Bel-Ami.

RP privé avec Negaï.

[ Hors timeline ]

Luka

Le Changelin

Inventaire

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(vide)

« Mon amant me délaisse,
O gué, vive la rose !
Mon amant me délaisse,
O gué, vive la rose !

Je ne sais pas pourquoi,
Vive la rose et le lilas !
Je ne sais pas pourquoi,
Vive la rose et le lilas... »


La soirée battait son plein dans la petite taverne qu'animait Luka ce soir-là. Vêtu de ses fripes colorées de jeune premier, le musicien chantait à voix claire et aérienne, une voix un peu juvénile pour un homme de son genre, mais autrement peu suspicieuse, bien que remarquable. Ses doigts rendus calleux par la pratique de sa mandoline grattaient furieusement les cordes de son instrument, afin de pouvoir se faire entendre jusqu'au fond de la salle... Mais il avait l'air serein, et avait croisé une jambe par-dessus l'autre pour pouvoir jouer plus à son aise, devant un public qui chantait en chœur avec lui. Une bonne soirée, en soi, où les rires fusaient avec les notes, et les tintements des choppes avec les voix.

« On dit qu'elle est très belle,
O gué, vive la rose !
On dit qu'elle est très belle,
O gué, vive la rose !

Bien plus belle que moi,
Vive la rose et le lilas !
Bien plus belle que moi,
Vive la rose et le lilas. »


Il n'avait pas été difficile de retourner dans ses vêtements de faux-garçon, malgré l'apparition assez brutale de Lucrèce dans sa vie. A dire vrai, il (elle) ne s'attendait pas à devoir (ni pouvoir) reprendre un rôle de femme. Pas après avoir abandonné sa véritable identité pendant plus d'un an.
Un an dans la peau d'un homme aux pieds légers, dans la peau d'un homme sans histoire ; il (elle) ne savait plus ce qui lui conviendrait le mieux, désormais. Continuer à jouer le garçon volage, aux doigts de fée et au sourire espiègle ? Ou alors retourner à une condition de femme faible, une condition de non-guerrière, un rôle de femme-fleur-fragile qu'elle avait rejeté il y avait de cela un an, en échange d'une vie émancipée qu'elle n'avait jamais goûté auparavant ?

Les robes lui manquaient. Le froufrou de ses jupons qui ballottaient autour de ses jambes maigres, l'impression que le tissu se déployait comme une aile derrière ses mollets exposés à l'air libre, la sensation de respirer enfin sans brassière pour compresser sa poitrine. Mais même autrefois, elle se souvenait : les corsets avaient toujours enserré ses poumons. Les conventions avaient toujours entravés ses droits.
Sa féminité lui manquait. Mais si c'était le prix à payer pour la liberté que lui apportait son rôle d'homme à peine fait, elle ne pouvait pas le regretter.

Les applaudissements fusèrent, bien que disparates, et Luka-le-ménestrel salua bien bas son audience, avant de tendre vers eux son chapeau emplumé. Dans sa chemise bouffante, qui laissait deviner une corpulence virile qu'il ne possédait pas, le musicien fit de l'œil aux femmes de la table la plus proche, le sourire jovial et assuré. Mais il ne s'y attarda pas, car ses yeux avisés avaient repéré une chevelure violette bien familière dans le fond de la salle. Une silhouette connue, qui s’était posée à une table en compagnie d’une femme au joli minois. Un oiseau de nuit qu'il avait attendu sans jamais espérer.


« Bien le bonsoir, mon beau monsieur, » lança-t-il de loin à Negaï, tout en se frayant un chemin jusqu’à sa table. Dans la salle, le monde grouillait comme un essaim d’abeilles, mais Luka n’en avait cure. Il souriait comme à son habitude, sa mandoline confortablement calée sous son coude. Une fois arrivé à sa hauteur, il attendit que le prostitué se lève pour pouvoir lui serrer le bras, tout affectueusement. « Ça fait du bien de te voir. T’es frais et pimpant, dis-donc ! Mais moins que ton amie, il faut bien le dire. » Et à ces mots, le musicien s’installa non pas de l’autre côté de la jeune femme, comme la décence l’indiquerait (puisqu’elle accompagnait son bel ami, il se devait de lui céder le pas, en bon acolyte) mais bien entre Negaï et sa potentielle cliente. Après tout, elle était très jolie, et le sourire amusé qu’elle lui décochait – un joli parallélisme au regard venimeux que devait lui lancer son compagnon en retour – l’encourageait dans son petit tour d’effronterie. C’était délibérément provoquer l’homme à la tignasse violette, mais l’occasion était trop bonne, et le ménestrel avait envie de s’amuser.

« Je vous offre une pinte, ma demoiselle ? Et même de quoi vous sustenter si vous n’avez pas encore dîné ce soir, » proposa-t-il à la jeune femme, tout en se penchant légèrement vers elle. Pas suffisamment près pour qu’elle se sente menacée, mais bien assez pour lui décocher un sourire rayonnant. Bien assez pour qu’elle puisse comprendre qu’elle n’était pas obligée de garder les yeux rivés sur Negaï.

Sous la table, Luka eut le culot d’écraser le pied de son bel ami. Le message était bref et clair, mais juste au cas où son compagnon ne l’avait pas saisi, le musicien lui transmit une petite pensée légère, d’esprit à esprit – en espérant que le pont mental qui les reliait depuis leur rêve commun ferait l’affaire : « Si tu la séduis avant moi, c’est à toi que je paies la pinte et la bouffe, mon grand. Bon courage, je compte pas te faire de cadeau... »


Negaï


Inventaire

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(vide)

Avec un caractère aussi détestable que celui que les Déesses lui avaient donné, Negaï devait bien avouer que travailler en équipe était bien la dernière chose pour laquelle on pouvait penser à lui. Pourtant, il trouvait son compte en partant en chasse dans cette taverne, car s’ils ne faisaient pas la même chose, Luka – Aalis, parfois, aussi – et lui travaillaient ensemble, à veiller les uns sur les autres du coin de l’œil.

Quelque part, il se sentait un peu plus à l’aise, en équilibre sur ses phrases toutes faites, lorsque son compagnon pinçait les cordes et chantaient ses jolies phrases à lui, venant donner écho à la propre voix du violet. Aussi, même s’il était fatigué, et que la femme qu’il se donnait tant de mal à séduire représentait davantage un plat difficile à préparer alors qu’il mourait de faim, Negaï était rassuré.

C’est son petit sourire enfantin qu’il tendit à son ami en le voyant arriver, celui-ci le saluant habituellement de loin. De plus, un tel sourire avait quelque chose d’assez désarmant, selon ce qu’on lui racontait. Mais à en juger par le petit rosissement de la femme, ces remarques parurent soudainement moins insensées à ses yeux.


« Eh bien bonsoir, l’oiseau chanteur ! » répondit-il à son salut, le regard toujours si pétillant. Celui-ci venait lui apporter les points de sympathie qui pouvaient lui faire défaut quand il n’avait que ses yeux froids et ses mouvements reptiliens comme armes de séduction. Le compliment qu’il reçut ensuite ne fit qu’accentuer son grand sourire, mais…

« Mais moins que ton amie, il faut bien le dire. » Pardon ? Soudain, le visage du violet se retrouva comme figé, alors que seules ses pupilles se déplaçaient pour suivre les mouvements de l’autre. Qu’est-ce qui lui prenait à cet ingrat ? Ne voyait-il donc pas qu’il essayait de ramener quelques pièces à la maison ? Et c’est carrément le masque de contrariété à peine dissimulée qui vint bouger ses traits lorsque le brun vint s’assoir pile entre eux.

La donzelle sembla amusée de tant d’audace, et Negaï perdait peu à peu son attention. Il se sentait mis à l’écart de sa propre spécialité, et un grognement s’étouffa dans son ventre, écrasé par la boule de colère qui lui brûlait les entrailles. Alors quand en plus la petite voix du musicien résonna dans sa tête, il dut retenir un gémissement après s’être mordu la joue, tant il serrait les dents.


« Je ne sais pas si l’alcool est une bonne idée, sachant que nous sommes venus profiter de la musique… » Et, essayant de parer à toute remarque sur la mandoline de Luka et de l’agilité de ses dix doigts dessus, ou il ne savait quoi encore, il ajouta prestement : « A moins que tu ne supportes plus la concurrence, mais tu n’en as pas vraiment l’air. » Le ton s’apparentait vraiment à un reproche : c’en était un après tout.

Son regard se faisait plus dur, après cette intervention qu’il prenait comme une véritable attaque. Il avait besoin de ces femmes pour vivre, et l’autre venait jouer comme s’il s’agissait d’un passe-temps comme un autre… « Voilà, tu as montré que tu avais de belles dents, tu peux dégager maintenant ? J’aimerais finir ce que j’ai commencé sans mouche à merde qui vienne m’embarrasser. » pensa-t-il assez fort pour espérer arriver jusqu’à l’esprit de l’autre.


Il profita de ce léger regain d’assurance – qui savait combien de temps il allait perdurer – pour rendre son sourire à son ‘amie’. La pauvre n’y était pour rien après tout, et il n’était surtout pas question de passer pour un grossier personnage auprès d’elle. « Pas comme certains ! »


Luka

Le Changelin

Inventaire

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(vide)

Le visage crispé de son bel ami était si distrayant, lorsque Luka osa lui décocher un bref regard, qu'il faillit en perdre toute contenance pour un bel éclat de rire. Oh Déesses, Negaï avait bien beau garder l'impassibilité d'un reptile, ses yeux brûlant de rage auraient pu le tuer maintes fois déjà, si seulement il en avait eu la possibilité. « Je ne sais pas si l’alcool est une bonne idée, sachant que nous sommes venus profiter de la musique… A moins que tu ne supportes plus la concurrence, mais tu n’en as pas vraiment l’air. » Ronchonna l'homme entretenu, l'air de rien. Il aurait pu paraître charmant pour une non-initiée, car les piques acerbes de ses propos étaient bien souvent masquées par ses beaux atours, mais Luka ne se laissait plus duper par la gueule d'ange de son compagnon depuis bien longtemps.

