Posté le 28/01/2017 02:09
Elle hocha la tête, acquiesçant, avant de tirer un peu plus l'étoffe sur son visage ridé. Sa main décharnée, tremblante et crispée laissa voir ses vieux os un instant avant de plonger de nouveau sous la longue robe de bure noire qui lui faisait office de pèlerine. Le manteau traînait sans ménagement sur le sol boueux de la Citadelle tant elle était courbée, refermée sur elle même. Son dos rond trahissait sans mal les maux et les douleurs dont elle souffrait, la pliant presque en deux. Doucement, comme si le seul mouvement lui était ardu, elle releva la tête, contemplant le soleil flamboyant et clément d'Hyrule. Chez elle, chez sa sœur, chez son fils, l'astre n'était pas la bénédiction qu'il était ici. Il était à la fois juge et bourreau condamnant invariablement les insignifiants comme les puissants. Lui, et lui seul, était juste. Mais il était cruel également. De ses doigts maigres, presque morts, elle entoura la petite canne d'ébène qui ne la quittait plus depuis si longtemps, s'appuyant de tout son poids pour ne pas chuter. Et lentement, elle mis un pied devant l'autre, progressant tant bien que mal, au cœur d'une foule qui ne semblait ni la voir, ni le désirer. Tout autour d'elle, les uns hurlaient, commerçaient, négociaient, suppliaient, jouaient, buvaient. Les autres, les seuls quelques uns dont elle se méfiait, scrutaient, questionnaient et surtout se montraient. Leurs armures bien que toutes légèrement différentes, étaient frappées du sceau de la famille Royale, celui que tous pensaient à tort être un aigle rougeoyant. Sans bruit, elle ricana à l'idée, se remémorant une fois de plus leur ignorance. Celle-la même qui serait certainement l'arme et l'objet de leur déclin.
Peu à peu, elle se rapprochait d'une seconde silhouette brisée, elle aussi enveloppée dans un lourd tissu sombre, tirant davantage sur le bleu. « Enfin... — », siffla-t-elle de sa petite voix, rompue par l'âge. « Tu m'avais presque manqué, petite sœur... ! Héhé.. » Souffla-t-elle ensuite. Malgré la vieillesse, son regard cramoisi brûlait d'une malice pernicieuse, malsaine et inquiétante. Ses lèvres sèches s'étirèrent en un vilain sourire dévoilant quelques dents jaunies par le temps. « Ush, ush ! » Maugréa la deuxième, levant le poing loin au dessus de leurs deux crânes, dans un geste d'humeur non dissimulé. Sa manche glissa le long de son bras brun, presque squelettique. « Tu sais bien que c'est moi la plus vieille, Koume », sa voix chuintait désagréablement à la façon d'un serpent, lui conférant quelques étranges et effrayantes propriétés. « Viens », serina-t-elle après, mettant fin à la dispute d'un mot. « Elle est ici ? » S'enquit simplement Koume, non sans s'appuyer encore sur le bâton de marche qu'elle dissimulait sous son imposante cape. « Evidemment qu'elle est ici. Ce cher Barret me l'a affirmé... » Kotake marqua une courte pause, repensant au jeune aconier dont elles s'étaient assuré la loyauté. S'il se trompait à nouveau, sa carcasse viendrait nourrir les brochets et les Octoroks du Gyorg. D'une façon ou d'une autre. « Cela fait plusieurs semaines qu'il l'observe. Il sait qu'il n'a plus droit à l'erreur. » La sorcière scruta sa sœur, dont elle devinait l'impatience. Koume, comme à son habitude, frictionnait le joyau rouge qui ornait son diadème. « Bien... Bien... — », lança-t-elle, visiblement absorbée dans ses pensées. « J'ai entendu dire que les sorcières criaient sur le bûcher. Je meurs d'envie de le vérifier. » Murmura la vieille femme, frottant énergiquement ses mains l'une contre l'autre. L'incendie de ses désirs se reflétait sur sa tiare, mais aussi au plus profond de ses yeux. Ses dents sales claquèrent brièvement, sans que Kotake ne dise rien. « Où ? » Demanda-t-elle alors, prête à se mettre en route. Elles n'avaient que trop attendu. « Les quartiers pauvres », dit d'abord Kotake, avant de préciser. « Le Lacis. Passés ces informations, il nous faudra la trouver par nous même. » Une fois de plus, Barret l'avait déçue. Il avait été incapable de retrouver l'inconnue de Cocorico et avait menti en espérant s'en tirer. S'il disait vrai, cette fois, il lui faudrait tout de même le punir.
