Dans la peine et la tourmente.

[Libre]

[ Hors timeline ]

https://www.youtube.com/watch?v=paD1elwPik0

Les pieds nus de la jeune femme s'accrochèrent aux pavés inégaux de la route et de la place. Le vent glacé de l'automne s'engouffrait dans les lambeaux de ce qui fut autrefois sa robe. La jolie robe au dos nu, qu'elle avait aimé porter au lac, dévastée par sa captivité. Flora aurait put en pleurer, si il lui restait des larmes. Seulement elles avaient toutes coulé au cours de ce long mois retenue loin de la lumière.

Elle laissa ses dents claquer les unes contre les autres, tandis qu'un long frisson de terreur lui remontait depuis les reins jusqu'à sa nuque nue. La prêtresse remonta la main comme pour remettre en ordre ses cheveux, mais un choc la pris quand celle ci ne rencontra que la peau. Puis il passa. C'est vrais, on lui avait rasé le crane … Et tellement bien que sa peau portait encore la marque de coupure ça et la. Mais ça n’était pas le pire que la jeune femme avait du subir. Non, on lui avait fait bien plus de mal que ça. Avoir un peu froid a la tête, ce n’était rien a coté des barres sanglantes qui couraient, là ou avant elle portait une marque céleste.

Flora se secoua. Elle ne voulait pas y penser, ne pas céder aux mauvais souvenirs, ne pas se laisser détruire par des hommes sans honneurs.
« Hé ! Toi ! On ne fait pas la charité ici. » Flora redressa la tète. Ses doigts tremblèrent tandis qu'elle les ôtait du rebord de bois ou elle les avait posé. « Pardon, je ne voulais pas ... » Sans s'en rendre compte elle s’était arrêtée devant un étal. Le marchand l'observait depuis tout a l'heure, jugeant cette mendiante comme étrange.
« T'es bizarre toi ! Et pis t'as quoi dans la figure, hein ? Et tes yeux, pourquoi ils sont comme ça ?  T'as la lèpre ou quoi ? Dégage de la ! J'veux pas que tu m'contamine ma marchandise »

Des enfants des rues entendirent les dernières paroles du marchand. L'un d'eux se saisi d'une pierre et la lança sur la prêtresse en criant, tout de suite imité par ses amis. Flora trébucha et quitta maladroitement les lieux, pour s'enfoncer dans une ruelle, sombre et puante.
Alors qu'elle se laissait glisser le long d'un mur, a genoux dans la gadoue, des souvenirs composés de sons et de sensations lui revinrent. La douleur, atroce tandis que Silence, son bourreau lui ôtait une a une les écailles du corps, en chantant des chants sacrés. Un cris d'horreur se bloqua dans sa gorge, elle porta une main a sa bouche pour ne pas faire de bruit.

Flora savait ce qui était le pire. Le pire ça avait été une nuit. Elle n'aurait pas sut dire laquelle, ni depuis combien de temps on la torturait ainsi. Mais le Pontife était entré dans sa cellule.Elle avait entendu sa voix de glace camouflée par du velours. Elle avait sentit s’insérer en elle le poignard de ses paroles.

« Plus qu'aveugle, tu es sourde, Flora del Carmen. Je t'avais prévenue, tu as refusé d'écouter. Les Déesses nous gardent, car Elles seules savent le peu de plaisir que j'ai à te voir ainsi, en cage.

Néanmoins, c'est là châtiment mérité, mon enfant. Pour ton arrogance, ton sentiment d'impunité malsain et ton profond manque de foi. Tu n'aurais pas du être la simple brebis perdue que tu es aujourd'hui. Tu devais être le berger. Et de cela, comme de bien d'autres choses tu n'a rien compris. Je regrette que tu sois si sotte, si mal avisée. Avatar de la Sagesse, dit-on ! Toi qui ne peut prétendre à te guider toi même !

Croupi ici, ou croupi-là. Tout cela n'a plus la moindre importance. Tant que la lumière n'éclairera pas tes pauvres yeux par trop des fois morts, tu ne sentira plus le soleil sur ta peau. Ne crois pas que cela soit personnel : tu es un danger, petite. Pour toute notre espèce. Toi qui devait nous garder, tu mènes nos âmes sous la hache du bourreau. Il est temps que cela cesse.
 »

Et il était partit, la laissant seule avec son tortionnaire. Et l'apothéose dans sa douleur avait survenue quelques heures plus tard, dans ces instants ou la nuit est si oppressante qu'elle apporte immanquablement les cauchemars et les démons.
La porte de sa geôle avait grincé. Et les pas hésitants de Silence avaient gratté le sol. Il était ivre, Flora pouvait sentir l'odeur de l'alcool sur ses vêtements. Elle était allongée a même le sol, comme tout les soirs, a tenter de soulager un peu son dos, et ses épaules, dans l'espoir d'atténuer les douleurs qui la rongeait.

Pour la prêtresse, les instants qui suivirent furent des plus traumatisants qu'elle eu a vivre. Rien que le froufrou des braies tombants des hanches de Silence suffit a la glacer d’effroi. Elle s'était toujours crue protégée par son statut de sainte. Et voilà qu'un fanatique la souillait au nom de la Déesse qu'elle représentait. Elle n'avait pas oublié l'instant dans la salle de garde, a la forteresse Gérudo, ou cela avait déjà faillit arriver. Mais ici elle ne réussi pas a se dérober. Silence était bien trop fort. Et ce qui la marqua au plus fort de son âme, ce furent les chants et les prières qu'il récita tout de long de l'acte infâme.

