Loin du Feu de Din

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Swann

Championne d'Aegis

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Avec vigueur, Swann frottait les linges trempés sur sa figure.

Presque plus que la liberté, la lionne avait attendu impatiemment sa première toilette depuis plus d'un mois. Un mois à pourrir en cellule ; se couvrir de crasse, s'imbiber des odeurs nauséabondes des geôles. Ces odeurs qui, encore, lui collaient à la peau de manière insupportable et qui n'avaient de cesse de remonter jusqu'à ses narines avec une insistance malsaine et dérangeante, comme du harcèlement. Si elle n'était pas tant dérangée par la puanteur en elle-même - après tout, rien ne l'empêchait de fréquenter des établissement mal tenus pour boire un verre -, elle était beaucoup moins tolérante lorsque celle-ci l'accompagnait en permanence. Et si seuls des parfums qu'elle n'avait pas sous la main auraient su la couvrir, la Dragmire souhaitait au moins l'atténuer autant qu'il eut été faisable ; aussi frotta-t-elle sans relâche, presque à s'en écharpée la peau malgré l'épaisse couche de graisse et de crasse qui la recouvrait. Le lin, bien que régulièrement mouillé dans la bassine d'eau mise à sa disposition, passa rapidement du blanc au gris, puis du gris au noir à mesure qu'il passait sur son cou ; ses épaules ; ses mains ; ses bras ; entre ses seins ; son ventre ; puis ses jambes. « Coucou toi », glissa-t-elle alors qu'elle redécouvrait son visage avec le miroir. « Je te préfère comme ça », lui répondit son reflet avec un grand sourire. Dans la foulée, d'un geste qui ne transpire pas le raffinement, l'assassin renifla son bras puis son aisselle avant de s'en écarter d'un air peu convaincue, en espérant trouver très rapidement un point d'eau une fois qu'elle aurait quitté la ville. Pour l'heure, il lui faudrait se contenter de ça ; vu l'état des linges, elle n'avait pas le choix.

La Lionne Noire s'installa finalement sur un premier tabouret et étira sa jambe de tout son long jusqu'à poser le talon sur un second ; avec beaucoup de mal. Si sa souplesse n'était plus à prouver, elle sentait néanmoins sa peau s'étirer, se déchirer en bas du dos, là où se trouvait la plaie la plus récente. Si celle-ci avait pris le temps de cicatriser en partie, elle n'en restait pas moins encore douloureuse et susceptible de s'ouvrir de nouveau si elle ne faisait pas attention. « Saleté », cracha-t-elle avec dédain alors que ses pensées se tournèrent furtivement vers le Héros du Temps. Elle se saisit finalement d'une lame courte et fine affublée d'un petit manche en bois ; délicatement, elle colla la lame contre sa cheville et entama une lente remontée de la même manière qu'elle fantasmait parfois l'égorgement de Link. Là encore, elle ne chercha pas à s'appliquer spécialement - elle se serait tournée vers un genre de cire pour réaliser un travail plus net, mais plus long - mais l'urgence de la situation lui imposait de tailler dans le vif tant elle se dégouttait elle-même. Certes, la Belle de Villarreal voulait parfois se donner l'impression que l’hygiène n'était pas une de ses priorités ; en dehors des combats et des surdoses d'adrénalines qu'ils lui provoquaient, il ne lui était rien de plus agréable qu'un bon bain chaud. Ainsi le rasoir poursuivit son œuvre lentement, une jambe après l'autre, jusqu'à même trancher grossièrement les horreurs qui pendaient sous ses aisselles. Une fois cela fait, la Dragmire s'autorisa un soupire de soulagement bienvenu. Et de conclure : « Ne te laisses plus jamais aller comme ça, ma grande. »

