Le Furet et le Renard

[Privé avec Aedelrik]

[ Hors timeline ]

Sakristi


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La chambre était particulièrement sombre à l’instar de toute la bâtisse. Par ailleurs, si l’étrange garçon à qui elle l’empruntait semblait avoir des notions d’hygiène, qui savait ce qu’il pouvait faire dans la chambre d’un bordel ? Cependant, Sakristi ne se plaignait pas. Tout d’abord, Izzie la logeait dans son établissement sans rien demander en retour. De plus, le gars à qui « appartenait » la chambre n’était jamais là, aussi serait-elle tranquille.

La sorcière se leva de la paillasse. Une petite sieste n’avait pas été du luxe, après cinq jours de voyages sur une carriole qui s’était émiettée tout le long du chemin depuis Cocorico. Encore une fois, elle avait eu la décence de se taire, puisqu’elle avait su se faire inviter par des marchands revenant au ravitaillement. Il lui avait suffi d’inventer quelque infection aux chevaux, à soigner avec un baume des plus aléatoires qu’elle seule – évidemment – pouvait appliquer.

La fameuse Myrtille qui occupait la chambre voisine semblait avoir repris ses vocalises plus que tendancieuses. Aussi était-ce le bon moment pour sortir faire quelques emplettes dans cette cité qu’elle avait toujours voulu visiter sans en trouver le prétexte.

~~~


Jusqu’ici, rien ne semblait vraiment différer de Cocorico ; les marchands hurlaient  de tous côtés pour vanter leurs produits et dénigrer ceux de leurs concurrents, le tout avec une complicité qui témoignait d’années de guéguerre devenue ludique. Mais tout était plus grands, plus coloré. Sakristi commençait à se faire à l’idée de revenir ouvrir son commerce ici, lorsqu’ils n’auraient plus besoin de ses soins au village. Il lui fallait simplement économiser encore un peu, et Izzie se tiendrait informée de toutes les opportunités.

Les étals d’un apothicaire attirèrent son attention. Ceux-ci étaient fournis de tous types de plantes, et de matériel basique de chasse. Dans une grande ville, mieux valait être méfiant et avoir sous sa cape quelques pièges et trompe-l’œil pour éviter les brigands.

Alors qu’elle souriait en repérant les différentes combinaisons empoisonnées à réaliser, un type la bouscula pour se rapprocher de la marchandise.  Elle lui décocha un regard peu amène qui sembla lui glisser dessus, ce qui lui permit de le toiser sans se sentir impolie. Beaux cheveux enflammés, belle gueule, et un petit sourire satisfait qui devait attiser les envies de claques les plus violentes.

La brune retourna donc à son inspection des étals, mais lorsqu’elle aperçut la main de son voisin, en dépit de sa discrétion, s’avancer vers les herbes aux vertus antalgiques, ses désirs de vengeance puérils prirent le dessus sur sa raison. Personne d’autre n’avait remarqué, et elle allait se faire une joie de changer cette injustice.
« S’il vous-plait ? » demanda-t-elle au marchand, attirant son regard vers eux. Elle trouva le moyen de tenir la discussion quelques minutes, à propos de l’origine de ses produits, d’éventuels fournisseurs… Le rouquin lui prêta enfin attention pour la regarder avec tout le mépris dont il était capable.

Regard noir pour regard noir, sourire satisfait pour sourire satisfait, Sakristi était plutôt contente d’elle, et s’en alla en souriant toujours après avoir complété ses achats.

~~~


La nuit était tombée, mais les petites bougies que Sakristi avait apportées de chez elle lui apportaient suffisamment de lumière pour réaliser ses petits talismans, ses bombes et ses fléchettes. Elle saisit un fil jaune et commença à faire des nœuds tout du long en récitant une incantation à chacun. En portant ce ruban sur elle, elle élargirait son réseau, et c’était aussi l’une des raisons de sa visite à Hylia : faire des rencontres intéressantes.
Mais en remontant sa manche, elle renversa le bol d’eau à côté d’elle. Elle grogna et sortit de sa chambre, une bougie à la main, et le bol dans l’autre pour aller le remplir à nouveau. Myrtille semblait prendre du bon temps avec son client, aussi tâcha-t-elle de méditer sur autre chose alors qu’elle traversait le couloir.

Etrangement, cette bâtisse ne lui inspirait pas totalement confiance, et à plusieurs reprises elle eut le sentiment d’être suivie. Quand enfin elle regagna le couloir et aperçut la porte de sa chambre, elle soupira. Avant de constater le silence et de s’arrêter au milieu du couloir. Myrtille lui avait confié ne jamais dormir avec ses clients, et elle n’entendait aucun dialogue pouvant traduire une transaction.

Elle secoua la tête et se remit à marcher, riant intérieurement de ses frayeurs nocturnes. Quand elle entra dans sa chambre, elle entendit qu’un bruit faisait écho à ses pas dans le couloir. Elle n’était pas seule. La femme souffla alors sa bougie avant de ressortir le plus discrètement possible.

Une silhouette se dessinait en noir sur les rayons de la lune qui passaient par une petite fenêtre. Le gars semblait s’affairer autour du petit coffre destiné aux commissions pour Izzie.

Sachant qu’elle ne dormirait sûrement pas, elle joua les audacieuses et se planta en plein milieu du couloir avant de surprendre l’autre.
« Qui va là ? » Au moins l’amulette avait-elle marché : les rencontres arrivaient bien rapidement.


Aedelrik


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Il s'éveilla dans son lit, brusquement et en sueur, le souffle court. Réalisant après quelques instants que ce qui voyait et entendait n'appartenait pas au monde des songes, Aedelrik se retint au meuble de chevet à l'instant où il allait chuter sur le sol, empêtré dans son drap. Il lui fallut encore un moment avant de pleinement revenir à la réalité. Encore une fois, son sommeil l'avait mené trop loin, dans un cauchemar trop prenant et assez désagréable à vivre, même pour de faux. Soupirant de fatigue, le Renard se leva pour aller s'observer dans le reflet de l'eau d'une bassine. Il observa, sombre, ses traits tirés par plusieurs nuits agitées ainsi que son visage où il n'arrivait plus à faire naître un sourire. Il se pris alors la tête entre les mains en un vain effort de faire taire la migraine qui s'emparait de lui, quand le contact d'un liquide dans ses cheveux le frappa soudainement.

Aedelrik porta attention à ses mains pour remarquer que le bout de ses doigts était rouge, couvert d'un fluide qu'il ne reconnaissait que trop bien. Il lui suffit alors de sentir la puanteur qui en émanait et aussitôt le goût lui vint en bouche... Et avec lui, la faim.
Comme prit d'une soudaine frénésie, il plongea ses mains dans la bassine, frotta de toute ses forces, tâchant de dissoudre ainsi sa seconde peau cramoisie, d'oublier cette odeur. Déjà, le voleur commençait à sentir son esprit s'engourdir. Sa frénésie s'accentuant d'un coup, il frappa violemment le mur devant lui, avec son poing puis sa tête. La douleur le ramena à la réalité et il s'apaisa en constatant que l'eau avait pris la teinte du sang alors que ses mains avaient retrouvé leur aspect normal. Il s'empara du récipient et le vida dans le canal de l'égout où était situé sa planque d'alors. Un long moment, il observa le contenu écarlate se mêler à l'onde brune et noire, pleine de déchets et de pisse. Au moins ne pouvait il pas voir son reflet dans cette eau là ! Les nerfs à vifs, il quitta l'alcôve qui servait de terrier au Renard pour une nuit.