Flora se secoua et se redressa. Son corps fragilisé par la privation et les tortures protesta contre ce changement de position. La tête lui tourna, autant que cela est possible dont la vue ne fonctionne pas. Toutefois un vertige la fit tanguer.


« Pourquoi n'es tu pas venu ? » murmura la Déchue aux ombres.
Car oui, c'est ce qui lui avait été dis. Que la déchéance la guettait, qu'elle mettait en danger l'équilibre précaire de l’Église. C'est pour ça que son crane fut rasé et ses écailles arrachées. Pour montrer a tous a quel point elle s’était trompée. Montrer aux citoyens qu'elle s’était égarée aussi pour qu'elle n’entraîne personne avec elle et qu'on ne lui fasse plus confiance jusqu’à ce que tout ai repoussé.
Mais Flora n’était pas sure que le Pontife laisse ses cheveux repousser en paix. Elle le soupçonnait de tenter de garder un certain contrôle sur elle par ce biais.

Et tout ça pour quoi ? Avoir suivit son cœur et son instinct ? Avoir voulu être une jeune femme comme les autres et vivre une jolie histoire.

Ce compte est un compte narrateur : les personnages joués par le narrateur ne peuvent pas être utilisés par les joueurs ou joueuses dans leur post (sauf autorisation d'un admin) et les jets de dé du narrateur sont contraignants.



Luka

Le Changelin

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(vide)

[ Hop hop, je me permets de participer, ça m'a fait trop mal au coeur (à moi comme à Luka d'ailleurs) de découvrir Flora dans cette situation... ]


La pluie n'avait cessé que depuis peu. Sous le pont qui l'avait momentanément protégé du courant d'air froid et de l'humidité absolue, Luka avait vidé sa bourse pour enfin réussir à compter le peu de change qu'il lui restait. Le temps était presque brumeux, impossible d'allumer sa pipe dans ces conditions. Et pourtant, ce n'était pas faute d'avoir essayé. Une petite étincelle de lumière, juste une seule, aurait suffi à réchauffer son âme transi par le vent de l'automne, mais rien ne pouvait y faire. Au moins n'avait-il pas risqué dehors les quelques parchemins sur lesquels il avait déversé sa prochaine pièce de théâtre, pour une fois.

Une main non-gantée quitta l'ombre marquée de son refuge temporaire pour tâter l'éther, et revint près de son coeur en un mouvement rassuré. Le ciel était toujours d'un blanc pur, absolu, marquant ainsi la fin d'un long cycle de Din qui s'était prolongé plus que de raison. Mais au moins, le dramaturge ne risquerait pas de se tremper jusqu'aux os si ses pas le menaient directement dans les bas-quartiers, là où il logeait encore. Avec le froid viendrait la disette ; les prix des vivres monteraient en flèche à mesure que les récoltes viendraient à manquer. Les Hyliens ne s'arrêteraient plus que brièvement devant les tréteaux où Luka et ses comédiens représenteraient. Déjà que dans les beaux jours, ils ne s'y attardaient pas toujours pour les payer, le chef de troupe craignait le pire. Un salaire de misère face à un niveau de vie qui ne cessait d'augmenter...

Le propriétaire de sa pension actuelle n'aurait aucun mal à les expulser de leur logement de fortune, et alors, l'errance reprendrait. Maussade et anxieux, le jeune Hylien se dirigea vers la place centrale, en gardant ses mains nues dans les manches de son paletot, dans l'espoir insensé de pouvoir conserver la chaleur. A ce rythme, il n'était pas sûr de pouvoir survivre à l'hiver. La sélection naturelle aurait tôt fait de lui reprendre la vie fragile et maladive qu'elle lui avait insufflé.


« ...la lèpre ou quoi ? Dégage de là ! J'veux pas que tu m'contamines ma marchandise ! »

Instinctivement, Luka tourna la tête en direction du raffut, presque alarmé. Avec ses fripes déguenillées, et la difficulté toujours croissante de pouvoir se procurer de l'eau pour se laver, depuis que le temps s'était refroidi, il passait nettement pour un mendiant, et inspirait aisément la peur de la contagion à ses semblables qui, eux, avaient la chance d'avoir une vie assez décente pour prétendre encore au dégoût face à la pauvreté. Mais non. Pire encore : une jeune femme aux cheveux tranchés à ras, comme au couteau, se recroquevillait face aux invectives d'un marchand. Même d'aussi loin, il lui semblait entrevoir un visage pâle et pourtant couvert de plaies. Une lépreuse, en effet. Mais malgré la distance prudente que le dramaturge laissait entre lui et la scène qui se déroulait devant ses yeux, il ne put empêcher un tressaillement de son coeur lorsqu'il aperçut, dans la périphérie de son champ de vision, un enfant soulever un caillou en appelant à la rescousse ses petits camarades. Les enfants des rue, il les connaissait ; un rien suffisait à les distraire, tant que cela promettait un peu de rire et l'oubli momentané de cette faim insatiable qui leur dévorait le ventre.

Tétanisé par la peur, le jeune Hylien ne put qu'assister, impuissant, à la tentative de lapidation de l'infirme. Ce qui restait de robe à la jeune mendiante ballottait dans le vent comme une aile de papillon déchirée et noircie par la crasse. Luka la vit s'engouffrer dans une ruelle sombre, en direction des bas-quartiers, sous les acclamations des gamins qui - au moins - ne cherchèrent pas à la poursuivre. La façon dont elle titubait... Comme une aveugle... Le comédien porta la main à sa bouche, les traits figés par l'horreur. Il ferma les yeux. Son coeur s'affolait dans sa cage thoracique. Il inspira longuement, et compta, très lentement.