Swann s'arracha à son tabouret pour aller se saisir d'une chemise blanche, laissée préalablement sur une table par la jeune Tristenuit. Très heureuse de pouvoir se débarrasser enfin de la tunique de jute propre aux prisonniers, elle se dépêcha de passer les bras dans les manches puis de l'enfiler à la va-vite ; de même qu'avec le pantalon gris décoré de stries bleues. Elle prit un instant pour se contempler dans le miroir ; la chemise était un peu serrée à son goût - elle les aimait large et dans des teintes plus sombres - et le bas un peu long, puisque le tissu dépassait largement ses chevilles pour s'effondrer à même le plancher. La lionne eut une moue agacée, tout au plus, et remercia la bougie d'éclairer assez peu pour ne pas mettre en évidence d'autres défauts qu'elle devinait facilement. Pour les quelques retouches nécessaires, elle verrait plus tard. Elle se saisit des bottes de cuir qui sentaient encore le neuf ; probablement la seule paire de chaussures qu'eut un jour acheté la sorcière, Swann connaissant son plaisir à parader les pieds à l'air. Puis elle quitta la pièce.

Guidée par un agréable fumet qu'elle n'aurait su déterminé, la Dragmire gagna celle dans laquelle s'était établie la sorcière. Voyant qu'elle n'était pas aperçue, la jeune femme glissa sur le sol et s'approcha lentement de la même démarche féline qui l'avait toujours caractérisée. Arrivée à hauteur de Songe, la désormais traîtresse lui pinça le dos. « Bouh », dit-elle avec malice, un sourire fin peint sur son visage presque propre. « Merci pour les bottes », rajouta-t-elle. Si son humeur n'était pas des plus sympathiques quelques heures plus tôt, les quelques minutes prises pour se ressourcer avait transfiguré la fille de Ganondorf. Et quoi de plus motivant que de passer quelques heures avec sa dernière amie en ce bas-monde ! Elle avait encore jusqu'à l'aube pour profiter de ses quelques instants de pure liberté avant de se mettre en route pour le Désert, et d'accomplir sa délicate mission.

Les yeux vairons de l'hylienne passèrent au-dessus de l'épaule de la sorcière pour se poser finalement sur le chaudron, où bouillonnait une mixture des plus intrigantes. « C'est quoi encore, comme potion ? » Questionna-t-elle avec entrain, à la manière d'une fillette. Fatiguée - et rattrapée par son mal de dos - la Dragmire se laissa tomber sur la chaise la plus proche du feu de bois, celui-ci finissant de sécher sa peau encore humide. Sa main glissa plus bas pour déposer les bottes juste à côté. « Si elle a le pouvoir de guérir des blessures, je suis preneuse », reprit-elle dans un soupire, elle-même ne croyant pas à l'existence d'un tel breuvage. « Mais à tous les coups, il ne s'agit pas de ça, pas vrai ? Moi qui t'estimait pourtant, je suis plutôt déçue », rajouta-t-elle, taquine.

« D'ailleurs, il va vraiment falloir que tu arrêtes de me sauver ; les dettes s'accumulent, je pourrais finir par ne pas être capable de toutes les payer », déclara-t-elle, puis de reprendre aussitôt, « Surtout que mon espérance de vie diminue à vue d'œil... » Son regard noir alla se perdre dans les flammes du feu de cheminée ; exactement comme elle était en passe de se jeter dans la gueule du lion.


Songe Tristenuit


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La sorcière avait le regard perdu dans la marmite bouillante, qu'elle touillait plus machinalement que méthodiquement. Elle était bien plus apaisée qu'elle ne l'avait été les jours précédents. Elle savait que leurs ennuis n'étaient pas totalement finis, mais le plus dur était fait. Maintenant qu'elle avait sorti son amie de prison, elle retournait dans sa tête toutes les précautions à prendre pour qu'elle n'y retourne pas de sitôt.

Il faudrait une cachette pendant un certain temps au moins. Certes, le désert pouvait en être une, et plutôt infranchissable sans une bataille conséquente. Néanmoins il fallait d'abord l'atteindre, et dans un tel état, avec la garde aux trousses... C'était trop dangereux.

Elle eut un petit sursaut lorsque la Dragmire lui pinça le dos, suivi d'un sourire instantané. Elle sentait son amie en meilleure forme, et de meilleure humeur. Même s'il faudrait plus de temps avant une guérison complète, c'était plus rassurant que l'état dans lequel elle l'avait trouvée. Une meilleure odeur aussi. Si la sorcière se formalisait assez peu des odeurs fortes, elle avait pu sentir l'enthousiasme de Swann à l'idée de prendre un bain.