« Quoi, tu insinues que je joues mal ? » Demanda le ménestrel d'un air hautement amusé. C'est toi qui ne supportes pas la concurrence, idiot ! voulut-il lui lancer, mais il se mordit la langue et se contenta de sourire à son ami. Son rival d'un soir. Une oeillade suffisante, presque malicieuse, puis Luka se tourna de nouveau vers la jolie jeune femme à ses côtés. Il cala son avant-bras contre la table en bois, avant de clairement se pencher vers l'invitée : autant tirer profit de la situation. « Vous trouvez que je joues mal ? » Lui demanda-t-il en toute franchise, en espérant très fort que jouer le candide aux yeux doux ferait son petit effet.

L'accostée souriait, elle aussi, mais son regard naviguait entre les deux hommes. Sans doute était-elle ravie de faire l'objet de tant d'attention, dans l'état d'allégresse qu'une bonne pinte lui avait déjà apportée. « Non, non, c'était très joyeux, j'ai bien aimé ! » Le visage du musicien s'illumina. Mais avant qu'il ait pu la remercier, la jeune femme continua : « Mais j'ai déjà bu et mangé, c'est gentil. » Les épaules de l'artiste s'affaissèrent légèrement. Hé bien. Ils se retrouvaient à égalité, Negaï et lui.

« Bon, bah tant pis. Moi, j'ai la gorge toute sèche à force de chanter. Il faut que je prenne quelque chose. » Les yeux fauve de Luka naviguaient déjà entre les tablées, à la recherche de la serveuse qu'il lui fallait. Pas n'importe quelle serveuse, bien entendu, mais bien celle qui avait bien failli finir entre ses bras l'autre soir, lorsqu'il avait fait la connaissance du Renard. La jeune Tonia à la silhouette arrondie, au sourire spontané, et accessoirement la femme la plus jalouse du quartier. Il fallait qu'elle le voit en compagnie de cette nouvelle jeune femme. Luka avait tout prévu.

« Voilà, tu as montré que tu avais de belles dents, tu peux dégager maintenant ? » Le sermonna Negaï par la pensée. Luka tenta de ne pas grimacer face à toute l'amertume qui passait à travers l'esprit de son bel ami. Celui-ci continua, toujours aussi flatteur : « J’aimerais finir ce que j’ai commencé sans mouche à merde qui vienne m’embarrasser. »

« Mais non, tu comprends pas, » lui assura-t-il sans jamais ouvrir la bouche, tout en essayant de ne pas sembler trop condescendant. « Je dois absolument me débarrasser de Tonia ce soir, elle croit que je veux la serrer. Et je peux pas. Tu sais très bien pourquoi je peux pas. » Même sous ses airs habituels de garçon facétieux, Luka (Lucrèce ? L...) ne put dissimuler le semblant de déception qu'il - qu'elle - qu'il ressentait. Mais son aigreur disparut bien vite, pour laisser place à son esprit taquin : « Puis, en me voyant si volage, ta nouvelle chérie va bien te tomber dans les bras, toi ô modèle de fidélité et d'attention, n'est-ce pas ? » Cette fois-ci, le sourire que le ménestrel décocha à Negaï était empreint d'une complicité qui n'avait jamais perdu de son éclat. Il avait beau adorer l'emmerder, son oiseau de nuit, il n'allait pas l'empêcher d'avoir sa petite dose journalière de regain d'énergie. Peu importe comment son organisme étrange fonctionnait. Luka semblait avoir le don de se faire les amis les plus singuliers du royaume.


« Tu prends quelque chose à boire, Neg' ? » S'enquit-il à haute voix, en parallèle, avec toute l'aisance du monde. Comme si l'attention qu'il portait à son ami était la seule raison pour laquelle il souriait. Alterner entre les dialogues pensés et les dialogues prononcés aurait pu s'avérer difficile pour un non-initié, mais désormais, Luka jouait double-jeu comme il respirait. « C'est ma tournée. »

Mais toujours pas l'ombre de Tonia ; la taverne s'était tant et si vite emplie de nouveaux clients qu'il était tout bonnement impossible de distinguer un individu seul parmi la masse compacte et bruyante qui animait la grande salle. Tant pis, se dit le musicien : autant continuer son petit jeu de séduction avec l'inconnue, sans trop se prendre au sérieux, jusqu'à ce que Tonia apparaisse d'elle-même. Il savait qu'elle le cherchait. Il s'en voulait de la mener en bateau d'une telle manière, alors qu'il - elle - il aurait détesté qu'on lui fasse le même coup, mais s'il s'était servi de son attirance pour lui quelques soirs plutôt, c'était tout simplement pour se tirer d'affaire, lorsque le Renard et lui avaient pris la fuite... Il n'avait alors lancé que des promesses vides à la serveuse, sans trop réfléchir aux conséquences, et le voilà piégé. Il aurait bien voulu pouvoir satisfaire les désirs de la jeune femme - si seulement il n'en avait pas été une lui-même...

Histoire d'oublier le bref sentiment de culpabilité qui le taraudait, Luka se tourna à nouveau vers l'invitée de Negaï, cette fois-ci peut-être plus amical que charmeur :
« Peut-être que mon bel ami n'a pas eu le temps de me présenter ? Moi c'est Luka. C'est un plaisir de vous rencontrer. Vous êtes...? »


Negaï


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(vide)

Un enfant devant un problème qu’il ne sait résoudre lorsque les regards des camarades et des adultes pèsent sur lui, voilà comment se sentait le prostitué face à l’agilité de Luka avec son esprit. Penser une chose, en dire une autre, c’était chose aisée pour un hypocrite tel que le Violet. Mais penser et parler, le tout pour communiquer avec une personne, et pour dire des choses différentes… C’était au-dessus de son esprit – qu’il jugeait trop faible – quand c’était un petit jeu pour l’autre.

Même si le tout restait cordial, et que son ami ne pensait probablement pas à mal, Negaï vivait cette intrusion dans son travail comme une humiliation, qui venait teinter sa colère d’une couleur bien plus déchirante. *Et parc’que tu t’fous dans la merde, t’viens m’enfoncer avec toi ?* pensa-t-il, glacial, pendant qu’il retenait son envie d’élargir son putain de sourire à la con avec un éclat de son verre qu’il n’allait pas tarder à briser, tant sa main était crispée dessus.

Il le lâcha néanmoins pour repousser silencieusement l’invitation du brun. Boire n’était pas forcément une bonne idée quand il voulait garder le contrôle afin d’éviter de l’emplafonner immédiatement. Et pourtant, Din savait qu’il avait envie d’un verre. Ou deux. Et de l’emplafonner, aussi. Malgré tout, son amie attira son regard pour lui arracher un sourire avant de répondre au nouveau venu.


« Ravie de vous rencontrer Luka, je suis Amandine ! » Elle lui décocha un petit sourire satisfait, visiblement heureuse de rencontrer de nouveaux visages. « Ma tante Hortense me fait chaperonner par notre beau violet que voilà pendant que je visite Hylia ! » expliqua-t-elle. Puis, elle lança un nouveau regard un peu complice à Negaï. « Même s’il ne m’a toujours pas expliqué comment ils s’étaient rencontrés ! C’est que… J’voudrais pas voler à un membre de ma famille ! »

Le Prostitué plaisanta en épaississant un peu le mystère, sans vraiment répondre. Au moins regagnait-il un peu l’attention de la belle. Jusqu’à ce que Luka ne la lui reprenne, qu’il ne la récupère, et ainsi de suite. La pauvre Amandine devait sans-doute faiblir des yeux, à force de porter son regard sur l’un, puis l’autre, puis le premier, puis le second.

Et toute cette danse se basait sur le rythme soutenu des piques que les deux amis – ou d’ordinaire amis – s’envoyaient mentalement. Plusieurs fois la langue de Negaï fourcha, et son côté beau parleur lutta pour rattraper le coup, à chaque bourde. Mais quelque part, la colère du Violet s’était légèrement dissipée, et il entrait dans le jeu du comédien. Ce rappel quant à leur constante complicité atténuait les mauvais sentiments, sans pour autant lui faire perdre de vue le but final : épuiser la donzelle du mieux qu’il pourrait une fois sortis de cette maudite taverne.

La jeune femme aussi semblait s’amuser du spectacle auquel elle assistait. Alors qu’elle était le sujet de tout ce petit jeu, elle en devenait presque secondaire. Et, décidée à capter l’attention de ces deux pignoufs qui se chamaillaient pour la sienne, elle n’envoya qu’une proposition, courte, distincte, et également des plus ambigües :


« Vous savez, j’ai bien compris à quoi vous jouez, et jamais je n’ai dit que j’avais envie de choisir. Il va falloir vous entendre si vous voulez me contenter, car vous ne serez pas trop de deux. »

Negaï ne sut quoi répondre, la mâchoire légèrement pendante, alors que le verre se fissurait enfin sous ses doigts. Il tourna un regard terrifié vers l’autre, tâtant sa réaction, probablement similaire à la sienne. *Et maintenant ?* lui demanda-t-il, complètement démuni.


Luka

Le Changelin

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(vide)

« Hé bien, enchanté, Amandine, » répondit le ménestrel, tout en gratifiant la belle d'un sourire tout aussi solaire. Cependant, lorsque celle-ci évoqua sa "tante" Hortense, Luka ne put s'empêcher de se crisper légèrement. Hortense ? Negaï ne l'évoquait presque jamais. Mais malgré ses silences, malgré ses non-dits, Luka avait fini par considérer cette femme comme la maquerelle de son ami. Bien qu'il ne l'ait jamais rencontrée en personne, il lui semblait que son ombre enveloppait toujours Negaï, comme une menace omniprésente. Comme un chien qui ne voulait pas lâcher son os. Dire que Luka n'avait pas confiance en cette femme était un euphémisme. 

Cela ne voulait pas dire pour autant que la nièce devait payer pour ce dont elle n'avait probablement pas conscience. Seulement, c'était avec une méfiance accrue que le musicien appréhendait la douce Amandine. Il lui était plus facile de retomber dans ses vieilles habitudes, et de continuer sa joute verbale avec son bel ami.


