Posté le 02/09/2015 15:33
Elle le faisait poireauter, et pourtant il le supportait. Lorsqu'elle se mit à jouer la grande dame, le genre à se salir par un simple contact avec un plébéien comme lui, étalant de la poudre sur ses mains usées pour les laver, le Renard avala l'affront. Rien ne l'aurait plus soulagé que de plaquer sur la gorge du furet ses propres griffes, histoire de lui faire ravaler son attitude arrogante. Qu'elle se méfie de lui parce qu'ils étaient partis sur une mauvaise base, il le comprenait très bien... Mais qu'on se paye effrontément sa pomme ! Ca frôlait l'intolérable.
Seulement, Aedelrik n'était plus dans une position où il pouvait faire sembler d'être en contrôle. De fait, il lui fallait voir la sorcière, qui qu'elle soit, et seule Furet pourrait l'y aider. Seuls les imbéciles s'en prennent à ceux dont ils nécessitent l'aide. Et lui n'était pas idiot. Ce fut en vertu de cette seule fierté qu'il se contint. Du moins jusqu'à ce que...
« Je pense que ceci fera l’affaire. » Elle lui avait présenté sa paume, comme pour qu'il vérifie lui même son état. Une provocation supplémentaire, pensa t'il. Mais alors qu'il s'avançait, elle souffla. La poudre arriva en plein visage du Renard qui, sous le coup de la surprise, n'eut pas le réflexe de bloquer sa respiration. Il se jeta en arrière mais déjà son inspiration lui avait fait avalé de cette poussière. Affolé, il tira sa dague tout en tâchant de reconnaître le goût, l'odeur de ce qu'il venait d'inspirer. Il y avait là quelque chose de familier, mais rien de bien évident... Ce qui était en soit effrayant puisque Aedelrik connaissait la plupart des drogues existantes. Furet venait elle de le tuer, dans quelques instants ou bien après plusieurs heures de tourments ?
Voyant brusquement rouge, le voleur décida de ne pas la laisser assister à un tel spectacle. Elle l'avait agressé, elle allait le payer. Il se jeta brusquement sur elle. Sa main droite la saisit à la gorge alors que, de tout son poids et son élan, il la plaquait à nouveau contre le mur. Lentement, en proie à une rage froide, il lui ordonna, « Explique toi. »
Que ce fut sous l'effet de la poudre ou bien des mots de Furet, Aedelrik s'apaisa peu à peu jusqu'à finalement relâcher son étreinte, laquelle n'avait manqué que de peu d'être mortelle. La précaution que cette vieille pie avait pris à son encontre lui semblait sensée, mais il prenait très mal de s'être laissé surprendre. Et tandis qu'elle sortait de la pièce en lui faisant signe de la suivre, lui espérait qu'il se souviendrait de ce coup tordu. Alors, pour s'y aider, il attrapa sur la table une poignée de cette poudre qu'il rangea dans une fiole à sa ceinture. Peut être saurait il s'en rappeler le lendemain quand cette drogue aurait cessé de faire effet, du moins l'espérait il.
Au passage de la porte, il attrapa par pur réflexe la cape qu'elle lui avait lancé. Un autre de ses tours ou bien un simple passage obligé pour rencontrer la sorcière ? Malgré un soupire agacé, Aedelrik ne posa pas de question et enfila l'étoffe. Furet marchait déjà devant, silencieuse comme lorsqu'elle l'avait surpris quelques minutes plus tôt. Ce soucis de discrétion collait bien avec le rôle de messagère qu'elle s'était donné... Mais une sorcière pouvait tout autant ressentir le besoin de furtivité. Après tout, lorsque ces dernières venaient dans la lumière, c'était souvent celle de leur bûcher.
Toujours méfiant mais étrangement calme, le Renard décida de la coller au train. Il goûtait peu l'idée qu'elle le largue en plein dédale de rue, avec sa mémoire défaillante et une lune assez menaçante au dessus de lui. Si Furet y arrivait et que la drogue était assez forte, il pourrait même tout oublier de ce bordel et de son étrange habitante. Mais finalement, après une trajet qui lui parut incohérent à travers les rues et ruelles d'une partie toujours plus crasseuse du bourg, ils parvinrent dans une cour délabrée. Aedelrik fut plus que soulagé de constater qu'un grand arbre le camouflait au ciel et à l'astre qui y rôdait. Faire toute la route en rasant les murs l'avait déjà rendu nerveux. Il préférait rencontrer la sorcière sans devoir jeter un oeil au dessus de lui en permanence.
« Attends ici. » Furet s'avançait déjà vers la végétation, sans vérifier si il la suivait toujours ou non. Le Renard envisagea l'idée, l'espace d'un instant, poussé en cela par la curiosité, puis il réalisa que c'était aussi infantile que vain. Avec sa mémoire en compote, à quoi bon lui servait de découvrir ce qu'il aurait sans doute oublié le lendemain ? A moins que la poudre ne fasse déjà plus effet ? Impossible de le savoir, et puis il y avait le risque d'effrayer cette fameuse Rougeagresse. Ses derniers doutes furent dissipés par la brume étrange qui sortit des buissons. « Voilà qui règle la question. Commenta t'il en murmurant, ironique. Prenant son mal en patience, Aedelrik s'adossa à un mur et pensa à ce qu'il allait bien pouvoir dire à la sorcière une fois qu'elle serait là. Il n'avait jamais trempé dans ce genre d'affaires, ce qui ne l'aidait pas à rester serein.