« Sale nuit, Rik. »

Le voleur ne contesta pas plus qu'il n'approuva ce qui ne sonnait de toute façon pas comme une question. Doklas se racla bruyamment la gorge, comme pour appuyer son constat. Aedelrik ignorait si le vieillard évoquait ses propres tourments ou un problème extérieur mais à cet instant là, il se concentrait surtout sur le fait de ne pas vomir le morceau de peau qu'il mâchait sans entrain. Après un long silence, son associé reprit finalement,

« Deux morts de plus, dans la ruelle derrière l'Ours Polaire. Dans un sale état, comme les autres cette semaine. Ca inquiète pas mal dans la cité. Les gens commencent à s'agiter. Il pris une longue gorgée de bière, avant de poursuivre, son regard fixé sur le Renard, Certains commerçants réunissent des fonds pour une prime. Un prêtre a parlé d'un démon appelé par la pleine lune qui approche... »

Aedelrik ne soutint pas un instant de plus l'acier des yeux de son ami. Doklas savait, il était un des seuls de ce foutu royaume à savoir, et les dieux l'avaient fait clairvoyant et pourtant... Ses mots sonnaient surtout comme un immense reproche. Comme si ce qu'il brûlait de dire tenait en cette courte phrase : « T'as déconné, et ça va être encore plus la merde. » Or, le voleur était trop à cran pour accepter la critique, qu'importe comment on pouvait l'enrober. Sans dire un mot, il se leva et s'éloigna vers la sortie. Il lui fallait de quoi passer la nuit du lendemain. Après, il serait tranquille pour quelques temps.
* * *

« Allons, vous ne pouvez pas acheter sa laine ! Il encule plus ses moutons qu'il ne les brosse ! »

« La p'tite dame t'a demandé ton avis, peut être ? Baiseur de sorcière ! »

D'ordinaire, il appréciait les marchés, la harangue des marchants, la compacité de la foule qui lui offrait moult occasions de vider des bourses de leur or, cette multitude d'odeurs et de couleurs... Néanmoins, ce jour là, le Renard filait, la mine basse à travers la foule, sans prendre de gants ni hésiter à bousculer qui marchait trop lentement ou passait sur son chemin. Il repéra un premier étal d'herboriste, mais après un rapide examen de sa marchandise, il renifla avec mépris et reprit sa route, pestant contre sa malchance mais aussi contre sa propre inconséquence. Combien de fois avait il vu de la Nostrix et du Fléau-des-loups ces dernières semaines ? Combien de fois aurait il pu s'en faire une réserve correcte ? Mais non, il avait relégué à demain, absorbé qu'il était par de « plus grands projets » ! Ah ! Ils seraient beaux ses projets si il ne parvenait pas à passer la pleine lune.

« P'rdon. »Murmura t'il rapidement alors qu'il venait de bousculer sans ménagement une femme qui se tenait entre lui et un étal d'apothicaire, et à qui il n'accorda dés lors plus d'attention. Mais alors, la satisfaction illumina son regard car le marchant vendait un peu de Nostrix. Une bonne chose de faite. Il considéra néanmoins avec une perplexité le prix, exorbitant, que l'hylien demandait de cette simple herbe et profita d'une négociation de ce dernier avec un autre client pour approcher sa main, prêt à saisir l'ingrédient de son salut. C'est alors qu'il entendit derrière lui une voix appeler, « S’il vous-plait ? ». Retirant brusquement sa main, il se retourna pour voir que la femme qu'il avait poussé affichait un air mesquin. Visiblement consciente des intentions du Renard, elle semblait jubiler et les minutes qui suivirent confirmèrent cette impression tant elle fit durer le plaisir, en embobinant l'apothicaire pour ne pas qu'il s'éloigne. Impossible de voler dans ces conditions, d'autant que la discussion intéressait d'autres clients, qui regardaient donc dans leur direction. Lorsqu'elle s'en alla finalement en lui rendant un regard noir, le marchant se tourna vers Aedelrik en lui demandant, « Besoin d'un renseignement, monsieur ? » C'était foutu. Quand la victime connaissait le visage de son voleur, le risque était trop grand. Le Renard esquiva par une excuse et s'en alla.

La suite de la journée fut frappée par la même poisse, et c'est à peine si l'étranger put se procurer assez de Nostrix pour faire une dose de la préparation. Or, il aurait sans doute besoin de plus pour un tel cas de force majeure. A mesure que le jour baissait, Aedelrik voyait ses chances de trouver ce qu'il cherchait baisser et son humeur s'en ressentait. Pourtant, même une fois le marché fini, il poursuivit sa quête, interrogeant ses associés les plus divers, questionnant le moindre receleur... Mais rares étaient les citadins à s'intéresser à des herbes qu'on ne trouvait que dans la forêt et dont les propriétés étaient vues comme inexistantes. Mais finalement, alors qu'il allait rentrer dans son terrier, un de ses
rats - comme il appelait ses informateurs pauvres - lui apprit qu'une fille d'un bordel avait vu arriver le matin même une paysanne qu'elle soupçonnait de toucher à la magie.
Le Renard ne croyait pas trop aux pouvoirs de ces sorcières. A chaque fois qu'il y avait eu affaire, c'étaient plutôt des femmes solitaires, qui s'y connaissaient plus en médecine que ceux qui sortaient des académies et qui entretenaient savamment les légendes courant sur leurs propres comptes. Mais c'était peut être sa seule chance de trouver du Fléau-de-loup. Aussi se rendit il dans l'établissement de cette Izzi, nom pas inconnu à ses oreilles.

Pour cela, Aedelrik était en tenue complète de discrétion, cuir noir et lin parfaitement teinté de nuit. Dans le même esprit, il entreprit d'entrer par une fenêtre de l'arrière cour, ouverte en raison de la chaleur d'été qui étouffait la citadelle. Le Renard n'eut de fait aucune difficulté à se rendre jusqu'au bureau qui devait contenir le registre des entrées et des sorties, ne croisant personne dans le couloir qu'il traversa. Malgré l'heure tardive, ses pas étaient couverts par les cries que poussaient certaines filles en plein travail.
Il avait commencé à chercher le livre qui lui donnerait le numéro de la chambre quand il entendit derrière lui,
« Qui va là ? »

Aedelrik se pétrifia, l'espace d'un instant, puis réagit, « Aard. » Il avait murmuré le nom mais le son faible avait suffit : la rune de sa tenue réagit et un brusque souffle de vent parcouru le couloir, soufflant sur le coup toute source de lumière. Profitant de la cécité de celle qui l'avait débusqué, le Renard longea le mur sans bruit mais trop rapidement pour lui laisser le temps de fuir. Discrètement, il se glissa derrière elle et, lui plaquant une main sur la bouche, il l'enserra fortement au niveau des hanches, en un étaux serré.
A cet instant, une des portes du couloir s'ouvrit, y déversant une faible lueur de bougie. Aedelrik constata avec surprise que la femme était celle qui lui avait mis des bâtons dans les roues plus tôt ce jour là. Mais la surprise ne le fit pas relâcher son étreinte et tandis qu'un client ivre sortait en titubant de la chambre, la porte se refermant derrière lui, le voleur entreprit de jouer le jeu : il plaqua la femme contre un mur et fit mine de faire la même besogne que tout homme en pareil lieu, tout en maintenant sa main en bâillon. Lorsqu'ils furent seuls, l'ivrogne n'ayant rien remarqué, le Renard glissa à l'oreille de sa proie, d'une voix menaçante,
« Toujours sur ma route, hein ? Ca commence à me lasser. » Tirant sa dague, il lui laissa sa liberté de parole pour mieux y poser une limite froide et tranchante sur sa gorge. Jouant ainsi sur le fil de sa lame, il déclara, « Mais au moins, tu vas pouvoir me rembourser ton coup tordu de tantôt. Où est la sorcière ? »

La sueur perlait sur son front, signe autant du stress de la situation que d'une angoisse sourde : celle qu'il se soit trompé et ait perdu un peu de son précieux temps à chasser une chimère.


Sakristi


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L’intrus avait prononcé un mot que la Sorcière n’avait pas entendu, mais elle focalisa son attention sur tout autre chose en voyant l’image s’épaissir de plus en plus pour ne former qu’une épaisse masse dont elle ne distinguait aucune couleur, rien du tout. Ce salaud jouait avec la magie, et Sakristi n’aimait pas la concurrence.