« Vous savez, j’ai bien compris à quoi vous jouez, et jamais je n’ai dit que j’avais envie de choisir, » déclara soudain la jeune femme en proie à leurs attentions, et Luka sentit qu'il pivotait de la tête au même moment que Negaï. Amandine souriait, si aimablement que le musicien ne sut où se mettre. Puis elle continua, implacable : « Il va falloir vous entendre si vous voulez me contenter, car vous ne serez pas trop de deux. »

Silence consterné. A travers le lien fragile qui reliait Luka à son ami, il sentait que le prostitué était tout aussi désemparé que lui. Par impulsion, le musicien faillit répondre sans réfléchir, avant de se rendre compte qu'il était vraiment dans l'embarras. Lui tout spécialement. Lui qui ne pouvait se permettre d'ôter sa tunique pour des beaux yeux. Lui qui risquait tellement plus que sa simple réputation, maintenant qu'il trempait dans des affaires louches sous le nom de Lucrèce et sous les traits d'une femme. Lui qui n'était pas un "lui".

Pire encore, il n'avait pas d'excuse valable pour se défaire de ce nid de guêpes. Comment refuser poliment, sans paraître le pire des ingrats ? Le ménestrel darda un regard en direction des tables avoisinantes, mais évidemment, pas de Tonia en vue. Il avait pourtant bien besoin d'une serveuse verte de jalousie pour le tirer d'affaire, à ce moment précis...

Mais les Déesses avaient visiblement décidé de jouer avec lui, ce soir-là. Alors, sans plus tarder, et par un roulement nonchalant des épaules, il finit par se remettre d'aplomb et par sourire à son tour. Après tout, il adorait jouer.


« Mais ma chère, je compte pas te céder si bêtement, même pour quelqu'un d'aussi charmant que ce type. Oh, mais je sais. Tu n'arrives pas à choisir ? On tire à la courte paille, alors ! » Le sourire tout enfantin que Luka décocha à ses deux compagnons du soir ne trahissait rien d'autre que la naïveté absolue qu'il souhaitait afficher. Il avait décidé de jouer Candide, le garçon qui ne comprenait rien à rien, le pitre des comédies qui ne fonctionnait que par quiproquos. Cela lui permettait au moins de gagner un peu de temps.

« T'es mignon, mais je crois que t'as pas très bien compris... » Tenta de le reprendre Amandine, l'air légèrement décontenancée par la candeur absolue que lui exposait le ménestrel. Mais ce dernier ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase, car il enchaîna presque tout de suite, le visage toujours rayonnant, innocent, inconscient : « Je suis bête ! La courte paille, pour deux personnes ? Mieux vaut qu'on se décide avec pile ou face ! Neg', t'as une pièce sur toi ? »

« Fais semblant de ne pas comprendre ce qu'elle sous-entend, » intima-t-il alors à son complice, un peu trop autoritaire sans doute. Il ne se rendait pas compte qu'il avait pu réellement vexer Negaï plus tôt, en tentant de lui voler sa proie sous son nez. Que Negaï n'allait peut-être pas jouer son petit jeu avec lui, maintenant qu'il pouvait enfin lui rendre la monnaie de sa pièce. Mais à ce niveau-là, peut-être y avait-il un peu de naïveté encore chez Luka. Un peu de confiance trop bien placée.


Negaï


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(vide)

Quand on passe une sale journée, on se dit après chaque mésaventure que cette fois-ci, on a touché le fond, et qu’il ne peut rien arriver de pire. Jusqu’à la prochaine. Negaï chutait à peu près la de la même manière, dans un gouffre sans fond, rebondissant sur plusieurs parois de consternation et d’agacement.

Déjà, cette femme aux mœurs aussi légères que les siennes lui avait mis l’eau à la bouche toute la journée, à se faire courtiser à outrance avant de daigner lui accorder une partie de ce qu’il voulait. Ensuite, son ami qui semblait prendre un malin plaisir à lui mettre des bâtons dans les roues. Puis la Belle avait tout de suite cédé devant sa petite mine innocente quand lui suait depuis le matin pour arriver à ses fins. Enfin, après son attitude à faire pousser des furoncles, ce comédien à la noix mojo jouait la carte de la candeur et lui demandait de le couvrir. Pas question.

*Chéri, si j’t’accorde ça, sous quel angle t’m’autorises à t’frapper pour redresser ton nez à gerber ?* lui offrit-il comme réponse mentale avant de s’éloigner de lui pour faire le tour de la table avec sa chaise, afin de se retrouver à côté d’Amandine. De cette façon, elle était enfin réellement entourée de ses deux mâles présumés, et semblait bien jouir de la situation. Tant d’importance dans sa petite vie de provinciale, c’était trop pour sa fierté de femme qui se sait belle.

Il effleura le dos de sa main avec ses doigts avant de leur accorder à tous deux un sourire désarmant.
« Luka, Luka, je n’peux pas laisser à la chance de décider de la compagnie de cette somptueuse création des Déesses. » Encore une fois, il devait caresser la bête dans le sens du poil, et à en juger par le sourire qu’il obtint en retour, il avait bien joué ses cartes.

« Neg, tu en fais trop… » minauda Amandine, pourtant bien contente d’être complimentée à la chaîne. Elle lança un regard espiègle à Luka, espérant que cette fois il comprendrait. « Et toi, tu fais la fine bouche ? Je vais finir par croire que je ne te plais pas… » Et elle accompagna cette plainte de la mine boudeuse des petites filles trop gâtées, qui le savent, et qui en jouent.

Pour le coup, cette attitude exaspérait Negaï. Lui-même cherchait souvent le compliment, dans la manière dont il tournait les siens. Mais ça ne l’empêchait pas de prendre en horreur ceux qui faisaient de même. Et ne parlons même pas de la fausse modestie qui suintait l’ego surdimensionné !


« C’est vrai, ce serait dommage que tu me laisses seul à satisfaire cet appétit assez généreux pour deux gaillards comme nous ! » s’amusa-t-il néanmoins pour enfoncer le brun. Pour l’instant, la rancune le motivait, lui permettait de s’amuser du malheur d’autrui, surtout quand il en était la raison. Mais plus tard, il le regretterait, et Amandine serait déjà bien loin pour qu’il ne puisse lui faire porter toute la responsabilité à sa place…


Luka

Le Changelin

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(vide)

« Chéri, si j’t’accorde ça, sous quel angle t’m’autorises à t’frapper pour redresser ton nez à gerber ? »

La promesse de violence que Negaï lui décocha à travers leur lien mental surprit tant et si bien Luka qu'il en resta coi. Le ménestrel sentit son sourire se figer sur son visage faussement candide, et ses yeux médusés suivirent son bel ami du regard, alors même que celui-ci le contournait pour rejoindre Amandine de l'autre côté de la table. Qu'est-ce que tu fais, voulut-il lui demander, mais la pensée se stoppa net avant de pouvoir franchir le pont qui reliait leur deux esprits. Car Luka savait très bien ce qui se passait. Et il se maudissait pour ne pas y avoir pensé plus tôt.

Le sourire charmeur que Negaï leur décocha avait tout le tranchant d'une lame de couteau, juste au coin de ses lèvres, là où Amandine ne le regardait pas. Il le narguait.
« Luka, Luka, je n’peux pas laisser à la chance de décider de la compagnie de cette somptueuse création des Déesses. »

L'oiseau de nuit avait choisi son camp. Comme Amandine se tournait vers lui, l'air admirative sans doute, Luka en profita pour lui décocher un regard assassin. Il ne trouvait pas sa petite farce bien drôle.
Mais la jeune femme ne s'aperçut pas de la chute de tension, car elle reprenait le bel homme, sur un ton on ne peut plus mielleux :
« Neg, tu en fais trop… » Les yeux de biche qu'elle porta sur le ménestrel par la suite auraient pu faire son effet, si seulement il n'était pas trop occupé à rager contre son traître d'ami. « Et toi, tu fais la fine bouche ? Je vais finir par croire que je ne te plais pas… »

Luka ouvrit la bouche, mais pour une fois, toute sa verve le désertait. Negaï en profita pour l'enfoncer un peu plus, revanchard comme jamais - car pour lui, la vengeance avait toujours été un plat qui se mange brûlant : « C’est vrai, ce serait dommage que tu me laisses seul à satisfaire cet appétit assez généreux pour deux gaillards comme nous ! »

« Ha, ha, ha. Très drôle. Tu vas me le payer, et tu vas me le payer tout de suite, » se contenta de lui envoyer Luka par la pensée, plus preste qu'une flèche décochée à son encontre. Et si les yeux du musicien restèrent aussi hostiles que ceux de Lucrèce-la-frigide, le sourire qui arma son visage rayonnait comme jamais. Car il savait quoi faire, enfin - même si son choix ne se contentait que de le faire passer de Charybde en Scylla. (Dans le fond, quelle importance ? Il ne laisserait pas cet enculé le mener par le bout du nez comme bon lui semble.)

« Je crois qu'il y a un tout petit malentendu, »
débuta-t-il, sur un ton presque aussi mielleux que celui de la jeune femme précédemment. Ses yeux froids se plissèrent légèrement, comme ceux d'un chat qui guettait sa proie avant de bondir.

Il s'humecta brièvement les lèvres, avant de reprendre :
« L'idée a de quoi allécher n'importe quel homme normalement constitué, c'est vrai. Mais ma chérie, tu vois, le problème justement, c'est que je ne me suis pas installé ici pour tes beaux yeux. » Et à cela, quelque chose pétilla dans le regard du ménestrel. Quelque chose comme de la malice. Comme s'il s'amusait, enfin, à son petit jeu tout neuf. Son sourire s'élargit, alors que ses yeux se plongeaient dans ceux de Negaï assis de l'autre côté d'Amandine. Presque possessifs. « Bien au contraire. Si je me suis posé entre toi et mon bel ami, ce n'était pas dans l'espoir de t'admirer de plus près... mais bien dans l'espoir que tu puisses l'admirer un peu moins. »

Cette fois-ci, lorsque Luka se pencha vers la jeune femme, le geste n'avait plus rien de séducteur : tout relevait de l'agression, alors même qu'il rompait la distance. Comme s'il souhaitait la mettre mal à l'aise. « Bas les pattes, » lui siffla-t-il en lui montrant les crocs. « Il te manque quelque chose de crucial pour que Negaï puisse t'aimer à ta juste valeur. Et je ne parle pas de ta vertu, que je soupçonne inexistante, au passage. Mais entre pécheurs, on se reconnaît. » Et à cela, sous l'admission même de sa (prétendue) pédérastie, Luka sourit encore. Presque amical.