"C'est de la soupe d'ortie, rien d'aussi miraculeux, mais ça rend des forces, et c'est presque prêt."

Laissant là sa grande cuillère elle abandonna le chaudron pour aller fouiller ses étagères, écartant sans ménagement et à grand bruit toute une série de bocaux étiquetés d'une écriture sans doute illisible pour tout autre qu'elle dans la région.

"En effet, une telle potion serait pratique, mais il va falloir se contenter de ça..."

Attrapant un petit pot, elle revint vers Swann sans prendre le temps de ranger ce qu'elle avait déplacé. Elle posa le récipient sur la table avant de l'ouvrir, dévoilant le baume qu'il contenait.

"Il accélère la cicatrisation, rien d'exceptionnel, mais parfois il vaut mieux laisser le temps au corps. Je n'ai pas les ingrédients pour faire mieux maintenant."

Elle mentait concernant les ingrédients. Mais elle connaissait assez son amie pour deviner une certaine impatience dans sa volonté de guérir, et elle craignait l'effet de potions trop puissantes. Ce genre d'effet spectaculaire avait un prix, et un corps trop fatigué pouvait très bien ne pas les supporter. Lui offrir cette possibilité maintenant, encore plus si elle faisait le choix d'en abuser, c'était de la folie. Dans quelques jours, ce serait moins risqué.

"Mais tu ne me dois rien tu sais..."

La jeune femme avait déjà apporté bien plus à Songe qu'elle ne le pensait. Passer du jour au lendemain d'un clan de sorcières nombreuses et soudées à la solitude absolue, même si elle s'était finalement découvert un certain goût pour l'indépendance, c'était difficile. Elle apportait beaucoup d'attachement à celle qui était devenue presque un pilier dans son petit monde. C'était une des principales raisons qui l'avaient poussée à s'établir là. Sans doute la seule personne à véritablement l'apprécier telle qu'elle était. Elle croisait bon nombre de gens depuis qu'elle avait ouvert sa boutique, mais c'était seulement des clients, et elle ne se séparait jamais de son masque d'aimable commerçante. L'inverse n'aurait pas été bon pour les affaires.
Elle se méprit toutefois sur les craintes de son amie.


"Et puis ne dis pas ça... Crois-moi, dans peu de temps ça ira mieux, et tu seras en pleine forme ! C'est fini maintenant..."

Un sourire bienveillant étirait les lèvres de la sorcière alors qu'elle tira une chaise pour s'asseoir à côté de la Dragmire, toute enjouée.

"Je suis certaine qu'ils ne t'en voudront pas si tu ne rentres pas tout de suite. Tu peux rester ici quelques jours, voire plus, j'ai une cave assez bien cachée, même si la garde passe, ils ne sauront pas que tu es là. Et bientôt ils te croiront déjà loin..."

Elle n'arriva pas à identifier l'émotion qui passa sur les traits de son amie, mais elle ne se démonta pas. Sans lui laisser le temps de répliquer, elle passa en revue toutes les protestations possibles pour y trouver réponse. Elle y avait bien réfléchi.

"Ce n'est pas très engageant c'est sûr, mais on peut l'aménager, chasser les araignées, et puis ça sera juste quand il y aura du monde !"

Elle se leva et saisit un balai, avant de changer d'avis et de filer jusqu'à une petite armoire scellée qu'elle désigna fièrement du doigt.

"Rien n'oblige à se terrer ainsi. Je peux même changer ton apparence, si tu veux. J'ai plein de flacons de sang de mauvais payeurs.. Des inconnus, mais peu importe tant que tu ne croises pas celui qui te prête son apparence !"

Laissant là sa réserve, elle revint s'asseoir près de la jeune femme. Ravie de ses arguments, elle saisit les mains de son amie pour plonger son regard dans le sien.

"Avec un autre visage, tu pourrais même tenir la boutique avec moi. Et puis, ils finiront par se lasser, ils ne vont pas pouvoir renforcer les contrôles éternellement !"