Son cœur battait la chamade, alors qu’elle faisait un pas hésitant en arrière, ne sachant absolument pas où se diriger. Elle était à la merci d’un criminel notoire. Et s’il volait de quoi pouvait-il bien être capable ? Dans sa maladresse, son pied en rencontra un autre, et bientôt son dos rencontra un obstacle, et cet obstacle était une autre personne. Il ne fallait pas être une flèche pour comprendre de qui il pouvait bien s’agir, mais lorsque l’apothicaire voulut crier, se faire remarquer de quelque manière que ce fut, une main bloqua sa voix, qui resta coincée dans sa gorge pour y mourir aussitôt. Bientôt un lien vivant encerclait son corps, et elle dut se rendre à l’évidence, elle ne faisait pas le poids.

Bientôt elle se sentit glisser, et ce qui vint heurter son dos était le mur. Bientôt, les contours se redessinaient pour former un visage, tandis que le sien était toujours à moitié caché derrière la main de son agresseur. Il devait sentir son souffle court, peut-être même son pouls qui s’affolait sous son serre-taille, à l’instar de sa seconde main.

Ses yeux lui lancèrent tout la haine qu’ils étaient capable d’exprimer, quand soudain elle reconnut le petit con de l’après-midi au marché.

*Chier, encore toi ?!*

« Toujours sur ma route, hein ? Ca commence à me lasser. »

Ils avaient pensé en même temps, au moins avait-elle une preuve d’une forme d’intelligence chez ce garçon. Les sourcils toujours sévèrement froncés, elle déglutit avec d’immenses précautions tandis que l’autre libérait sa bouche. Elle détestait se sentir ainsi prise au piège, surtout par quelqu’un d’apparemment aussi assuré dans le domaine. Mais la brune poussa l’audace jusqu’à écraser doucement le pied du voleur.

« Une Sorcière dans un bordel ? Mon chou, arrête la gnôle, tu manques cruellement de lucidité. » lui lança-t-elle d’une voix hautaine, malgré la lame qui faisait des avances à sa jugulaire. Elle n’en revenait pas qu’une de ces putes l’aient dénoncée. Si elle trouvait un moyen de gagner un semblant de confiance chez cet affreux, elle chercherait à connaître la balance. Et Izzie se ferait une joie de l’aider à se venger, elle en était convaincue.

Cependant, l’homme semblait avoir des connaissances, ses runes avaient parlé pour lui. Sans parler des plantes, qu’il avait visiblement reconnues plus tôt dans la journée. Pourquoi pouvait-il bien avoir envie d’entrer en contact avec elle ?
« Pour autant que je sache, la seule personne liée à la magie ici, c’est vous. Pas simple de devoir aveugler les gens pour tremper son biscuit, pas vrai ? » Bon, ce coup-ci, elle allait loin. Mais ce gars l’insupportait de plus en plus !

Mais la lame pressa encore un peu plus sa peau, et sa fierté fut sauvagement assassinée par la panique. Par ailleurs, le rouquin avait l’air mal en point. Il s’agissait de connaître ses intentions. Puis, voir un tel atout vous être redevable n’était sans doute pas négligeable par les temps qui couraient… Sakristi réfléchit donc à toute allure à un moyen de savoir ce que voulait le maroufle sans se dévoiler. Du moins, pas tout de suite.


« On se détend, chéri, j’ai peut-être entendu parler de ta Sorcière tant convoitée. » La lame sembla s’adoucir quelque peu, non sans rester ferme. « Mais tu serais bien naïf de croire qu’une telle personne se déplace à visage découvert. Une sorcière a ses messagers, et si tu veux que je te mène à Rougeagresse, il va falloir être plus gentil que ça. »

Sakristi avait joué une carte dangereuse en dévoilant son nom de Sorcière. Mais se faire passer pour la messagère était une idée dont elle n’était pas peu fière, à condition que le voleur soit suffisamment dupe.


Aedelrik


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« Mon chou, arrête la gnôle, tu manques cruellement de lucidité. »

Aedelrik supportait de moins en moins de perdre ainsi son temps avec cette mégère, d'autant plus que celle ci se croyait fine à jouer ainsi avec les nerfs du voleur. En parlant de lucidité, il en attendait bien plus de la part d'une femme de joie menacée de cette manière. Surtout qu'il n'avait pas affaire à une jeune pucelle attendant l'âge de la floraison. Celle ci avait du vécu, et pourtant, elle semblait beaucoup s'amuser à jouer avec le feu. Etait ce de l'inconscience, de l'effronterie, ou bien les deux ? Le renard était bien en mal de le deviner. Seul le regard vert déterminé de son otage lui indiquait qu'elle ne faisait pas cela pour s'amuser. Au moins comprenait elle le sérieux de la situation. Déjà ça de pris.
Soudain, il sursauta quand un souffle de vent fit claquer un volet et, en l'ouvrant vers l'extérieur, fit entrer la lumière de la lune dans la demeure. Aussitôt, il se décala de quelques pas, entraînant la femme avec lui, afin de s'éloigner de la silhouette pâle qui se dessinait sur le sol. Plaquant derechef la curieuse contre le mur, Aedelrik l'écouta avec agacement insinuer qu'il était le plus à l'aise avec la magie entre ces murs. Il ne put d'ailleurs retenir un reniflement de dédain à ce sujet, tant son fameux "lien" avec les arcanes était ténu, voire inexistant. Sa tunique exhalait encore l'odeur étrange de la poudre de rune consumée. Au final, ça n'était rien de plus qu'un tour de passe élaboré, rien de réellement magique.

En revanche, le renard était habitué à des réactions vives lorsqu'il usait de ce genre de combines. D'ordinaire, les victimes restaient bouches bées, stupéfiées, trop surprises pour vraiment résister et elles le restaient longtemps. Cette femme, qui prétendait ne pas être liée à la magie, réagissait avec trop de calme et de contenance pour y être totalement étrangère. Elle cachait quelque chose, c'était certain. La lame de la dague se pressa contre sa gorge, avant qu'elle ne se décide finalement à céder un peu.
Ce qu'elle lui révéla lui parut suffisamment crédible pour ne pas être totalement inventé. La discrétion des sorcières était en effet proverbiale et les clercs recommandaient largement à leurs ouailles de rester constamment attentifs, afin de les démasquer sous leurs déguisements fourbes. Dans les faits, les dites ouailles étaient souvent bien contentes de trouver une guérisseuse ou une fournisseuse de philtre d'amour pour régler toutes leurs problèmes. Quand au nom que la femme lui donna, Rougeagresse, Aedelrik ne sut pas estimer la valeur de l'information. Les sorcières de l'Empire possédaient bien des noms particuliers, liés à leur statut, mais le renard n'en avait que très rarement entendu, et peut être ne se ressemblaient il pas. Cependant, malgré tous ses doutes, lui et son otage venaient d'accomplit un bon pas en avant et il se résolu à dégager la gorge de celle ci, gardant néanmoins son arme dans sa main. Il adressa alors un léger sourire à la femme, trop tendu pour faire sincère,


« Excuse mes manières, veux tu ? Le temps me presse et de trop longues présentations m'auraient parues interminables. Comment dois je t'appeler ? Il avait posé ainsi la question car il se doutait qu'elle ne lui donnerait pas son véritable nom, pas après qu'il l'ait ainsi menacé et alors qu'il conservait une lame entre ses doigts. Il lui tendit alors une main ouverte, cordiale, Moi c'est Renard, enchanté. Ne restons pas là je t'en prie, je préférerais discuter en privé. »

Aedelrik prit la femme par le bras et remonta avec elle le couloir, entrouvrant chaque porte jusqu'à tomber sur une chambre libre, vide de tout occupant. Seules quelques bougies éclairaient la pièce, assez sombre. Le voleur remarqua néanmoins avec grand intérêt ce qui sembla être des talismans ou autres instruments de magie. D'ordinaire, il aurait regardé avec mépris ces objets pour superstitieux mais sa situation le poussait à considérer autrement tout cet univers étrange fait de magie, d'incantations et de médaillons contre le mauvais oeil.
Sans ménagement, il poussa la femme dans la pièce et cala une chaise contre la poignée de la porte afin de ne pas être dérangé. Dans un bordel, on ne tentait jamais d'ouvrir une porte verrouillée de l'intérieur. Il s'accroupit alors devant l'étrange attirail de sa nouvelle "amie" et lui demanda,


« Est-ce que c'est autre chose que du bois peint ? Il s'empara d'un des médaillons, le plaça à la lumière d'une bougie, ne remarqua rien de particulier, C'est elle qui t'a apprit à les faire, cette Rougeagresse ? Elle t'enseigne ? Au fur et à mesure, des odeurs d'herbes attirèrent son odorat et Aedelrik comprit pourquoi il avait croisé la femme au marché plus tôt. Il lui adressa un regard grave et lui déclara, sombre, J'ai bes... très envie de la rencontrer. J'ai largement de quoi payer ou rendre des services en ville. Mais c'est urgent. Très urgent... »

Par l'unique fenêtre de la chambre, il sentait la présence menaçante et moqueuse de la lune. Rien qu'en y pensant, le renard frissonnait, et non de froid.


