Posté le 10/02/2015 23:04
D'un bond, l'Hylien se hissa au dessus des fûts qui avaient commencé à envahir la ruelle. La semelle de cuir bouilli de sa botte le fit déraper, tandis que le vin inondait le bois comme la rivière glisse sur les gravillons qui composent son lit. « Peste ! » Jura-t-il, grognant dans le début de barbe qui lui dévorait déjà méchamment les joues. Pas de quoi changer radicalement son visage mais juste assez pour que, trempé et couvert de boue, il apparaisse méconnaissable. Alors qu'il se sentait perdre l'équilibre, le blond poussa soudainement sur sa jambe, dans l'espoir de décoller. Les dents serrées et les lèvres pincées, il joua sur la détente de sa cuisse, avant de s'arracher aux tonnelets qu'il avait lui même lâché. Jetant ses bras aussi haut et aussi loin qu'il lui était possible de le faire, Link parvint à refermer ses mains sur l'axe d'une enseigne. Profitant de son élan, il se laissa porter vers l'avant avant de se laisser retomber, quelques mètres plus loin.
Malgré un équilibre précaire le vagabond sut atterrir sur ses deux pattes. Sans un mot, il reprit sa course. Et si la fatigue ne le tenaillait pas encore, il savait pertinemment que son duel contre la Dragmire l'avait laissé diminué, face à une Nabooru au repos depuis des semaines si pas des mois, et un poursuivant manifestement plein de ressources. Le souffle ne tarderait pas à lui manquer. « Gamin, tu les semais tous.. ! », pensa-t-il, alors qu'il sentait une goutte de sueur tracer un sillon sur le flanc de sa gueule, sous sa tempe. Brusquement, à la faveur d'un peu d'ombre et d'un embranchement, l'Enfant-des-Bois s'engouffra dans l'une des venelles qui irriguait la Grand-Place de la Citadelle. Il avait beau ne pas connaître la ville aussi bien qu'il n'avait pu le faire, il savait au moins dans quelle direction il se rendait. Puisque l'Exaltée elle même peinait à le reconnaître, il doutait encore moins de sa capacité à passer inaperçu... Pour peu qu'il arrive à prendre suffisamment d'avance, et surtout parvienne à changer de peau.
En une foulée, à peine, il gagna le premier étal qui pavait l'avenue. Pestant sans un mot, le vaurien réalisait enfin ce qui était sans doute sa plus belle erreur de cette course. L'allée, bondée de monde, il ne pouvait progresser efficacement sans risquer de blesser l'un ou l'autre des passants qu'il tentait de contourner. Retenant tant bien que mal un sifflement d'agacement, il se mit à courir, fonçant droit sur un mur de pierre brune, bordé par une lignée de piquets de bois. Son talon épousa d'abord le petit mât, avant que la plante de ses pieds n'embrassent la roche. Tendant le bras vers la façade qu'il caressait presque, il profita de la vitesse qu'il avait déjà accumulé pour perpétuer son avancée. Au yeux des badauds, il courrait sur la devanture comme si ses pieds collaient assez au mur pour qu'il puisse s'affranchir des lois de la terre et des cieux. Le premier pas l'amena plus haut qu'il ne l'eut cru. Le deuxième appuya un peu plus son équilibre. Il grinça tout de même des dents en sentant certains pans de roche commencer à s'effriter. Au terme de son cinquième pas, l'Hylien plia subitement les jambes pour mieux bondir.
A peine eut-il le temps de ramener ses bras contre ses cuisses que déjà, la toile d'un des commerces de rue le rattrapait. L'Enfant-des-Bois se laissa glisser sur le tissu de la même façon qu'il se laissait glisser sur les immenses feuilles de l'Arbre Mojo, avant de quitter la Forêt. Pariant sur l’élasticité de la toile, le Faux-Kokiri se laissa décoller une fois de plus, pour se rattraper sans mal sur l'un des toits de la Grand-Place. S'aidant de ses deux mains, le garçon reprit sa course, changeant de direction. Dès qu'il le put, il quitta les cieux et se laissa retomber. Son regard de givre cherchait la Gérudo qu'il avait perdu auparavant quand une troupe d'hommes en armes débarqua d'un angle. « Vous ne lâchez pas l'affaire, au moins ! » Souffla-t-il, d'avantage pour lui même que pour les soldats qui le traquaient. « Rends-toi, maraud ! On dit la Reine clémente avec les connards dans ton genre ! » Gueula celui qui menait la petite troupe. L'armet vissé son crâne étouffait sa voix et dissimulait son visage, mais cela n'empêcha pas l'Hylien de lui décocher un regard glacial. « Ah, vraiment ? — » S'enquit-il, les mains sur les genoux, le dos courbé et le front poissé, alors qu'il cherchait tant bien que mal l'air qui le fuyait. La horde de guerrier de fer avançait doucement. Chacun de leur pas, à mesure qu'ils ne battaient le pavé, ravivait le souvenir du carreaux d'arbalète qui avait manqué de le tuer. Il ne saurait même plus dire s'il s'agissait de la veille ou de quelques heures plus tôt. Passant son avant-bras sous son nez, il renifla sèchement. D'ici quelques secondes, ils l'auraient rejoint. Sans le moindre signe avant-coureur, il redémarra comme une flèche. Malgré la bataille menée contre Swann, il gardait assez de ressources pour semer des chevaliers ou des paladins.
