Faire un avec le Clan

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Elle hocha la tête, acquiesçant, avant de tirer un peu plus l'étoffe sur son visage ridé. Sa main décharnée, tremblante et crispée laissa voir ses vieux os un instant avant de plonger de nouveau sous la longue robe de bure noire qui lui faisait office de pèlerine. Le manteau traînait sans ménagement sur le sol boueux de la Citadelle tant elle était courbée, refermée sur elle même. Son dos rond trahissait sans mal les maux et les douleurs dont elle souffrait, la pliant presque en deux. Doucement, comme si le seul mouvement lui était ardu, elle releva la tête, contemplant le soleil flamboyant et clément d'Hyrule. Chez elle, chez sa sœur, chez son fils, l'astre n'était pas la bénédiction qu'il était ici. Il était à la fois juge et bourreau condamnant invariablement les insignifiants comme les puissants. Lui, et lui seul, était juste. Mais il était cruel également. De ses doigts maigres, presque morts, elle entoura la petite canne d'ébène qui ne la quittait plus depuis si longtemps, s'appuyant de tout son poids pour ne pas chuter. Et lentement, elle mis un pied devant l'autre, progressant tant bien que mal, au cœur d'une foule qui ne semblait ni la voir, ni le désirer. Tout autour d'elle, les uns hurlaient, commerçaient, négociaient, suppliaient, jouaient, buvaient. Les autres, les seuls quelques uns dont elle se méfiait, scrutaient, questionnaient et surtout se montraient. Leurs armures bien que toutes légèrement différentes, étaient frappées du sceau de la famille Royale, celui que tous pensaient à tort être un aigle rougeoyant. Sans bruit, elle ricana à l'idée, se remémorant une fois de plus leur ignorance. Celle-la même qui serait certainement l'arme et l'objet de leur déclin.

Peu à peu, elle se rapprochait d'une seconde silhouette brisée, elle aussi enveloppée dans un lourd tissu sombre, tirant davantage sur le bleu. « Enfin... — », siffla-t-elle de sa petite voix, rompue par l'âge. « Tu m'avais presque manqué, petite sœur... ! Héhé.. » Souffla-t-elle ensuite. Malgré la vieillesse, son regard cramoisi brûlait d'une malice pernicieuse, malsaine et inquiétante. Ses lèvres sèches s'étirèrent en un vilain sourire dévoilant quelques dents jaunies par le temps. « Ush, ush ! » Maugréa la deuxième, levant le poing loin au dessus de leurs deux crânes, dans un geste d'humeur non dissimulé. Sa manche glissa le long de son bras brun, presque squelettique. « Tu sais bien que c'est moi la plus vieille, Koume », sa voix chuintait désagréablement à la façon d'un serpent, lui conférant quelques étranges et effrayantes propriétés. « Viens », serina-t-elle après, mettant fin à la dispute d'un mot. « Elle est ici ? » S'enquit simplement Koume, non sans s'appuyer encore sur le bâton de marche qu'elle dissimulait sous son imposante cape. « Evidemment qu'elle est ici. Ce cher Barret me l'a affirmé... » Kotake marqua une courte pause, repensant au jeune aconier dont elles s'étaient assuré la loyauté. S'il se trompait à nouveau, sa carcasse viendrait nourrir les brochets et les Octoroks du Gyorg. D'une façon ou d'une autre. « Cela fait plusieurs semaines qu'il l'observe. Il sait qu'il n'a plus droit à l'erreur. » La sorcière scruta sa sœur, dont elle devinait l'impatience. Koume, comme à son habitude, frictionnait le joyau rouge qui ornait son diadème. « Bien... Bien... — », lança-t-elle, visiblement absorbée dans ses pensées. « J'ai entendu dire que les sorcières criaient sur le bûcher. Je meurs d'envie de le vérifier. » Murmura la vieille femme, frottant énergiquement ses mains l'une contre l'autre. L'incendie de ses désirs se reflétait sur sa tiare, mais aussi au plus profond de ses yeux. Ses dents sales claquèrent brièvement, sans que Kotake ne dise rien. « Où ? » Demanda-t-elle alors, prête à se mettre en route. Elles n'avaient que trop attendu. « Les quartiers pauvres », dit d'abord Kotake, avant de préciser. « Le Lacis. Passés ces informations, il nous faudra la trouver par nous même. » Une fois de plus, Barret l'avait déçue. Il avait été incapable de retrouver l'inconnue de Cocorico et avait menti en espérant s'en tirer. S'il disait vrai, cette fois, il lui faudrait tout de même le punir.