Sakristi


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Elle était sidérée. Un instant elle se faisait menacer d’une lame affutée, et celui d’après ce fameux Renard cherchait à copiner ? A nouveau la peur lui tordit le ventre alors qu’elle soutenait ce regard qui attendait une réponse de sa part quand elle n’en avait pas de toute prête. Faisant écho à l’animal totem qu’il lui avait donné, elle lui servit celui auquel elle s’identifiait le plus. « Appelle-moi Furet, ça fera l’affaire. » Elle eut juste le temps de finir sa phrase qu’il  l’entraina dans le couloir pour chercher un endroit plus tranquille. Dans un bordel, quelle ironie...

Et bien entendu, ce peine-à-jouir qui avait le choix entre plusieurs chambres, trouva en premier celle de Sakristi !  Une fois à l’intérieur, elle profita d’être libérée de l’emprise du Renard pour se pelotonner dans la zone la plus éloignée de lui, près de la fenêtre.

Si son petit plan lui avait paru un coup de génie dans le couloir, voir à présent le rouquin s’affairer autour de son matériel l’inquiétait fortement. Par chance, elle n’avait pas été assez imprudente pour commencer le moindre rituel. Un autel se devait d’être discret, et dans un bordel, les portes s’ouvraient un peu trop souvent.


« Est-ce que c'est autre chose que du bois peint ? » Merde, il commençait à lui courir sur le haricot magique, celui-là ! Pire que ses gosses, du temps où elle en avait, à tout toucher, tout saisir, sans se demander s’il s’agissait de la propriété de quelqu’un d’autre…  La Paysanne voulut nier, mais elle avait vite suivi le regard de l’autre jusque vers ses plantes. Tout ceci était suspect, surtout quand on recherchait une sorcière… « C'est elle qui t'a appris à les faire, cette Rougeagresse ? Elle t'enseigne ? » avait-il deviné quant à ses activités.

« C’est un peu plus compliqué que ça… » commença-t-elle, pour gagner quelques secondes de réflexion. Elle remercia soudain ses Dieux d’avoir eu à faire semblant toute sa vie. Finalement, c’était lorsqu’elle disait la vérité qu’on pouvait croire qu’elle mentait, tant cela était inhabituel. « Les Sorcières collectionnent les vices, alors pourquoi pas la Paresse ? » Oui, là, elle tenait quelque chose ! « Je me charge de trouver ce dont elle a besoin, et de jouer ses petites mains. » Elle avait désigné les médaillons fraichement peints. « Elle se charge des rituels, et dans une cachette que je ne connais pas. »

Cependant l’intrus semblait mal en point. Tout dans son comportement suintait la peur, la tension. Il semblait même fiévreux. De plus, il fixait si régulièrement la fenêtre qu’à plusieurs reprises l’Apothicaire s’était retournée pour vérifier qu’aucun ennemi ne les guettait derrière la vitre. Elle finit par laisser tomber le drap qui servait de rideau, et osa s’avancer vers le Renard pour saisir une de ses bougies.

« Je peux arranger une entrevue, puisque je lui livrerai bientôt tout ça. Mais elle me demandera ce que tu veux. » Devant l’air interdit de l’homme, dont la lueur de la petite flamme adoucissait néanmoins les traits – à moins que ce ne soit la fenêtre à présent dissimulée ? – elle se rattrapa. Elle se doutait bien qu’il ne lui décrirait aussi aisément ses intentions. « J’entends que les rituels coutent davantage que les petits talismans ou filtres d’amours, si tu vois ce que je veux dire. »

Aussi bien pour que la Sorcière ne s’y risque que pour sa propre personne. La magie avait toujours un prix, et c’était bien la raison pour laquelle Sakristi – Rougeagresse – ne s’y risquait jamais, ou presque, pour elle-même. Mais la perspective de pouvoir rouler un gaillard désespéré ou profiter de ses talents l’incitaient à rester ouverte.

Elle tendit une main vers lui, s’arrêtant juste avant de le toucher, au niveau du visage.
« T’as vraiment une sale tronche. J’peux peut-être t’arranger ça, je suis apothicaire à mes heures perdues. » Attention Renard, le Furet ne mord pas la main qui le nourrit, à condition, bien-sûr, qu’elle le nourrisse…


Aedelrik


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« Les Sorcières collectionnent les vices, alors pourquoi pas la Paresse ? » Le Renard adressa à la femme un regard surprit. Il n'ignorait évidemment pas la réputation que se traînaient les sorcières, impossible de l'ignorer avec des prêtres prêcheurs de plus en plus présents en ville pour attiser la haine des brave gens envers elles. Mais en étant que voleur et abomination, Aedelrik se trouvait bien placé pour savoir que les on-dit dévoilaient mieux l'âme de ceux qui les répandaient que de ceux qui étaient visées par la rumeur. Alors soi cette messagère avait une bien piètre opinion de son employeuse, soi... Elle lui mentait, quelque part.
La nature méfiante du rouquin le poussa vers la seconde solution et il écouta avec une attention renouvelée, tendu vers l'objectif de discerner le vrai du faux. La suite ne tarda pas, bien qu'il lui semblait que la dite Furet cherchait ses mots,
« Je me charge de trouver ce dont elle a besoin, et de jouer ses petites mains » D'où sa présence et leur altercation au stade de l'apothicaire au marché, pensa t'il aussitôt. L'idée d'une simple messagère chargée des commissions lui avait paru étrange, mais apparemment, elle venait de passer assistante ! Aedelrik retint un sourire. La version qu'elle lui donnait n'était pas improbable, mais il y croyait de moins en moins. Il lança avec désinvolture un des médaillons, avant de le rattraper au vol, et de lui accorder un oeil scrutateur. Les symboles, les lettres étranges, les motifs, qui y étaient peints... Ils ne lui évoquaient rien de connu, encore moins de familier. Mais il ne prétendait de toute façon pas pénétrer l'art secret et sans doute complexe de la sorcellerie. Son intérêt se limitait à ce qu'il pouvait en tirer, par des intermédiaires. Sans se démonter, dans le même temps, l'otage poursuivit, « Elle se charge des rituels, et dans une cachette que je ne connais pas. »

« Evidemment. » commenta t'il, sarcastique. Evidemment, elle ignorait où officiait son employeuse... Une réponse commode, à laquelle il s'attendait un peu. De cette manière, qu'elle lui ait menti ou dit le vrai pour le reste, Aedelrik était condamné à dépendre d'elle, et donc devait s'interdire de lui faire du mal. Bien commode, c'est certain.
A cet instant, un corbeau passa devant la fenêtre, en croassant bruyamment. Le brusque cri de l'oiseau le fit presque bondir sur ses pieds. Même une fois le faux danger passé, le Renard mit un moment avant de se rasseoir. Si son masque de sérénité avait tenu jusque là, il était sans conteste fissuré. Au moins lui ne pourrait pas bluffer sur toute la ligne.


