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Ah, trop de monde... Trop dangereux... » disait-il, s'emmitouflant dans ses maigres bras, blessés et écorchés. Le vagabond qui le suivait depuis un petit puits isolé désigné comme point de rendez-vous levait les yeux au ciel à chacune des remarques de son guide, qui le fatiguait avant même qu'il n'ait pensé au duel qui l'attendait. C'est en se délectant d'une petite lampée de son breuvage chéri qu'il continuait à avancer, tout en observant l'homme qui le menait à destination. Ce dernier, qui se retournait sans arrêt afin de surveiller leurs arrières et de vérifier si le maraudeur le suivait toujours, lui posa une question.
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Dites m'sieur, c'quoi dans votre gourde là ? Parce qu'à chaque fois qu'j'me r'tourne, z'êtes en train d'boire d'dans. 'Fin j'veux dire, v'devriez pas boire d'l'alcool avant d'vous battre quand même... J'connais bien ces tournois, j'les vois d'puis tout minot déjà. Et croyez-moi si vous r'partez du premier combat sans être blessé, c'est qu'z'êtes un vrai champion m'sieur, ouaip. Les adversaires sont pas des tendres. » dit-il assez bas avant de sursauter à l'approche d'un berger et d'une demi-douzaine de chèvres.
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Disons que mon corps se déshydrate à une alure phénoménale... répliqua Lloyfell, non sans esquisser un léger rictus.
Le vagabond siffla, observant les cieux. Son animal-compagnon, un aigle pomarin nommé Leanne, lui répondit. Elle vint aussitôt se poser sur son épaule gauche, profitant des caresses qu'il avait à lui offrir. Salaheem se retourna une fois de plus pour s'assurer qu'il n'arrive rien à l'homme qu'il devait mener à destination, quand soudain il aperçut le rapace trônant fièrement sur l'épaule de Lloyfell. Il fit un bond en avant et commença à distancer le compétiteur, à cause de sa peur des animaux.
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Du calme Salaheem, du calme. Leanne ne te fera rien. Elle n'est pas sauvage et ne t'attaquera que si je lui en donne l'ordre. Par exemple, si tu me guidais dans une embuscade plutôt que me guider à l'arène, qui sait ce qu'elle t'arrachera à l'aide de ses serres acérées et de son bec allongé... Elle préfère commencer par les yeux, en général. » dit le maraudeur en lâchant un sourire, se délectant de la réaction exagérée de ce pauvre homme. Ils entrèrent à cet instant dans une de ces rues malfamées du bourg.
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Oui... Mais rassurez-vous, c'pas mon genre d'essayer de tuer les gens, dit-il en s'enfonçant dans les sombres ruelles qui s'ajoutèrent à la rue initiale. On m'dit que j'suis bien trop nul pour ça, lui répondit Salaheem, qui se remémora toutes les fois où il avait dû tendre des pièges pour le compte de ses maîtres. Tiens, on arrive. Allez, venez, on descend...
Salaheem s'accroupissait face à l'impasse qui leur faisait face. Lloyfell cherchait du regard une quelconque entrée, qui lui semblait à priori ne pas exister. Le jeune esclave trifouillait quelques uns des millions de pavés qui formaient le sol du bourg d'Hyrule. Un discret cliquetis annonçait alors que le mécanisme s'enclenchait correctement. Et quelques secondes plus tard, un pan de ce grand mur se décalait. L'entrée était là, cachée entre deux enseignes certainement malhonnêtes. Lloyfell avait déjà croisé dans les alentours quelques tueurs à gages, cambrioleurs professionnels qui proposaient leurs services à des coûts, eux, très honnêtes. Qui sait encore de quelles merveilleuses boutiques pouvait jouir la pauvreté Hylienne ? Sans attendre, le vagabond s'engouffrait dans l'obscurité qui avait pris la place du mur. Un sombre escalier lui faisait face, menant vraisemblablement dans les catacombes de la ville. Il sifflait, signe à Leanne lui communiquant qu'elle pouvait se retirer de son épaule et voler librement du mieux qu'elle le pouvait dans ce lieu froid et humide.