"Elle pue la magie", cracha Koume, non sans lever le nez au ciel. Long et crochu, d'une certaine façon à la manière des Gérudos, il ressemblait presque au bec d'un de ces corbeaux peuplant les cimetières et picorant la terre souillée par les dépouilles. Elle huma l'air, longuement. « Nous n'aurons aucun mal à la retrouver, ma sœur. » Kotake opina du chef, sans rien ajouter. Sa sœur avait raison, la piste de Songe n'était la plus difficile qu'elles avaient eu à suivre. Et si, à l'inverse de Koume, elle appréciait peu l'idée d'une expédition au cœur des terres ennemies, au sein même de la capitale royale et dans la tenure de la Couronne, elle savait sciemment qu'elles n'avaient pas d'autre choix. « Faisons-vite », siffla-t-elle cependant, comme une vipère, en ramenant sa capuche sur son visage. Elle doutait que quiconque les reconnaisse sous leurs épaisses robes noires et derrière leurs airs de grand-mères, mais elle préférait ne pas tenter le diable plus que de raison. Les deux vieilles femmes se mirent alors en route, pas après pas, pouce après pouce. Doucement, elles quittèrent le monde foisonnant de la Place du Temple, la laissant aux mendiants, aux gardes du Pontife et de la Princesse ainsi qu'aux commerçants. S'engouffrant dans les premières ruelles commerçantes, elles suivirent ensuite le même chemin qu'empruntaient les sans-logis, les sans-dents et les voleurs. Les routes étaient multiples, certes, mais toutes semblaient mener au Lacis. Les Mères de l'Ignominie longèrent les venelles, suivirent un temps le cours du fleuve pour remonter ensuite vers l'intérieur de la Ville-Close. De temps à autre, Koume ou Kotake reniflaient, traquant la jeune sorcière comme un limier poursuit sa proie. Après trois heures de recherches, alors que la lune remplaçait peu à peu l'astre du jour, les Jumelles gagnèrent une petite demeure tout en hauteur, cernée de parts et d'autres. Tout un étal de plantes utiles à la production d'encens et – pour certaines – de potions ornait l'entrée. Le lierre rongeait la pierre, çà et là, et le bois de la porte avait moins bien vieilli qu'elles, ce qui n'était pas peu dire. Une dernière fois, Koume leva son bec au ciel avant de renifler bruyamment. D'un regard, elle fit savoir à sa sœur qu'elles avaient trouvé ce qu'elles cherchaient.

