∫ De poussière et de sang
L'émail perça sa garde sans qu'il ne puisse y faire grand chose. L'acier détourné, la lame bien étrange du Cygne Noir, scella leur énième passe. Elle était douée aux armes. Pas plus qu'il ne l'avait imaginé – l'un comme l'autre avait atteint la finale... – mais de toute évidence elle maîtrisait mieux son épée que lui ne le faisait. Il n'eut pas le temps de pester en silence que déjà la dent filait vers lui, après avoir pénétré sa défense. Elle glissa sur le cuir avant de heurter les mailles de sa cotte. La chemise de fer se déchira tandis que l'estocade attaquait son flanc. La sueur poissait déjà ses tempes et la douleur rendait son front luisant. Une large estafilade courrait au dessus de son bassin quand il poussa le premier râle du combat. Un râle étouffé, mais un râle tout de même.
*
Le sang avait coulé à flot, ce soir là. Il avait couru sur son torse, chaud, alors qu'il restait ébahi, le regard perdu, craintif. «
Dorénavant, tu connais le prix du fer, Fils. », déclarait Aaricia, sous le regard des Wyrms, des Faëls, du Grand-Ours et de son Clan. Le Ceald avait achevé de se préparer plus tôt qu'il l'eut crû cette fois-ci et son regard empli de souvenirs monta le long de l'acier de la claymore d'Aedelrik. «
Tu as senti la douleur qu'il peut infliger. », avait continué la guerrière, toisant son garçon d'une dizaine d'années, surpris, une lueur apeurée et incomprise dans l'oeil. Son torse se soulevait vite et pourtant son souffle lui manquait. Le paria souleva doucement les pelisses, le cuir et les mailles qui lui couvraient le tronc. La cicatrice demeurait, après tant d'années. Il se rappelait le froid sur sa peau, quand le vent et la pluie le giflaient de concert. Il n'oubliait pas non plus les visages tirés des anciens, ceux fermés et fiers de ses frères. Les torches brûlaient dans des cieux noircis par les nuages. Tous avaient déjà reçu les crocs de fer, comme le voulait la tradition. Il se souvenait également de la souffrance que la Belle lui avait infligé, de la peur soudaine qui l'avait envahi. Il ne s'était jamais senti plus frêle que ce soir-là. «
A présent, Fils, puisses-tu t'en servir sans faiblir, ni frémir. » Sa mère, achevant le rituel, lui avait alors donné cette même lame qui avait avait mordu sa chaire nue. Et l'avait marquée à vie. L'enfant d'hier était bien différent de l'adulte qu'il était aujourd'hui, mais son être porterait à jamais les mêmes signes. Hier il était devenu homme, et cela lui avait toujours suffit. Aujourd'hui, il était en passe de devenir un brave et il n'était pas sûr de le vouloir. Il laissait volontiers ce destin à d'autres prêts à s'enchaîner à la volonté des dieux.
Sa main ne gagna pas sa lame, quand il se leva une dernière fois. Foulant du pied un peu de terreau dont il ignorait la provenance, il se saisit d'une motte. Dans un silence presque religieux, le trappeur écrasa la terre entre ses doigts puis contre ses paumes. Ses mains noircies d'un limon sec, il huma l'odeur d'un dehors qu'il ne reverrait pas sans se hisser. Il ne souhaitait pas devenir un héros, fut-il couleur de nuit mais il devait tout de même l'emporter. Jetant son bras à la recherche de son arme, il quitta la loge, l'air grave mais serein.
*
Une bouffée de chaud s'empara de lui bien trop vite. Il avait tout juste eu le temps de lever sa lame quand celle de l'assassin ne manquait son œil que de peu. Elle avait frappé d'estoc, l'assaillant aussitôt qu'il avait posé le pied dans l'amphithéâtre souterrain. Le combat avait débuté avant même qu'il ne le réalise. Pour la première fois depuis le début du tournois, il avait été véritablement pris au dépourvu et a failli y perdre nettement plus qu'un peu d'orgueil. Il grogna, tandis que les lames crissaient vivement. Les tranches s'étaient rencontrées avec une force inattendue sitôt qu'il avait esquissé un mouvement pour se protéger. Appuyant sa main à l'arrière de son épée, sur le plat de celle-ci, il joua des épaules, forçant le Cygne dans son élan. Elle avait frappé vivement et payait le contre-coup d'une stratégie qui comportait un certain nombre de risques.