« Je me fous de ce que tu penses, Neg', » ajouta-t-il sur un ton léger, par pur plaisir, car malgré sa volonté première - son désir de se conserver avant toute chose, de préserver sa seconde identité aussi longtemps que possible - il se délectait de sa petite vengeance puérile. « Si elle repart sous ton bras, je me réserve le droit de vous suivre. Et pendant que vous passerez à l'acte ? Oh, c'est simple. Je vous regarderai. Tu peux bien rêver que je dégage, t'as fait ton choix. T'aurais pu te rétracter, mais maintenant c'est trop tard. Tu voulais avoir les deux ? Tu auras les deux. »

Jouer les amants meurtris ne s'était jamais montré aussi jouissif pour le ménestrel. Après tout, exactement comme sur la scène, il inventait toute la possessivité qu'il faisait mine d'exprimer. Seul le sentiment de triomphe qu'apportait sa revanche était réel : à cela, son sourire s'élargit, et il ne mentit pas lorsqu'il proféra les yeux brillants : « Je ne vous lâcherai plus maintenant. »


Negaï


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(vide)

Negaï était consterné. Son grand défaut – qui parfois pouvait être une qualité – était qu’il était incapable de penser avant d’ouvrir la bouche. Cela lui valait des surplus d’honnêteté responsables de la perte de tous ses amis. Pour autant, s’immiscer dans le lit d’Amandine était crucial, cette nuit-là.  Et dans ce besoin, il devait se retenir de trop parler.

Si cette mission n’avait pas eu l’importance qu’elle avait, Luka aurait d’ores et déjà des éclats de verre partout dans le visage. Et il s’en serait terriblement voulu. Mais oui, le Violet se débattait avec ses démons, car la seule envie qui faisait vibrer ses tripes était son envie de faire du mal. Beaucoup de mal.


« Luka, j’pense que t’as assez bu mon Gr…
- Je me fous de ce que tu penses Neg’. »


Ah d’accord. Il serra le poing gauche, ses ongles venant percer la peau fine de ses paumes. L’autre se devait de rester à peu près détendue pendant que ses doigts caressaient celle d’Amandine, pour la rassurer. En effet, le revirement dans le comportement du musicien l’inquiétait.

« Negaï, est-ce qu’il dit vrai ? Tu es vraiment attiré par les hommes ? » Son regard inquisiteur semblait le provoquer de la même manière que Luka. Il sentait des regards invisibles braqués sur lui, au-dessus de lèvres qui lui susurraient qu’il n’était pas capable, qu’il finirait le nuit seul. Hortense… La peau de son dos fut secouée de micro-spasmes, anticipant déjà les coups qu’elle encaisserait pour payer son échec.

Il pensa aussi à ses clients. Oui, Negaï n’était qu’une créature abjecte qui se satisfaisait de tous les vices imaginables. Aimer les femmes et les hommes ? Ah, à la fin, il s’agissait de choisir ! Etait-ce trop difficile pour lui ?! C’était la voix éraillée de ‘Maman’ qui avait résonné dans son crâne. A nouveau une vague de rage vint lui retourner l’estomac, et il dut porter sa main gauche à ses lèvres pour étouffer un haut-le-cœur. *Tu n’as pas idée de ce que tu es en train de faire…* intima-t-il mentalement à cette crétine qui écrasait sa virilité pour compenser celle qu’elle n’avait pas… Et pourtant, il était si ébranlé qu’avec peu d’efforts elle saurait lire le doute qui venait alimenter sa sourde rage.


« Je suis attiré par toi, à toi de me dire si tu en es un ?... » Il réussit à lui servir son regard charmeur, celui qu’il tamisait derrière ses longs cils quand il vous regardait par-dessous. La petite remarque avait fait mouche à en juger par la petite pression qu’il sentit sur sa main droite. Mais il savait bien qu’elle s’inquiétait autant que lui. Luka allait-il vraiment les suivre ? « Je n’aurai d’yeux que pour toi, alors si tu peux passer outre, laissons-le dans son petit fantasme… » lui chuchota-t-il à l’oreille.

La jeune-femme sembla d’accord avec ça, aussi le Violet laissa quelques pièces sur la table et se leva, tenant la Belle par la taille. Il se força à ne pas regarder dans la direction du brun qui les suivait en sifflotant. En plus ce petit couillon faisait du bruit… La bête qui grondait dans le ventre de Negaï commença à faire ses griffes sur ses organes.

Il lui sembla que le trajet jusqu’à la chambre d’Amandine dura des heures. Et il avait froid, même si c’était surtout le cocktail d’émotions négatives qui le faisait trembler.
« C’est juste ici. » murmura sa cible en poussant une petite porte dans l’auberge. On ne leur avait pas posé de question en les voyant arriver à trois, l’établissement étant habitué et discret vis-à-vis des vices de chacun.

Son visage était complètement fermé, et elle tenta de le détendre à coup de baisers le long de sa mâchoire. Ses paupières se fermèrent et il tâcha de se contrôler. De dos, il entendit grincer la porte qui se referma aussitôt. L’autre morpion les avait suivis jusque dans la chambre.


« Luka, j’espère que tu as les nerfs bien accrochés. Ton chéri est à moi, ce soir… » le nargua-t-elle. Nouvelle vague. Negaï n’en pouvait plus, et ses tremblements devenaient de plus en plus visibles.

L’inconsciente pris ces soubresauts pour de la passion contenue. Elle lui mit un coupe-papier dans les mains et dirigea ces dernières vers son corsage pour lui faire le trancher, d’un coup sec.
« Allons, oublie-le, et libère la bête. » Quel choix de mots… Pour autant, le Prostitué n’arrivait pas à dépasser la douleur de la Bête qui était désormais en train de mordre son ventre avec une telle férocité que sa vue en était légèrement brouillée. Impossible de songer à la bête dont parlait cette pauvre idiote.[/i]

« J’peux pas… » siffla-t-il entre ses dents, tout en hurlant mentalement à Luka de dégager. Et en échange, il n’avait que des sourires insolents, malgré une gêne palpable. Trop fier pour rebrousser chemin, alors ? « N’aie pas peur, tu peux être violent… » Elle lui arracha presque sa tunique. « Je te l’ordonne. » ajouta-t-elle, visiblement lasse d’avoir à le supplier.

Ni une, ni deux, le contrôle que Negaï avait tant lutté pour conserver vola en éclat. Quelque chose se brisa et…


« Negaï ! » Mauvaise voix, mauvaise intonation. Il tourna les yeux vers Luka qui semblait paniqué. Quoi, il allait se raviser ? Il était un peu en retard… C’est à cet instant qu’il sentit la chaleur sur sa main. Suivant le regard du comédien-musicien, il vit une main ensanglantée. Au bout de cette main, le coupe-papier. Au bout du coupe-papier, Amandine.

« Merde, qu’est-ce que j’ai fait ?... »


Luka

Le Changelin

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(vide)

Tout s'était passé si vite.

Au début, trop fier de sa petite revanche bien amenée, Luka avait jubilé. « Tu n’as pas idée de ce que tu es en train de faire, » l'avait averti Negaï par la pensée, mais le ménestrel n'en avait plus grand chose à foutre, pour être honnête. Une pulsion sournoise et vindicative le poussa à sourire à ce si joli couple qu'il prenait tant de plaisir à embarrasser, sans jamais répondre aux injures que son bel ami lui décochait par le lien mental qui les reliait.

C'était à ces moments-là qu'on savait qui était le magicien, et qui ne l'était pas : couper le pont invisible qui les connectait fut simple, tout aussi simple que respirer. Luka sentait bien les pensées sauvages de Negaï cogner aux portes de son âme, mais il avait dressé ses barrières mentales, plus épaisses que des murailles, et il souriait. Il souriait toujours, comme un imbécile heureux. Et dans l'intimité de son propre esprit, une seule pensée revenait sans cesse : Ça lui fera les pieds, à ce salaud. Ça lui apprendra.

Mais alors même que son bel-ami susurrait quelques mots doux à la jeune femme, le ménestrel sentit un début de malaise poindre dans un coin de sa tête. Subitement incertain de ce qu'il faisait. Cela ne l'empêcha pas de se lever avec une aisance semi-feinte, et de suivre le couple en direction d'une des chambres de l'auberge, légèrement en retrait. Il n'avait pas envie de voir ça... Mais dans le même temps, il voyait bien à quel point sa petite prestation irritait Negaï, et cela suffisait à le ragaillardir un peu. Ah, il faisait moins le malin maintenant, cet enfoiré de mes deux ! Luka lui avait bien dit, pourtant, qu'il voulais juste se débarrasser de la serveuse. Si cet enculé avait seulement joué le jeu, il se serait pas empêtré dans cette merde. Puis après tout, pourquoi s'en vouloir ? Il l'avait bien cherché, le salaud, à toujours vouloir le beau rôle aux yeux de ses belles. On verrait bien qui rirait le dernier.

Aussi, alors que la satisfaction cruelle reprenait le pas sur ses incertitudes, Luka se mit à siffloter. Bien fort, tout en emboîtant le pas au couple, comme une ombre dont on ne pouvait se débarrasser. Il en aurait bien ri, s'il n'avait pas gardé une prise aussi ferme sur sa contenance. Il n'avait pas besoin de voir le visage de son ami pour savoir quelle expression celui-ci revêtait : Negaï, après tout, avait toujours été un brin trop émotif.

Ce n'était qu'au seuil de la chambre que Luka connut un véritable moment d'hésitation. Le couple entrait déjà, sans doute impatients d'en finir, et le ménestrel se demanda sincèrement ce qui les poussait à vouloir encore copuler, quand tant de facteurs négatifs avaient déjà été instaurés. Avaient-ils une libido si explosive qu'ils ne pouvaient pas se permettre d'attendre une nuit de plus, ou tout simplement quelques heures, le temps de convaincre le casse-pieds qui les suivait de les laisser en paix ?

Il ne pouvait pas tout de même rester planté dans ce couloir comme un idiot, ce serait attirer l'attention d'autres clients sur ce qui pouvait bien se produire derrière cette porte... Par Din, il se moquait bien de la réputation des deux imbéciles, mais il n'avait pas envie que toute la taverne le traite, lui-même, de voyeur. Il comptait rejouer ici le lendemain soir, après tout. Aussi, sans trop y réfléchir, il se glissa par l’entrebâillement de la porte, et la referma derrière lui.