Les sœurs Koutake poussèrent la porte et passèrent le seuil de ce qu'elles ignoraient être une boutique. Une petite cloche en laiton teinta avec elles, un peu avant que la voix de la jeune commerçante ne s'élève. « On allait fermer... », dit-elle d'abord. Kotake plissa les yeux pour adapter son regard à l'obscurité. L'enfant aux cheveux blancs n'avait plus été aperçue depuis la bataille de Cocorico, mais elles l'avaient retrouvé. Et bientôt, elle allait prier que Ganondorf lui-même ne se soit pas montré en personne. « Attendez, j'arrive de suite », glissa alors la magicienne, toujours penchée dans ses établis leur tournant le dos. Sans un mot, Koume renifla en silence, portant brièvement ses yeux de feu sur les quelques artefacts que proposait la petite. Rien que des babioles sans le moindre intérêt. Quelques osselets ici, un peu de plantain par là, le dard d'un vieux Roi Moustique sur le comptoir, quelques vivres çà et là... parfois un gri-gri en bois ou en os sculpté. Elle tenait, au mieux, une boutique de farces et attrapes. La déserteuse fit ainsi qu'elle avait promis, se retournant vers elles, mais elles avaient déjà disparu. La petite bougie qu'elle tenait s'illumina, brûlant brusquement comme un puissant flambeau. « Bonsoir, mon enfant... », siffla Kotake, dont le visage émergea de l'ombre, sur la gauche de Songe. Elle lévitait sans bruit, à la hauteur des yeux de leur proie. Son souffle froid et nauséabond semblait s'étirer, presque comme s'il était doué de vie, et enrober la sorcière. Sur le flanc de sa tunique s'était dessiné une mince couche de givre, solidifiant le tissu blanc qu'elle arborait. « Nous avons beaucoup à parler, petite... », compléta Koume, apparaissant à son tour sur la droite de Songe. Ses lèvres frôlaient l'oreille de la traîtresse, portant le brasero de sa colère, l'incendie de sa rage. « Les sorcières... », commença Kotake, avant d'être interrompue par Koume. « ... n'apprécient guère les traîtresses et moins encore les mutins... » D'un claquement de doigt, la Jumelle faucha toutes les lumières de la pièce, la jetant dans un noir total. Un néant qui aurait plu à leur maître, sans aucun doute. Kotake tourna alors son poignet d'un quart de tour, verrouillant la porte d'entrée dont le loquet grinça sourdement, comme à son habitude. « Mais ça, tu le savais déjà, n'est-ce pas ? » S'enquit-elle, faussement intéressée. Immédiatement après, sa sœur reprit la parole et précisa leur pensée. « Quel sort leur réserve-t-on, dans ton clan ? » Demanda-t-elle, de sa voix rendue aride par la vieillesse, le sable et la magie noire. Doucement, les deux sœurs commencèrent à tourner autour de la fillette-aux-cheveux-blanc. Cette couleur, qu'elles ne faisaient que deviner et imaginer dans l'ombre, les avait toujours irrités. « Dans le désert, on leur lie les mains, avant de les attacher à un petit mât en plein soleil. Quand la soif et le sable ne les tue pas, les Mantes, les Molgarths ou les Moldorms s'en chargent... », souffla Kotake, jetant son haleine de glace sur le visage de celle qui prétendait jadis à leur apprentissage. « C'est sans doute ainsi que procéderait notre fils... », siffla alors Koume, vicieuse, « Il ignore que nous sommes là. Il est clément. » Ajouta Kotake, une vraie lueur de malice dans ses yeux, qui brillaient comme le givre, même sans lumière. « N'y vois pourtant pas une bonne nouvelle, jeune fille... Nous n'avons pas sa patience. » Déclara enfin Koume, ses lèvres s'étirant en un rictus morbide. Leur fils ignorait tout de leurs activités et elles ne lui rendait jamais le moindre compte. Des Gérudos il était le roi, certes, mais elles, elles étaient les Mères. Les Mères de l'Ignominie.

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Songe Tristenuit


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(vide)

Machinalement Songe jeta un regard sur la ruelle vide avant de fixer à sa porte un petit parchemin qui conseillait de repasser le lendemain. Elle prenait généralement le temps de s'occuper des retardataires, mais de toute évidence aujourd'hui il n'y avait pas grand monde. Peut-être un spectacle sur la grand place ? Elle serait peut-être allée voir si elle n'était pas si attachée à la solitude.

Depuis que Swann était repartie, elle s'était refermée sur elle-même. Elle n'était pas beaucoup sortie, si ce n'était pour chercher quelques plantes aux abords de la citadelle. Et sous la forme d'une chouette, elle avait guetté le retour de l'expédition entreprise par celui qui avait en sa possession l'épée de son amie, en vain. Elle s'était parfois demandé si elle n'aurait pas dû plutôt suivre Swann, mais il était un peu tard pour ça. Elle ignorait où était la jeune femme et se retenait de chercher à le découvrir. Elle n'était pas sûre d'avoir compris tous les enjeux, mais elle avait peur de ne pas lui rendre service.

La sorcière retira avec contentement les chaussures qui enfermaient ses pieds. Elle attrapa une boîte dans un coin pour y jeter les "gri-gris" qui traînaient sur la table. Elle était quelque peu vexée que ces bracelets, sous prétexte de porter bonheur, se vendent presque mieux que ses breuvages ou sortilèges. Tous n'étaient même pas ensorcelés, et à la place de ses clients elle aurait préféré tomber sur ceux qui ne l'étaient pas, la chance n'était jamais gratuite. En temps de guerre les gens avaient besoin d'être rassurés, mais si on lui avait dit un jour qu'elle deviendrait vendeuse d'espoir, elle aurait sans doute ricané. Heureusement, elle ne vendait pas que ça.

