Posté le 14/05/2015 20:54
Luka savait mentir, c'était évident. Il en avait dit assez de vérité pour que son récit soit crédible, trop peu pour révéler ce qui devait rester secret. Les saltimbanques possédaient souvent ce genre d'expérience et de savoir, à force de vivre en marge de la société et de la loi. Au moins, Aedelrik put constater que son compagnon d'infortune ne craignait pas de sombrer dans le mensonge et la demi-vérité même auprès d'une de ses amies, apparemment proche. Le Renard comprenait assez bien pourquoi : autant ses affaires de drogues pouvaient paraître bien habituelles à Hemma, autant cette sorcellerie dont Luka avait usé sur le capitaine...
Le voleur frissonna en repensant aux deux serpents crevant les yeux de leur proie. Aedelrik ne le pleurerait pas, même si sa blessure le conduisait à la tombe, mais il ne pouvait s'empêcher de trouver un tel châtiment horrible, et même sacrément écoeurant.
« Ils ne t'ont pas vu, toi. »
Le Renard grogna lorsque la fille de joie resserra le bandage autour de sa blessure. Il tenta de faire jouer son muscle, pour constater que ses mouvements étaient douloureux, et raides. Se battre dans cet état serait délicat, trop dangereux. Tandis que Hemma allait étreindre un Luka, dont le numéro d'enfant innocent contrastait d'une manière malsaine avec ce qu'il avouait avoir accompli, Aedelrik se releva et jeta un coup d'oeil discret par la fenêtre ouverte. Dans la ruelle, il vit une bande de cinq hommes en armes et brandissant des torches, dégageant une hostilité manifeste. Le coin allait bientôt devenir dangereux pour eux.
Le voleur se retourna pour croiser le regard réprobateur d'Hemma, qui ne parvenait pas à cacher sa bonté derrière toute sa mauvais humeur,
« Bon. Vous auriez pu éviter de venir me refourguer vos emmerdes, hein. Je peux pas vous garder pour la nuit, faut que je reçois mes clients. Mais je vais vous faire sortir de là. »
Aedelrik tendit l'oreille. La jeune femme semblait pleine de ressources, et les bordels ne manquaient pas de sorties discrètes pour les hommes de bien désireux de laisser leurs escapades dans l'ombre. Quand à savoir ce qu'ils feraient une fois hors de danger...
« Hep, j'ai pas fini. Toi Luka, tu ne rentres pas chez toi ce soir. Mieux vaut être prudent. Puis ton ami a besoin d'un vrai guérisseur, faut pas que ça se gangrène ou quoi. »
Pour ça, le Renard savait déjà où aller. Son regard rencontra celui du musicien et, l'esprit tendu comme un fil, Aedelrik s'efforça de le jauger au moins, d'évaluer la situation. Laisser Luka seul, c'était le garder en dehors de ses secrets et de son projet, et un voleur est toujours moins visible seul. Mais il comprit aisément que ça n'était pas une bonne idée. Son compagnon en savait déjà beaucoup... Si il tombait aux mains de Cass'dos, le Renard pouvait dire adieu à ses plans. Et puis, il avait une dette envers ce jeune écervelé. Pour le pire ou le meilleur, Aedelrik avait appris à ne jamais cracher sur une main tendue.
« Si tu le veux bien, je t'accompagnerai. »
L'étranger hocha la tête, un air entendu.
Il n'y avait pas de bonne solution, de toute manière. Luka s'était mis dans une situation telle qu'il ne pouvait que courir un risque mortel. Tout ce qui comptait dés lors, c'était de faire les choix les plus rusés, afin que lui et le voleur ne finissent pas le dos brisés dans une fosse commune. Aedelrik se rassit sur un geste d'Hemma,
« Je peux vous prêter quelques affaires de rechange, vu que vous avez dégueulassé les vôtres avec du sang. Toi, enfile ça, ça va te couvrir ta blessure et tes cheveux. Mais toi, enlève-moi cette tunique, tu l'as sali trop bas pour qu'on puisse le cacher, et j'ai pas de manteau. »
Le Renard avait déjà enfilé le vêtement que Luka, lui, semblait s'être pétrifié sur place, comme frappé par le regard d'un basilic. Comportement étrange s'il en était, surtout pour quelqu'un de cette classe des musiciens et des saltimbanques, d'ordinaires moins pudiques que la moyenne. Et soudain, Aedelrik eut ses premiers soupçons. Luka avait peut être bien quelque chose à lui cacher, un secret qui ne devait pas en être un pour Hemma. Les yeux du voleur ne quittèrent plus son camarade. En plus d'être méfiant, l'étranger était curieux.