Furet - Dieux ! Quel nom étrange pour une femme ! - s'adressa à nouveau à lui, pour lui proposer cette fois d'arranger une entrevue. C'était déjà un pas fait vers lui et il lui répondit en hochant la tête, à la fois pour confirmer et pour l'en remercier. En revanche, Aedelrik resta muet sur ce qu'elle cherchait sans doute à lui faire avouer, et qu'il ne dévoilerait qu'en cas d'ultime nécessité. Ils étaient trop à savoir. Trois personnes en fait, mais c'était déjà trop. Hors de question de révéler cela à une inconnue dotée d'un caractère pareil, et dont il avait menacé la vie. Les risques ne seraient même plus inconsidérés, ils seraient assurément immenses.
En revanche, lorsqu'elle aborda la question de l'argent, il ne put s'empêcher de pouffer. Furet ne pouvait rien en savoir, mais ce problème était bien le dernier du Renard. Et pour lui faire comprendre, en même temps qu'il lui répondait, il sortit une bourse bien remplie d'une de ses sacoches et lui présenta, déliant les cordons pour laisser l'éclat des pièces d'argent éclater à la lumière de la lune,
« Si ça ne fait pas l'affaire, j'en ai largement plus à disposition. » Sous entendu, * hors de ta portée si tu décide de me faire faux bond *. Puis, comme on rompt un enchantement par un coup d'épée, il resserra les cordons et rangea son modeste trésor en ajoutant, « Mais de toute façon, je ne cherche pas un rituel en particulier. Je cherche une solution à mon problème, quelle qu'elle soit... »

Dire cela, c'était peut être déjà trop en dire, mais il tenait à apparaître comme ce qu'il était : un client sérieux, et bon payeur. Le genre qu'il vaut mieux ne pas voir disparaître pour la concurrence. Qu'elle fut messagère, assistante ou plus que cela, l'argument porterait surement. Et peut être perdrait t'elle un peu de son attitude revêche à son égard. Le Renard l'espérait en tout cas, tant il aimait se sentir au dessus dans toute négociation.

Mais alors qu'il jetait un nouveau coup d'oeil inquiet vers la fenêtre, il eut la surprise de voir la main de Furet toute proche de son visage. Réagissant d'instinct, et un peu différemment d'un "homme normal", il se jeta en arrière, refusant le contact et même la proximité. Aedelrik ne croyait pas aux histoires monstrueuses sur les sorcières, mais il les estimait tout à fait capable de provoquer la douleur, de maudire ou même d'envoûter. Cependant, en voyant la propre réaction de son otage, il cru comprendre que son intention n'avait rien de malicieuse, si ce n'est de pouvoir lui faire une remarque potentiellement vexante. De ça, le voleur se moquait bien. Il se doutait bien que le manque de repos et les cauchemars qui peuplaient ses rares heures de sommeil le marquaient d'un teint blafard, de cernes violacées et de traits tirés... Et si elle le trouvait simplement moche, cela lui importait peu. Ce qui l'intéressait, c'était l'aveu qu'elle venait de lui faire. "Apothicaire à ses heures perdues" avait elle dit... Cela commençait à faire beaucoup. Mais de toute manière, Aedelrik ne tarderait pas à être fixé. Apaisé, il saisit la main de la femme et lui déclara, l'air grave,


« Je suis prêt à faire affaire avec la sorcière... » Il laissa apparaître ses soupçons en une pause silencieuse d'un instant et un regard appuyé, avant de reprendre, « ... Mais j'ai besoin de ses services sous peu. Urgemment, ce soir même. Et ça n'est pas un caprice. Demain, il sera déjà trop tard. » Le ton de sa voix était égal, et ne trahissait pas ses angoisses, mais sa poigne se faisait plus forte sur la main de la femme. « Je n'ai pas le temps de jouer au chat et à la souris avec la Rougeagresse, alors qui qu'elle soit, tu dois me mener à elle, ou bien renoncer pour de bon à la perspective d'un très bon client. » De sa main libre, il fit tinter la bourse dans sa sacoche. Mais aussi, il tira ensuite sur la manche de sa chemise et dévoila un tatouage particulier. L'encre était encore parfaitement noire, et la peau légèrement irritée, signe qu'il était récent. Le dessin représentait un renard louvoyant, les crocs sortis, son pelage roux taché de blanc aux pattes et au museau. Avec un peu plus de légèreté, où pointait une certaine fierté, Aedelrik expliqua, « Ce symbole fait déjà trembler beaucoup de monde en ville. Le Renard que tu vois est en train d'approcher du poulailler et parvient à en berner ou blesser tous les chiens de garde. C'est une valeur qui monte, comme on dit dans le milieu, prometteuse, et qui sait se souvenir de qui l'a aidé, de qui sont ses amis... » Il rabaissa sa manche, masquant à nouveau le tatouage, et demanda à nouveau, peut être pour la dernière fois,

« Alors ? Intéressée ? »

La méfiance n'avait pas disparue, mais au moins son attitude était elle moins tendue, plus ouverte aux propositions et aux possibilités.


Sakristi


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Elle savait qu’elle en avait trop dit en parlant de son métier, malgré l’urgence dans laquelle semblait tremper Renard. Elle pouvait se reposer dans la forme d’immunité que cela lui prodiguait, mais elle ne pouvait s’empêcher de craindre une réaction instable de ce drôle d’oiseau. Car de son instabilité elle avait pu en être le témoin.

Une seconde l’homme ne voulait être touché, mais celle d’après il lui agrippait fermement la main, sa poigne grandissant proportionnellement avec le sérieux de ses propos. De son côté, l’Apothicaire n’avait laissé échapper aucun mot, même lorsqu’il lui avait parlé d’argent, même lorsqu’il l’avait surprise.

Son regard bicolore se perdit sur les lignes noires qui ornaient le bras que lui servait Renard. Là, elle ne put retenir un petit
« Tiens donc… » pas si surpris que cela. Dans sa tête déjà les connexions se faisaient. Beaucoup de tarés s’imaginaient des liens avec leur animal totem ou non. Les tarés qui collectionnaient les allusions sur ledit animal et qui semblaient préoccupés par l’extérieur et les rayons lunaires étaient bien plus rares. Et plus intéressants.

Par ailleurs, Sakristi connaissait bien la danse de la lune, qui montait, descendait, se dévoilait, puis se cachait. Beaucoup de rituels dépendaient de son état. Et ce soir, il ne valait mieux pas trainer près des poulaillers, car des loups – ou des renards ? – risquaient de chasser les plumes, et pas pour se faire des bijoux tribaux…


« Alors, intéressée ? »

Elle reprit sa main, doucement, mais de manière suffisamment vive pour lui faire comprendre que le respect des frontières personnelles était souhaité. « Dans ce cas, j’imagine que je peux déclencher l’alerte d’urgence. » Cependant, elle restait très lente dans ses mouvements, peut-être pour extérioriser le calme qui disparaissait peu à peu en elle.

Puisant quelques herbes hachées en poudre dans des sacs sur le bureau qu’elle avait improvisé, elle continua.
« Il faudra sortir, et tu te doutes bien que je n’ai pas envie que tu puisses y revenir… » Elle étala ses poudres sur la main qu’il avait touchée et se mit à frotter doucement de son autre main, laissant un parfum délicat flotter dans l’air. Elle avait été souillée par ce contact et se nettoyait, devant lui, en ouverte provocation.

« Or, je me doute que sous le climat de confiance qui nous habite tu n’as pas très envie d’être aveuglément guidé. Dis-moi ce que je suis censée faire, petit animal… » Elle avait ces intonations propres aux personnes davantage habituées à se parler à elles-mêmes qu’à d’autres personnes. De plus, son air absorbé dans son grand nettoyage devait la rendre tant méprisable qu’étrange.