Un.
Deux.

Trois.

Lorsqu'il rouvrit les yeux au monde, il n'y avait plus que de la volonté dans son regard. Ce bref moment de reprise intérieure lui permit de reconsidérer les faits plus calmement. Un coup d'oeil qu'il voulait discret et nonchalant lui révéla que le marchand était retourné à son étal, et que la petite bande d'enfants s'était dispersée dans la rue adjacente. Pour eux, l'incident était passé.
Toujours attentif à ses alentours, Luka se dirigea d'un pas qu'il voulait léger jusqu'à la dite-ruelle où s'était enfuie la jeune mendiante. Après tout, il habitait les bas-quartiers. Quelle autre raison pourrait-il bien vouloir emprunter le même chemin qu'elle ?


« Pourquoi n'es-tu pas venu ? » Un murmure qui lui parvint à peine dans la rue étroite. Luka n'en prit pas compte, elle ne devait pas s'adresser à lui : il y avait tant d'amertume dans cette voix chétive qui se brisait dans la pénombre.

« Mademoiselle ? » Lança-t-il sur un ton doux, hasardeux, avec la voix presque fluette d'un enfant surpris. Il ne s'approcha pas d'elle, car il n'était pas sûr. Il gardait ses distances comme face à un animal craintif - et potentiellement farouche. « Ça va, ils ne vous ont pas touchée ? » Sous ses fripes de mendiante et ses blessures ouvertes, sa chevelure tranchée, Luka ne reconnaissait pas la Prêtresse qu'il avait pourtant eu l'occasion de rencontrer dans des circonstances autrement plus pénibles.


Néos


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(vide)

Néos visitait pour le première fois le bourg d'Hyrule. Enfin, pour la première fois en temps que personne. Il l'avait déjà vue au travers de l'esprit de Nerezzo. C'est fou comme tous ces lieux déjà vus prenaient une autre dimension lorsqu'on les visitait vraiment. Il n'avait jamais été habitué aux grandes places comme celle ci. Il y avait beaucoup de personnes. Mais son attention fut attirée par les cris d'un marchand. Il était en train d'houspiller une pauvre femme bien mal en point. Elle avait le crane rasé et portait des marques de lacérations un peu partout, et son regard semblait vide. Mais le pire restait l'expression de son visage. Torturée, perdue. Elle s'enfuit alors en vacillant, alors que quelques sales gamins lui jetaient des pierres. Il voulut intervenir, mais il était trop tard. Les enfants étaient déjà partis, et la jeune femme aussi. Il décida alors de s'approcher du marchand, très mécontent de son attitude.

«Ecoutez-moi bien monsieur, je ne vais pas y aller par quatre chemins. Vous avez vu aussi bien que moi l'état de cette jeune femme. De là où je viens, on ne rejette pas les gens comme eux. Ou si on veut les chasser, on a au moins la décence de leur laisser de quoi se nourrir pour qu'ils n'aillent pas "déranger" d'autres personnes. Alors que les choses soient claires: la prochaine fois que vous vous comporterez ainsi, priez vos fichues déesses pour que je ne sois pas dans les parages.»

Devant le regard ébahi du marchand, il jette quelques rubis sur le comptoir, puis il ajoute:

«Donnez moi ce que vous avez de plus nourrissant.»

Le vendeur hoche la tête et lui amène quelques pommes. Néos lui arrache des mains et s'en va sans même le remercier. Un type comme lui ne le méritait pas de toute façon. Il décida ensuite de se diriger vers la ruelle où avait fui la jeune femme.

Il aperçut qu'un homme était déjà présent, à bonne distance de la jeune femme. Il n'avait cependant pas l'air hostile, seulement méfiant. Néos s'approcha du jeune homme, le dévisagea, puis dit:


«Je ne pense pas qu'elle soit dangereuse. Mais votre attitude est remarquable, contrairement à celle de ces sales gamins ou de ce vendeur bedonnant.»

Puis il s'approche de la jeune femme en lui tendant son sac, plein de pommes.

«Vous avez peut-être faim. Prenez, c'est pour vous.»

Son attitude n'avait plus rien à voir avec celle qu'il avait eu quelques minutes plus tôt. Il avait le ton doux et paternel, et il souriait.


Elle avait adossé son épaule aux briques froides d'une battisse. L'odeur nauséabonde lui soulevait l'estomac, mais pas plus que sa propre odeur. Flora sentait mauvais, la maladie et l'infection. Elle grelottait, se sentait mal, fatigué, épuisée. Elle était percluse de douleurs, et se refusait a pleurer.