« Hemma non, je peux pas... Tu sais très bien, je peux pas... »
« Bien sûr que si tu peux, imbécile, tu veux sauver ta peau, oui ? Alors épargne-moi tes bêtises, et enfile-moi cette robe. Tu pourras remettre tes fripes de garçon manqué après, si c'est ça qui te tracasse. »
Luka finit par céder, et s'exécuta derrière un paravent tandis que Aedelrik détournait son attention de cette situation, peu désireux de rajouter inutilement de la pression sur les épaules frêles de l'hylien. Le temps des réponses viendrait plus tard. Ils devaient penser à leur survie d'abord. Toujours, la survie.
« Comment je fais pour mes cheveux ? Ils sont trop courts. »
« Tu sais très bien comment te voiler, tête de linotte. Débrouille-toi. »
Le ton était impitoyable, mais Luka semblait encore hésiter. Aedelrik, qui venait de voir une des patrouilles criminelles s'approcher par la fenêtre, s'approcha du paravent, le contourna pour rejoindre son camarade et s'efforça de masquer ses cheveux au mieux qu'il put avec le voile. Se faisant il restait silencieux et n'échangeait pas un regard avec le musicien. Seulement lorsqu'il eut terminé, le Renard lui glissa à l'oreille,
« On a tous notre part d'ombre. Cesse donc d'y penser pour l'instant. »
« Alors, vous êtes prêts, oui ? »
Hemma semblait tout aussi pressée qu'Aedelrik de les voir partir, ce que celui ci comprenait parfaitement. Chaque seconde qu'ils passaient dans cette chambre en sa compagnie était un risque grandissant pour la fille de joie. Elle pouvait avoir toute la bonté du monde, elle savait que plus tôt ils partiraient, plus vite elle serait sauve et sans risque d'être soupçonnée par la pègre. Le Renard se satisfaisait à la pensée que bientôt, elle réaliserait à quelle point l'avoir aidé était un pari gagnant.
« Nous y allons. Merci pour ton aide, Hemma. Je m'en souviendrais. »
Il y avait mis tout son charme, et tenté d'être le plus élégant possible. Délicatement, il prit la main de la jeune femme et y déposa un baiser. Celle ci lui sourit avec une ironie affichée, mais aussi une pointe d'autre chose, qu'elle aurait sans doute voulu dissimulé, avant de lui répondre,
« Jusqu'à demain, sans doute, comme tous les autres ! Vas donc, je ne m'attends pas à te revoir, et j'espère même réussir à t'éviter tant que tu auras des ennuis au cul ! Bon, suivez moi ! »
Elle sortit de la chambre en les incitant à la suivre, ce que fit Aedelrik après s'être assuré que Luka faisait de même. La jeune femme les conduisit jusqu'à l'arrière du bâtiment, et ouvrit une porte en bois lourde, puis une seconde dont la teinte se mariait parfaitement avec le mur extérieur du bordel : une sorte de poterne pour client attaché à sa réputation.
Le Renard sortit en premier pour laisser Luka et Hemma se saluer, jusqu'à leur prochaine rencontre, espérait il. La porte donnait sur une cour intérieure dont on sortait par un passage ouvert dans le pâté de maison. Il se rendit à cette sortie pour constater qu'elle donnait sur une ruelle qu'il connaissait. De là, la route vers son repaire lui parut claire, et il se détendit... Jusqu'à ce que le passage d'une des patrouilles vengeresses ne le force à se plaquer contre le mur au dernier moment pour ne pas être vu. Lorsqu'il s'autorisa à respirer de nouveau, Luka se tenait à côtés de lui.
« Suis moi de prés, et imite moi dés qu'il le faut. »
C'était une consigne assez vague, mais Aedelrik lui accordait assez de crédit pour le croire capable de savoir quand le danger exigerait qu'il s'exécute. Lentement, il progressa dans la ruelle tapis contre un mur sombre, l'obscurité de la nuit les recouvrant presque parfaitement. Arrivés à son extrémité, ils furent confrontés à une grande rue, ouverte, et parcourue par deux patrouilles qui progressaient dans leur direction. Le Renard savait comment passer seul mais avec Luka... Il estima alors les distances et se décida à jouer une carte risquée. Du revers de sa tunique, le Renard sortit une des fioles de verre, qui contenait sa fameuse drogue. Il la désigna à Luka, avant de lui murmurer,
« Sitôt qu'elle aura explosé, bouche toi le nez, et cours vers la ruelle en face. »
Dés qu'il eut l'accord du jeune hylien, Aedelrik projeta la fiole au centre de la rue. Juste avant qu'elle ne touche le sol, il prit une profonde inspiration et, à partir de là, se retint de respirer. Quand le verre rencontra le pavé, il explosa, projetant la substance sous la forme d'un nuage de fumée plus sombre que la nuit même, qui envahit l'espace sur plusieurs mètres. Aussitôt, Aedelrik fonça, espérant être suivit de prés, et continua même bien après être parvenu dans la ruelle. Il ne s'arrêta que plusieurs minutes après, tandis qu'ils étaient sur le point de quitter le quartier du bordel. Essoufflé, adossé à un mur pour récupérer de son effort, il prit la peine d'expliquer à Luka la situation,
« Cette drogue... la fleur de roche... Concentrée, c'est un poison liquide. Bien manipulée, c'est un hallucinogène gazeux. C'est pour ça que tu as peut être l'impression que les lignes de ta vision tanguent un peu... parce que tu en as forcément respiré sans le vouloir. Mais si nos poursuivants en ont pris une grande bouffée... Ils sont sans doute en train de se tabasser les uns les autres en pensant se défendre contre des démons. »
Ayant récupéré son souffle, Aedelrik se redressa et observa autour de lui. La silhouette du temple se dressait non loin, ils étaient proches. Le voleur reprit donc son chemin, plus sereinement étant donné que rien ne lui laissait entendre qu'on les avait suivit. Même Cass'dos ne possédait pas assez d'hommes pour passer au peigne fin toute la citadelle, d'autant que la nuit ne durerait pas éternellement.