Elle finit néanmoins par se retourner vers lui, étudiant sa paume, comme pour vérifier qu’elle n’avait pas un début d’infection. « Je pense que ceci fera l’affaire. » Et, contrastant avec sa précédente lenteur, elle souffla rapidement sur la poudre qui restait, celle-ci filant à vive allure vers le Voleur.


« Pas la peine de m’faire cette tête, mon Cœur, t’as pas la tête de celui qui s’offusque de la drogue. Le seul effet de celle-ci sera qu’aucun souvenir ne saura s’ancrer dans ta mémoire à partir de maintenant, et jusqu’à ce que les effets se dissipent. » Elle ne mentionna pas les petits extraits qu’elle avait ajoutés pour tenter de le détendre un peu, ceux-ci ayant un pouvoir assez limité.

~~~


Laissant entendre que le Renard pouvait faire ce qu’il désirait, même partir s’il était si offusqué que cela, mais qu’elle, de son côté, allait retrouver Rougeagresse. Sans ajouter un mot, elle lui lança une cape de tissu brillant qui réfléchissait les faibles lumières nocturnes. Qu’elle ait raison ou non, au moins l’avait-elle proposée. Et sans se retourner, elle sortit du bordel sans faire le moindre bruit. Une succession de détours le long de ruelles de plus en plus sombres et de plus en plus étroites les menèrent sur une petite placette presque entièrement végétalisée, car laissée à l’abandon suite au décès du propriétaire. Un grand arbre leur cachait le ciel et une bonne partie de la ruelle derrière eux.

Déposant la besace qu’elle portait sur l’épaule, elle porta enfin son regard derrière elle, avant de lâcher :
« Attends ici. » Qu’il obéisse ou non, il ne verrait rien, puisqu’elle s’enfonça à travers la végétation avant de créer un effet de brouillard avec quelques unes de ses poudres. L’art du camouflage était de loin l’un de ses préférés… Après les poisons, peut-être.

Profitant du peu de temps qu’elle avait, elle passa une épaisse cape rouge sur ses épaules, laissant la capuche cacher ses yeux pendant qu’elle couvrait le bas de son visage avec un masque en bois aux airs moqueurs.

Sans trop en faire, elle sortit de sa cachette et se planta devant l’endroit où elle avait laissé Renard.


« Bonsoir Etranger. Un petit rongeur m’a dit que tu avais besoin des services d’une Sorcière. Tu en as une, reste à voir ce que je peux faire pour toi…» Elle jeta à nouveau quelques herbes dans l’air, sur le côté, entre eux deux. Celles-ci brillèrent légèrement, et retombèrent tout doucement pour imiter les mouvements d’un arbre. « …et à quel prix. » Elle leva une main pour attirer son attention. « Je ne te parle pas d’argent. Tout sortilège a un prix pour celui qui en bénéficie, celui-ci croissant avec l’importance de ce que l’on attend. » Son arbre ouvrit soudain de magnifiques fleurs. Mais en parallèle, les racines semblèrent se flétrir considérablement.

« Parle donc. N’aie crainte, je ne suis pas en position de révéler ce qui sera dit ici : on me démasquerait tout autant que toi. »


Aedelrik


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Elle le faisait poireauter, et pourtant il le supportait. Lorsqu'elle se mit à jouer la grande dame, le genre à se salir par un simple contact avec un plébéien comme lui, étalant de la poudre sur ses mains usées pour les laver, le Renard avala l'affront. Rien ne l'aurait plus soulagé que de plaquer sur la gorge du furet ses propres griffes, histoire de lui faire ravaler son attitude arrogante. Qu'elle se méfie de lui parce qu'ils étaient partis sur une mauvaise base, il le comprenait très bien... Mais qu'on se paye effrontément sa pomme ! Ca frôlait l'intolérable.
Seulement, Aedelrik n'était plus dans une position où il pouvait faire sembler d'être en contrôle. De fait, il lui fallait voir la sorcière, qui qu'elle soit, et seule Furet pourrait l'y aider. Seuls les imbéciles s'en prennent à ceux dont ils nécessitent l'aide. Et lui n'était pas idiot. Ce fut en vertu de cette seule fierté qu'il se contint. Du moins jusqu'à ce que...


« Je pense que ceci fera l’affaire. » Elle lui avait présenté sa paume, comme pour qu'il vérifie lui même son état. Une provocation supplémentaire, pensa t'il. Mais alors qu'il s'avançait, elle souffla. La poudre arriva en plein visage du Renard qui, sous le coup de la surprise, n'eut pas le réflexe de bloquer sa respiration. Il se jeta en arrière mais déjà son inspiration lui avait fait avalé de cette poussière. Affolé, il tira sa dague tout en tâchant de reconnaître le goût, l'odeur de ce qu'il venait d'inspirer. Il y avait là quelque chose de familier, mais rien de bien évident... Ce qui était en soit effrayant puisque Aedelrik connaissait la plupart des drogues existantes. Furet venait elle de le tuer, dans quelques instants ou bien après plusieurs heures de tourments ?
Voyant brusquement rouge, le voleur décida de ne pas la laisser assister à un tel spectacle. Elle l'avait agressé, elle allait le payer. Il se jeta brusquement sur elle. Sa main droite la saisit à la gorge alors que, de tout son poids et son élan, il la plaquait à nouveau contre le mur. Lentement, en proie à une rage froide, il lui ordonna,
« Explique toi. »

Que ce fut sous l'effet de la poudre ou bien des mots de Furet, Aedelrik s'apaisa peu à peu jusqu'à finalement relâcher son étreinte, laquelle n'avait manqué que de peu d'être mortelle. La précaution que cette vieille pie avait pris à son encontre lui semblait sensée, mais il prenait très mal de s'être laissé surprendre. Et tandis qu'elle sortait de la pièce en lui faisant signe de la suivre, lui espérait qu'il se souviendrait de ce coup tordu. Alors, pour s'y aider, il attrapa sur la table une poignée de cette poudre qu'il rangea dans une fiole à sa ceinture. Peut être saurait il s'en rappeler le lendemain quand cette drogue aurait cessé de faire effet, du moins l'espérait il.

Au passage de la porte, il attrapa par pur réflexe la cape qu'elle lui avait lancé. Un autre de ses tours ou bien un simple passage obligé pour rencontrer la sorcière ? Malgré un soupire agacé, Aedelrik ne posa pas de question et enfila l'étoffe. Furet marchait déjà devant, silencieuse comme lorsqu'elle l'avait surpris quelques minutes plus tôt. Ce soucis de discrétion collait bien avec le rôle de messagère qu'elle s'était donné... Mais une sorcière pouvait tout autant ressentir le besoin de furtivité. Après tout, lorsque ces dernières venaient dans la lumière, c'était souvent celle de leur bûcher.
Toujours méfiant mais étrangement calme, le Renard décida de la coller au train. Il goûtait peu l'idée qu'elle le largue en plein dédale de rue, avec sa mémoire défaillante et une lune assez menaçante au dessus de lui. Si Furet y arrivait et que la drogue était assez forte, il pourrait même tout oublier de ce bordel et de son étrange habitante. Mais finalement, après une trajet qui lui parut incohérent à travers les rues et ruelles d'une partie toujours plus crasseuse du bourg, ils parvinrent dans une cour délabrée. Aedelrik fut plus que soulagé de constater qu'un grand arbre le camouflait au ciel et à l'astre qui y rôdait. Faire toute la route en rasant les murs l'avait déjà rendu nerveux. Il préférait rencontrer la sorcière sans devoir jeter un oeil au dessus de lui en permanence.


« Attends ici. » Furet s'avançait déjà vers la végétation, sans vérifier si il la suivait toujours ou non. Le Renard envisagea l'idée, l'espace d'un instant, poussé en cela par la curiosité, puis il réalisa que c'était aussi infantile que vain. Avec sa mémoire en compote, à quoi bon lui servait de découvrir ce qu'il aurait sans doute oublié le lendemain ? A moins que la poudre ne fasse déjà plus effet ? Impossible de le savoir, et puis il y avait le risque d'effrayer cette fameuse Rougeagresse. Ses derniers doutes furent dissipés par la brume étrange qui sortit des buissons. « Voilà qui règle la question. Commenta t'il en murmurant, ironique. Prenant son mal en patience, Aedelrik s'adossa à un mur et pensa à ce qu'il allait bien pouvoir dire à la sorcière une fois qu'elle serait là. Il n'avait jamais trempé dans ce genre d'affaires, ce qui ne l'aidait pas à rester serein.

