Les seules urgences qu'il connaissait étaient celles du besoin physique et sentimentale de passer quelques instants avec celui qui ne quittait plus vraiment ses pensées. Il espérait sincèrement que jamais les soupçons ne pèseraient sur lui.
Prenait subitement conscience qu'il avait laissé Cerscastel sans raison un certain moment, il s'empressa de hausser les épaules et de déclarer sur un ton qui se voulait nonchalant et un peu las :
-Certaines corvées ne sauraient être évitées. Restez donc pour soulager vos vieux os au coin du feu ! Je saurais montrer mon plus beau profil à ces dames du peuple !
-Vous allez vous faire détester de leurs maris ! Enfin, essayez de vous amuser Rusadir. Je vous concède que je n'attendais pas autant d'engagement de votre part mais tout homme a ses limites et vous commencez à les longer. Profitez donc pendant quelques heures... La paix est devenue trop précieuse pour être gâchée.
Un voile de tristesse s'abattit sur les yeux verts du vieil homme et Llanistar devina que les souvenirs devaient l'envahir. Une vague de compassion l'envahit et il repensa lui même à quelqu'uns de ces visages qu'il avait vu mourir à la guerre. Dans les gorges de l'enfer, sur les marches de Markand, en pleine forêt d'Hearas...Pour la plupart des inconnus sous ses ordres dont il s'était voulu de ne pas connaître le nom et la voix. Il avait fait du sang et des armes son métier, presque naturellement mais il connaissait les instants de faiblesse de n'importe quel général. L'instant de dégoût du sang et des larmes, cet écoeurement qui vous prenait n'importe où et quand pour vous confronter aux horreurs que la violence engendrait et qu'elle continuerait d'engendrer, tant que la guerre continuerait.
Llanistar devait contourner le siège de Cerscastel pour quitter la chambre. En passant derrière lui, il posa une main compatissante sur l'épaule du vieil homme, un instant. Puis il s'en alla, le laissant avec ses fantômes. Il était bien placé pour savoir que personne ne souhaitait être dérangé dans ces cas là.
Alors qu'il se rendait à ses appartements, il croisa un serviteur qui eut un mouvement de recul en le voyant. Etait il donc si sale et mal apprêté ? Ses cheveux n'étaient pas brossés depuis une bonne semaine et il avait passé un temps fou sans sortir du château dernièrement mais il ne pouvait pas en être devenu repoussant. Il ne fallait pas. Lorsqu'il tomba sur une gouvernante, il demanda à ce que la première servante apprêteuse disponible lui soit envoyé. Cela ne traîna pas et à peine ouvrait il les volets de sa chambre qu'une jeune fille qui devait à peine frôler les quinze hivers toqua à sa porte et entra dans le même mouvement. Il n'eut pas besoin de mots, dés qu'elle l'eut vu, elle prit la situation en main et il se retrouva dans un bain chaud, une brosse passant dans ses cheveux devenus à présent vraiment longs. La jeune servante lui demanda si il comptait se rendre à la fête et après un simple signe de Llanistar, elle sortit une tenue parfaitement adaptée. Une tunique longue à manches courtes en soie noire sur une chemise du même tissu d'un bleu profond tous deux brodées de fils d'argent, des bottes d'un cuir élégant et souple, une ceinture à la boucle d'argent et une cape noire aux reflets bleus. Cette fille ne lui avait pas été envoyée par hasard, elle connaissait son affaire. Une fois habillé, le nordique sentit qu'il n'avait été que rarement aussi élégant et qu'il n'avait que rarement autant apprécié ce que lui renvoyait son miroir. Il se tourna vers la servante.
-Quel est ton nom ? Demanda t-il d'une voix douce.
-Eliana, messire. lui répondit elle, sans bredouiller ni accent populaire.
-Sois franche, comment me trouves tu ?
-Messire peut aller à la fête sans crainte, il ne manquera pas d'attirer le regard.
Llanistar la fixa. La plupart des serviteurs se seraient répandu en compliments sur sa beauté propre mais elle avait su lui dire exactement ce qu'il voulait savoir. Elle avait une certaine habileté en politique. Il retint son nom, Eliana, certain qu'elle pourrait se montrer utile par la suite. Traîner un secret sans avoir de soutient était presque impossible. S'assurer la loyauté de certains sur ce sujet permettait de vivre dans bien moins de peur...Pour peu qu'il réussisse à accorder à nouveau sa confiance à quelqu'un. Après l'avoir remercié, il prit un instant pour vérifier que le passage secret était bien fermé et sorti de la chambre. Il était l'heure de retrouver le cortège royal.
Il était convenu que la princesse Zelda irait au bourg accompagné des nobles et dignitaires du royaume, hommes et femmes montés sur tous les chevaux disponibles et portant des torches afin de symboliser la lueur d'espoir pour Hyrule et pour mettre le feu au grand brasier de la place. Le rendez vous était donc dans la première cour, à côté des écuries. Llanistar traversa la bibliothèque, vide en cette occasion et sortit de l'édifice principal. Après un bref passage dans les jardins royaux, il arriva dans la cour extérieure en même temps d'un flux de nobles en tout genre. Tous les chevaux étaient déjà positionnés en ordre pour aller jusqu'au bourg. Il tenta de reconnaître la princesse dans cette petite foule mais ce fut Orpheos qu'il vit alors...Son coeur se serra aussitôt. Si il s'était trouvé, avec arrogance, à son avantage dans sa chambre, il trouvait le chancelier aussi beau qu'un dieu, dans une tenue digne de son rang et qui le mettait en valeur. Ils devaient chevaucher sur la deuxième ligne, en tant que dignitaires importants mais la prudence fit choisir à Llanistar une monture légèrement éloignée de celle de son amant, bien qu'il ait profité d'un regard échangé pour lui sourire discrètement en se mordillant la lèvre inférieure. Ardu de se contenir face à un amant comme Orpheos lorsqu'il était à son avantage...mais les années passées à la cour du Kairn avait entraîné le nordique à ne jamais dévoiler plus que ce qu'il désirait montrer.
Alors que tous avaient prit place sur leurs montures, le cortège démarra. Le trajet jusqu'au bourg fut assez court et Llanistar satisfait de voir que la ville était animée par la joie et l'allégresse. Au moins cette nuit, le peuple oublierait le sang et les ombres. Déjà, certains musiciens jouaient, des jongleurs impressionnaient, des cracheurs de feu fascinaient...La fête ne les avait pas attendu et elle avait bien fait.
Aussitôt qu'ils furent tous arrivés, ils descendirent de chevaux. Et tandis que la princesse avançait vers le centre de la place et était timidement suivie par les nobles, Llanistar avança à reculons, réussit à se placer derrière Orpheos et, lorsqu'il était sur que personne ne faisait attention, lui susurra d'une voix qu'il aurait voulu simple mais où perçait une certaine excitation :
-Vous êtes bien en beauté ce soir, chancelier.