Elle tira de sa poche une petite clef. Celle-ci déverrouillait l'armoire où elle entreposait notamment le gage de confiance de ses clients endettés, mais pas uniquement. Elle sortit de l'armoire une petite caisse en bois pleine d'os qu'elle transporta jusqu'au comptoir après avoir méticuleusement refermé derrière elle.

Elle venait tout juste d'allumer une bougie supplémentaire par confort quand la petite cloche de la porte retentit. Elle était pourtant certaine d'avoir bien placé le parchemin. Peut-être était-il tombé ? En tout cas elle n'oublierait pas de verrouiller la porte après le départ de son dernier client.

"On allait fermer..."

Elle laissa glisser la petite caisse au sol.

"Attendez, j'arrive de suite !"

Du bout du pied, elle poussa le caisson en bois dans l'ombre derrière le meuble qui lui servait de comptoir. Elle saisit le petit bougeoir et s'avança. Elle cherchait des yeux son client sans parvenir à le trouver.

Soudain la flamme s'emballa et elle manqua de peu de la lâcher. Elle reprenait à peine son souffle, soulagée de ne pas avoir mis le feu à son magasin pour une maladresse, quand elle sentit l'air se refroidir et aperçut un visage se dévoiler à sa gauche, puis un autre à sa droite. Des visages connus, qu'elle ne pensait pas revoir.

Les jumelles ne laissèrent pas longtemps planer le doute sur la raison de leur visite, loin d'être amicale. Lorsque l'obscurité se répandit dans la pièce elle n'eut pas besoin de regarder en direction de la porte, elle l'avait bien entendue se verrouiller. Elle était désormais prise au piège avec les deux sorcières.

Fut un temps, encore désorientée par la perte de son propre clan, où elle avait pensé entrer à leur service. Elles ignorait leur âge mais elle sentait leur expérience, leur puissance. Elle avait toutefois fini par prendre quelques distances avec le clan et les deux pernicieuses, et elle avait naïvement pensé que les choses pouvaient rester ainsi, dans un flou confortable.

Elle n'écoutait leurs menaces que d'une oreille, et même si le mot "bûcher" et d'autres joyeusetés y résonnaient, elle essayait surtout de se calmer et réfléchir. Elle voulait éviter la confrontation. Elle n'avait que peu de doutes sur l'issue, et quand bien même elle aurait été d'humeur à tenter le tout pour le tout et aurait eu envie de comparer sa puissance et son éducation inachevée avec les leurs, elle n'aurait eu aucune envie de le faire dans ce magasin. Son dernier bastion, un petit cocon dans un royaume où elle se sentait toujours isolée.

"Je ne vois pas de quoi vous parlez..."

La jeune femme sentit qu'elle avait intérêt à détailler rapidement sa pensée, aussi continua-t-elle.

"J'ai fait tout ce que le Clan m'a demandé. J'ai même manqué d'y perdre la vie la dernière fois, avec ce dragon. J'ai fait tout mon possible."

L'invocation n'avait pas été un succès, mais elle aurait difficilement pu faire mieux ou prendre plus de risques. Elle avait réellement pensé l'espace d'un instant ne jamais quitter cette montagne en vie. C'était sans doute aussi une des raisons de cette distance qui à défaut d'être neuve s'était accentuée. Un instant elle faillit évoquer le sauvetage de Swann, mais un présentement la retint d'évoquer son amie.

"Je n'aime pas le désert, le sable, la chaleur, ... Sans vouloir manquer de respect, je n'y trouve pas mes marques. Mais je n'ai jamais abandonné le Clan pour autant."

Ce qui n'était pas totalement faux, même si sa loyauté n'était plus la même. Elle avait au début ressenti le besoin de se raccrocher à un groupe, à présent elle commençait  à apprécier la liberté. Et si de toute façon elle n'avait jamais été particulièrement attachée à une cause, ni celle de Ganondorf, ni celle du camp adverse, elle n'était plus si sûre de vouloir suivre aveuglement des ordres. Pas plus qu'elle n'était prête à offrir sa vie.

"Vous n'avez pas besoin de moi au désert. Je pourrais être vos yeux et vos oreilles ici, à la Citadelle. Et si votre fils a à nouveau besoin de moi..."