"Elle pue la magie", cracha Koume, non sans lever le nez au ciel. Long et crochu, d'une certaine façon à la manière des Gérudos, il ressemblait presque au bec d'un de ces corbeaux peuplant les cimetières et picorant la terre souillée par les dépouilles. Elle huma l'air, longuement. « Nous n'aurons aucun mal à la retrouver, ma sœur. » Kotake opina du chef, sans rien ajouter. Sa sœur avait raison, la piste de Songe n'était la plus difficile qu'elles avaient eu à suivre. Et si, à l'inverse de Koume, elle appréciait peu l'idée d'une expédition au cœur des terres ennemies, au sein même de la capitale royale et dans la tenure de la Couronne, elle savait sciemment qu'elles n'avaient pas d'autre choix. « Faisons-vite », siffla-t-elle cependant, comme une vipère, en ramenant sa capuche sur son visage. Elle doutait que quiconque les reconnaisse sous leurs épaisses robes noires et derrière leurs airs de grand-mères, mais elle préférait ne pas tenter le diable plus que de raison. Les deux vieilles femmes se mirent alors en route, pas après pas, pouce après pouce. Doucement, elles quittèrent le monde foisonnant de la Place du Temple, la laissant aux mendiants, aux gardes du Pontife et de la Princesse ainsi qu'aux commerçants. S'engouffrant dans les premières ruelles commerçantes, elles suivirent ensuite le même chemin qu'empruntaient les sans-logis, les sans-dents et les voleurs. Les routes étaient multiples, certes, mais toutes semblaient mener au Lacis. Les Mères de l'Ignominie longèrent les venelles, suivirent un temps le cours du fleuve pour remonter ensuite vers l'intérieur de la Ville-Close. De temps à autre, Koume ou Kotake reniflaient, traquant la jeune sorcière comme un limier poursuit sa proie. Après trois heures de recherches, alors que la lune remplaçait peu à peu l'astre du jour, les Jumelles gagnèrent une petite demeure tout en hauteur, cernée de parts et d'autres. Tout un étal de plantes utiles à la production d'encens et – pour certaines – de potions ornait l'entrée. Le lierre rongeait la pierre, çà et là, et le bois de la porte avait moins bien vieilli qu'elles, ce qui n'était pas peu dire. Une dernière fois, Koume leva son bec au ciel avant de renifler bruyamment. D'un regard, elle fit savoir à sa sœur qu'elles avaient trouvé ce qu'elles cherchaient.
Les sœurs Koutake poussèrent la porte et passèrent le seuil de ce qu'elles ignoraient être une boutique. Une petite cloche en laiton teinta avec elles, un peu avant que la voix de la jeune commerçante ne s'élève. « On allait fermer... », dit-elle d'abord. Kotake plissa les yeux pour adapter son regard à l'obscurité. L'enfant aux cheveux blancs n'avait plus été aperçue depuis la bataille de Cocorico, mais elles l'avaient retrouvé. Et bientôt, elle allait prier que Ganondorf lui-même ne se soit pas montré en personne. « Attendez, j'arrive de suite », glissa alors la magicienne, toujours penchée dans ses établis leur tournant le dos. Sans un mot, Koume renifla en silence, portant brièvement ses yeux de feu sur les quelques artefacts que proposait la petite. Rien que des babioles sans le moindre intérêt. Quelques osselets ici, un peu de plantain par là, le dard d'un vieux Roi Moustique sur le comptoir, quelques vivres çà et là... parfois un gri-gri en bois ou en os sculpté. Elle tenait, au mieux, une boutique de farces et attrapes. La déserteuse fit ainsi qu'elle avait promis, se retournant vers elles, mais elles avaient déjà disparu. La petite bougie qu'elle tenait s'illumina, brûlant brusquement comme un puissant flambeau. « Bonsoir, mon enfant... », siffla Kotake, dont le visage émergea de l'ombre, sur la gauche de Songe. Elle lévitait sans bruit, à la hauteur des yeux de leur proie. Son souffle froid et nauséabond semblait s'étirer, presque comme s'il était doué de vie, et enrober la sorcière. Sur le flanc de sa tunique s'était dessiné une mince couche de givre, solidifiant le tissu blanc qu'elle arborait. « Nous avons beaucoup à parler, petite... », compléta Koume, apparaissant à son tour sur la droite de Songe. Ses lèvres frôlaient l'oreille de la traîtresse, portant le brasero de sa colère, l'incendie de sa rage. « Les sorcières... », commença Kotake, avant d'être interrompue par Koume. « ... n'apprécient guère les traîtresses et moins encore les mutins... » D'un claquement de doigt, la Jumelle faucha toutes les lumières de la pièce, la jetant dans un noir total. Un néant qui aurait plu à leur maître, sans aucun doute. Kotake tourna alors son poignet d'un quart de tour, verrouillant la porte d'entrée dont le loquet grinça sourdement, comme à son habitude. « Mais ça, tu le savais déjà, n'est-ce pas ? » S'enquit-elle, faussement intéressée. Immédiatement après, sa sœur reprit la parole et précisa leur pensée. « Quel sort leur réserve-t-on, dans ton clan ? » Demanda-t-elle, de sa voix rendue aride par la vieillesse, le sable et la magie noire. Doucement, les deux sœurs commencèrent à tourner autour de la fillette-aux-cheveux-blanc. Cette couleur, qu'elles ne faisaient que deviner et imaginer dans l'ombre, les avait toujours irrités. « Dans le désert, on leur lie les mains, avant de les attacher à un petit mât en plein soleil. Quand la soif et le sable ne les tue pas, les Mantes, les Molgarths ou les Moldorms s'en chargent... », souffla Kotake, jetant son haleine de glace sur le visage de celle qui prétendait jadis à leur apprentissage. « C'est sans doute ainsi que procéderait notre fils... », siffla alors Koume, vicieuse, « Il ignore que nous sommes là. Il est clément. » Ajouta Kotake, une vraie lueur de malice dans ses yeux, qui brillaient comme le givre, même sans lumière. « N'y vois pourtant pas une bonne nouvelle, jeune fille... Nous n'avons pas sa patience. » Déclara enfin Koume, ses lèvres s'étirant en un rictus morbide. Leur fils ignorait tout de leurs activités et elles ne lui rendait jamais le moindre compte. Des Gérudos il était le roi, certes, mais elles, elles étaient les Mères. Les Mères de l'Ignominie.
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