Son pas froid résonnait durement dans les couloirs glacés du palais. De temps en temps, sa longue cape de velours noir claquait, comme le fouet qui s'éveille tout juste, avant de mordre. Les sourcils broussailleux du Seigneur-Suzerain de la résidence épiscopale fermaient son regard de pierre. Le visage particulièrement sévère et le dos légèrement vouté, Anaclète Libère avançait vite, ignorant les quelques Frères en armes qui le saluaient et s'inclinaient à son passage. Les cloches sonnèrent, tantôt austères, tantôt brillantes et généreuses. Il n'y prêta pas plus attention, de la même façon qu'il ne se souciait guère des reflets colorés, parfois roses et dorés, parfois bleus, parfois blancs, que dessinaient lumières et vitraux sur son visage. Il n'était pas midi et pourtant il était déjà en retard ; bien trop. Grognant de colère autant que de lassitude, le Pontife tâcha de mettre un peu d'ordre dans toutes les informations auxquelles il venait de gagner l'accès. «
Maudit ! », siffla-t-il, dans un murmure trop faible pour rompre le silence religieux que seul le joueur du Beffroi osait déranger. «
Malepeste, bast, holier ! », jura-t-il de nouveau, tandis qu'il ressassait sans cesse les quelques phrases assassines de l'enfant-Reine, lors de l'entretien auquel elle l'avait convoqué, dans la matinée.
La fille unique de Daphnès, non contente de l'avoir humilié par le passé en l'enfermant dans les geôles, avait cru bon de lui rappeler l'intégralité des chefs d'accusation qui pesaient sur l'une de ses Prêtresses. Il n'ignorait pas les grandes lignes, bien entendu, mais ne savait rien (jusqu'à lors) des agissements précis de la petite.
« Elle menait des troupes sur le flanc de la montagne, épaulé d'autres notables du clan », une déclaration sobre, mais soutenue par un regard imperturbable. Il grinça des dents en repensant au bleu cyan qui cherchait ses propres yeux, à l'époque.
« Tout enfant qu'elle est, elle doit être jugée et comparaîtra pour ses crimes. J'imagine que vous comprenez ce que cela signifie ? » Avait-elle demandé, ensuite. «
Diantre, non ! », hurla-t-il, comme il aurait souhaité le hurler sur l'instant. Mais il s'était contenté d'un simple
« Elle continuera à porter l'habit, mon enfant. Toute criminelle qu'elle puisse être à vos yeux, cette jeune fille est la propriété des Déesses, du Cloître et de ses clercs, singuliers et indivisibles. Vous ne pourrez nous la retirer. » La Reine avait soupiré, alors, sans doute aussi lasse qu'il ne pouvait l'être. Pour autant, là où elle rendait les armes, lui continuait de se battre.
Frère Gustav s'avança, l'air soucieux. Le camail qui couvrait son front et descendait jusqu'à son haubert ne masquait pas l'inquiétude que trahissaient ses traits. «
Monseigneur... — », commença-t-il, levant les deux mains vers le Pontife, comme s'il craignait de le voir chuter. «
ARRIÈRE ! » Mugit ce dernier, frappant sans prévenir les deux mains tendues vers lui. Gustav n'avait probablement rien senti, les mailles et le cuir protégeant ses doigts, tandis que la chevalière du Pontife venait lui griffer l'auriculaire avec suffisamment d'entrain pour le faire saigner.
« Très bien », murmura-t-elle, détournant le regard,
« Mais sachez-le bien : vous ne ferez pas couler le sang d'une enfant. » Il conservait la mission de faire d'elle la sacerdoce qu'elle se devait d'être, mais on lui retirait le droit au châtiment. Pourtant, à aucun moment, il n'avait cherché à négocier. L'unicité du Cloître comptait plus que le prix du fer, plus que le prix du sang. «
Cesse de vouloir m'approcher, et conduis-moi plutôt à la Chambre de repentance. Cette maudite enfant ne tardera guère plus, désormais, et elle se doit de faire pénitence. » Le visage de l'Inquisiteur se referma, comme l'un des belons qui vivaient agrippés aux roches au fond du Lac Hylia.
*
"
Vous pouvez disposer." Souffla-t-il sobrement, à l'attention de deux jeunes néophyte qui s'étaient chargés de transporter les outils qu'il avait fait demander. Une large tenaille en fer noir dans la main, pour arracher les dents autant que pour charcuter les gencives, il ne daigna pas leur accorder un regard. «
Pensez-bien à faire mander Frère Robert. » Il n'ajouta rien qui concernait la Prêtresse de Din. Après tout, le fourgon mené par les hommes de Zelda intriguerait suffisamment les plus jeunes pour qu'ils viennent l'avertir sitôt qu'il le verrait. Quant aux autres... Ils ignoraient qui se tenait derrière les parois de fer et d'acier (et n'avaient nullement besoin de le savoir), mais savaient qu'ils devaient laisser entrer le wagon. Sans un mot, le Suzerain-Pontife déposa la tenaille au milieux des autres, laissant son regard et ses doigts courir sur les outils qu'il avait prévu, tant pour son premier homme de main que pour leur chère amie. Mais avant de les laisser faire plus ample connaissance, il avait beaucoup à parler. Le Paladin était fidèle, certes, mais pas assez alerte sur bien des problématiques... et il tenait à l'éduquer encore un peu avant de le laisser voler de ses propres ailes.
Relevant les yeux, Anaclète Libère suivit les trainées de sang sans sourciller une seconde, jusqu'à gagner les cuisses du cadavre qu'il avait fait pendre par les poings. L'homme, qu'on appelait jadis Silence, se balançait aux côtés d'une cage de gibet dans laquelle demeurait le vieux squelette d'un ancien ennemi. Les deux poignets transpercés d'un unique crochet de boucher (qui maintenait la dépouille en l'air), la mâchoire éclatée, le crâne rasé et brûlé çà et là, le reitre faisait peine à voir. Il avait hésité à le faire émasculer, pour que tous se rappellent son crime, mais avait préféré le faire énucléer, à la dernière minute. La première sentence aurait pu s'avérer mortelle, même bien réalisée, tandis que la deuxième demandait un peu de touché, mais l'avait gardé en vie tout le long du supplice. L'homme de foi regrettait à peine que le mercenaire n'ai pas eu l'occasion de voir le bourreau jouer avec la jambe qu'il avait sectionné. Plein de dédain, le Pontife renifla. Le paria ne méritait guère mieux : ainsi périssait ceux qui oubliaient ses ordres, outrepassaient leurs droits et ignoraient leurs devoirs. Ceux qui croyaient pouvoir rester caché aux yeux des Déesses finiraient tous par brûler.
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