Swann

Cygne Noir

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Alors qu'elle spéculait sur les pires sorts réservés aux traîtres, Swann fut doucement tirée de ses rêveries par le timbre de la voix de la sorcière. Elle accueillit la remarque sur la soupe contenue dans la marmite avec un discret sourire lorsque sa jeune amie s'en alla fouiner parmi quelques bocaux rangés sur une étagère. Intriguée, la Championne d'Aegis l'observa en silence jusqu'à ce qu'elle revienne avec un baume cicatrisant entre les mains, qu'elle déposa sur la table en disant qu'elle n'aurait probablement rien de mieux à lui proposer dans l'immédiat. Circonspecte, Swann ne se fendit d'aucune remarque, se contentant de garder ses réflexions pour elle. D'abord, il aurait été fort malvenu de sa part d'accuser sa sauveuse du soir de lui mentir après tout ce qu'elle faisait pour elle. Ensuite, et bien qu'elle soit parfaitement au courant des prouesses dont était capable sa jeune amie et qu'elle était fortement susceptible de savoir refermer sa plaie en un éclair, elle saurait se contenter de ce qu'elle lui donnait. Pour une fois, elle tâcherait de se montrer un peu plus patiente qu'à l’accoutumée.

Elle n'eut toutefois pas le temps de la remercier gentiment que la sorcière enchaîna. L'ambre et le gris se posèrent délicatement sur son interlocutrice jusqu'à ce que son regard félin ne se fixe et épie ses moindres faits et gestes. Elle remarqua très vite que quelque chose clochait ; elle semblait préoccupée par quelques choses, quelques pensées néfastes. Respectueusement, la Lionne la laissa s'exprimer sans l'interrompre. Loquace, la jeune femme aux yeux verts lui dévoila ses craintes et les plans qu'elle avait imaginés pour permettre à la désormais ex-dragmire de se faire oublier pendant un temps.
« Songe », souffla Swann dans un murmure alors que son amie reprenait de plus belle ses explications. A aucun moment cependant, elle ne se permit de la couper dans son élan, la laissant se déplacer ci et là pour lui montrer qu'elle avait déjà envisagé beaucoup de scénarios différents. La voir aussi inquiète quant à son sort lui fit un bien fou autant que cela lui fendit le cœur car elle ne pouvait décemment pas rester ici. Ne serait-ce que pour la promesse qu'elle avait faite à la Princesse d'Hyrule.

Songe revint s’asseoir à ses côtés et lui saisit les mains avant de planter ses iris dans ceux de l'assassin. Elle écouta ses dernières paroles avec un sourire timide dessiné sur les lèvres ; elle n'avait certainement pas envie de la blesser mais elle ne pouvait néanmoins pas rester à ses côtés. Lorsque la lune s'effacerait et que les premiers rayons du soleil se montreraient, elle devrait avoir quitter la ville en compagnie du Ceald. « Un autre visage ? Le mien ne te plait pas ? » questionna-t-elle avec une certaine malice.

En réalité, ce que proposait la sorcière était tout à fait réaliste et certainement bien plus sûr que l'idée de parcourir les landes et les plaines avec les chevaux de la garde d'Hyrule lancée à ses trousses. Bien entendu, l'épéiste ne pouvait pas se le permettre compte tenu de ses engagements mais aussi des responsabilités qui reposaient sur ses épaules. En aucune façon, elle ne tolérerait que Songe ne soit davantage mêlée à toutes ces histoires. Certes, elle était solide et brave, mais les risques qu'encouraient la dernière des Netil étaient trop dangereux. « Je... Je ne vais pas pouvoir rester » glissa-t-elle, amère, une pointe de tristesse dans la voix. Il lui fallut un certain temps pour se reprendre. Evidemment, elle n'allait pas en rester là ; Songe méritait bien quelques explications supplémentaires. Il eut été impoli d'en rester à ces quelques mots.

