Hyrule's Journey

Histoire :
Les pieds de la jeune enfant glissaient délicatement sur les lattes de bois alors qu'elle s'approchait de l'embrasure de la porte. Un rayon de lumière s'en échappait et elle entendait derrière des bruits de voix étouffés. L'enfant aux cheveux de jais se colla au mur pour mieux entendre tout en restant hors de vue.

"Ça ne peut plus continuer comme ça."
"Mais c'est notre fille..."

Elle avait déjà entendu des dizaines de fois ces disputes et s'attendait à ce que son père rétorque "La tienne du moins" mais l'accusation ne tomba pas cette fois, c'était différent. Sans doute l'homme avait-il compris qu'il ne pouvait pas continuer à accuser ainsi sans preuves alors que sa femme ne lui avait donné aucune raison pertinente de douter. Toujours fut-il que la mère de l'enfant prit le silence qui suivit pour une invitation à continuer, à tort.

"Tu sais, il paraît que la princesse elle-même..." Son mari la coupa sèchement. "Qu'elle fait hurler les autres gamins de douleur ?" La fillette se tendit alors que les événements qui avaient eu lieu plus tôt dans la journée lui revenaient en tête, au point qu'elle eut du mal à être attentive tandis que son père expliquait que la fille du roi était gratifiée de la bénédiction des Déesses alors que la leur ne pourrait jamais suivre leur chemin. Il avait raison, on ne lui avait jamais montré où il se trouvait, sinon elle l'aurait fait sans hésiter si ça lui ouvrait enfin l'accès à l'amour de ses parents.

"Le lait du voisin a tourné pour la troisième fois cette semaine."
"Mais..."
"Et le Mal qui a dévasté notre ferme et celles des alentours le mois dernier ? On a dû sacrifier la moitié des bêtes."

De tout ça en revanche, l'enfant n'était pas très sûre de sa responsabilité. Dans le cas du jeune garçon qui l'avait traitée de sorcière puis frappée et jetée à terre... Elle porta machinalement la main à sa joue où une méchante plaie commençait tout juste à cicatriser. Elle avait répondu à ses coups aussi sauvagement qu'elle l'avait pu, et souhaité très fort qu'il souffre. Elle l'avait voulu de toutes ses forces et elle avait cru sentir littéralement son sang bouillir. Il aurait été malhonnête de prétendre regretter à présent, la rage n'avait d'ailleurs pas entièrement disparu. Mais elle n'avait jamais rien souhaité de mauvais contre les animaux des alentours, au contraire.

"Pourtant, ma grand-mère..."
"Ah, parlons-en de cette vieille sorcière ! Elle ne m'a jamais aimé. Je ne serais pas surpris qu'elle nous ait jeté un mauvais sort. Sinon je n'aurais jamais mis "ça" au monde."

La fillette aurait sans doute préféré l'entendre reconnaître sa paternité en d'autres termes mais d'une certaine façon il y avait du progrès même si elle sentait qu'il n'apporterait rien de bon. La nouveauté de la tournure que prenait la discussion l'inquiétait.

Cette fois le paysan ne laissa pas le temps à sa femme de protester. "Ma chérie..." Même si elle n'osait pas jeter un regard dans l'embrasure de la porte de peur d'être repérée, la petite fille connaissait bien ce ton. Elle imaginait sans mal les mains posées par l'homme sur les épaules de son épouse, de même que le regard emprunt de l'infinie - mais pas trop - patience qu'on a en essayant d'expliquer quelque chose à quelqu'un qui de toute évidence a du mal à suivre ou raisonner logiquement. Elle avait beau espérer, une part d'elle savait que la partie était finie en entendant les mots qui suivirent. Sa mère n'avait généralement pas envie de tester jusqu'où pouvaient aller la patience et la compréhension de son époux. "Tu sais bien qu'il est temps de faire quelque chose avant que les voisins ne s'en chargent ou qu'il ne soit trop tard."

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Songe resta un instant étendue à fixer le feu qui crépitait à côté d'elle. Elle savait qu'un peu plus loin son compagnon de route était en train de dormir, ou d'essayer lui aussi. De toute façon, elle avait remarqué qu'il ne dormait jamais que d'une oreille. C'était d'ailleurs ce qui la retenait de se changer en chouette pour essayer de se bercer en volant. Elle se redressa doucement, frustrée de ne pas retrouver le sommeil immédiatement.