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Leanne volait du plus haut que le plafond de l'arène le lui permettait, cachée dans l'obscurité. Ici, pas de levrauts ou de reptiles mais simplement des humains. Si tant de chair encore fraîche commençait à mettre le rapace en appétit, elle n'avait dans ses jeunes années pas appris à chasser seule de telles proies. Elles étaient bien trop grandes pour elle et bien plus résistante qu'une petite grenouille se baladant les soirs de pluie. Son ouïe et sa vue se focalisaient tour à tour sur diverses silhouettes. Toutes ces créatures poussaient des cris aux tonalités différentes, certains paraissaient violents et d'autres plus calmes.
Son maître et avant tout ami était là, semblant attendre quelque chose. Il portait à intervalles réguliers sa gourde à son bec qu'il avait finit par attacher à sa ceinture. Certains cris s'évanouissaient peu à peu pour laisser place à un unique cri bien plus puissant. Suite à cela, Leanne, qui surveillait Lloyfell de quelques centaines de pieds se focalisait cette fois sur son visage qui venait cette fois de changer d'expression. Son oeil acéré venait maintenant se mêler à celui de son ami, dans lequel se refléta ce qui semblait au rapace être le dîner de ce soir.
L'adversaire de Lloyfell s'avançait tranquillement sur le petit pont de bois, hallebarde au poignet. Elle portait des protections légères de cuir aux tibias, bras et au buste qui tourmentait le roturier de par sa proéminence. Sa belle et propre chevelure d'un châtain assez proche du brun contrastait fortement avec son visage déjà couvert de blessures en tous genres. Certains criaient déjà son nom et semblaient la connaître. Elle devait donc être assez populaire dans ce monde malhonnête, s'amusa-t-il à penser. Lui ne suait pas d'anxiété, au contraire. Il était parfaitement relaxé, et il remerciait la drogue pour cela. Elle fit mine de sourire au vagabond avant de relâcher ses muscles du faciès qui voulaient certainement lui communiquer son envie de voir son corps au sol et sa tête au bout de son arme.
«
Le combat d'aujourd'hui opposera la Hallebarde contre Lloyfell, le fauconnier ! Que le combat commence ! »
Sans attendre, Lloyfell fit le premier pas de ce qui s'annonçait être une longue danse. Il tenta comme première approche une brusque entaille horizontale sous le genou gauche de la jeune femme. Un coup peut-être trop prévisible, puisque malgré le mordant du maraudeur, esquiva de manière peu conventionnelle ; elle vint se servir de sa hallebarde comme d'une perche, lui créant un point d'appui sur lequel elle put sauter et éviter la lame. Très vive et rapide elle aussi, elle n'attendit pas non plus et répondit à cette invitation à danser d'un coup dans le bassin du fauconnier, avec le manche de son arme. Lloyfell recula de quelques pas suite à cette première passe ratée jusqu'à atteindre le pont de bois, près duquel il laissa un volumineux sac de pommes de terre en cas de besoin, un peu plus tôt. Il s'accroupit, y déposa son épée afin d'éviter une quelconque gêne, puis ouvrit le sac. Il ne contint pas un seul tubercule mais une masse à ailettes et un pavois de bois clouté. Malheureusement pour lui et évidemment, la Hallebarde n'attendit pas qu'il fasse ses affaires pour attaquer. Elle prit les devants et fonça sur le vagabond en portant un coup d'estoc. Bêtement surpris, il n'eut pas le temps d'empoigner correctement son pavois, et celui-ci vint frapper sa tempe sous le choc de la puissante jeune femme. Toujours accroupit et sonné pendant un court instant, il profita que sa main droite lui servait d'appui pour donner un coup de pied dans le genou dès qu'il reprit ses esprits. Genou qu'il manqua de peu quelques minutes auparavant. L'homme aux yeux ambre avait bien failli tomber dans le gouffre qui le séparait des spectateurs, qui continuaient à crier les noms des deux opposants.
Il se releva aussitôt et se protégea derrière l'égide de bois. Presque intégralement caché, il s'avançait doucement en harcelant son ennemie par des coups de bouclier vers son adversaire. Bornée, celle-ci se précipita à nouveau en essayant à nouveau de porter un coup d'estoc. Lloyfell saisit l'opportunité et appliqua un coup de masse sur le crâne de la belle brune. Cette fois-ci, la chance ne sembla pas être à ses côtés ; dès qu'elle fut à portée de la masse, elle fit un bond en arrière et utilisa une fois de plus le bois de son arme comme d'une perche pour se propulser derrière le fauconnier. Le vagabond n'eut pas le temps de se retourner que le manche lui frappa déjà violemment le flanc gauche.