« Luka, j’espère que tu as les nerfs bien accrochés, » lui lança Amandine, comme pour le narguer, mais visiblement un peu secouée par sa présence. Ou peut-être pas. Peut-être s'en foutait-elle, d'avoir un public improvisé. Le ménestrel ne la connaissait pas assez pour supposer quoi que ce soit. « Ton chéri est à moi, ce soir… »

Une irrépressible envie de rire lui monta à la gorge, mais il se retint en dernière minute. Oh ma mignonne, je ne suis pas né de la dernière pluie. Pour avoir plusieurs amies en maisons closes, Luka était immunisé. Tout du moins, c'était ce qu'il se disait, alors même qu'une nouvelle vague de malaise lui prenait le ventre. Tout compte fait, il n'était vraiment pas sûr de vouloir voir ça. Par moments, l'idée de voir deux corps grossiers s'enchevêtrer l'un à l'autre le répugnait, sans qu'il puisse comprendre exactement pourquoi.

Dans tous les cas, Negaï semblait le plus misérable des trois. Il n'avait pas cessé de trembler, depuis qu'ils étaient entrés dans cette chambre. Luka ne voyait vraiment pas en quoi sa présence le gênait autant, ce n'était pas comme s'il participait activement à leurs ébats, et ça l'étonnerait que ce soit la première fois que son bel-ami se retrouvait coincé dans une sorte de ménage-à-trois. Puisque le Rêveur avait coupé le lien mental qu'il entretenait avec l'autre, il n'avait strictement aucune idée des émotions violentes et conflictuelles qui déchiraient celui-ci.


« Allons, oublie-le, et libère la bête... » chuchotait Amandine au concerné, tout en le poussant à trancher son corsage à l'aide d'un coupe-papier. Luka tenta de ne pas montrer à quel point le geste le laissait dubitatif. Est-ce qu'elle ne comptait pas se rhabiller après ? Etait-elle riche à ce point qu'un corsage ne comptait pas ? Tant de questions, finalement, pour tenter de dissimuler son malaise persistant, son mal-être grandissant. Il avait trop de fierté pour reculer maintenant.
Alors même que la jeune femme arrachait les vêtements de Negaï - encore du gâchis inutile, songea le musicien - elle lui souffla :
« N’aie pas peur, tu peux être violent… Je te l’ordonne. » Et plus tard, lorsqu'il aurait enfin suffisamment de recul pour repenser à cette nuit-là, Luka pourrait se dire que ce fut les mots à ne pas dire. Les mots qui accélérèrent sa chute. Mais comment aurait-elle pu s'en douter ?

La suite, Luka n'aimait pas s'en rappeler. Et pourtant, elle lui reviendrait bien des fois en tête, dans les jours à venir. Comme un cauchemar enfiévré qu'on aimerait bien oublier dès l'instant où l'on quittait le domaine des songes.
Mais tout s'était passé si vite...

Si vite qu'il ne l'avait pas vu venir, lui non plus. Comme dans un rêve, ou une transe inexpliquée, l'acte de Negaï fut si prompt, si efficace que Luka mit quelques secondes avant de comprendre ce qui s'était produit en l'espace d'un battement de cils. Le désir sembla consumer l'Oiseau de Nuit d'un seul coup, l'embraser tout entier : sa main se noua dans la chevelure de la jeune femme, et tira, tira, tira alors même qu'il l'embrassait... Et le coupe-papier, qu'il tenait toujours entre ses doigts fébriles, trancha dans le vif. Non pas dans le tissu qui recouvrait Amandine, une bien pauvre armure face à la lame aiguisée, mais directement dans la chair de la pauvre inconsciente. Il lui planta l'arme entre les côtes tout en lui dévorant la bouche, un baiser passionnel qui mêlait la mort à l'acte. De son angle, Luka put discerner l'oeil très vif, très rond d'Amandine, cet oeil qui se dilatait alors que lui-même écarquillait les siens. Comme surprise par la violence imprévisible. Comme ébahie par le choc de la douleur.
« NEGAÏ ! » Hurla une voix de femme. Luka fixa Amandine, complètement abasourdi, avant de prendre brutalement conscience que cette voix venait de lui-même.

Le bel-ami cilla, comme s'il sortait d'un songe plaisant. Comme s'il se tirait de force d'une transe qui n'avait que trop duré.
« Merde, qu’est-ce que j’ai fait ?... » demanda Negaï à la masse de chair qu'il venait de poignarder si promptement dans un accès de tendresse. Comme un enfant perdu. Mais Amandine ne devait pas même le voir. « Oh Déesses, » siffla la pauvre damnée, avant qu'un hoquet humide ne lui fasse recracher du sang. Le liquide sombre dégoulina le long de son menton, avant de s'étaler sur le tapis par terre. La jeune femme tourna de l'oeil presque instantanément, sous l'intensité de son agonie.

« Par le cul de Nayru c'est pas possible, t'as perdu la tête ! » Vociféra Luka, tout en se calant contre la porte. Il sentait que ses jambes flanchaient face à l'ampleur du drame qui se profilait devant eux. « Retire pas le couteau imbécile, ça va la tuer plus rapidement ! » Le ménestrel avait la voix cassée tant sa gorge était nouée. Il scruta longuement son ami de longue date, quelques secondes qui lui parurent une éternité. Toute couleur devait avoir déserté son teint, et son choc devait refléter celui, si palpable, qui passait sur le visage de l'Oiseau de Nuit.

Finalement, son regard se déposa sur la silhouette inerte d'Amandine. Sur un ton qu'il cherchait désespérément à recomposé, mais aux accents hystériques, précipitamment :
« Un médecin. Faut chercher un médecin ou c'est fini, elle est morte. Non- Non. Elle se vide... Ca se vide trop vite. Faut pas qu'ils te foutent au cachot... Et moi avec... Oh Déesses... »

Malgré lui, il sentait que sa tête lui tournait. L'odeur du sang le prenait aux tripes, il avait l'impression que la chambre se refermait sur lui. Un autre crime lui revint en tête, et il crut sentir ses doigts tremper dans le sang. C'était fini, si quelqu'un les trouvait là... Si la garde l'embarquait... Les soldats seraient-ils en mesure de reconnaître l'homme aux traits de femme qui avait crevé les yeux de leur capitaine, aussi corrompu que ce dernier avait été ? Il n'y avait pas eu de témoin oculaire, normalement... Le Renard s'en était assuré. Mais dans la pénombre, comment en être sûr ?
Luka avait si peur. C'était tellement irrationnel. Il savait, dans le fond, qu'il ne risquait pas d'être reconnu. Lucrèce était bien trop différente de Luka-le-ménestrel, il s'en était toujours assuré : un maquillage prononcé, des teintes moins vives dans ses jupons, une poitrine souvent rembourrée.
Tout. Il avait tout fait afin qu'on n'associe jamais les deux. Mais en cet instant précis, sous le coup de la panique, sous la culpabilité qui revenait le frapper à l'arrière du crâne comme un coup de massue, tout lui paraissait incriminant.


« Tue-la. Il faut que tu la tue, là maintenant, vite. Et on. On l'embarque, incognito. On doit la jeter quelque part, je sais pas où, et nettoyer la chambre. » La terreur brute qui s'emparait du musicien lui brûlait le coin des yeux, mais il se refusait à déverser quelques larmes de peur panique. Ce serait admettre sa faiblesse, son impuissance à gérer cette situation de crise. Et pourtant, malgré toute sa volonté, la question maudite franchit ses lèvres avant qu'il ne puisse la retenir : « Mais bon sang de Din, pourquoi t'as fait ça ? »


Negaï


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(vide)

Au réveil des lendemains de longues soirées bruyantes et arrosées, Negaï détestait ce bourdonnement sourd qui lui agressait les oreilles, et qui s’amplifiait au moindre bruit non créé par sa gueule de bois. Mais cette fois-ci, le Violet n’avait ni bu, ni fait la fête. Ni dormi, d’ailleurs. C’était une toute autre forme d’ivresse qui l’avait privé de ses sens durant quelques instants. Seul un éclair vaguement coloré prenait des airs d’étoile filante à tourner et virer autour de lui. Ce devait être Luka.

Mais la seule chose qui captait l’attention du prostitué était ce liquide chaud sur ses doigts, fascinant. Sa chaleur semblait remonter le long de ses phalanges, tout doucement, jusqu’à gagner peu à peu le haut de ses membres, ses organes desséchés. Il retira la lame, et la vie d’Amandine fila droit sur son visage. Sa bouche entrouverte en reçut également. Et ses yeux devinrent soudain comme noirs tant il était en éveil. C’est à cet instant qu’il émergea, réalisant que l’autre crétin était toujours là.


« Tue-la. Il faut que tu la tue, là maintenant, vite. Et on. On l'embarque, incognito. On doit la jeter quelque part, je sais pas où, et nettoyer la chambre. » C’est à sa propre réaction que Negaï comprit qu’il avait complètement perdu la raison. Alors que son compagnon oscillait entre la colère et la panique, Negaï partit d’un éclat de rire comme il n’en avait pas eu depuis des années. Et tout ce que Luka lui dit alors ne le fit que rire davantage, et ce même lorsqu’il remplit la pièce d’un craquement sourd, celui des cervicales de la Belle endormie. Il se releva.

« Mais bon sang de Din, pourquoi t'as fait ça ? » essaya-t-il à nouveau. Là, le rire du nouvel assassin s’arrêta, et il sembla y réfléchir sérieusement. Pourtant, rien de vraiment construit ne lui vint à l’esprit. « Bah… L’était chiante, un peu. » se contenta-t-il d’expliquer. Le doute plana alors sur ceux qui furent autrefois amis, cette réalité devenant de plus en plus bancale à mesure que les secondes couraient les unes après les autres. S’il avait toujours été ouvertement instable, il semblait que depuis ce passage à l’acte, il n’était plus du tout le même homme.

« J’en ai marre qu’on m’fasse chier, au moins elle prendra plus personne de haut c’te conne. » Il essuya la sueur qui perlait sous son nez, se couvrant alors le visage du sang qu’il avait sur la main. Il passa ensuite la langue sur ses lèvres. Aucun doute, il y goûtait une seconde fois. « Et si j’me souviens bien, toi aussi t’m’as fait chier c’soir. T’fais l’rapprochement ? » Il n’avait pas vraiment l’intention de recommencer, car se débarrasser d’un corps semblait déjà colossal, alors deux… Pour autant, s’il devait y avoir un responsable, Negaï refusait d’être le seul nom sur la liste. Tout se passait bien dans sa tête, avant que le musicien ne s’en mêle.