Elle ne termina pas sa phrase, attendant de savoir si c'était ou non une des raisons de leur visite. Ce n'était clairement pas une perspective qui l'enchantait mais elle tâchait de ne pas le laisser paraître, se voulant un air serviable. Il serait toujours temps de réfléchir plus tard à une façon de sortir de ce mauvais pas.


Alors que la jeune femme tentait tant bien que mal de s'expliquer, les sorcières se mirent à ralentir, sans pour autant cesser de léviter. De son index noueux, fragile comme une brindille et plus repoussant qu'un vermisseau, Koume fit jaillir le feu, première et unique source de lumière dans la bicoque envahie par l’obscurité. En face de Songe, la sorcière plongea son regard de braise et de haine dans celui – visiblement paniqué – de sa proie. Les langues orangées léchaient, avides, son menton et le bas de sa gueule malmenée par les âges. Ses lèvres fripées s'étirèrent en un sourire malsain dévoilant une rangée de crocs clairsemée, teintée d'un jaune répugnant, juste sous son bec. « Tu dis ? » Souffla-t-elle amusée, crachant son haleine chargée de souffre à la traîtresse. Généralement, c'était Kotake qui appréciait de torturer ses prises, de les briser avant de les tuer. Elle, elle n'en avait que rarement la patience. Ses yeux n'en brillaient pas moins d'une malice perverse, rougeoyante. Rapidement – du moins, lui semblait-il – la belle chercha à s'expliquer. Sa sœur continuait à flotter autour d'elles, observant la scène d'un peu plus loin et la sorcière savait qu'elle n'interviendrait pas. Pas de suite. Pour l'heure, la jeune arrogante était tout à elle. Brièvement, elle laissa passer sur ses babines une langue affamée. « Tu as manqué de perdre la vie, vraiment ? » S'enquit-elle, faussement compatissante. Elles savaient les événements de Cocorico, quand bien même elles n'avaient pas participé à l'assaut sur le Bourg. Aucune d'elles ne le regrettaient : invoquer Volcania n'avait jamais été quelque chose qu'elles approuvaient. D'autres entités, plus anciennes et plus mauvaises, méritaient davantage cette attention à leurs yeux. Sans ajouter un mot de plus, Koume laissa l'ombre reprendre la place qui lui revenait de droit, avant de délicatement entourer le visage de Songe de ses mains mortes. « Dis moi, Songe... », commença-t-elle doucement, la voix basse, comme une mère aimante. Son pouce caressa le front de l'enfant, une seconde. « De quoi as-tu peur ? Au fond de toi, qu'est-ce qui t'effraie ? » La sorcière, toujours suspendue dans les airs, s'approcha plus près de l'insecte qu'elle avait capturée entre ses doigts. Bientôt son claquoir touchait presque celui de la jeune femme. Et de son regard scélérat, plongé dans celui de la fillette, elle chercha son âme.