De quelle vélocité elle faisait preuve, et surtout fortune l'accompagnait ! Si elle avait porté le coup au droit, le roturier se serait certainement retrouvé à terre suite à la réouverture d'une vieille cicatrice. Il flanchait un instant et se retournait vers la belle. Le breuvage qui continuait à faire effet prenait ainsi la parole pour lui un court instant.
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Je ne sais pas si je dois vous remercier d'avoir évité ce coup ou non, abîmer un si joli minois que le votre m'aurait accablé de tristesse ! » lui disait-il en esquissant un léger sourire. La douleur disparaissait en un instant encore une fois grâce aux effets de la miraculeuse boisson qu'il adulait tant. Mais le coup était tout de même porté, et il s'en mordrait certainement les doigts au prochain affrontement, s'il parvenait à résister contre la hallebardière.
Toujours camouflé derrière son pavois, Lloyfell tournait autour de son adversaire comme un rapace pouvait voler autour de sa proie avant de l'assaillir. Même s'il n'était pas dans son état normal, il s'apercevait bien que son opposante commençait à s'impatienter. Ce bouclier assurait au maraudeur une protection efficace qu'il avait bien fait d'emporter avec lui en prévention à ce genre de situations. Il avait rarement eu l'occasion de se battre contre des adversaires aussi agiles et endurants qu'elle avec une arme si encombrante. La potion lui permettait de percevoir certaines choses auxquelles un humain lambda ne pouvait pas forcément prêter attention. Sa vue et son ouïe se voyaient aussi plus développées, il pouvait ainsi écouter la cadence de la respiration de la brune, mais il ne pouvait malheureusement pas définir quelle serait la prochaine action que sa rivale effectuera.
Ne voyant plus aucune solution alternative pour le moment, il appela Leanne d'un léger sifflement qui résonna dans toute l'arène. À peine deux secondes plus tard, le cri du rapace répondit à l'appel et étonna tous les spectateurs qui se turent un moment. Personne ne vit le volatile entrer dans la pièce lors de l'arrivée du vagabond, et c'est ce qui constituait toute sa force : l'effet de surprise fut conservé et il espéra que la Hallebarde baisse sa garde lors de l'assaut de l'oiseau chasseur. Tandis qu'elle cherchait du regard ce qui pouvait provoquer ce cri, Lloyfell profita de l'ouverture et hâta le pas pour effectuer un troisième pas de danse avec sa cavalière. À force de tourner autour de sa proie, il se retrouva derrière elle et amorça un coup de masse sur son flanc droit, comme une vengeance pour le sien qui venait d'être touché. Elle bascula et sa hallebarde virevolta quelques deux ou trois mètres plus loin. Le rapace n'avait pas attaqué, mais a simplement fait usage de sa présence pour surprendre, étonner l'adversaire. Personne ne comprenait qui avait provoqué ce cri ou comment. L'oiseau restait invisible tout le long du combat aux yeux du public et de la compétitrice.
Elle s'était retrouvée le visage face au sol. Elle se relevait prestement et s'aperçevait que des échardes étaient parsemées çà et là sur son portrait. La Hallebarde s'emplit de hargne, hurla de rage et agressa Lloyfell avec autant d'agilité et de brutalité que précédemment. Elle parut hargneuse depuis le début de l'affrontement, mais cette femme changea du tout au tout ; les coups d'estoc précédents eurent été qualifiés d'échauffement quand elle passa à l'étape suivante. Cette femme tantôt rousse, tantôt châtaine distribuait des coups à volonté. D'une précision sans failles, elle visait à couper la respiration de son adversaire en frappant son plexus solaire avec le manche de son instrument, frappe que Lloyfell déviait non sans peine avec sa petite masse à ailettes. Elle retourna son arme afin de ramener la lame vers la cuisse droite du fauconnier et la trancher verticalement. Trop rapide, le roturier ne put esquiver cet assaut mais continua à se protéger malgré tout. Elle porta des coups circulaires également, faisant reculer le maraudeur et l'approchant à chaque seconde un peu plus du gouffre qu'il redoutait. Les effets de la drogue commençèrent à se dissiper et sa vue commença à baisser. Son endurance se trouva affectée aussi, et son rythme cardiaque s'accéléra de plus en plus. La Hallebarde en revanche semblait toujours pleine d'énergie, d'autant plus maintenant que Lloyfell avait réussi à l'énerver. Elle assena par la suite un coup ascendant qu'il tenta d'esquiver, mais la douleur qui lui prit la cuisse après l'entaille l'empêcha d'effectuer un grand mouvement, le coup trancha ainsi son avant-bras gauche dans toute la longueur. Se trouvant à présent sur le côté de son ennemie qui retombait de son saut, il tournait sur lui-même et exploitait cette petite faille pour donner ainsi un puissant coup dans le bassin de la gymnaste qui volait un mètre plus loin. C'était maintenant elle qui se trouvait proche du dangereux gouffre.