Une voix la fit sursauter et se retourner, craintive. Un homme. Flora ne supportait plus le contact des hommes. Elle ne pouvait plus leur faire confiance, celui qu'elle aimait l'avait trahie, oubliée. Pourtant cette voix, lui semblait … familière. Comme un souvenir de rêve. Quelque chose qui paraît étranger mais est en fait aimé.
« Lu … Luka ? »

Elle espéra une seconde que ce ne soit pas lui, mais un autre étranger. Elle ne voulait, ne pouvait supporter d’être vue ainsi, presque nue, rasée et brisée. Il ne l'approcha pas plus, elle sentait qu'il se méfiait. Une autre voix, plus basse celle ci s’éleva a son tour :

« Je ne pense pas qu'elle soit dangereuse. Mais votre attitude est remarquable, contrairement à celle de ces sales gamins ou de ce vendeur bedonnant. »

Flora lisait un soupçons de danger dans cette nouvelle voix, quelque chose qui l'effrayait. Elle pouvait sans problème imaginer l'homme a qui elle appartenait. Du genre fort et puissant, qui vous clouait contre un mur, et …. Arrête, arrête, se dit elle. Mais il était trop dur de ne pas avoir peur. De chercher la chaleur et la protection d'un ami tout en la redoutant, tout en ayant peur d’être trahie et livrée a un autre bourreau. La prêtresse de Nayru maudit sa faiblesse et son infirmité. Ah, si seulement … mais seulement quoi ? Être un homme, un guerrier, un … chut, Flora, chut.

L'enfant de foi ne bougea pas, mais cria presque de peur en entendant Néos s'approcher d'elle. Elle détourna le visage, comme si ce geste, ajouté a son corps collé a la pierre froide pouvait la garder d'un mâle qui la rongerait.


« Vous avez peut-être faim. Prenez, c'est pour vous. »

Non elle n'avait pas faim. Elle n'avait même pas la force morale et physique pour se saisir du sachet. Quand bien même on lui parlait doucement et calmement, Flora se recroquevillait sur elle même. Faible, dénutrie, la jeune fille ferma les yeux. Qu'il serait doux d'avoir un poignard a se glisser dans le cœur en cet instant. Elle ne pensait a rien d'autre que sa douleur, physique et morale. Elle n'en pouvait plus. A nouveau elle fut prise d'un malaise. Ses douleurs hurlèrent tandis que son dos rappait contre le mur, y laissait une marque rouge. Le peu de couleur avait quitté ses joues, sous l'effet de cette horrible sensation. Elle avait envie d'hurler. Elle ne put que gémir.

Ce compte est un compte narrateur : les personnages joués par le narrateur ne peuvent pas être utilisés par les joueurs ou joueuses dans leur post (sauf autorisation d'un admin) et les jets de dé du narrateur sont contraignants.



Luka

Le Changelin

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(vide)

[HRP : Je m'excuse d'avance auprès de Néos, j'étais partie pour un post normal quand soudain, Luka a décidé de piquer sa crise de rage en plein milieu, donc... C'est vraiment pas contre toi, okay ? ;_;]


Luka se figea, le dos droit et rigide, en entendant son nom balbutié par ces lèvres tremblantes qu'il ne reconnaissait pas. Les yeux soudain plus clairs, virant presque de l'ocre à l'ambre sous le coup de la stupéfaction, il observait l'inconnue qui lui faisait face comme si, à force de la voir, il se rappellerait enfin d'elle. Mais il ne lui était pas facile de voir au-delà de ses plaies, de ses contusions, de ses cheveux malmenés, inégaux, tranchés au ras du crâne, avec ces quelques touffes d'un blanc bleuté qui dépassaient de ça et là. Alors, en se tenant toujours physiquement à distance de la jeune femme, comme une sorte de dernier recours, le garçon projeta brièvement son esprit en sa direction. Il la sonda à travers sa magie, sans chercher à tâtonner vers elle comme un bambin qui n'avait pas encore appris à marcher, mais en faisant simplement le tour, en frôlant à peine son âme de la sienne, une observation prudente qui prenait soin à ne pas se faire intrusive.

Tous ses doutes se dissipèrent comme poussière au vent. L'aura unique qui se dégageait de l'esprit de la non-voyante était reconnaissable entre mille ; elle étincelait, sage et imposante, comme le reflet vif et irisé que renvoyaient les écailles marines de l'édile de Nayru.
(Pureté voilée pourtant, comme si la foi s'était recouverte d'une ombre de doute ou de ressentiment. Luka n'était pas sûr.)

Flora del Carmen.
La Prêtresse Flora del Carmen.

Non. Le dramaturge semblait pâlir face à ce qu'il ne pouvait pas accepter. Ses cheveux courts, noirs comme la nuit, faisait ressortir son teint livide. Il était horrifié. Non.
Qui ? Qui avait pu s'en prendre à l'avatar de Nayru ? Qui avait osé ? Terrassé par l'affliction, il la vit tendre vers lui ses yeux d'aveugle. Elle semblait dans un tel état de panique qu'il n'osa pas s'approcher davantage. Sur ses joues, autrefois roses et rebondies comme ceux d'un enfant, il s'en souvenait, les écailles n'étaient plus. Ne subsistait que de longues écorchures, que l'Hylien avait pu prendre plus tôt pour des traces de lèpre.

Luka ouvrit la bouche. Il ne parvint à en tirer qu'un bref soupir confus ; son coeur cognait comme un oiseau affolé contre sa cage thoracique. Il ne savait pas quoi dire.
Celle qui fut pendant un temps sa compagne d'aventure semblait se replier sur elle-même, comme de honte, et il se sentait déchiré entre l'envie de porter secours et la crainte de mal faire. Ses blessures, il commençait à s'en douter, n'étaient pas seulement physiques.


« Dame Flora ? » parvint-il finalement à bredouiller, la voix douce, précautionneuse. « Mais que faites-vous dans les bas-quartiers, ma dame ? »

Autant se cantonner à des questions simples mais précises. Le dramaturge tentait de tirer la jeune femme de son traumatisme à travers la parole ; les mots lui servaient à la fois d'épée et de remède, lui qui ne vivait que par l'écriture et la mise en scène de ses pièces de théâtre. Mais il n'eut pas le temps de laisser germer la discussion qu'il avait à peine entamé avec la jeune del Carmen, car déjà, des bruits de pas lourds se faisaient entendre, et le comédien pivota sur ses talons pour faire face au nouvel arrivant.