Bientôt, ses poursuivants soufflaient comme des bœufs quand il prenait une avance considérable. Et le mur qui se dessinait à plusieurs dizaines de mètres devant lui ne parvenait pas à l'inquiéter : il avait toujours été doué pour l'escalade. Plus que bien des Kokiris, plus que bien des Sheikahs. Il n'avait qu'à passer le carrefour, puis la fontaine, et... —
Son menton percuta violemment le marbre humide, tandis qu'il chutait lourdement sur le petit puits qui trônait au centre de la placette. « Umphf... » Parvint-il à souffler. Sonné et la gueule couverte de sang, il tâcha de se retourner pour mieux découvrir qu'il n'avait pas d'assaillant. Dans le même mouvement sa main s'était glissée à sa ceinture, à la recherche de l'épée de Légende. Quand ses doigts se refermèrent sur du vent, il pesta. Douloureusement. Sa mâchoire le tiraillait comme rarement et il peina à se relever, sans comprendre ce qui l'avait jeté au sol. A la recherche de sa lame, il pivota tant bien que mal, réalisant doucement mais sûrement que ses pieds étaient comme pris dans une vase boueuse, traître, et possessive. « Funérailles ... ! » Lâcha-t-il, en apercevant le pommeau d'Excalibur caché sous une charrette pleine de foin. Il s'élança, avant de perdre à nouveau l'équilibre, sans tomber pour autant. « Bordel ! », siffla-t-il, conscient qu'il était vraisemblablement sous l'emprise d'un sortilège. « La peste que ces magiciens », pensa-t-il tandis que sur son visage se dessinait une moue austère et presque hargneuse. Ce qui tenait auparavant du simple amusement (et peut être de la revanche aimable pour les tirs d'arbalestrie qu'il avait essuyé) commençait à sérieusement l'agacer. Quand une voix s'éleva dans son dos pour ce qui ressemblait presque à un sermon sur la bravoure, il ne put s'empêcher un soupir blasé.
Avant qu'il ne se fende d'une réplique lapidaire – comme à son habitude –, il sût qu'il pouvait bouger de nouveau. Dans l'eau de la fontaine se reflétait la Gérudo qu'il avait aidé jusqu'à présent. Il la laissa approcher et sauta au moment ou elle passait à ses côtés. Quand Nabooru lâcha son bras, ils s'étaient élevés presque assez haut pour prétendre une fois de plus aux toitures de la Citadelle d'Hylia. La jeune femme s'écrasa contre l'ardoise alors qu'il se roulait en boule en brisant le verre d'une fenêtre. Roulant sur le sol de la chambre, il arracha maladroitement le rideau de sa tringle. « Mais enfin... ! » Hurla un homme qu'il devinait allongé dans le lit. « Mon coeur ? Qu'est-ce que c'était ? » S'enquit une femme, avant d'être coupée d'un violent « Boucle-là, tu veux ?! ». Le blond resta une seconde interdit, sans vraiment entendre ce qu'ils disaient. Son esprit était ailleurs. Plus bas dans la rue. Il glissa trois doigts dans une petite bourse de cuir, tout en s'approchant de la fenêtre. Dans son dos, le couple se faisait de plus en plus vindicatif. Du coin de l'oeil, il vit l'homme brandir un vase et tenter de l'abattre sur sa nuque. Un pas sur le côté suffit pour éviter l'assaut, tandis que l'amphore venait s'exploser contre la crédence du mur. Le vagabond porta un coup unique, du plat de la main. Repoussant son aîné (d'au moins 15 ans) contre le bureau, il ne lui laissa pas le temps de réagir comme il ne prit pas le temps de le regarder s'affaler sur l'écritoire : déjà il prenait appui sur le rebord de l'embrasure pour l'enjamber.
Frottant la tunique de Belle contre le mur, le Fils-de-Personne ralentit légèrement sa chute. Si la hauteur avait été plus importante, cela n'aurait sans doute rien changé, mais puisqu'il n'y avait pas là de quoi se blesser véritablement en temps normal (pour qui savait chuter correctement, du moins), il profita de cet instant pour jouer l'une des cartes qu'il jouait le moins. Fermant soudainement les yeux, il écrasa rapidement les trois noix contre la façade. L'éclair de lumière fut si fort qu'il perça les deux suaires qu'il avait laissé tomber sur l'Enfer Polaire de son regard. Il n'en serait pas aveuglé, mais il était pratiquement sûr que les gardes qu'il avait vu en descendant comme le mage – qu'il soupçonnait de plus en plus d'être le Chancelier – se tiendraient les yeux un moment.
Fonçant aussitôt qu'il toucha le sol, Link fila droit vers Orpheos. Profitant de la distraction qu'il s'était négocié, il frappa. D'abord du genou, visant le foie ou la rate, avec l'espoir de plier en deux son assaillant, puis avec le coude. Si son assaut s'avérait payant, la nuque du musicien risquait de le faire souffrir pour les jours à venir.