« Bonsoir Etranger. » Le Renard se redressa brusquement, tiré de ses pensées par une voix étrange. Lorsque son regard vint croiser celui de la personne qui se tenait devant l'arbre, il compris que son timbre étrange venait du masque de bois qu'elle portait. Aedelrik dut s'avouer que la sorcière avait quelque chose d'impressionnant, avec sa cape rouge rabattue sur ses yeux et son masque. Surtout, elle avait une prestance particulière, et un maintien typique de ceux qui frayent avec des puissances hors de portée de la masse des bonnes gens. Le voleur décida de ne pas jouer au malin et s'inclina légèrement, en signe de respect. Sans trop en faire, mais suffisamment pour montrer ses bonnes manières. Puis, comme pour prouver ses pouvoirs, la sorcière lâcha une poignée d'herbes, que le rouquin observa chuter en imitant la ramure d'un arbre. C'est finalement assez peu... Jusqu'à ce qu'elle ne révèle le véritable sens de son tour. Alors, le Renard ne put retenir une moue de malaise à la vue malsaine d'un arbre mourrant en train de fleurir. Inconsciemment, il fit un pas en arrière.

Tandis qu'elle parlait, lui restait silencieux, ne perdant aucun de ses mots. Autant Furet parlait beaucoup sans que ses paroles ne porte beaucoup de sens, autant Rougeagresse semblait peser chaque syllabe de chaque mot. Et ce qu'elle disait semblait à Aedelrik plein d'une sagesse éprouvée par l'expérience. En effet, le monde grouillait de contes à propos de viles sorcières faisant miroiter à de jeunes sots l'amour ou la gloire pour mieux les piéger. Au moins, celle ci avait le mérite d'être honnête... Mais cela ne rassurait pas le Renard pour autant. Il ne savait encore rien d'elle, de ses intentions. Si il lui en disait trop et qu'elle comprenait la valeur de l'information auprès des ennemis d'Aedelrik... Celui ci commençait à regretter ce qu'il avait entreprit avec le Furet quand la voix de la sorcière se fit plus douce,


« Parle donc. N’aie crainte, je ne suis pas en position de révéler ce qui sera dit ici : on me démasquerait tout autant que toi. »

En d'autres circonstances, jamais il n'aurait baissé aussi facilement sa garde. Mais chaque seconde à hésiter était perdue dans sa course contre le temps : le lendemain approchait à grand pas et le voleur avait besoin d'aide. Prenant une profonde inspiration, Aedelrik balaya les risques et déclara, « Sorcière... Rougeagresse ! Le nom avait failli lui échapper, maudite drogue ! Merci pour ton avertissement, et pour avoir bien voulu me rencontrer... Il s'autorisa un léger sourire, au cas où son intuition à propos du Furet était juste, J'aurais aimé te rencontrer plus sereinement, mais ma situation exige d'agir dans l'urgence. Mais... Peut être sais tu déjà pourquoi j'ai besoin de ton art ? »

Il avait évité de parler de "services", conscient qu'il était que ce mot pouvait s'avérer vexant pour des experts de l'occulte comme les sorcières ou les mages. En revanche, sa question était plus traître : c'était là une manière de s'assurer de la qualité de Rougeagresse. En effet, ce qui adviendrait le lendemain et effrayait Aedelrik concernerait quantité d'autres créatures surnaturelles dont les femmes comme elle. Elle devait déjà avoir sa petite idée, mais il se refusa à la faire jouer aux devinettes. C'aurait été leur faire perdre tous deux leur temps.

« La lune sanglante, demain soir. Je dois contrer ses effets. Question de vie ou de mort, pour moi et beaucoup d'autres. » Froid, dur, concis. Il avait lancé ses mots comme des poignards, destinés à clouer sur place le moindre doute chez la sorcière. A présent, elle ne pouvait pas lui refuser ses services sans avoir nombre de trépas sur la conscience... Si elle en avait une. Le Renard reprit alors, plus doucement,  « Je ne suis plus vraiment un homme. Le loup... Certaines nuits, la lune m'appelle. Elle m'invite à chasser en sa compagnie. Je suppose que tu vois ce dont je parle ? »

Plus qu'une simple vérification, c'était une tentative pour lui de se rassurer. Si même une sorcière ignorait tout de ses transformations, alors il ne restait pas beaucoup d'espoirs. Le regard d'Aedelrik glissa de Rougeagresse vers sa propre main. Il se souvenait très bien de sa dernière transformation incontrôlée, un mois auparavant. Il était dans la cour d'une taverne, fin saoul, en train de se soulager quand la lune l'avait attrapée. Trois morts, et lui même légèrement blessé. Mais surtout... un frisson le parcouru en repensant à la panique qu'il avait ressenti ce soir là. Quand il avait vu, impuissant, cette main se transformer en patte griffue et poilue... Elle le hantait encore, jusque dans ses rêves. Il reprit alors, la voix légèrement cassée, « J'ai appris à me contrôler... Plus ou moins. Mais demain la lune sera sanglante. Je sais que je ne pourrais pas y faire face. Pas seul, sans aide. Il planta alors son regard dans celui de la sorcière, et dit gravement et honteux, J'ai besoin de toi.

Le prix importait peu en vérité. De toute façon, pour un homme au fond du gouffre, n'importe quelle corde qu'on lui tend convient. Tout ce qui restait à espérer, c'était que Rougeagresse eut une corde à lui envoyer.


Sakristi


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Les craintes de Sakristi étaient donc fondées. Mais Rougeagresse s’efforça de ne rien laisser transparaître. La Sorcellerie faisait partie de son quotidien depuis son plus jeune âge, mais le plus souvent ses incantations la cantonnaient aux filtres d’amour, aux porte-bonheur, et petits enchantements du quotidien.

Elle avait bien un bestiaire dans tous ses livres, mais rien que le souvenir de la longueur de chaque sujet lui donna le vertige.
« Je comprends bien le mal qui semble te ronger, Renard. » répondit-elle assez rapidement pour ne pas le laisser dans une attente qui devait être angoissante à souhait. « J’admets n’avoir jamais réalisé ce genre d’enchantements auparavant, et l’échéance que tu me donnes est plus que restreinte. »

Un peu vexée de devoir s’avouer vaincu pour la première manche, la brune encapuchonnée n’avait pas pour autant fermé la porte aux nouvelles idées. En réalité, si elles étaient nombreuses à se bousculer derrière son masque de bois, l’une d’elles se faisait de plus en plus insistante.

« A dire la vérité, je ne sais si je peux régler ton problème en si peu de temps. » Elle guettait déjà un affaissement des épaules, voire le dos de Renard s’en allant penaud car on ne lui avait pas donné le ‘oui’ qu’il attendait. « Mais… » reprit-elle pour capter à nouveau son attention et ses espérances. « …Si tu me laisses la nuit, je saurai te retrouver au matin avec une solution pour t’empêcher de te transformer, juste pour cette fois. » Un large sourire se dessina sous son masque, même si l’autre ne pouvait pas le voir. Elle adorait théâtraliser les choses, surtout quand elle pouvait jouir du profond désespoir de la personne qui faisait appel à elle. Elle ne refusait jamais rien, mais aimait néanmoins tâter la motivation de ces malheureux en les faisant mariner un peu plus longtemps que nécessaire.

Elle quitta la posture qu’elle gardait depuis déjà un moment, et commença à marcher, en cercles concentriques autour de Renard.