Une large silhouette vint bloquer le maigre rayon de soleil que laissait filtrer la ruelle sale dans laquelle la jeune femme blessée et Luka lui-même s'était réfugiés. Instinctivement, le garçon s'écarta face à la présence de ce tiers, d'autant plus que c'était un homme de haute stature, aux muscles saillants. Celui-ci s'arrêta brièvement devant lui pour le dévisager, longuement, d'un air circonspect. Le jeune dramaturge réprima un mouvement de panique et serra les poings avant de tourner le dos au mur, afin de se créer un angle mort au cas où le nouvel arrivant faisait partie d'un groupe de brigands. Ce ne serait pas la première fois en ville que des groupuscules agiraient en plein jour pour détrousser les passants.

(Il craignait ce genre d'hommes. Vague réminiscence d'une altercation, deux années auparavant ; trois gaillards lui faisant face, Luka au pied du mur ; la couleur et l'odeur du sang qui ne partait pas de ses mains.)

Sa main plongea sous son paletot trop large, à la recherche du manche de son couteau. C'était un outil tout simple, qui lui servait dans la vie de tous les jours pour cuisiner, cueillir des plantes, tailler des panneaux de bois pour le théâtre, un instrument qui n'avait pas été conçu pour l'offensive. Mais la lame était loin d'être émoussée, et Luka n'hésiterait pas à s'en servir si l'individu se montrait trop suspicieux.

Une pause. Les deux hommes se dévisagèrent en chiens de faïence, comme en attente du premier coup, du premier mot. Puis, en tranchant dans le silence aussi aisément que dans du beurre, le colosse déclara avec hauteur :


« Je ne pense pas qu'elle soit dangereuse. Mais votre attitude est remarquable, contrairement à celle de ces sales gamins ou de ce vendeur bedonnant. »

Luka en resta estomaqué. Sa poigne se relâcha sur le manche de son arme improvisée tant il se sentit dépassé par la situation. « Quoi... » bégaya-t-il. Il n'en croyait pas ses oreilles. Le jugement de valeur totalement gratuit qu'il lui porta comme un coup de poing en pleine face lui ôta toute réactivité. Est-ce que cet individu, qui débarquait tout fraîchement comme lui-même, essayait de lui faire la morale ? Sous le choc, il ne put réagir à temps : déjà, l'homme à forte stature s'était avancé vers la jeune femme démunie. Il lui tendit la main ; un geste agressif ? La main du comédien revint tâtonner à son arme, tremblante. Mais non. Ce n'était qu'un sachet plein de pommes.

Ce n'était pas grand chose.
Ce n'était pas grand chose, hormis le ton paternaliste, presque condescendant de l'homme, lorsqu'il s'adressa à la pauvresse pour lui proposer – non, lui imposer son aide. Pas grand chose hormis le corps de la prêtresse qui se tordait face à cette main levée, cette silhouette torturée, tassée sur elle-même, contre le mur, comme si elle cherchait à s'y fondre définitivement, nier une bonne fois pour toute cette chair de femme qui l'exposait à tous les maux ; cette robe déchirée, salie, symbole trop terne d'une innocence arrachée de force des mains de celle qui n'avait rien demandé.

REGARDE-LA, Luka avait-il envie de hurler, la face au vent, pour contrer une bonne fois pour toute cet aveuglement borné dans lequel se muaient tous les hommes, tous ces hommes, ceux qui offraient si généreusement, avec tant de grandeur, sans se soucier de piétiner tout ce que l'autre cherchait désespérément à conserver. REGARDE-LA, avait-il envie de gueuler jusqu'à s'en briser la voix, parce que c'était Fritz, c'était le retour de Fritz au-delà de la tombe, au-delà du raid de Cocorico où ils s'étaient perdus, c'était d'un seul coup son cousin qui lui faisait face, qui refaisait surface, soudain, et peut-être qu'à travers ces mots qu'il tentait d'arracher de sa gorge comme un couteau qu'on y aurait enfoncé trop profondément, il avait envie de dire : Regarde-moi.

(Regarde-moi quand tu me parles. Regarde-moi, et dis-moi, dis-moi si ce que tu vois te permet de faire ce que tu es en train de faire.
Demande-moi si c'est ce que je veux.)


« Eloignez-vous d'elle. S'il vous plaît. » La voix basse, presque calme, alors que son cœur martelait contre sa tempe, irrégulier, et que quelque chose comme de la fureur froide montait dans sa poitrine. « Vous voyez bien qu'elle ne supporte pas la proximité... » Luka essayait tant bien que mal de se contenir. De ne pas plonger davantage sa jeune compagne dans le traumatisme qui devait être encore bien trop imprimé dans ses rétines blanches : il était un homme au même titre que l'autre, et il n'en avait que trop conscience. Mais sa froideur ressortait nettement sur les traits figés de son visage. Et sa voix partait déjà dans les aigus, sous l'effet de l'émotion.

Il détestait ça. La colère lui faisait toujours une voix de petit garçon.