Elle finit par se retirer quand l'ongle de Kotake crissa sur la roche pour la première fois. Le son strident de sa griffe déchirant la pierre suffisamment pour la marquer résonna longuement dans la maisonnée ; jusqu'à ce qu'elle ne touche finalement au bois des poutres. Sous ses doigts frêles, la charpente commença à gémir. « Tu le sais bien, Koume. » Siffla sa sœur, à la manière d'un des crotales qui peuplaient les ergs Gérudos. « Cette enfant a peur de tout. De ceux qu'elles devraient ériger en amis, des fléaux qu'elle devrait affronter. » Elle referma ses serres autour de la structure vermoulue, la broyant sans mal. Les poutres grincèrent, se fendillant çà et là, comme autant de de veines éclatant à l'intérieur d'un corps trop chétif. Tandis que Koume offrait à Songe son plus beau sourire, réajustait gentiment sa tunique, un peu trop ouverte pour être véritablement décente, la sibylle de givre s'éleva jusqu'aux plus hauts rayonnages. Ici traînaient quelques babioles : une patte de lapin là, une dent d'Haül montée en pendentif plus loin, quelques gris-gris ensorcelés... La vieille harpie renifla durement, l'air plus dégoûtée que si elle était tombée sur un cadavre vieux de plusieurs semaines, boulotté par des nécrophages. « Pouah ! » Fit-elle, la voix lourde de dédain. D'un revers du bras, elle jeta l'étagère au sol, qui s'effondra avec fracas, fissurant légèrement les dalles de pierre grise au sol. « Qu'y a-t-il ma sœur ? » Demanda doucement Koume, non sans finir de reboutonner la chemise blanche de la jeune femme, un sourire vilain sur ses lèvres décharnées. « Shhh. Nous perdons notre temps, Koume. Elle ne sait rien faire d'autre que vendre un peu d'espoir à de pauvres lâches. » Ses dents claquèrent à trois reprises, sans que la sorcière ne cherche à masquer tout le mépris qu'elle avait pour la mutine. Sans jeter un regard à sa sœur, Koume reprit les tours qu'elle avait d'abord entamé, venant se positionner dans le dos de l'orpheline qu'elles avaient pensé prendre sous leur aile. Ses longues mains osseuses vinrent glisser dans la chevelure de neige qui tombait en cascade sur l'échine de la petite fille. Le hibou commençait doucement à s'agiter, sans doute bien plus inquiète qu'elle n'osait véritablement le montrer. En relevant ses cheveux comme pour en faire un chignon, la Moire vint coller ses naseaux sur la nuque de la parjure et huma, enivrée par son parfum. « C'est vrai qu'elle sent la peur... — », fit-elle, sa gueule estropiée toujours tirée par un rictus malsain. De son nez elle souffla un flair bouillant, sec et aride sur la peau pâle de sa prise. « Tu dis ?! » S'enquit d'abord Kotake, foudroyant sa sœur du regard. « Elle ne sent pas, Koume. Elle empeste. » La corrigea-t-elle ensuite, en virevoltant lentement vers la jeune femme manifestement incapable de s'arracher à leur emprise. Du bout de ses doigts cadavériques, qu'elle avait ramené devant son visage comme aimaient à le faire les plus escrocs des commerçants,  brillait le même verglas qui rongeait les cœurs, les os et la chair. La glace qui perçait les esprits, relevait les morts et tuait les dépouilles. « Qu'est-ce que notre fils a-t-il bien pu voir en toi... » siffla-t-elle, crachant sur Songe une couche de givre solide, comme à chaque fois qu'elle prenait la parole. Sur la jeune femme, les engelures prenaient doucement, humidifiant ses vêtements de tissu, glaçant sa peau et annonçant l'enfer polaire qui brûlait à la pulpe de ses doigts, au bout des lames qui lui servaient d'ongles. « Si elle ne lui est d'aucune utilité, Kotake... — », commença Koume en brossant tendrement la crinière de son oiseau de nuit effrayé, « ... je peux en faire un exemple des plus parlants. » C'est à grande peine que la sorcière se retint de mordre le cou de la pauvre enfant, puis de le rompre d'un tour de mâchoire. Entre ses dents poissaient quelques filets de salive qui trahissaient sa rage autant que son envie. Ses vieilles phalanges se refermèrent fermement sur quelques unes des mèches opalescentes, pour éviter que sa paume soit la dernière à embrasser sa nuque. La jeune femme glapit, sans doute de douleur, avant de tenter une vaine protestation. « Tsk, tsk ! » Souffla seulement Kotake avant de s'éloigner de sa sœur et de sa proie. « Allons, Kotake ! Elle n'a pas besoin de tous ses doigts ! » Gémit la plus jeune des Moires sans que sa sœur ne se donne la peine de la regarder ou de lui répondre, se contentant d'un geste du poignet droit alors qu'elle volait jusqu'à une autre commode, fixée au mur. « Les borgnes voient encore très bien », insista Koume, de plus en plus difficile à raisonner, « ... et les grands brûlés ne meurent pas tous. Souviens-toi le visage du Traqueur ma soeur. Il est encore en vie, quelque part. » Kotake soupira, caressant de l'ongle les poignées en étain, verrouillées par un imposant cadenas en fer noir, protégé par un enchantement mineur. « Je sais qu'il vit encore, Koume », dit seulement Kotake tandis qu'aux poignets et aux mollets de Songe se nouaient des carcans de glace pire que ceux qu'elles avaient réservé à Nabooru. La Sage de l'Esprit n'avait aucune magie pour l'épauler. La sorcière, en revanche... « N'essaye pas de bouger, pauvre sotte ! » Vociféra la harpie du désert, en se retournant brusquement sur la félonne. Au moindre mouvement, elle s'assurerait que ses chaines lui arrachent les pieds et les mains, avant de la laisser se vider de son sang.