« T’as tout fait pour nous diviser toute la soirée, et maint’nant qu’ton p’tit cul est en danger, tu m’sors du nous ? » Il attrapa la poupée désarticulée auparavant appelée Amandine par les cheveux, et la souleva sans ménagement. Ses discussions avec des bouchers sur le démembrement allaient enfin lui servir. « J’ai pas b’soin de toi, alors barre-toi. Genre… Maintenant. »


Luka

Le Changelin

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(vide)

Negaï riait. Il riait à pleine voix, le timbre élevé, éclatant comme un clairon. Il riait comme si les Déesses n'étaient plus là pour l'entendre, la tête fièrement levée vers un ciel qu'il ne devinait plus. A cette vision de l'enfer, Luka sentit la peur se tasser pour laisser place à quelque chose comme de l'incompréhension. « J’en ai marre qu’on m’fasse chier, » siffla son bel-ami, tout en dardant sur lui des yeux très noirs. « Au moins elle prendra plus personne de haut c’te conne. »

Le temps que le meurtrier s'essuie le revers du menton, Luka s'était plaqué contre la porte. Le ménestrel sentait que ses genoux cognaient l'un contre l'autre. Il n'entendait plus que sa respiration tremblante, alors que l'Oiseau de Nuit se barbouillait le visage de sang. La panique embrouillait tous ses repères. « Bon sang mais Neg', réveille-toi putain, » commença-t-il à énoncer, tout en s'avançant d'un pas vers son ami.

Mais celui-ci le coupa de court :
« Et si j’me souviens bien, toi aussi t’m’as fait chier c’soir. T’fais l’rapprochement ? » Les yeux glacials qu'il darda de nouveau sur lui suffirent à le plaquer encore une fois contre le battant.

Luka sentit une goutte de sueur froide dévaler sa nuque, avant de se glisser sous sa tunique, le long de sa colonne vertébrale. La voix de Negaï suintait la menace, lorsqu'il lui glissa : « T’as tout fait pour nous diviser toute la soirée, et maint’nant qu’ton p’tit cul est en danger, tu m’sors du nous ? »

Le ménestrel ne trouva rien à dire. Il tenta d'humecter ses lèvres, mais rien n'y faisait : il avait la gorge sèche. Son air effaré traversa son visage comme une intempérie, alors même qu'il plissait les yeux pour scruter l'assassin aux pupilles dilatées. « C'est ça que tu penses ? » Lui demanda-t-il d'une voix faible. Comme s'il n'osait pas encore tout à fait croire à ce que l'autre lui envoyait en pleine face. « Tu crois que j'essaie de te mettre dans ma poche pour sauver ma propre peau ? »

L'Oiseau de Nuit ne répondit pas. Il se contenta de soulever le cadavre par la chevelure, l'air tant absorbé par le sang qu'il en oubliait jusqu'à sa seule présence. Finalement, il gronda à son intention : « J’ai pas b’soin de toi, alors barre-toi. Genre… Maintenant. »

Il aurait tout aussi bien pu le gifler, l'effet aurait sans doute été le même. Estomaqué, Luka ne bougea pas pendant très longtemps.
Il sentait que Negaï le dépouillait de quelque chose de crucial ; une présence intangible, qui l'avait accompagné jusque-là comme un cadenas de sécurité. Maintenant que la barrière était levée, plus rien ne le protégeait de la flopée d'émotions contradictoires qui l'envahit.
Lucrèce l'emporta.

Une affliction violente le saisit à la poitrine. Quelque chose comme de la haine, comme de l'injustice. Quelque chose comme un chagrin d'amour.
« C'est vrai, j'ai voulu te faire chier ce soir, » débuta-t-elle à voix basse, les traits de son visage tendus, mais les yeux brûlants, brûlants, brûlants sous la colère qui lui dévorait le ventre. « Mais j'étais jalouse, tu comprends, ça ? Pas de tes coucheries, non, je sais que je suis pas ton homme, Negaï, ni ta femme d'ailleurs. Mais est-ce que ça t'es jamais venu à l'esprit, même pas une seule petite seconde, que nous avions peut-être quelque chose, toi et moi ? Quelque chose comme un lien, une relation, une amitié, je m'en fous, quelque chose qui ait plus de valeur pour toi que tes petites clientes à la bouche ronde ? Par le cul de Din, pourquoi tu me lâches quand j'ai le plus besoin de toi ? »

Lucrèce - Luka - Lucrèce contempla l'homme qui lui faisait face, les yeux brillants, brillants, brillants sous la révolte. Sous les larmes de rage qu'elle refusait obstinément de laisser couler. Elle contempla l'homme qu'elle avait laissé entrer dans sa vie ; elle ne le reconnaissait plus. Sa voix montait, une voix de femme qui virait à l'hystérie, et peut-être était-elle folle elle aussi, folle à sa manière. Folle de fureur, face à un traître qui ne valait pas plus que tous les autres. Il était le second à lui faire le coup, et déjà que le Renard l'avait mise dans une fureur noire, cette fois-ci c'était plus douloureux. Negaï lui était plus proche. « Je m'en tape de nos chamailleries, si tu crois que ça a encore de l'importance ! Ma parole, ce que t'es con ! Pourquoi je reste là, à ton avis, si c'est pas pour tes beaux yeux ? Parce que j'ai peur que tu me fasses du mal ? » Cette fois-ci, ce fut à elle d'éclater de rire. Un rire bref qui n'avait rien de joyeux, rien d'effrayant. Seulement désabusé. « Qu'est-ce que t'essaies de prouver au juste, explique-moi. Que t'es plus fort que moi ? Que t'as besoin de personne pour survivre ? »
La confession sortit toute seule, doucement, décomplexée comme une menace : « Je t'aime, Neg', tu sais. Mais si t'essaie de me tuer, c'est simple, je te tuerai avant. »

Sa magie crépitait au bout de ses doigts, tout le long de ses membres, à fleur de peau. Elle ne savait pas ce qui en ressortirait s'ils se frappaient, mais elle ne tenterait pas le Malin tant que Negaï ne l'attaque pas le premier. En attendant, elle se dressait face à l'Oiseau de Nuit, l'air presque (presque) amusée dans le tumulte de sa colère froide. « Tu veux que je dégage, comme ça tu pourras jouer à la poupée avec ta morte, t'y essuyer les burnes peut-être ? Soit, je vais sortir. Mais je suis bon joueur, alors autant te le dire : dès que je quitte cette pièce, je balance tout à la première patrouille que je croise. »


Negaï


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(vide)

Negaï ne sut si le bruit de craquement venait de son imagination ou s’il avait vraiment résonné dans la pièce jusqu’à lui glacer le sang qu’il avait déjà plutôt froid. Après une telle tirade, un seul mot venait se cogner à ses lèvres pour en sortir : « Quoi ? ». Il s’était attendu à bien des éventualités de disputes, au vu de la soirée que tous deux venaient de passer, mais celle-ci, il ne l’avait pas vue venir.

Bien sûr, en ces derniers mois, il avait apprécié la présence du Ménestrel à ses côtes, sans pour autant être capable de le formuler à haute voix. Un moment d’égarement les avait conduits à partager plus qu’une chambre de bonne, mais nouer des liens par le corps, le Violet le faisait avec pas mal de personnes. S’amouracher, au-delà d’être en contradiction avec sa nature, l’était avec ses principes. Et si tuer cette pauvre femme ne l’avait pas ébranlé le moins du monde, accepter l’idée que quelqu’un puisse tenir à lui, lui était toujours si insaisissable.

Pour autant, il ne pouvait se résoudre à y croire.
« Par le cul de Din, pourquoi tu me lâches quand j'ai le plus besoin de toi ? » Eh bien voilà. Besoin de lui… Pourquoi faire ? Jouer ses pièces ? Avoir un faire-valoir qui n’y connait rien à la musique ? Lui rappeler sans cesse que lui ne savait rien faire à part remuer ses fesses pour satisfaire le client.

Voilà où était le souci. Même si les intentions de Luka avaient été pures, Negaï ne savait vivre que pour satisfaire des besoins qu’il anticipait plus ou moins bien, jusqu’à en oublier ce dont lui avait besoin. Cette petite scène de tout à l’heure ? Il l’avait prise immédiatement comme une punition de la part du Musicien, parce qu’à son habitude, il ne lui avait pas suffit. Perspective tout aussi égocentrée que dramatique, mais qui pourtant lui avait retourné le cœur dans tous les sens jusqu’à l’en vider de toute contenance.

Il balança Amandine au sol, qui retomba dans un bruit sourd.
« Bah vas-y, dénonce-moi, c’toi qui t’priveras d’moi tout seul alors qu’y paraît qu’t’as b’soin d’moi. » Il s’avança dans sa direction, mais en déviant sur le côté, pour ne pas avoir l’air de fondre sur elle dans un mouvement d’attaque. « Mais si on sort tous les deux avec ça, pseudo-amour pour ma gueule ou pas, t’auras ptet envie d’te défiler. C’pour ça que j’te dis d’te barrer. Là d’où j’viens, quand tu fais une connerie, tu répares, et toi, à part me gonfler, t’as rien fait, non ? C’bien plus simple si m’dame l’immaculée n’a rien à se r’procher. »

Saisi d’un vertige, il dut se rattraper au mur. Malin, avec tout ça, il n’avait pas eu sa dose d’énergie. Et tandis que l’autre braquait ses doigts magiques dans sa direction – d’autant qu’il l’avait sûrement encore plus contrariée -, lui ne savait pas s’il était capable de se défendre. Il glissa lentement pour se retrouver assis par terre, près du cadavre, la main trempant dans son sang. A nouveau, il s’essuya le visage, se barbouillant encore plus le visage. Un nouveau coup de langue inconscient sur ses lèvres tâchées, et il tressaillit littéralement. Sans prêter attention à Luka, qui pouvait faire ce qu’elle voulait de lui, il se prit la tête entre les mains, agrippant fermement ses cheveux, jusqu’à lui déformer les traits tant il tirait fort.