Un gémissement de la part de la jeune femme poussa le comédien à agir par impulsion, et c'était presque sans réfléchir qu'il leva la main vers Néos, Néos toujours à distance, hors de sa portée. Toute sa magie, tout son esprit se concentra entre ses doigts. Lorsqu'il referma la main, il tenait l'essence de l'homme à forte carrure contre sa paume. Il tira ; un geste sec qui ramena son poing vers sa poitrine, non pas pour blesser l'autre, mais bien pour le faire reculer, pour le ramener physiquement vers lui plutôt que de le laisser planté là, ses pommes à la main, face à une personne mentalement trop abîmée pour lui faire face. Une fois que le colosse s'était éloigné de la prêtresse, Luka avança ; son ombre ne recouvrait pas la silhouette craintive de la blessée, les deux hommes ne représentaient plus une menace directe pour Flora.

Le comédien se surprit lui-même à saisir le col de son vis-à-vis, qu'il atteignait à peine. Mais l'amertume pulsait plus fort que la crainte dans son ventre, et bien que ses mains maigres se montraient bien fragiles face à l'autre, il y avait de la dureté dans son regard. Une flamme de révolte dans ses yeux presque écarlates, assombris par le sentiment d'injustice qui le prenait aux tripes. Il rapprocha sa tête de la sienne, fermement, mais sans hostilité ouverte.


« Vous êtes complètement inconscient ! » Siffla-t-il entre ses dents. C'était à son tour de le blâmer. Puis, plus bas, pour que la Prêtresse ne puisse pas les entendre distinctement : « Qu'est-ce vous croyez, que vous pourrez prendre soin d'elle comme on prendrait soin d'un chaton blessé ? Qu'elle vous remercierait de vous être fait son chevalier-servant ? Vous avez idée, au moins, de ce qui a pu lui arriver ? Sa robe est déchirée, bon sang, et elle est aveugle ! Vous voulez que je vous fasse un dessin, peut-être ! »

Puis, aussi promptement qu'il l'avait saisi, Luka relâcha Néos, et se détourna de lui. Son visage s'était crispé, et il y avait presque du mépris dans sa voix lorsqu'il lâcha finalement : « On voit bien que vous ne vivez pas dans les bas-quartiers. » Ca sonnait comme une insulte. Mais déjà, le comédien se tournait vers son ancienne compagne de voyage. Il ne l'avait pas oubliée. Il ne pouvait pas l'oublier.

« Dame Flora ? J'aimerais m'approcher de vous, mais je ne le ferai pas sans permission, » déclara-t-il comme une assurance, la voix douce mais sans se faire mielleuse, le ton ferme mais sans se faire abrupt, aussi sincère que lui-même, car il le savait maintenant : elle était à terre aujourd'hui mais se relèverait demain. Car elle n'était pas la première qu'il assistait dans ses tourments. Et s'il n'était jamais entièrement sûr de ce qu'il fallait faire, il lui demanderait. Pas de honte à cela. Elle avait certes été mutilée, mais il n'avait pas à la prendre pour une enfant trop simple d'esprit pour comprendre la vie, et encore moins pour une petite chose blessée qu'il pouvait recueillir dans le creux de sa main. Il fallait simplement respecter la distance ; poser d'emblée ses limites pour lui montrer qu'elle n'avait rien à craindre avec lui. Dresser un contrat de confiance qu'il ne violerait pas, non, jamais. Jamais lui. Comme si l'aider, elle, à se relever, lui servirait de repentir pour toutes celles qu'il n'avait pas pu sauver autrefois.

(Pardon, Luka avait-il envie de chuchoter à la lumière qui lui couvrait le front. Mais ses lèvres restèrent inertes, scellées par le poids du secret.)
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Néos


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(vide)

Néos fut d'abord sidéré par l'absence de réaction de la jeune femme. Maigre comme elle était, elle avait besoin de se nourrir. Pour qu'elle en vienne à ne plus pouvoir manger, c'est que le traumatisme subi devait être atroce. Mais avant qu'il ait pu ajouter quoi que ce soit, l'autre jeune homme lui demanda de s'éloigner. La connaissait-il? Comment en être sur?
Il se sentit alors tiré par une force invisible vers le jeune homme. De la magie sans doute. C'est alors que le jeune homme l'attrapa par le col avant de le blâmer pour son comportement. Il est vrai que son approche était sans doute un peu abrupte, mais il souhaitait vraiment apporter son aide.
Le fait est qu'il comprit que les intentions de l'homme n'étaient pas mauvaises vis à vis de la jeune femme. A son regard. Il se souciait sincèrement de cette personne.
Alors le jeune homme laissa échapper avec mépris une remarque sur le fait qu'il ne connaissait pas les bas quartiers. Bien vu, il n'avait rien connu d'autre que l'esprit torturé d'une autre personne pendant plus de 15 ans. Sans doute ses manières avaient eu le temps de rouiller.
Il s'approcha quelque peu de Luka, qui s'était entre temps adressé à la jeune femme allongée par terre.

"Excusez moi, monsieur. Je crois qu'il y a eu un léger malentendu.Je ne voulais pas paraître abrupt ou malpoli, que ce soit vis-à-vis de vous ou de cette jeune femme. Quand je disais votre attitude remarquable, c'est parce que vous avez osé venir en aide à une personne que tout le monde a repoussé. Et vous avez raison: je n'aurai pas du m'approcher si rapidement de cette femme. Mais croyez moi, je veux juste vous aider. Il semble que vous la connaissiez, je vais donc vous laisser discuter avec elle. Mais sachez que si vous avez besoin de quoi que ce soit, je peux vous aider. Je suis Néos."