« J'ai... conclu une sorte de marché, commença-t-elle, l'air hagard . Je dois me rendre à la Citadelle pour y chercher quelque chose, puis le remettre à la Princesse. »

Était-ce la meilleure des idées qu'elle n'ait jamais eu ? Certainement pas. Cette offre faite à Zelda était née de sa lassitude et d'une colère grandissante à l'égard du Trône des Dragmires, mais surtout de la guerre et du sang qui coulait à flot depuis des mois. Aussi, si elle ne cherchait pas forcément y mettre un terme, elle voulait s'en éloigner le plus possible. Encore une fois, elle était peut-être déjà bien trop impliquée dans toute cette histoire pour pouvoir en sortir comme si de rien n'était et elle le savait très bien. Ce qu'elle ignorait, en revanche, c'était la portée que pourrait avoir le simple fait de donner les informations recueillies par le Traître-Prince à l’Élue de Nayru.

« Tu dois me prendre pour une folle, pas vrai ? Reprit-elle d'un rire jaune, elle-même assez peu convaincue et en proie à de nombreux doutes. Je pense aussi ne pas avoir été des plus malignes. Mais je n'aurais pas pu vivre un jour de plus dans cet enfer... Il fallait que je sorte, coûte que coûte. Et quand je nous ai vu dans notre état, mon compagnon de cellule et moi-même, j'ai su qu'il n'y avait que de cette façon que je pouvais nous en sortir sans parier outre mesure sur nos vies à tous. »

Le souvenir était encore très vif ; la garde du Castel, alertée, qui remuait ciel et terre pour retrouver la trace des prisonniers. L'urgence de la situation et l'état de santé des deux finalistes du tournoi clandestin avaient été les principaux facteurs qui avaient amenés à cette prise de décision, et Swann ne regrettait pas de l'avoir prise. Déjà qu'Aedelrik et - surtout - Songe s'étaient mis en danger pour les sauver, il aurait été impardonnables qu'ils fussent les proies de la Faucheuse en tentant de faire passer les murailles à leurs compagnons diminués. Swann espérait simplement que sa jeune amie puisse comprendre les tenants et les aboutissants qui l'avaient conduite à prendre une telle décision.

Cependant, l'idée n'était pas de se morfondre mais bien de profiter de sa liberté retrouvée ; d'un bond, elle se leva - non sans que son dos ne l'assaille de douleur à cause de sa blessure. Conservant l'une des mains de la sorcière dans la sienne, elle l'invita à se lever à son tour alors qu'un délicieux sourire lui barrait le visage. « Ceci étant, il n'en reste pas moins un certain détail qui m'agace », commença-t-elle alors qu'elle amenait la jeune femme vers elle. Son regard joueur sonda les iris de son amie. « Qui crois-tu être, Songe, pour tenter de mettre une lionne en cage ? » Questionna-t-elle d'un ton faussement solennel, alors qu'elle faisait tourner sur elle-même la jeune femme dans un pas de danse tout à fait classique. « Il faudrait m'ensorceler pour se permettre ne serait-ce qu'espérer me faire rester sagement en un lieu plus d'un jour et d'une nuit », glissa-t-elle d'une voix suave. Après quoi elle se fendit d'un rire amusé avant de lâcher délicatement les mains de son amie pour ne pas l’embarrasser davantage. Bien qu'en vérité, le simple fait d'avoir exécuté trois pas de danse avait suffi à réveiller trop vivement la douleur qui lui assaillait le dos. Son regard fut attiré l'espace de quelques secondes par la soupe qui bouillonnait dans la marmite ; il ne manquait rien avant qu'elle ne brûle et ne devienne immangeable, mais cela, seul la sorcière pouvait le savoir. Swann n'était pas très bonne cuisinière.

« Lorsque j'en aurais terminé, je reviendrais, reprit-elle avec un peu plus de sérieux, le regard toujours absorbé. Je serais un peu plus libre de mes choix et... j'imagine que nous pourrons passer davantage de temps toutes les deux, conclut-elle dans un sourire bienveillant. »

En vérité, il demeurait toujours chez elle des objectifs bien précis à accomplir. Si son gout pour le sang et la guerre s'était estompé - s'il fut un jour seulement présent chez elle -, celui pour les combats contre de redoutables adversaires s'était converti en une véritable passion. Et notamment envers le Héros du Temps, qu'elle avait fort hâte de recroiser pour l'affronter de nouveau. Rien que cette simple pensée lui tira une frayeur frissonnante qui lui parcourut l'échine.