Lloyfell était essouflé. Le breuvage ne faisait plus effet et sa vue était trouble. Son ouïe était altérée et ses déplacements plus aléatoires. La hallebardière commençait à se relever doucement, un peu étourdie par la dernière passe. Passes que le fauconnier ne comptaient plus désormais, après la distribution que venait de lui offrir gracieusement la belle. Il était certainement trop tard pour espérer gagner, maintenant que son état était redevenu "normal". Il s'approcha aussi délicatement que sa cuisse droite lui permettait, toujours derrière son pavois. La rousse s'était relevée, attendant l'assaut du fauconnier. Il plaça son pied gauche en avant pour s'approcher au maximum de sa concurrente et lui porta un coup au genou afin de la déstabiliser une fois de plus. Il s'amusa à penser à toutes les fois où il assena ce genre de frappe, et en déduisit que c'était certainement son coup favoris et aussi le plus efficace. Sans compter cette fois-ci. Trop dépendant à sa drogue, il ne voyait plus rien et avait manqué sa frappe de peu, en plus d'avoir été parée par le bâton de l'instrument de l'adversaire. Les cris de la foule commençaient à le rendre fou, si bien que ses tympans sifflaient et qu'il en était finalement déstabilisé.
Très peu fatiguée, la jeune femme donna un coup de genou dans le ventre du vagabond qui s'écroula au sol, lâchant sa masse. Avec le peu de vision qu'il lui restait, il remarquait que le plastron de sa concurrente était déchiré et y voyait une opportunité de la blesser et de l'immobiliser. Celle-ci s'approchait alors doucement à son tour, posa sa hallebarde sur le côté, s'assit sur Lloyfell et commença à frapper son buste avec ses poings. Il subissait, ne trouvant par la force de se relever et peinant à respirer. Alors qu'elle s'apprêtait à remonter ses poings vers son visage, le vagabond utilisa ses dernières forces pour prendre ce qu'il restait d'une petite fiole en verre, complètement détruite par les précédentes chutes. Il ne manqua pas de se couper légèrement les doigts, puis enfonça quelques morceaux dans le beau visage celle qui trônait sur son ventre. Elle se retira de lui, hurlant de douleur et essayant de retirer les quelques morceaux. Le roturier, dans un vigoureux et ultime élan empoigna son pavois de ses deux mains le plus fermement possible et entreprit le dernier pas de la danse en portant violemment l'égide de bois jusqu'au crâne adverse. Elle tomba sur le côté en perdant connaissance. Lloyfell se tenait genoux à terre, se tenant sur ses deux bras. Il peinait toujours à respirer mais cela irait mieux dans quelques minutes. Heureusement, il avait apporté avec lui quelques gourdes pleines de la boisson que son corps réclamait.
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Et bien, j'aurai finalement détruit ce beau visage... Tant pis. »
Leanne observait toujours Lloyfell depuis les hauteurs. Il était debout, et le gibier était à terre. Ses yeux se posaient encore çà et là sur toutes les copies de son maître et ami qui se trouvaient sur les extérieurs. Ils semblaient lui communiquer gaiement et avec entrain quelques signaux qu'elle ne pouvait comprendre. Elle n'avait pas eue à intervenir cette fois, mais peut-être en sera-t-il tout autre lors du prochain prochain affrontement.