Il s'inclina légèrement en signe de salut.Ce n'était pas vraiment le moment pour les présentations, mais il voulait faire comprendre à l'homme en face qu'il ne représentait aucun danger et que ses intentions étaient bonnes. Il ne s'approcherait pas plus de la jeune femme tant qu'il n'y serait pas invité.

[Oui, c'est court et mauvais, mais je voulais pas bloquer le RP plus longtemps. Encore désolé pour le retard.]


« Croupi ici, ou croupi-là. Tout cela n'a plus la moindre importance ».

Si pour elle ça en avait. La jeune femme soupira, sa tête dodelinait de droite a gauche. A demi-consciente de la dispute, presque en compagnie des anges, Flora espérait au repos, a la chaleur d'un ami. Vous savez, le genre qui vous prends dans ses bras sans arrières pensées, sans se soucier au fond que ça vous importe ou pas qu'il soit la. Link était ainsi a sa façon. Roc dans le fil tumultueux de sa vie, ami et désir frustré. Pourtant jusqu'à la dernière seconde elle avait cru pouvoir compter sur lui. Qu'est ce qui avait retenu le bras du jeune homme alors qu'on l’entraînait dans l’abîme ? Peut être ne le saurait elle jamais ? Ou alors est ce qu'il l'avait laissé partir, souffrir, être brisée, dans le but de lui faire comprendre quelque chose ? De lui imposer une vérité ?

« Dame Flora ? J'aimerais m'approcher de vous, mais je ne le ferai pas sans permission »

Elle se posa la question. Laisserait-elle approcher Luka ? L'aveugle hocha doucement de la tête, lui donnant son accord, d'un geste muet. Elle ignorait qu'il lui tournait le dos, qu'il s'était fait son rempart. Elle se savait juste trop faible pour seulement se redresser, pour bouger les mains qu'elle tenait dans son giron, entre ses genoux.

La voix de Neos l'effrayait, elle tremblait, le postérieur dans la fange. Elle grelottait de froid, pourquoi il fait aussi froid. « Quel jour sommes nous ? » murmura-t-elle aux anges, ne sachant pas trop si on l'entendrait. Flora soupira. En temps normal elle aurait murmuré une prière en plus de ça, demandé pardon a Nayru, ou protection. Mais sa foi, était sérieusement ébranlée.

L'enfant divin restait choquée de cette nuit terrible, des chants sacrés gémis a son oreilles. Évoquer le nom de Nayru lui fut insupportable a elle qui l'avait entendu prononcé dans un autre ton que celui de la religieuse déférence. Elle eu un haut le cœur.

Alors elle murmura un autre nom, pas comme une prière ou avec adoration. Pas comme on chasse la superstition ou le mauvais œil. L'enfant de foi, la Déchue ne savait pas comme définir l'intonation qu'elle usa :
« Le Héros m'a abandonnée ... »
Une larme roula alors sur sa joue, un peu comme un déclic, une serrure qui s'ouvre. Elle ne laissa pas sa peine se déverser totalement, car c'est ce choc, cette douleur qui lui permettait de se tenir encore, souillée mais entière. Oui c'est ainsi que Flora Del Carmen vivait les plus sombres heures de sa vie. Elle se sentait trahie et abandonnée, laissée pour morte dans la boue. Peu de gens lui importaient en cet instant. Elle voulait seulement l'entendre. Qu'on lui affirme que ses doutes, ses craintes étaient fausses, que son ami n'avait pas filé a l'Hylienne, qu'il l'avait cherchée. Qu'il tenait un peu a elle. On en revenait au point de départ, a cette douleur infâme qui avait alourdit son cœur au Lac.

Il est temps de faire le deuil, d’être la bergère de la foi. Mais pas la soumise du Pontife. Flora laisserait Neos et Luka prendre soins d'elle jusqu'à redevenir fière et droite, malgré son cœur brisé. Elle se le jura.

Ce compte est un compte narrateur : les personnages joués par le narrateur ne peuvent pas être utilisés par les joueurs ou joueuses dans leur post (sauf autorisation d'un admin) et les jets de dé du narrateur sont contraignants.



Luka

Le Changelin

Inventaire

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(vide)

Luka pivota légèrement sur ses talons pour faire face à Néos, le visage défiant. Toute trace d'agressivité avait quitté sa posture, mais il y avait encore un reste de soupçon dans la tension de ses épaules, une sorte d'indécision qu'il tentait tant bien que mal de dissimuler. Malgré tout, les yeux sévères mais terriblement francs de l'homme à forte carrure semait le doute chez le comédien. Il y avait de la pureté brute dans ce regard sincère, ce regard ouvert à la souffrance d'autrui. Il y avait de la compréhension.

« Excusez moi, monsieur, » commença-t-il, l'air déterminé à se faire entendre. « Je crois qu'il y a eu un léger malentendu. »

Un malentendu, en effet. Une fois que sa rage spontanée s'était retirée de son esprit, telle une vague qui délaissait la berge pour des rives nouvelles, Luka sentit la honte pointer dans le creux de sa poitrine. Il avait agi d'instinct, catapulté par des émotions presque incontrôlables, qui ne relevaient pas de sa raison. Il s'était jeté en animal meurtri, aveuglé par ses passions incertaines. Qu'avait fait cet homme, réellement, pour mériter son courroux ? Pas grand chose. Rien qui aurait pu justifier l'attitude agressive du comédien à son égard. Mais son bref accès de colère n'avait rien de légitime : sa haine temporaire n'appartenait qu'à lui, qu'à lui seul. Encore un non-dit qu'il gardait précieusement enfoui en lui comme dans coffre-fort, un secret qu'il ne dévoilerait pas.