De ses yeux de givre, Kotake toisa Tristenuit emplie de cette morgue qui lui était propre et qui colorait chacune des choses qui tombait sous son regard. « Nous t'avions tout donné... » maugréa la vieille femme, absorbant peu à peu la noirceur des lieux, gagnant en ampleur. Sa voix, usuellement sifflante, devenait rauque et sourde comme le grès. « Tu désirais un foyer, a souhaité retrouver un clan... » fulminait désormais une Kotake plus large et plus grande que ne l'était Songe. Sa voix sans cesse plus caverneuse. « Nous t'avons offert tout cela et plus encore. » Koume laissa échapper un petit rire, heureuse de sentir enfin les choses glisser sur son domaine. « Et que nous rends-tu, ensuite ? » Les ongles de Kotake glissèrent le long des joues fines de la sorcière, en suivirent les courbes à la manière de larmes de rouille. « Rien n'est gratuit, mon enfant », persifla la sibylle de givre. « Désormais est venu le temps de t’acquitter de tes dettes. Tu ne saurais nous échapper », doucement, Kotake redevenait celle qu'elle semblait avoir toujours été. Ses cris se faisaient murmure tandis que son souffle fétide couvrait la jeune femme de baiser viciés. Quelques pouces seulement les séparaient. « Pas dans la vie, pas non plus dans la mort. » Confirma Koume, restée silencieuse jusqu'à présent. « Par ailleurs, mon enfant... » La pyromancienne tira soudainement la chevelure de la sorcière en herbe, la forçant brusquement à renverser la tête en arrière. Son ongle, aiguisé comme un cimeterre, vint saigner la gorge de sa proie, à quelques pouces de la carotide. « La mort est bien la dernière chose que tu devrais craindre », railla Koutake alors que la gorge de Songe se poissait d'un sang vermillon. La jeune femme n'en garderait probablement pas de cicatrice, mais elles avaient ce qu'elles étaient venues chercher. Mieux qu'aucun serment de loyauté, elles venaient de passer au cou de leur apprentie la plus immuable des chaines. Kotake inspira, comme si elle souhaitait aspirer le sang qui collait à la tunique du hibou. Une large bille pourpre se mit à flotter jusqu'à ce qu'elle la stabilise en l'air et la piège entre ses mains. « Tu sais maintenant... », commença la sœur avant d'être coupée par Koume. « ... Que ton sort est entre nos mains. Ta vie, ton âme, ou quoi d'autre ! Les malédictions de sang... » Koume et Kotake reprirent la ronde qu'elles avaient cessé un peu plus tôt, tandis que les carcans de Songe volaient en éclat. « ... sont les plus puissantes et offrent de nombreuses possibilités. Aussi, petit oisillon... » Les sorcières laissèrent leur aura irradier dans toute la pièce, secouant jusqu'aux murs, renversant les ardoises, les fioles, les alambics et les gris-gris, jetant les ouvrages vers le plafond. « ... Tu ferais mieux de ne plus nous provoquer... — ». Le sourire mauvais qui déchirait les lèvres des sœurs Koutake était probablement plus éloquent qu'un long discours. Mais les Mères étaient loin d'en avoir terminé avec leur chère et tendre... si loin.

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Songe Tristenuit


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La jeune sorcière ne s'y trompait pas. Quand Koume lui susurra à l'oreille sur un ton faussement compatissant, elle savait qu'elle n'obtiendrait pas véritablement d'empathie de leur part. Pourtant, involontairement, la question de l'incandescente sorcière ne put empêcher certaines images de lui revenir à l'esprit.

De quoi avait-elle peur ? Les yeux perdus dans ceux de Koume, elle revit les flammes achever de dévorer les maisons de son ancien village et les autres sorcières à l'intérieur. Elle entendait encore les cris qui avaient résonné dans ses oreilles ce jour-là. Elle se revoyait plantée là, sans savoir pourquoi elle était épargnée au lieu de s'embraser sur place, sans savoir comment mettre un terme à ce qu'elle avait indirectement déclenché. Elle avait presque tout perdu ce jour-là. Tout sauf sa vie, qu'elle continuait coûte que coûte à protéger sans même comprendre pourquoi. Que lui restait-il ? Swann, qu'elle espérait en sécurité. Sa boutique, même si un sombre pressentiment lui laissait doucement comprendre qu'elle allait devoir revoir ses plans.