Aussitôt que leurs lames se séparèrent, le Ceald fit un pas de côté. Tant pour s'éloigner du bord qu'il n'avait pas eu le temps de quitter que pour se glisser dans le dos de la bretteuse, drapée d'un noir plus sombre que la nuit. Ses doigts se refermèrent un peu sur le cuir qui gainait sa lame, tandis qu'il armait ses bras. Quand l'espadon fendit l'air dans une frappe de tranche, qui visait les genoux de la demoiselle, l'air sifflait d'un son strident. S'il parvenait à la remporter, cette première passe pourrait aussi bien être la dernière. Mais contre toute attente, l'oiseau s'éleva et il n'eut pas le temps de pester que déjà Swann passait au dessus de la menace d'un coupe-jarret.
La Belle de Villarreal montait en l'air, plus gracieuse qu'une colombe en plein envol, un léger sourire dissimulé sous le masque mortuaire qu'elle portait de nouveau. En un salto arrière elle s'arracha au sol poussiéreux et repassa derrière son adversaire. Sans s'être particulièrement intéressée au barbare, elle savait suffisamment de choses pour ne pas s'autoriser la même légèreté qu'au cours des précédents combats. Elle n'était pas inquiète, loin de là. Sans quoi elle n'aurait pu s'amuser de la simplicité de l'assaut qu'il lui opposait. Sans un bruit, elle retrouva le sol, à la manière d'un félin. Sa main gauche l'aida à se réceptionner tandis que l'autre maintenait fermement la pression sur sa lame. En un bond elle se hissa sur ses deux jambes et s'élança sur le sauvageon, estoc en avant.
Le Ceald laissa glisser sa main gauche jusqu'à ce qu'elle passe la garde de sa lames, au devant des quillons. D'une poigne ferme, il étouffa la lanière de peau qui enveloppait la naissance de sa lame et la pointa vers la femme qui se jetait sur lui avec une vigueur qu'il n'avait pas prévue non plus. Serrant les dents en attendant le choc. En deux passes d'armes à peine elle avait su briser le statut quo qui n'avait pu exister, faute de temps.
Elle se fendit brusquement d'une estocade, qu'il contra d'un revers en portant sa lame vers son aisselle. Ne reculant que d'un demi-pas, la Lionne au masque de mort se jeta à nouveau à l'assaut. D'un nouvel estoc, elle chercha à percer la garde de l'Étranger, mais une seconde fois leur lames s'épousèrent. Pourtant, l'Homme se faisait plus lent, moins habile. Alors elle força la cadence, le harcelant plus encore. Tantôt l'émail allait chercher la cuisse, tantôt il remontait vers la gorge, tantôt il prenait en chasse l'insolente main que le balafré avait osé laisser si en évidence.
Lanre grogna, perdant doucement le peu de terrain qu'il avait su conquérir. A peine était-il arrivé que la tigresse s'était jetée sur lui et il peinait dorénavant à s'éloigner du bord. Dans son dos, à quelques pieds seulement, s'ouvrait le profond gouffre qui avait vu la fin d'Aedelrik, quelques jours plus tôt. Les muscles tendus transpiraient à grosses gouttes sous les gants de fourrure quand le peuple de la nuit hurlait, mi-figue mi-raisin. A l'inverse d'un véritable affrontement, une finale ne pouvait pas prendre fin en trois pauvres échanges sans doute. Et pourtant... Il lui semblait presque que la lame de la jeune femme se mouvait seule, comme un serpent doué d'une conscience propre. L'espace d'un instant, de trop, il se concentra sur l'animal qu'il croyait voir. Jusqu'à ce que poing et pommeau de la Belle lui montent au visage.
L'os percuta sa joue tandis que les phalanges de la Dragmire heurtaient son nez. Il recula d'un pas, incapable de rester immobile et sa main gauche lâcha prise. L'émail perça sa garde sans qu'il ne puisse y faire grand chose. L'acier détourné, la lame bien étrange du Cygne Noir scella leur énième passe : la dent filait vers lui, après avoir pénétré sa défense. Elle glissa sur le cuir avant de heurter les mailles de sa cotte. La chemise de fer se déchira tandis que l'estocade attaquait son flanc. La sueur poissait déjà ses tempes et la douleur rendait son front luisant. Une large estafilade courrait au dessus de son bassin quand son genou flancha avant de rencontrer le sol. Ses doigts blanchis par la pression restaient vissés sur la hampe de son arme mais sa respiration difficile autant que le râle qu'il avait poussé trahissaient son mal.