« Je ne voulais pas paraître abrupt ou malpoli, que ce soit vis-à-vis de vous ou de cette jeune femme, » continua Néos en toute honnêteté. Il avait une façon de parler qui, rétrospectivement, plaisait à Luka - une intonation, peut-être, qui le rassurait. « Quand je disais votre attitude remarquable, c'est parce que vous avez osé venir en aide à une personne que tout le monde a repoussé. Et vous avez raison: je n'aurai pas dû m'approcher si rapidement de cette femme. Mais croyez moi, je veux juste vous aider. »

Le comédien baissa la tête, légèrement, comme en signe d'acquiescement. En signe d'acceptation. Signe de pardon. Il se tenait toujours à quelques pas de la Prêtresse Flora, mais il ne faisait plus barrière entre Néos et cette dernière. Toujours protecteur, à la manière d'une mère oie qui protège bec et ongles ses petits, mais toute férocité l'ayant déserté, car il savait qu'il avait jugé trop hâtivement. Trop instinctivement.

Il voulut s'expliquer. Ne serait-ce que faire allusion à ce souvenir tourmenté qui rejaillissait à son esprit comme le pus noir d'une blessure infectée. Sur un accès de faiblesse, il faillit parler de lui. Il ouvrit la bouche.

Mais :


« Quel jour sommes nous ? » Chuchota l'aveugle, la voix brisée. Et brusquement, Luka n'avait plus d'yeux que pour elle. Très doucement, afin de ne pas la brusquer (bien qu'elle ne le voyait pas, le comédien avait du mal à se départir de ses habitudes), il s'accroupit à quelques pas d'elle. Toujours à distance, mais à sa hauteur.
Aussi perdue qu'elle semblait à ce jour, il n'avait qu'une seule envie : caresser du bout de ses doigts la joue déchirée de l'enfant de Foi, comme pour lui prouver qu'elle n'était pas seule. Que dans cette ville terrible et mordue par la bise glaciale, le vivre-ensemble était encore possible.


« Nous sommes à près de trois semaines de la Fête des Morts, dame Flora, » dit-il d'une voix presque aussi basse, presque aussi douce - et il y avait une tendresse réelle, pour ce petit bout de femme, dans chaque mot qu'il prononçait.

« Il semble que vous la connaissiez, » reprit Néos après un temps, et Luka tourna la tête en sa direction, sans se lever de là où il se trouvait. « Je vais donc vous laisser discuter avec elle. Mais sachez que si vous avez besoin de quoi que ce soit, je peux vous aider. Je suis Néos. »

Une présentation tardive, mais que le comédien accepta de bonne grâce. Il opina de la tête, comme en signe de reconnaissance, avant de répondre sans hausser le ton, mais tout aussi décidé - presque solennellement :

« Appelez-moi Luka. »

Un silence embarrassé s'ensuivit. Le garçon aux haillons aurait voulu s'excuser, mais ses yeux revenaient inlassablement à sa précédente compagne d'aventure, et l'inquiétude se confrontait au désir de s'expliquer.

« Le Héros m'a abandonnée... » Un murmure presque sans intonation tant la douleur perçait chaque syllabe. Et soudain, une larme glissait sur le visage autrefois lisse de Flora. Luka aurait voulu la serrer contre son coeur et la dissimuler pour toujours au reste du monde, comme si son corps maigre et famélique aurait pu suffire pour faire barrière aux cruautés des hommes. Car c'était un peu de lui-même qu'il entrevoyait en elle, bien qu'il ne pouvait se résigner à l'admettre à voix haute.

« Chut... » lui murmura-t-il comme le vent. Et c'était plus fort que lui, vraiment ; alors même qu'il s'était emporté pour des raisons similaires contre Néos précédemment, il leva lentement sa main vers elle. Précautionneusement, pour qu'elle puisse sentir l'ombre de ses doigts repliés sur son visage - pour qu'elle sache qu'il venait essuyer cette larme d'une main amie. Qu'elle avait la possibilité de se dérober à son toucher. Presque comme s'il ne pouvait pas concevoir qu'il était lui-même dans le même sac que tous ces hommes. Tous ces hommes qui ne comprenaient pas. « Ne pleure plus... C'est fini, maintenant... Tu seras forte. Le roseau qu'on peut plier, mais qui ne se brise pas. »

Le roseau qui se plie, mais qui ne brise pas. Comme une litanie qu'il ne cessait de répéter dans sa tête, tous les jours ; une devise qu'il avait intégré au plus profond de lui-même, et qui désormais définissait toute son existence. Il la lui offrait à présent, à cette femme à terre comme il l'avait été, cette femme aux genoux meurtris contre des pavés trop froids. Des mots, rien que des mots. C'était le plus beau cadeau qu'il pouvait lui offrir, lui qui n'avait sur lui que ses fripes et ses poches vides.

Cette fois-ci, il eut le courage de tourner la tête, lever les yeux, et faire face au regard perçant de franchise de Néos. Comme si cette fois-ci, pour avoir pu offrir sa parole à la Prêtresse, il avait su trouver les mots pour rompre le silence :


« Pardon, messire. Je n'aurais jamais dû m'emporter contre vous. Voulez-vous tout de même assurer notre protection pendant que nous discutons un peu ? Les rues de la Citadelle n'ont jamais été bien sûres, et je n'ai pas votre carrure... »