« Bonsoir Etranger. » Le Renard se redressa brusquement, tiré de ses pensées par une voix étrange. Lorsque son regard vint croiser celui de la personne qui se tenait devant l'arbre, il compris que son timbre étrange venait du masque de bois qu'elle portait. Aedelrik dut s'avouer que la sorcière avait quelque chose d'impressionnant, avec sa cape rouge rabattue sur ses yeux et son masque. Surtout, elle avait une prestance particulière, et un maintien typique de ceux qui frayent avec des puissances hors de portée de la masse des bonnes gens. Le voleur décida de ne pas jouer au malin et s'inclina légèrement, en signe de respect. Sans trop en faire, mais suffisamment pour montrer ses bonnes manières. Puis, comme pour prouver ses pouvoirs, la sorcière lâcha une poignée d'herbes, que le rouquin observa chuter en imitant la ramure d'un arbre. C'est finalement assez peu... Jusqu'à ce qu'elle ne révèle le véritable sens de son tour. Alors, le Renard ne put retenir une moue de malaise à la vue malsaine d'un arbre mourrant en train de fleurir. Inconsciemment, il fit un pas en arrière.
Tandis qu'elle parlait, lui restait silencieux, ne perdant aucun de ses mots. Autant Furet parlait beaucoup sans que ses paroles ne porte beaucoup de sens, autant Rougeagresse semblait peser chaque syllabe de chaque mot. Et ce qu'elle disait semblait à Aedelrik plein d'une sagesse éprouvée par l'expérience. En effet, le monde grouillait de contes à propos de viles sorcières faisant miroiter à de jeunes sots l'amour ou la gloire pour mieux les piéger. Au moins, celle ci avait le mérite d'être honnête... Mais cela ne rassurait pas le Renard pour autant. Il ne savait encore rien d'elle, de ses intentions. Si il lui en disait trop et qu'elle comprenait la valeur de l'information auprès des ennemis d'Aedelrik... Celui ci commençait à regretter ce qu'il avait entreprit avec le Furet quand la voix de la sorcière se fit plus douce,
« Parle donc. N’aie crainte, je ne suis pas en position de révéler ce qui sera dit ici : on me démasquerait tout autant que toi. »
En d'autres circonstances, jamais il n'aurait baissé aussi facilement sa garde. Mais chaque seconde à hésiter était perdue dans sa course contre le temps : le lendemain approchait à grand pas et le voleur avait besoin d'aide. Prenant une profonde inspiration, Aedelrik balaya les risques et déclara, « Sorcière... Rougeagresse ! Le nom avait failli lui échapper, maudite drogue ! Merci pour ton avertissement, et pour avoir bien voulu me rencontrer... Il s'autorisa un léger sourire, au cas où son intuition à propos du Furet était juste, J'aurais aimé te rencontrer plus sereinement, mais ma situation exige d'agir dans l'urgence. Mais... Peut être sais tu déjà pourquoi j'ai besoin de ton art ? »
Il avait évité de parler de "services", conscient qu'il était que ce mot pouvait s'avérer vexant pour des experts de l'occulte comme les sorcières ou les mages. En revanche, sa question était plus traître : c'était là une manière de s'assurer de la qualité de Rougeagresse. En effet, ce qui adviendrait le lendemain et effrayait Aedelrik concernerait quantité d'autres créatures surnaturelles dont les femmes comme elle. Elle devait déjà avoir sa petite idée, mais il se refusa à la faire jouer aux devinettes. C'aurait été leur faire perdre tous deux leur temps.
« La lune sanglante, demain soir. Je dois contrer ses effets. Question de vie ou de mort, pour moi et beaucoup d'autres. » Froid, dur, concis. Il avait lancé ses mots comme des poignards, destinés à clouer sur place le moindre doute chez la sorcière. A présent, elle ne pouvait pas lui refuser ses services sans avoir nombre de trépas sur la conscience... Si elle en avait une. Le Renard reprit alors, plus doucement, « Je ne suis plus vraiment un homme. Le loup... Certaines nuits, la lune m'appelle. Elle m'invite à chasser en sa compagnie. Je suppose que tu vois ce dont je parle ? »
Plus qu'une simple vérification, c'était une tentative pour lui de se rassurer. Si même une sorcière ignorait tout de ses transformations, alors il ne restait pas beaucoup d'espoirs. Le regard d'Aedelrik glissa de Rougeagresse vers sa propre main. Il se souvenait très bien de sa dernière transformation incontrôlée, un mois auparavant. Il était dans la cour d'une taverne, fin saoul, en train de se soulager quand la lune l'avait attrapée. Trois morts, et lui même légèrement blessé. Mais surtout... un frisson le parcouru en repensant à la panique qu'il avait ressenti ce soir là. Quand il avait vu, impuissant, cette main se transformer en patte griffue et poilue... Elle le hantait encore, jusque dans ses rêves. Il reprit alors, la voix légèrement cassée, « J'ai appris à me contrôler... Plus ou moins. Mais demain la lune sera sanglante. Je sais que je ne pourrais pas y faire face. Pas seul, sans aide. Il planta alors son regard dans celui de la sorcière, et dit gravement et honteux, J'ai besoin de toi.
Le prix importait peu en vérité. De toute façon, pour un homme au fond du gouffre, n'importe quelle corde qu'on lui tend convient. Tout ce qui restait à espérer, c'était que Rougeagresse eut une corde à lui envoyer.