« C’pas possible… » [spoiler] MAIS SI C’EST POSSIBLE AVEC LA CARTE KIWI \o/[/spoiler] siffla-t-il, une fois, puis deux, puis en boucle, en se balançant d’avant en arrière, démontrant encore davantage qu’il avait perdu la raison. Ce picotement, il ne le connaissait trop bien. Mais souvent, c’était la chair dans le sens figuré qui lui procurait, et pas dans le sens propre. Machinalement, sa main droite revint vers son visage, et, lâchant totalement prise, il osa l’impensable : se lécher le bout des doigts, trempés du sang de la pauvre Amandine.

Nouvelle décharge : ses soupçons étaient fondés. Délicieusement brûlante, l’énergie revenait en lui. C’est alors qu’il leva un regard véritablement étonné, quelques larmes venant raviver la couleur translucide de ses iris, vers le visage de cette personne qu’il aimait appeler son amie, bien qu’il n’en fût plus si sûr en cet instant.
« J’crois que… »

Mais la phrase demeura en suspens, car son regard presque enfantin – malgré tout le sang qui venait cacher son visage – reprit tout de suite une teinte plus glaciale alors qu’il écarquillait les yeux. « Sauve-toi. » Il déglutit. « Vite ! »

Cette fois, il ne la chassait pas, il tenait à éviter un nouveau drame. « Elle arrive » expulsa-t-il comme seule explication.


Luka

Le Changelin

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(vide)

Negaï la fixait bouche-bée, comme s'il ne parvenait pas à croire l'énormité de ses propos. Les yeux toujours brûlants, Luka - Lucrèce - Luka se contentait de le foudroyer du regard, comme si elle le défiait de s'opposer à elle. « Quoi ? » Finit par croasser son bel ami, mué par ce qui semblait être un mélange de choc et de consternation. Seul le silence lui répondit.

Luka se demandait ce qui pouvait tant le bouleverser. Était-ce sa menace tangible, comme elle le pensait, ou bien était-ce sa confession à peine esquissée, secondaire à ses yeux, mais d'autant plus troublante par sa spontanéité ? Elle avait fini par le connaître, son Oiseau de Nuit. Elle savait qu'un mot de trop suffirait à briser la confiance qu'il était prêt à accorder à une amie, mais pas à une amante. En déclarant son amour pour lui, s'était-elle placée dans la liste des clientes inassouvies du prostitué ? Venait-elle de se déchoir elle-même de son statut de confidente ?

Negaï ne pouvait pas se reposer sur quelqu'un qui l'aimait, Luka ne le savait que trop bien. (Lucrèce le comprenait.) Après tout, mieux valait le lorgner comme un bout de viande, plutôt que de le placer sur un piédestal : le premier n'attendait rien de lui, tandis que l'autre en attendait beaucoup trop. Mieux valait n'être considéré comme personne, plutôt que comme quelqu'un qui n'existait que dans le regard de l'autre.

Une panique momentanée s'empara du ménestrel. Il-Elle en avait trop dit - pas assez dit - pour s'arrêter en si bon chemin, elle le savait. Mais si elle l'aimait, son bel-ami, elle ne l'aimait pas assez (pas ainsi) pour le perdre. Alors elle-il trancha le silence dans le vif, déterminé à rectifier le tir :
« Ecoute Neg, c'est pas ce que je voulais dire... »

L'Oiseau de Nuit ne lui laissa pas l'occasion de terminer sa phrase. D'un geste brusque qui fit flancher le musicien, il balança le cadavre d'Amandine sur le parquet avant de s'avancer vers elle. L'émotion lui creusait des rides de colères au coin des yeux. « Bah vas-y, dénonce-moi, c’toi qui t’priveras d’moi tout seul alors qu’y paraît qu’t’as b’soin d’moi ! » Agité par la peur des représailles, Luka sentit sa magie le parcourir à fleur de peau, sur un réflexe défensif. Mais Negaï se déplaçait vers le côté, comme s'il souhaitait lui montrer qu'il ne l'acculerait pas.

(Un élan de gratitude manqua de l'emporter sur son anxiété. Lucrèce l'étouffa en l'espace d'un battement de cils.)



Le prostitué tituba. Il continua d'une traite, sur un ton brusque : « Mais si on sort tous les deux avec ça, pseudo-amour pour ma gueule ou pas, t’auras ptet envie d’te défiler. C’pour ça que j’te dis d’te barrer. Là d’où j’viens, quand tu fais une connerie, tu répares, et toi, à part me gonfler, t’as rien fait, non ? C’bien plus simple si m’dame l’immaculée n’a rien à se r’procher. »

Lucrèce s'apprêtait à répliquer, acerbe, avant de prendre conscience de ce que l'Oiseau de Nuit voulait vraiment lui dire. L'avait-il repoussée pour ne pas avoir à l'incriminer ?

Le doute s'insinua dans ses pensées comme un poison tenace. Son bras, jusque-là tendu vers Negaï, s'affaissa sans même qu'elle n'en prenne conscience. Il l'avait rembarrée sec, mais sous le coup du choc, peut-être s'était-il mal exprimé. Peut-être avait-il réellement souhaité la voir partir avant que les gardes ne débarquent. Ou était-ce une façon de se rattraper a-posteriori ? N'avait-il pas trouvé l'alibi parfait pour la congédier comme une servante, sans qu'elle lui cherche d'embrouilles par la suite ?

Ce que les hommes pouvaient être stupides. Comme si elle allait le laisser à son sort, maintenant qu'il lui avait indiqué à demi-mots qu'il cherchait à l'écarter du danger.


« T'es vraiment con, ma parole ! Pourquoi je me défilerais ? Là d'où je viens, quand quelqu'un de ton clan fait une connerie, tout le monde fait de son mieux pour étouffer l'affaire. Tant que tu me traites pas comme la merde de tes souliers, je suis du même camp que toi, tu sais ? C'est facile, il suffit de monter une histoire, expliquer sans nous impliquer... » Negaï vacilla encore une fois, ce qui la coupa net. Tout en s'appuyant contre le mur, le prostitué se laissa glisser au sol, sous le regard perplexe de la comédienne. Elle ne vit pas ce qu'il fit, lui qui avait baissé la tête et qui s'était agrippé les cheveux, mais elle entrevit son visage couvert de sang, et un frisson d'appréhension la saisit à nouveau. « Neg ? »

L'Oiseau de Nuit ne semblait pas l'entendre. Il se balança longuement d'avant en arrière, avant de porter ses doigts sanglants à ses lèvres. Lucrèce ne put contenir une moue de dégoût, d'horreur et de dédain. Avait-il perdu la tête ?

« C’pas possible… » Un long frisson traversa son bel ami. Lorsqu'il releva la tête vers elle, quelque chose d'indescriptible passa à travers ses yeux clairs, comme de la surprise, ou de l'incrédulité, ou de l'émerveillement. « J’crois que… » Et subitement, comme frappée par la foudre, Luka comprit à son tour.
(Lucrèce ne se laissa pas avoir par ce regard ; elle ne pouvait pas se le permettre. Mais elle aimait ça, l'idée qu'il puisse s'ouvrir à elle malgré tout, qu'il puisse lui dévoiler une part plus vulnérable de lui-même, juste pour un temps.)

Quelque chose changea dans l'air. Un picotement parcourut la peau du ménestrel, comme un tressaillement dans l'atmosphère. De la magie. Ca puait le sang, d'un seul coup pas seulement dans la pièce, mais aussi dans l'espace invisible aux non-initiés. Ca puait la magie noire, et Luka avait une petite idée de qui pouvait bien être derrière tout ça.
Le regard de Negaï s'était lui aussi métamorphosé. La panique le transfigurait, et le ménestrel voyait si rarement son ami dans un tel état qu'il se sentit, pendant une brève seconde, contaminé par sa peur.
« Sauve-toi, vite ! Elle arrive. »

Luka ne bougea pas. Tétanisé, d'une part... mais de l'autre, du côté de Lucrèce, fomentant déjà son prochain coup. Comme aux échecs, mieux valait toujours avoir un tour d'avance... Et si la peur de rencontrer enfin Hortense lui pesait au ventre (après tout, elle était la seule en ce monde capable de terroriser Negaï, et donc la seule susceptible de le rejoindre dès lors que quelque chose n'allait plus dans son sens), sa magie lui électrifiait encore le bout des doigts, si puissamment contenue qu'il sentait ses cheveux se dresser à sa nuque.
(Lucrèce n'avait pas oublié : il leur fallait une excuse pour se tirer du meurtre d'Amandine. Quoi de mieux pour ça que d'accueillir la tante de la victime comme il se doit ?)

« Qu'elle vienne. » Le ton du ménestrel trancha dans l'air comme la lame bien affûtée d'un couteau. Il orientait son esprit vers un point précis, là où il sentait l'air se condenser - là où Hortense semblait se matérialiser. Il se moquait bien qu'elle l'entende, car sa décision était prise. « Ca fait longtemps que je l'attends. »

Dès l'instant où elle fit irruption dans la chambre, le sourire froid de Lucrèce l'accueillit. « Bonsoir, très chère. Il semblerait qu'il y ait quelques petites complications, ce soir. » La comédienne resta plantée là où elle était, près de la porte, mais toute sa magie crépitait dans la pièce, invisible mais constante. Comme une épée de Damoclès, qu'elle plaçait au-dessus de son invitée. « Neg et moi semblons avoir trouvé le moyen le plus facile de le libérer de ton joug... Amandine en a payé le prix, mais après tout ! Une vie pour une vie, ça me semble plutôt honnête. N'est-ce pas merveilleux ? »

Lucrèce rejeta la tête en arrière, un mouvement si délibérément féminin qu'il en devenait provocateur. Elle souriait toujours, et ses yeux pétillaient de la malice de Luka. « Jouons, toi et moi, tu veux bien ? Si tu me bats, je quitte la pièce et tu... t'arrangeras, avec lui. Si je te bats... Qu'importe ? » Quelque chose de féroce traversa ses yeux fauve. « Mieux vaut pour toi que tu ne perdes pas. » Et cette fois-ci, à la manière d'un oiseau de proie, son esprit fondit sur celui d'Hortense, et l'arracha hors d'elle pour l'entraîner dans l'irréel.

Leur duel avait commencé.