Plus que la première passe, elle avait remporté le premier sang.
Elle n'accorda comme répit à son adversaire que la demi-seconde qu'il lui fallait pour observer sa nuque. En tant normal, c'est là qu'elle aurait frappé si, comme dans la situation actuelle, elle n'avait pas pu s'attaquer directement au cœur. De tout temps, l'assassin avait été formée à tuer et de tout temps elle avait cherché à le faire le plus rapidement qui soit. Elle arma son bras, prête à perforer l'épaule du maraudeur.
La rapière de la Belle fut stoppée par l'acier. Vif malgré la douleur, Lanre avait opposé le plat à l'estoc, enfonçant la pointe de sa propre lame dans une estrade usée par les âges et les batailles. Certains parlaient d'or et Swann en faisait partie — depuis son arrivée il n'avait rencontré personne à parler le même langage que que le sien. Celui du fer, celui du sang. L'aiguille d'ivoire avait fragilisé l'espadon au point d'en inciser la lame, mais le bras de la Dragmire tremblait, secouée par le ricochet. Sans plus attendre, il envoya sa garde droit dans le foie de sa vis-à-vis. Malgré le masque il put l'entendre chercher l'oxygène. Elle recula assez pour qu'il puisse se négocier une distance de sécurité.
Les yeux du rouquin plongèrent dans ceux ambre des Larmes du Clan. De nouveau en pleine possession d'un équilibre qu'elle semblait n'avoir jamais perdu, elle avançait vers le Ceald avec l'adresse des lionnes. Une seconde fois, il se saisit de la claymore à la façon d'une lance, mais cette fois-ci, il ne comptait pas jouer du pommeau ou des quillons. Avant que la fille du Désert n'ai franchi la distance nécessaire pour disposer d'assez d'allonge, il jaillit à sa rencontre. Jouant de la portée de sa lame, il frappa le premier. L'espadon ne manqua le foie que de quelques centimètres, comme il l'avait pressenti. Il ne cherchait pas tant à la toucher qu'à briser sa dynamique. Son visage se crispa alors que le mouvement lui tirait un demi-gémissement.
Quand l'acier du barbare vint quêter son genou, elle était déjà haut. Il l'avait tenue à distance mais ne le ferait pas deux fois. La claymore, si maladroite qu'elle puisse être, ne saurait tarder. Elle prit les devants quand son talon s'appuya sur la lame, avant de s'en servir comme d'un tremplin. Le Cygne ne touchait plus terre et s'élevait de nouveau glissant sur les ombres comme l'esquif sur les eaux calmes. L'arène entière s'obscurcissait, les torches mourraient. Avant qu'elle n'ai tout à fait disparu, un noir de suie avait avalé les lieux.
Le paria pesta bruyamment, repensant aux stratagèmes d'Aedelrik. Le cuir cogna sa joue, brutalement. L'assaut venait de partout et de nulle part à la fois et il eut beau se mettre en garde, il ne put contrer ou éviter un deuxième coup. L'Hylienne, profitant de sa surprise, s'était affranchie de son champ de vision avant de frapper encore et toujours. Il chancela, perdant presque pied. Son flanc le lançait douloureusement. La lame ne l'avait que griffée et pourtant elle mordait plus qu'aucun acier qu'il ait pu connaître.
Une fois de plus, elle menait la danse. Il ne saurait la voir tant qu'elle resterait cachée sous ce suaire de ténèbres qu'elle avait jeté sur le Colisée enterré. La jeune femme s'approcha au pas, ménageant sa propre fatigue tant que demeurait l'obscurité, elle laissait sa lame tournoyer autour d'elle dans de sordides moulinets d'acier. Ses lèvres restaient fermées quand elle s'élança.
L'acier claqua contre le bois sec avant qu'il ne comprenne que la claymore fuyait ses doigts. Son dos se brisa en deux alors qu'il se pliait, incapable de cerner son adversaire. La respiration lui manquait, la sueur trempait les fourrures, maculait son visage et faisait couler les peintures. Un assaut de plus le jeta au sol. Sa gueule ricocha contre le bois comme un galet sur un lac. Il toussa et cracha à mesure qu'un sentiment de noyade ne s'emparait de son être. Poussant sur ses deux mains, désormais libre, il s'arracha aux planches miteuses de la scène jusqu'à se retourner. Une lame lui chatouillait la gorge tandis que pesait sur lui la menace d'un deuxième sourire, sous le menton. Un sourire carmin.