Leurs pas les menèrent toujours plus prés du temple, jusqu'à parvenir derrière l'édifice monumental, dans le petit cimetière qui le jouxtait. Aedelrik s'avança alors sans la moindre hésitation dans ce lieu brumeux baigné dans une ambiance morbide, effrayante pour les superstitieux. Le Renard se refusait à être de ceux là. Il emmena Luka jusqu'à une chapelle ancienne, sans doute inutilisée depuis des siècles. Là, sur le tombeau était gravé :
« l'Abyme appelle l'Abyme. »
Aedelrik pouffa devant le grandiloquent de la formule, reconnaissant bien là, familier, le goût d'un de ses associés pour le mystère et les grandes énigmes. Il tira alors sur un anneau qui pendant à une chaîne sur un mur de la chapelle. Aussitôt, le caveau entier glissa sur le sol, pour dévoiler un escalier taillé dans la roche, qui donnait sur une porte. Sur celle ci, on avait sculpté un animal, un loup ou un renard. Celui ci se retourna alors vers Luka et lui déclara,
« Je sais que c'est un peu tard pour t'avertir mais... Si tu franchis cette porte, tu rejoins tous ceux que la loi rejette et que la religion exclu. Tu entre dans un monde de parias et sans doute es tu promis aux enfers du même coup. Je ne veux te forcer à rien. Tu m'as beaucoup aidé, et je suis en sûreté à présent. Qui que tu sois... Il laissa la phrase en suspens pour faire comprendre à Luka le sens de ses mots Tu as ma gratitude et je saurais te rendre la pareille, tôt ou tard. »
Le Renard lui tendit alors une pièce d'argent étrange, indéniablement fausse puisque dessus n'était représenté aucun monarque ni aucun héros de légende, juste un Renard se mordant la queue. Aedelrik descendit les marches et franchit le seuil de son foyer.
Sitôt qu'il eut franchi la porte, un vieil homme au crâne dégarni mais à la carrure de boeuf vint vers lui, l'air jovial,
« Enfin te voilà ! Je m'inquiétais, avec cette histoire de Cass'dos qui a fait boucler tout un quartier et toi qui ne rentrait pas ! »
« Tu as eu raison de t'en faire, Doklas, mais tout va bien maintenant ! »
Le vieux lui enserra l'épaule blessée dans une poigne affectueuse mais terrible qui lui arracha un grognement, avant qu'il ne remarque le bandage tâché de sang. Aussitôt, il ouvrit de grands yeux outrés en direction du Renard qui se contenta de baisser les siens avant de se faire tirer par le bras vers le centre du lieu.
Le foyer d'Aedelrik avait été des catacombes, autrefois, dans un lointain passé. Lorsqu'il était arrivé à Hyrule et avait découvert le lieu, celui ci était déjà bien éloigné d'une demeure pour les morts. C'était alors un atelier de fausse monnaie, où le Renard s'était fait embaucher avant de prendre la tête de l'entreprise, dans des circonstances obscures. A présent, le lieu abritait une vingtaine de ses associés, et servait autant à la forge qu'au recel de biens volés ou encore de prison pour de précieuses victimes d'enlèvements. Sorte de grand espace souterrain où les voix résonnaient sous les arches de pierre et entre les colonnes millénaires, c'était l'antre du Renard, sa tanière confortable.
Doklas était un peu l'âme de ce lieu et servait autant de coordinateur entre tous les associés que de réparateur en tout genre, de murs, de mobiliers, et de corps humain ou non. L'appeler médecin aurait été lui faire une grande offense, car il entendait bien plus à l'art de soigner que ces imbéciles pompeux en robe. Il installa Aedelrik sur un lit et commença à défaire le pansement, indifférent à la douleur que cela provoquait chez son patron.
Soudain, il se retourna vers l'entrée et demanda d'une voix où se mêlait la crainte et la colère,
« Qui va là ? »