Negaï


Inventaire

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(vide)

[HRP : Suite du RP « Bataille pour une âme » dans le monde onirique où Luka a détruit la forme onirique d’Hortense avec l’aide de Negaï resté dans le monde physique. ]

Sa vue était brouillée, comme si un voile blanc et lumineux venait protéger sa vue de la débauche offerte par la pièce dans laquelle son âme – ou ce qu’il en demeurait – avait daigné revenir. Elle se sentait comme lorsque l’on se relève un peu trop vite, surestimant son propre corps. Pour la première fois dans sa longue existence, Hortense s’était surestimée. Et cette petite catin sans charisme ne la laisserait pas se tromper une seconde fois.

« C’marrant comme la peur te rend belle. » entendit-elle à mesure qu’elle récupérait ses sens. « Je suis toujours belle, mon Délice. » répondit-elle, peut-être un peu trop assurément, trahissant cette fameuse peur qui ne cessait de gagner du terrain en elle. « Assurément, qui viendrait douter de mes goûts. » commenta l’Incube d’une voix contrainte, comme s’il faisait un effort en parlant. Les silhouettes dansant devant les paupières de la Démone lui indiquèrent qu’il se levait du sol où il était avachi depuis son retour. « Mais j’ai un pote qui m’a appris qu’la beauté intérieure, comme y disent, c’pas mal, aussi. Ce s’rait même plus important qu’tes jolies courbes. » Sourire crispé. « Ah, ça doit être pour ça que tu es aussi doux et gentil, pauvre créature de la Nuit. » rétorqua la Maîtresse insultée dans un sifflement aux airs reptiliens.

Son amant était venu jusqu’à elle en titubant, et venait de prendre ses mains entre les siennes. Soudain, toute la peur de la Démone s’évanouit, à mesure que sa zone fovéale devenait de plus en plus nette et centrée sur les beaux yeux clairs de sa créature adorée. Il tremblait, semblait hésiter à presser plus fort ses longs doigts, à la manière d’un jeune amoureux qui n’aurait pas réellement touché de femme avant la bonne. Il était toujours fou amoureux d’elle : elle savait lire le désir dans son regard qui ne la quittait pas plus qu’elle ne le quittait.
« Je n’serai jamais assez belle pour toi, Amour… » miaula-t-elle plus qu’elle ne parla. Depuis tout ce temps, elle avait peaufiné son numéro de séduction jusqu’à la perfection, sachant comment toucher à coup sûr le cœur desséché de son pantin aux traits d’anges venus d’autres âges. « N’dis pas d’conneries, mon Cœur. Pourquoi débattre quand on a un témoin pour nous parler de c’que t’as à l’intérieur ? » Les tremblements de Negaï gagnèrent immédiatement les membres de la jolie brune. « Plaît-il ? » feignit-elle de ne pas comprendre, quand la fatalité venait de lui décocher un nouveau coup en pleine face.

« Mmmh pour tout dire j’ai vu de plus belles choses. Comme un Poigneur par exemple. » Hortense eut envie de regarder l’autre petite salope qui venait de ramener sa fraise, mais ses yeux restèrent rivés sur ce visage adoré, mû lentement par un petit sourire amusé, qu’il avait le don de n’étendre que d’un côté. L’autre côté, nettement plus souvent étiré, était réservé au sarcasme et à l’humour noir. « Mmmh, c’bien c’que j’pensais. » répondit-il, taquin. Quant à elle, elle ne comprenait pas. Il était si doux, quand toute son attitude puait la provocation. A quoi jouait-il ? Etait-il de son côté ? Evidemment, il ne pouvait pas préférer ce moustique qui se prenait pour sa rivale. Si seulement, elle pouvait déchiffrer ce que lui hurlaient ces yeux glacés…
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Bon sang. Comment pouvait-on à ce point haïr et désirer quelqu’un de manière si forte, et ce en même temps ? Cette diablesse avait tout détruit : ses rêves, son corps, sa vie, son cœur… Et pourtant, comme un pauvre con, il l’avait suivie, rampant, et léchant le sol que ses pieds avaient foulé. Et comme il le lui avait fait remarquer, Negaï trouvait que la peur rendait sa Maîtresse des plus désirables. Il n’avait pas pu s’empêcher de la toucher, de l’amener à lui, quand son ami, derrière Hortense, l’interrogeait du regard. Luka faisait résonner sa voix dans la tête du Prostitué, comme il savait si bien le faire. *Qu’est-ce que tu fous ?* disait la voix.

D’une certaine manière, Negaï trouvait la situation assez comique : chacun des deux le regardait, sans vraiment comprendre, se demandant qui il allait trahir. Putain. C’était ça alors ? Avoir le choix ? Une bouffée d’excitation vient le secouer une nouvelle fois, encore plus fort que ses tremblements. Mais lorsque jusqu’à aujourd’hui tout ce qui l’avait animé avait été l’amour et la peur, et bien souvent la peur de l’amour. Mais ce désir qui l’envahissait semblait bien plus puissant, et tout aussi ravageur : un nouveau souffle nommé espoir.

Que désirait-il, là, maintenant ? Il savait déchiffrer avec quasi-exactitude les souhaits qu’il lisait dans les yeux des deux autres protagonistes de cette scène macabre. Mais lui ? Pas l’ami, ni l’amant, ni la chose, ni l’acteur, ni l’incube… L’homme, que souhaitait-il ?

Il se vit un moment affalé dans un fauteuil, baigné dans un magnifique rayon de soleil. Izzie s’approchait, mais elle lui tendait une pomme, au lieu de ses habituelles listes de clients. Un mouvement lui indiquait qu’il portait des vêtements qui, sans être somptueux, avaient le bénéfice de cacher son corps. Il attrapait la pomme de la main droite et la croquait vigoureusement, tandis que sa main gauche tenait une autre main qui le caressait délicatement. Il n’avait qu’à tourner la tête pour découvrir de quoi il s’agissait. Une caresse amicale d’Aalis – oh, que dirait-elle à son retour ?... – bientôt suivie des vocalises étranges de Luka pour se donner du courage avant ses répétitions ? La poigne possessive d’une maîtresse qui un jour peut-être deviendrait une épouse dont la jalousie serait plus mignonne qu’intéressée ? L’amour inconditionnel de Walder qui se ferait à l’idée de vivre caché tant il l’aimait, et jamais ne l’abandonnerait ? Tant de possibilités se bousculaient. *Putain, c’que t’es con et fleur bleue, toi, alors…* se dit-il à lui-même alors qu’il visualisait la scène. *Et en plus t’es sourd ?* enchaîna la voix. Sourd, mais pourq… Soudain il réalisa que cette voix ne venait pas de sa conscience, mais bien de son rêve éveillé. C’est à cet instant qu’il tourna la tête.

Et quelque part, dans la Réalité dont il venait de s’échapper, son cou pivota aussi légèrement, venant faire parfaitement face à celui de Luka.


C’était l’homme du Rêve qui lui tenait fièrement la main, avec ses cheveux blonds et courts, et son air si déterminé. Il lui parla, sans sourciller, alors que son autre main venait envelopper celle du garçon décharné à la chevelure violette qu’il était réellement. « Le seul qui t’lâchera jamais, Negaï, c’toi-même. Et même si un jour t’arrêtes de t’aimer, t’auras jamais à t’courir après pour te reconquérir. Alors bouge ton gros cul de princesse, oublie ton prince, et sois le Roi d’ce putain d’monde. Détruis tous les connards qui ont cru qu’ils pouvaient se servir de nous. Bouffe-les jusqu’à l’os, et construis-nous un trône à la hauteur de notre magnifique cul avec. Et y aura que comme ça qu’ils auront l’droit d’y toucher. » Choc électrique[dans le sens influx nerveux hein, pas EDF, qui serait totalement anachronique u_u] jusqu’au fond de ses entrailles en mal de nourriture.
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Son bel outil, mi-mort, mi-vivant semblait absorbé dans un monde auquel seul lui avait accès. La Belle se renfrogna légèrement en imaginant Luka se frayer un chemin jusqu’à cet imaginaire qui lui avait toujours été fermée, à elle. Il avait l’air si pur, si enfantin, tout près d’elle, et ses mains qui tremblaient d’amour. Lorsqu’il revint à lui, elle leva ses mains à hauteur de son visage, et l’attira tout contre son cou, en une étreinte si douce qu’elle ne lui ressemblait guère. « Tout va bien, mon Adoré, tu n’as plus à trembler, je suis près de toi… » le rassura-t-elle comme aurait pu le faire une mère. Or, sa Mère, Negaï l’avait toujours aimée, mais avait vite cessé de l’écouter. Et ça, la Belle semblait l’avoir omis. « J’tremble pas, j’ai juste attaqué la chair trop profondément, et j’suis plus foutu de bouger normalement. » résonna une voix bien trop sûre d’elle, tout près de l’oreille de la Démone. A nouveau, ce fut son tour à elle de trembler. Elle remarqua seulement tout le sang qui s’était échappé des poignets de sa Créature.

« Nous allons te soigner, ne t’inquiète pas. Un peu d’énergie, un peu de viande, et tout ira pour le mieux. » dit-elle, plus pour se convaincre elle-même que pour rassurer le garçon. « J’arrêterai de m’inquiéter quand tu seras morte. » L’instinct de survie d’Hortense s’exprima alors, et elle se débattit aussi fort qu’elle le put. Mais les bras de Negaï étaient serrés bien fort autour d’elle, comme des liens solides. Elle en appela aux forces occultes qui l’accompagnaient depuis longtemps. Mais rien : elle avait tout dépensé pour contrer Luka. « Negaï ! » lança-t-elle ainsi, dans une ultime supplication. « Mais j’dis pas non pour la viande. » ricana-t-il avant de planter ses dents avec violence dans le cou de sa Maîtresse. Un hurlement s’échappa de sa gorge au même rythme que le sang s’échappa de l’artère qu’il venait de lacérer.

La lutte ne fut pas bien longue avant que le corps de la Démone ne s’écroule, sans vie, aux pieds de l’Incube. Celui-ci semblait déjà commencer à cicatriser, même si le processus demeurait très long.
« A la r’voyure, Connasse. » cracha-t-il sur la dépouille, avant de s’asseoir comme si tout était normal. « J’fais une pause avant de débarrasser ces deux-là. » Il désigna les deux femmes d’un mouvement de tête nonchalant. « J’accepte ton aide, mais je n’te retiens pas si tu as mieux à faire ailleurs. »