C'était donc bien pour sa vie, en éternelle égoïste, qu'elle s'inquiétait à présent. Sans doute par un vieux réflexe humain plus que par réelle combativité. C'était ce qui la paralysait, l'incitait à attendre en silence, laissant les vielles pies abîmer et insulter son commerce et ses babioles. Elle n'avait jamais été héroïque, elle ne commencerait pas aujourd'hui. Qu'avait-elle à gagner à déclencher la colère de plus puissant et mieux préparé qu'elle ? La jeune sorcière était plus douée pour les coups bas que pour la confrontation frontale.

Elle était toutefois décidée à cacher sa peur tant qu'elle le pourrait. Quant bien même les deux intruses dans sa boutique la devinaient, elle ne leur donnerait pas la satisfaction de cesser de la contenir. Son orgueil n'avait pas disparu, elle avait juste appris à le contenir par lâcheté. Et confesser sa peur ne lui offrirait aucun avantage.

Songe se contenta de toiser les sorcières d'un regard qu'elle voulait vide alors qu'elles discutaient de son sort, bien plus attentive que son air apathique ne pouvait le laisser deviner. Son corps restait bien involontairement sur le qui-vive. S'il devait arriver un instant où son immobilisme ne suffirait plus à la protéger, elle le sentait prêt à tenter le tout pour le tout. Et bien plus consciemment, elle était à l’affût de la moindre information qui pourrait par la suite lui permettre de régler la situation à sa manière. Le désaccord manifeste entre les deux mégères et leur fils ne tombait pas dans l'oreille d'une sourde, c'était une piste.
Il restait aussi un autre point à éclaircir. Si elle n'avait véritablement eu aucun potentiel intérêt, qu'est-ce qui aurait justifié de perdre leur temps dans sa boutique ?

Malgré toute sa bonne volonté feinte, elle eu du mal à ne pas frissonner lorsque les carcans de glace se refermèrent sur elle. Dès lors que l'une des sœurs avait remarqué l'armoire où elle rangeait les fioles de sang de ses débiteurs, Songe avait compris ce qui allait se passer. Elle n'était pas bête, ni la dernière à ce jeu. Elle répugnait bien plus que ses ignorants de clients à laisser un gage si précieux mais elle ne pouvait espérer acheter une trêve sans garanties.

Elle retint un gémissement de dégoût quand l'ongle aiguisé glissa sur sa gorge. C'était désagréable mais nécessaire, même si elle aurait préféré avoir le loisir de choisir sa méthode. Elle attendit sagement que les vieilles pies la relâchent avant de bouger de nouveau. Sa première action fut de masser ses mollets endoloris par les entraves de glace.

"Je sais combien ces chaînes invisibles sont dangereuses, et pourtant mon savoir en la matière est loin d'égaler le vôtre."

La flatterie n'était pas tout à fait innocente mais c'était vrai aussi. Elle présumait que les deux sorcières jumelles avaient un panel de punitions bien plus large que celui auquel elle aurait pu penser, et elle ne sous-estimait pas leur imagination. Elle reprit sur un ton monocorde.

"Mais ce gage a l'air nécessaire pour restaurer votre confiance, je ne le conteste pas."

Elle se faisait pitié à elle-même. Elle réagissait comme un petit toutou docile.
Prends ton mal en patience.
N'importe qui, avec son savoir, aurait sans doute bataillé pour récupérer cette goutte de sang. Elle, elle rendait les armes. Elle ne les avait même jamais levées. C'était un pari risqué mais moins à ses yeux qu'une confrontation directe.
Tu t'es fourrée dans ce guêpier seule après tout. Tu aurais dû savoir que les sorcières sont de mauvaise compagnie.
Cependant, même si elle n'avait pas activement œuvré à leur cause ces derniers temps, du moins plus après les événements de Cocorico et l'aide à la fuite de Swann, elle n'avait pas souvenir d'avoir trahi le Clan pour autant. Elle souhaitait donc connaître un peu mieux les termes du contrat qui lui éviteraient de devenir une cible avant d'avoir un plan de secours.

"Qu'attendez-vous de moi exactement à présent ? Comment puis-je servir notre Clan au mieux ?"