Posté le 16/01/2017 02:51
Le tenancier grogna, fronçant les sourcils, visiblement agacé. Son regard, qui restait presque invariablement fixé sur les deux cartes qu'il lui restait en main, trahissait toute la tension qui résultait d'un petit jeu pourtant si anodin en apparence. Les enjeux n'étaient pas non plus les plus élevés qui soient, mais il se refusait à perdre aussi grossièrement contre un débutant. Derrière lui, son apprenti toussa lourdement comme pour lui rappeler que c'était à lui de jouer. Il renifla, tâchant tant bien que mal d'afficher un nonchalance de façade, puis laissa tomber son avant-dernière carte sur le terrain de jeu. Puis, sans daigner accorder un regard à son audience, il chercha les yeux du gringalet qu'il avait eu le malheur de défier. Il savait pertinemment qu'il n'aurait plus aucune occasion d'inverser le cour de la partie. « Bon, gamin, t'joues ou t'joues ?! » Un ricanement perça dans la salle à vivre. Il se savait hué et ça, il ne le supportait pas. Face à lui, l'étranger ne conservait qu'une unique carte. Jeune, il ne connaissait pas encore le jeu avant qu'il ne l'invite à participer. On lui avait alors fourni un set de cartes au hasard, mais il n'avait pas su le dépouiller. Bien au contraire. Du doigt il vint tapoter le bois meurtri par les âges, les vins, les ales, les bagarres et le jus de viande. Le troubadour qui exerçait un peu plus loin, dans les tréfonds de la salle, finissait à peine son air quand l'Hylien se décida finalement à abattre son dernier atout. A l'évidence, il n'avait pas gardé le meilleur pour la fin, mais cela ne changeait strictement rien : il avait gagné. Dans un geste rageur, l'aubergiste jeta son ultime carte sur le plateau, non sans un grondement énervé. « Qu'est-ce-que c'est qu't'a à me d'visager ?! » S'enquit-il, en colère, alors que son apprenti se moquait gentiment de lui. « Pis, toi, là ! » Reprit-il, brusquement. L'espace d'un instant, l'Enfant-des-Bois se demanda si de ses naseaux écartés n'allait pas sortir une épaisse fumée. « Hmpff.. — », grimaça-t-il coupant le tavernier dans son élan, ce qui ne l'empêcha pas d'éructer néanmoins. « Compte-z'y pas sur eula'nuit que j'ai promises ! T'as-tu gagné parce que t'étais bon ? Nan ! Que d'la chance ! » Il tapa violemment du poing sur la table, avant de murmurer des propos inintelligible dans sa large barbe poivre et sel, avant de désigner un sac de toile sur le comptoir. « Prend-z'y la moitié, pas une livre de plus ! Le reste, tu payes ! » Le vagabond soupira, peu d'humeur à discuter en long en large et en travers les enjeux sur lesquels ils s'étaient mis d'accords avant de commencer à jouer. Il se contenta d'un regard entendu, laissant l'aubergiste fulminer seul alors qu'il s'arrachait à la table de jeu.
Sans un mot, il gagna la console qui faisait office de comptoir et y déposa sa sacoche de cuir. Fouillant brièvement dedans, il en tira quelques lanières d'un tissu usé avant de l'étaler autant que faire se pouvait. Puis, il commença à choisir les quelques vivres que lui laissait aimablement le commerçant. Privilégiant les consommables qu'il pourrait conserver longtemps, il évita les différents types de pains et particulièrement ceux déjà tranchés, pour leur préférer des languettes de viande fumée, un peu de charcuterie et quelques fromages durs. Le choix n'était pas resplendissant, mais il n'ignorait pas à quel point la guerre pouvait mettre à mal toute une économie. De ça, comme de bien d'autres aspects, les soldats, les princes et les rois n'étaient pas les premiers concernés. Ce n'était pas un reproche qu'il pouvait formuler à l'encontre de Zelda, dont il savait seulement quelques uns des obstacles, des difficultés et des ennemis qu'elle pouvait avoir. Cependant, contrairement à tant d'autres dans son Royaume, elle n'avait pas que la faim, la soif, le froid et la peur comme horizon. Ses doigts, libres du cuir bouilli qui ceinturait ses avant-bras et ses poignets, s'arrêtèrent sur une petite bouteille d'ale brune, en verre dur. Trop sombre pour qu'il ne voit au travers, la fiole lui renvoyait néanmoins son reflet. Un nouveau soupir s'échappa de ses lèvres pincées tandis qu'il emballait ce qu'il avait choisi de récupérer et que – une fois de plus – il réalisait qu'il oubliait que la souveraine avait connu des temps peut-être plus durs que lui ; quand il avait involontairement abandonnée. « Merci pour tout. » Siffla-t-il simplement, en passant proche du tenancier. Comme tous ses compagnons, dont il s'était séparé après avoir vaincu la bête qu'ils traquaient, il n'avait pas encore touché le pécule promis par la Garde d'Hyrule. Les cinquante rubis annoncés ne représentaient pas grand chose, mais ils lui permettraient certainement de convaincre un forgeron de jeter un œil à son haubert. Lors de la chasse une des pales de l'Héli-Tranche – c'est ainsi que l'avaient surnommé les soldats et les mercenaires de la troupe, mais il ignorait le nom réel d'une telle créature – l'avait heurté de plein fouet à l'épaule. Les mailles d'acier l'avaient protégé d'un sort comparable à celui des caravaniers, mais la force de l'animal était telle qu'elle avait partiellement déchiré la cotte, en plus de lui démettre l'épaule ou presque. Son bras n'en gardait pas de séquelles, mais le haubert était désormais inutilisable.