« Seulement vois-tu, quand la nuit tombe sur le Poulailler, je n’aime pas être de ceux qui s’endorment sans se demander s’ils se réveilleront entre des crocs acérés. » Elle se planta devant lui et fit mine de lui attraper la mâchoire, s’arrêtant à nouveau à temps pour ne pas établir de contact physique.

« Je ne doute pas de mes capacités, mais encore moins de mon instinct de survie. Si le rituel venait à échouer, je n’aimerais pas me retrouver dans ton ventre, même si tes actes de donnent la nausée au retour du Soleil. » Cette fois, elle chassa un peu sa fierté, et exposa ses paumes nues vers le ciel, juste devant le buste de son interlocuteur. « Je n’aurais aucun mérité à blesser une création de Mère Nature telle que toi, Renard. » tâcha-t-elle d’expliquer, presque douce. « Mais ma condition sera que tu me trouves un endroit sûr. »

Elle avança d’un pas, pliant les bras pour que ses paumes restent au même endroit, afin de ne pas étouffer cet homme visiblement farouche. « Un endroit où tu pourrais être maintenu par des choses matérielles, en plus de ma magie. » Le temps s’arrêta presque, pendant qu’elle prenait une inspiration et guettait la réponse du rouquin.

« Furet. » appela-t-elle, aussitôt accueillie par un bruissement de feuilles savamment étudié. « A demain, j’imagine, mon Beau ? » Et comme pour signer cet accord tacite qui venait de naître, la Sorcière releva son masque, juste assez pour ne dévoiler qu’un menton classique flanqué de lèvres souriantes aux imperfections un peu maternelles. Elle se pencha juste assez pour lui voler un baiser si furtif que l’autre ne dut pas sentir grand-chose.

« Essaie de dormir, la nuit prochaine sera longue. » murmura-t-elle en se reculant. Puis, nuage de fumé parfaitement calculé, dans lequel elle put dissimuler rapidement son habit de sorcière dans la besace restée par terre. L’espace d’un instant, elle eut comme l’impression de ne pas être seule à y fouiner. Réelle sensation ou bien simple paranoïa des nuits bien sombres ? Elle le découvrirait le lendemain en vérifiant qu’elle avait bien toutes ses pièces…

Quand le brouillard se dissipa, c’était Sakristi – Furet – qui se tenait devant l’Etranger, une moue un peu dédaigneuse sur le visage.
« T’as eu c’que tu voulais ? Bonne nuit alors, moi je rentre au Bordel. » Qu’il la suive ou non, elle était déjà partie. Elle avait bien de la lecture à faire pendant cette nuit qu’elle avait pourtant espérée calme…


Aedelrik


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En entendant les doutes que la sorcière soulevait sur sa capacité à l'aider, le Renard ne put empêcher ses épaules de s'affaisser. Il aurait dû se douter que le peu de temps qui lui restait constituerait un obstacle insurmontable, même pour un adepte d'arts obscures. Déjà, Aedelrik s'efforçait de passer en revue les solutions secondaires ; celles qu'il devrait adopter dans les heures qui allaient suivre pour tâcher de limiter les dégâts. Seulement, ces options se résumaient à : se mettre au vert, s'enchaîner autant que possible dans la crypte, ou s'en remettre aux déesses en se cachant dans leur temple. Rien qui ne puisse empêcher le sang de couler.

« Mais… » C'est insensé comme un unique mot peut rendre l'espoir et ôter le poids de la peur sur l'esprit d'un homme. De par le simple bémol que la sorcière était en train d'avancer, le Renard se redressa d'un coup, loin de ses pensées inutiles et tout attentif à ce que l'experte allait avancer. Il hocha la tête aussitôt qu'elle lui demanda d'attendre toute la nuit, sans même attendre le reste de sa proposition. Aedelrik se situait au delà de la situation d'un client dans le besoin. Il était un obligé, un serviteur, car l'affaire impliquait sa survie et celle de nombreux autres. Aussi ne fit il aucun commentaire lorsqu'elle précisa que sa solution fonctionnerait « Juste pour cette fois ».

Tandis qu'elle commençait à marcher autour de lui, peut être pour lui jouer un sale tour ou plus surement pour le déstabiliser, il soupira son soulagement comme on soupire son plaisir après le sommet d'une nuit chaudement partagée. Jusqu'au bout, le voleur n'avait pas osé se laisser aller à son espoir de trouver celui ou celle qu'il lui faudrait pour se sauver. Que Rougeagresse lui assure en posséder le moyen, même pour une unique fois, l'apaisait enfin d'une angoisse qui n'avait cessé de le tourmenter depuis que la venue de la lune rouge s'était faite pressante.
Mais la voix forte de la sorcière le sortit à nouveau de ses ruminations et il l'écouta attentivement, tâchant de comprendre ce qu'elle entendait par ses histoires de poulailler et de crocs. Aedelrik n'eut qu'un léger mouvement de recul, par pur réflexe, lorsqu'elle tendit son bras en faisant mine de vouloir enserrer sa mâchoire. Alors il comprit l'image qu'elle lui avait tracé et il eut du mal à ne pas sourire en l'imaginant comme une poule. De toute façon, sa bonne humeur s'évanouit bien vite lorsqu'elle évoqua le genre de réveils douloureux qu'il ne connaissait que trop bien : ceux où il sortait du sommeil pour découvrir ses mains pleines de sang et les gazettes remplies de meurtres sauvages. Le Renard comprenait bien les craintes de la sorcière mais il voyait pas bien où elle voulait en venir.
Etait elle en train de se trouver une excuse pour abandonner la tâche ? Exigeait elle un meilleur prix ? Etait elle en train de le rouler dans la farine ? Ne voulait elle pas qu'il s'expose ? Aedelrik commençait à accumuler ses questions quand la sorcière eut un geste d'apaisement, et de paix qui le troubla. Il avait déjà vu un homme montrer ainsi ses mains... Un vieil homme, habitant une petite maison dans des montagnes lointaines. Il l'écouta jusqu'à la fin, silencieux, puis répondit avec gravité,


« C'est d'accord, j'ai déjà l'endroit. »

Alors, elle appela Furet derrière elle, et fut visiblement entendue. Le Renard vit clairement des buissons remuer avec plus de vigueur que n'aurait pu le provoquer un coup de vent. Sa petite théorie sur les deux femmes s'effondrant d'un coup, il resta interloqué lorsqu'elle l'appela « mon beau », là où le vrai Renard n'aurait pas manqué de faire le charmeur. Aedelrik sentit alors furtivement ses lèvre sur les siennes et l'observa disparaître dans un nuage de fumée. Un sourire naquit au creux de ses lèvres tandis qu'il lui disait à travers l'écran sombre, « A demain, très chère. Et merci. »

Un écureuil décampa, que la fumée avait visiblement surprit et terrifié. Le voleur, lui, attendit patiemment que le sort, ou l'artifice, se dissipe. Il avait encore quelques mots à dire à la messagère. Finalement, Furet se tint devant lui, et Aedelrik la dévisagea avec un regard inquisiteur. Il guettait le moindre détail qui l'aurait trahit, le plus petit indice confirmait sa théorie... Mais au final, il dut s'avouer n'avoir aucune certitude, ce qui l'agaça prodigieusement. Sans doute y avait il un secret à percer, mais une autre nuit. Là, il commençait sérieusement à tomber de sommeil. Il répondit à la salutation de Furet par un signe de tête et ne pensa qu'au dernier moment à lui agripper le bras pour lui préciser,

« Demain, il faudra que Rougeagresse vienne au cimetière, derrière le Temple. Je vous attendrais là. »

Et puis, ayant avisé une façade de la cour aisée à gravir, il s'élança et escalada jusqu'au toit. Après s'être hissé, Aedelrik darda un ultime regard sur cette étrange femme. Le "vous" qu'il avait employé était vague à desseins, puisque lui même n'était sûr de rien. Mais le Renard s'interdisait de passer pour un imbécile. Avisant sa position dans la ville, il se mit en route pour un de ses terriers. Demain serait une longue journée, mais la nuit qui suivrait promettait d'être bien pire.