Ces derniers temps, c'était de plus en plus souvent des cauchemars qui peuplaient ses nuits et elle n'aimait pas ça du tout. Elle ignorait si c'était lié à ce brouillard ou tout bêtement à son anxiété. Machinalement, ses doigts s'enroulèrent autour d'une mèche de ses cheveux, et son regard s'y attarda alors qu'elle la ramenait devant son visage. Blancs, ils étaient toujours désespérément blancs. Leur couleur ébène n'apparaissait plus que dans ses rêves. Elle devait s'y faire, le passé était derrière elle et c'était un mal pour un bien. Elle y avait gagné une liberté nouvelle, même si elle avait mis un moment à l'apprivoiser et à l'apprécier. De son autre main, elle ramassa une petite branche et la fit tourner entre ses doigts. Est-ce qu'elle regrettait son enfance ? À part la belle couleur naturelle de ses cheveux, pas vraiment. Si elle se retournait sur sa vie, son chemin lui semblait n'être qu'un enchaînement de mauvaises décisions et elle était bien décidée à redresser la barre. Non pas que sa conscience lui pesait, l'impact de ces choix sur les autres était à mille lieux de ses préoccupations, mais elle était fatiguée que les conséquences de ses actes la rattrapent ou lui collent à la peau. Elle aimait à croire qu'il n'était jamais trop tard pour devenir quelqu'un de nouveau, de meilleur. Peut-être était-elle lâche, mais au moins elle était persévérante. Abandonnant la brindille sur le sol, elle tendit les doigts devant elle pour faire le compte de ses bonnes résolutions.

Ne plus jamais, jamais plus, invoquer la moindre entité. Démon, dragon, ... Elle pensait avoir appris la leçon et pourtant elle avait réitéré, manquant au passage d'y perdre la vie, mais on ne l'y reprendrait plus cette fois.

Fini également de courir après un Clan. Elle avait espéré de toutes ses forces qu'elle trouverait un moyen de réintégrer ce qu'il restait du groupe qui l'avait recueillie enfant. Il lui semblait difficile d'imaginer sa vie autrement qu'en communauté, et à défaut d'avoir une idée de la façon d'y arriver, elle s'était jetée corps et âme à la recherche d'un nouvel ersatz de famille qui pourrait l'accepter et les remplacer. Mais tout ça ne lui avait apporté que des ennuis. C'était trop de tracas, trop de risques... Mieux valait voyager léger, ne penser qu'à soi.

Et surtout, surtout, éviter les autres sorcières. Elle était pourtant bien placée pour savoir de quoi elles étaient capables et malgré tout, elle s'était obstinée jusqu'à se brûler les ailes auprès des plus vieilles et perfides magiciennes qu'elle avait pu rencontrer. C'était sans doute ce choix qui était le plus lourd dans sa vie aujourd'hui.

Elle inspira profondément pour examiner la situation avec calme. La brume magique qui les avait surpris, c'était contrariant mais ça pouvait l'arranger pour l'instant. Elle avait l'impression d'avoir pu échapper à leur surveillance et que cette barrière magique n'y était sans doute pas pour rien. Songe avait tout fait pour couvrir ses arrières en toute discrétion et elle avait misé sur pas moins de deux chevaux différents. Le rouquin un peu renfrogné, elle lui avait fourni toute l'aide qu'elle pouvait en échange d'une simple demande : lui ramener ce qu'on lui avait volé. Cette précieuse part d'elle dont elle ne connaissait que trop la valeur. S'il allait au bout de son idée, et il avait plutôt l'air du genre buté, il pourrait peut-être apaiser son esprit une bonne fois pour toutes. Il restait à savoir s'il en était capable, seulement ce fichu brouillard l'empêchait aussi de savoir où il en était dans son entreprise.

En attendant, l'autre garantie dormait à quelques mètres d'elle. Ce n'était pas ce qui avait initialement motivé le rapprochement de la sorcière, mais au fil des discussions elle avait compris qu'il pouvait lui apporter une sérieuse protection. Elle n'avait pas vraiment compris pourquoi ou ce qu'il y gagnait : elle était seulement persuadée qu'il interviendrait si un malheur se présentait et quant à savoir si son aide serait de qualité, sa réputation le précédait. Alors c'était toujours mieux que de rester dans son magasin à se ronger les sangs ou errer seule en se retournant sans cesse la peur au ventre. Bien entendu, si elle tombait soudainement à terre en se tordant de douleur il ne pourrait rien y faire. Mais elle non plus, et elle ne gagnait rien à imaginer le pire.

Tout en se rallongeant doucement, la sorcière se força à diriger son esprit vers des pensées plus positives. L'idée de retrouver son magasin notamment. Pourrait-elle le réintégrer sans craindre de représailles une fois ses erreurs balayées, une fois devenue une version plus mûre et prudente d'elle-même ? L'avenir serait seul à pouvoir lui répondre. En tout cas, pour l'instant, elle se retenait de se demander où était sa seule amie ici à Hyrule. Sa seule amie tout court en fait. Tant que son problème avec les deux sœurs ne serait pas définitivement réglé, il valait sans doute mieux ne pas le savoir. Mais après ça, elle espérait la retrouver et lui rendre à elle aussi ce qui lui avait été dérobé. Tout ce qu'elle pouvait espérer c'était que la chance lui souriait autant qu'à elle. Et que ça durerait.