«
C'est fini, garçon », souffla Swann Villarreal Dragmire. Sa voix faible résonnait dans l'opacité malgré le masque et la fatigue qui l'étouffaient. Une à une, les torches renaissaient, et avec elle une luminosité qu'il avait presque oublié. Sa poitrine se soulevait vite, plus qu'usuellement. Il haletait, à bout de souffle. Son regard chercha celui, victorieux, de la jeune femme. La colère qui s'emparait de lui l'invita à fracasser ce masque qu'elle portait pour découvrir le visage qu'elle refusait de lui dévoiler, qu'elle lui interdisait dans ce qui lui paraissait un élan de lâcheté sans nom. Il grinça des dents, fier, soutenant les pupilles d'or.
La situation lui sembla durer une éternité quand elle ne dura que quelques secondes. Le vert-de-gris demeurait plongé dans l'ambre jaune quand il envoya son pied à l'assaut du genou de Swann. Tout du long de l'affrontement, elle n'avait joué presque que des jambes — c'était là qu'il fallait frapper s'il souhaiter dominer. Le fer clouté de sa botte embrassa sans vergogne le genou de la Belle. Quand l'os craqua, il sut qu'il avait brisé la première aile du Cygne.
« Pour immobiliser un oiseau, bloque-lui les ailes », disait autrefois Brieg avant de libérer ses faucons. Perdant un premier appui, la Dragmire manqua de chuter. «
Bordel de merde … ! — », cracha-t-elle. Entre les dents du masque, le Ceald distinguait sa peine. Il n'eut pas le temps de sourire.
Ses traits se durcirent tandis qu'il contractait tous les muscles qui pavaient son torse et son ventre. Les abdominaux contractés tiraient sur les blessures fraiches que Swann avait su ouvrir mais il parvint à basculer. Se hissant au dessus de la Belle, désormais genou à terre, il la plaqua lourdement au sol. La jeune femme s'effondra, quittant les cieux qu'elle affectionnait tant pour une terre plus barbare, plus rêche. Le plancher poussiéreux cogna l'arrière de son crâne, ouvrant une belle plaie sous sa crinière de jais. «
Fini, hein ? », grommela le sauvage qui s'était installé sur son bassin aussitôt qu'elle avait lâché son épée. Dans ses mains brillait une dague blanche, qu'il levait haut au dessus de son gueule bariolée de sang et de peinture.
Elle pensa à toute vitesse, consciente qu'elle risquait beaucoup trop. Une défaite était inacceptable, impossible. Pas après tout ce chemin parcouru ! La grimace qui barrait son visage sous le masque aurait presque pu symboliser tout ce pourquoi elle se battait. Pour un prix ? Peuh ! Le seul prix dont elle voulait bien, c'était la tête de Zelda. Et c'était précisément pour cela que la défaite était exclue. Elle devait rallier à elle le peuple de la nuit et le libérer du joug des Nohansen Hyrule. «
Ta gueule ! » Siffla-t-elle, tirant une carte de papier blanc. Sans attendre, elle la plaqua sur le torse du barbare, collant ses deux mains dessus. L'air chaud s'anima entre ses doigts.
L’éther crépita avant d'exploser sans la moindre flamme. D'une bourrasque naissante entre les mains de Swann, la carte devint un ouragan. Le rouquin se sentit décoller, soulevé par un courroux surnaturel et elle le regarda mordre la poussière, tâchant de se relever. Sa jambe l'abandonna tandis qu'elle hurlait de douleur. «
Fais chier ! » Gémit-elle, portant sa main à sa jambe. Et en dépit du mal qui rongeait sa jambe, elle réessaya. Par les Déesses ! Elle était Swann Dragmire ! Les Larmes du Clan, et elle tutoyait la mort elle même ! Ca n'était pas un simple barbare qui saurait la défaire ! Elle était intouchable, invinci... —
Quand il réalisa qu'elle s'était relevée, Lanre comprit qu'elle n'avait pas le genou brisé, mais déboité. La douleur ne serait pas moins atroce, loin de là, et elle pourrait continuer à marcher au terme de ce duel. Les Wyrms avaient été cléments, de toute évidence. Ses doigts se refermèrent plus fort sur la dague de Blanche, conscient qu'il ne disposait de presque plus rien. Cet adversaire là, il ne saurait sans doute pas s'en débarrasser de quelques coups de poings. Serrant le couteau d'os, il se jeta sur la jeune femme, sans un cri. La foule hurlait déjà pour deux.