"Tu vends du foin ? Et de l'eau ?" S'enquit-il cependant, s'arrêtant avant de passer la porte. Il avait du hausser la voix pour couvrir les chants énergiques du ménestrel, qui n'avait pas tardé à grattouiller à nouveau son luth et invité ses acolytes à battre du tambour. Il n'avait certainement pas de quoi acheter une nuit dans un pareil établissement, mais il pourrait peut-être y trouver de quoi nourrir sa jument, qu'il avait laissé se reposer sous le toit de l'étable adjacent la maison d'hôte. « P'têt ben. Combien tu s'rais-tu prêt à l'acheter, mon foin et mon eau ? » Le jeune homme fit glisser la petite escarcelle qu'il gardait à sa hanche, la ramenant devant lui, ignorant combien il lui restait précisément. Il n'avait aucune envie de faire une offre et en constatant le contenu de sa bourse il sut que cela ne plaira sans doute pas au commerçant. « Mettons... Deux rubis bleus, trois pièces de cuivre et une d'argent ? » S'enquit-il, tentant néanmoins le tout pour le tout. Un tel marchandage ne lui laissait que deux rubis vert, ainsi qu'une unique pièce de fer, avec lesquelles il lui faudrait composer jusqu'au jour où il toucherait le solde promis pour l'extermination du monstre qu'il avait chassé. L'officier qui les accompagnait lui avait fourni un certificat attestant de la réussite de leur mission et qui lui permettrait de récupérer son dû sans avoir à attendre l'arrivée du groupe au grand complet. « Mouais... » Glissa le tenancier, toujours aussi agacé par sa défaite. « C'pas grand chose... 'franchement pô'd'quoi nourrir 'ne belle bête comme icella' l'étable ! » Le Fils-de-Personne grinça des dents sans rien ajouter, attendant l'offre du pauvre homme comme il attendait les assauts au combat : les pieds fermement ancrés dans le sol et la grimace sur la gueule. « Donne-moi'zy c'que t'as-tu dis et en plus eula' moitié de c'que t'as-tu pris et j'nourris ton c'hval », siffla le marchant, meilleur en négoce qu'en bonne foi. « ... Vendu. » Concéda finalement le Sans-Lignage, sans cacher sa lassitude. Si sa bonne étoile le voulait bien, il attraperait un lièvre ou deux pour ne pas avoir à se sustenter de seules racines jusqu'à la Citadelle.
Le bois rance de la port claqua sourdement contre le mur, étouffant partiellement les ballades d'un barde qui semblait désormais plus se languir que croquer la vie à pleine dent. L'air froid vint le gifler sans ménagement, rongeant sa gueule comme la barbe de quelques jours qui dévoraient ses joues. Link s'accorda un instant, levant les yeux au ciel à la fois sombre et resplendissant. Malgré l'absence de lune à proprement parler, la voûte du monde s'illuminait de multiples petits brasiers tous plus scintillants les uns que les autres. Les étoiles, sublimes en ce jour d'hiver, brillaient de trop loin pour éclairer son chemin mais il apprécier les contempler. Puis, cessant de renâcler à la tâche, le Faux-Kokiri se déracina de la façade de l'auberge, non sans un grognement. Ses bras meurtris étaient encombrés d'un tas de foin aussi lourd qu'une paire de masses accompagnées d'un pavois de bois. A son poignet pendait un baquet de bois rempli d'eau claire. « J'espère que tu roupilles pas trop... — » Gronda-t-il sans entendre la petite comptine qui résonnait dans le noir, couverte par les sons qui perçaient les parois de la taverne. « ... Parce qu'il va falloir qu'on s'arrache dès que tu auras un peu mangé, ma belle..! » Siffla-t-il davantage pour lui même que pour la jument qu'il approchait peu à peu. Tout tentant que cela pouvait sembler, il savait d'avance que le tavernier ne le laisserait pas dormir à l'abris de la neige et du verglas, sous l’appentis.