Elle savait qu'il arrivait mais pris à peine le temps de le regarder. Elle avait perdu son épée ! La jeune femme pesta, en proie à une fureur innommable. Par deux fois en trois combats, elle se séparait de son arme... Elle grogna avant d'appuyer violemment sur son genoux. Sa jambe craqua dans un bruit sinistre quand elle parvint à la recaler. Deux mètres les séparaient, dorénavant. Elle grinça des dents, cessant de rechercher sa lame quand un râtelier d'armes disposé de l'autre côté du gouffre attira son attention. Sans même réfléchir aux risques pour la cohue en transe, la fille du Désert positionna une nouvelle carte. L'orage qui s'extirpa du petit morceau de papier percuta la balustrade de plein fouet, envoyant voler les armes dessus. Précisément comme elle l'escomptait. Ce rouquin avait su la sortir de sa zone de « confort », et elle saurait lui montrer ce qu'il en coutait.
L'os perça le tissu et incisa sa peau. Le coutelas du barbare pénétra sa jambe nue plus aisément que la pierre ne coule au fond du ruisseau. Leur regard se croisèrent à nouveau tandis qu'il enfonçait un peu plus l'arme dans sa cuisse. Elle ne hurla pas, presque trop surprise pour. Un froid malsain gagnait son cœur de lion et son sang de feu. La hallebarde qu'elle avait espéré récupérer martela le plancher dans un son mat sans qu'elle ne parvienne à la conquérir. Dans sa jambe, l'hiver se déchaînait, farouche. Cruel.
Le gel s'insinuait dans la jambe de la Belle et la rongeait aussi surement que les flammes du brasier ne léchaient avidement le bois. Il crut voir passer la désolation dans le regard de son adversaire, quand son bras accrocha sa nuque et qu'il la força à se plier en deux. Alors que le froid cristallisait dans la plaie, sa rotule percuta puissamment la poitrine de Swann. Son genou comprima les seins de son adversaire, mais ne cessa de monter que lorsqu'elle suffoqua. Sous sa chair, le givre devenait verre puis glace. Il frappa une seconde fois avant de tirer sur la chevelure du Cygne. Il l'entendait s'asphyxier à mesure que sa poigne ne pesait sur son joli plumage. Jouant du poignet, il mena l'Enfant de Ganondorf au sol d'un coup sec, arrachant presque la parure nocturne de l'oiseau.
Coutelas d'ivoire toujours en main, Lanre ne la regarda pas chuter. Sans attendre une seconde, il récupéra la hallebarde qui dormait non loin, conscient que tout pouvait encore basculer s'il ne procédait pas au plus vite. Un simple coup d'oeil à l'arme le renseigna autant qu'il ne l'inspira. La lance qui concluait la hampe montait haut, et l'écart avec l'arête de la hache qui y avait été fixée offrait une courbe presque parfaite. Pivotant subitement, il se retourna sur une Swann encore affalée, qui s'étranglait sous son masque. Sans un mot, sa main gauche monta sur la hampe de l'arme d'hast avant de la brandir haut au dessus de son crâne. La pointe de lance alignée sur la gorge de sa proie.
La lance perça le bois à quelques millimètres de son cou quand la saillie de la hache vint froidement caresser sa jugulaire, sans la toucher pour autant. Swann hissa tant bien que mal ses deux mains sur la hampe, se démenant vainement sous l'étau de fer que le Ceald lui avait imposé. Elle sentait ses forces l'abandonner quand l'homme s'agenouilla près de son visage. «
Shhht. » Fit-il, tandis que sa main se glissait sur son faciès. Elle attendait un coup qui ne vint jamais. Au lieu de quoi, le trappeur lui retira le masque dans un geste d'une délicatesse qui tranchait avec le reste de l'affrontement. «
Tu es douée aux armes, joli cygne. » Lâcha-t-il ensuite. La Belle de Villarreal cracha. Sa haine, son mépris, sa colère. Une colère tant dirigée contre son échec, contre elle-même que contre lui. Le trappeur accusa la bile sans s'en offusquer. D'un geste du bras, il s'essuya le visage. «
Mais aujourd'hui, tu es un oiseau en cage. » Acheva-t-il avant de se lever et de lever haut le masque qu'il lui avait volé. Dans un mouvement unique la foule s'éleva, acclamant un homme, sacrant un champion.
L'ambre seule était encore consumée par la rage.