Songe Tristenuit


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La remarque de la jeune femme prit la sorcière au dépourvu et Songe sentit ses joues rosir en pesant les sous-entendus qui pouvaient s'y cacher. Elle se détendit en comprenant que la guerrière jouait avec elle. Pourtant elle parcourut très sérieusement du regard les traits de son amie. Voulait-elle qu'ils changent ? Pas vraiment, elle souhaitait juste éviter que cette évasion ne lui cause à nouveau des problèmes.

Une part de la sorcière sentait bien qu'elle ne pourrait pas se contenter de dissimuler à jamais son amie aux yeux des gardes. En revanche elle ne s'était pas attendue à la révélation que lui fit cette dernière. Elle peinait d'ailleurs à en comprendre toutes les implications. Elle avait beau prendre part à cette guerre, elle ne l'avait fait que pour trouver une nouveau clan, par habitude. Et si elle continuait à présent qu'elle avait pris ses aises avec la solitude et la liberté c'était seulement pour son amie qu'elle suivait sans poser trop de questions.

Elle comprenait toutefois une chose, en dehors des obligations que la jeune femme avait à remplir : si leurs alliés actuels apprenaient l'existence de cet accord, ils risquaient de devenir aussi des ennemis. Alors, même sa magie ne suffirait pas à cacher son amie si elle restait là. Elle ne s'était pas étendue sur son utilisation de sa part du butin et l'acquisition qu'elle avait faite de cette vieille boutique mais elle n'avait pas non plus cherché à effacer ses traces. Tout comme elle n'avait pas dissimulé son affection toute particulière pour Swann.

Elle ne jugeait pas la décision qu'avait prise son amie parce qu'elle n'avait de toute façon jamais eu l'impression d'avoir toutes les cartes en main et jusqu'ici elle avait plutôt fait confiance à ses avis. Dès l'instant où leurs liens s'étaient resserrés, elle l'avait suivie non pas parce qu'elle était convaincue par son projet, mais simplement parce qu'elle le lui demandait. À présent qu'elle y réfléchissait, peut-être n'était-ce pas la meilleure façon de veiller sur elle et de la conseiller.

Lorsque son amie se leva, elle suivit des yeux son mouvement en se rendant compte que, toute plongée dans ses pensées qu'elle était, elle n'avait pas encore dit un mot pour commenter ses révélations. Elle se laissa entraîner puis guider par la Dragmire et son ton joueur arracha un sourire au visage inquiet de la sorcière. Songe laissa même échapper un petit rire avant de répondre spontanément.

"Tu sais que les ensorcellements c'est plutôt ma spécialité ?"

Elle ne put s'empêcher de rougir aussitôt en se rendant compte de sa témérité. Elle plaisantait évidemment, et c'était le ton espiègle de son amie qui l'avait poussée à surenchérir, mais elle se demanda un instant si elle en serait capable. Et si c'était vraiment une bonne chose. Elle se surprenait parfois à se faire peur elle-même en se demandant où elle situait vraiment les limites de ce qui était acceptable ou non avec sa magie.

Son amie mit toutefois un terme à leur danse improvisée. Malgré tout, elle semblait travaillée par son départ et tout ce qu'elle allait avoir à régler. Et son corps aurait eu besoin de repos, pas d'un voyage dès le lendemain, Songe pouvait le sentir. Le futur lui semblait beaucoup plus flou que ce que lui annonçait la jeune femme, mais une part d'elle avait envie de s'y raccrocher.

"Je ne suis pas sûre de bien mesurer la portée de ton choix, tu sais... Mais si le Trône venait à l'apprendre, tu ne serais plus en sécurité ici, ni nulle part. Souhaitons qu'ils ne s'en rendent pas compte..."

Son regard suivit celui de Swann vers la marmite et elle constata que leur repas était prêt. Elle se chargea d'éloigner le chaudron du feu puis entreprit de leur remplir deux bols en bois. Elle fit un peu de place sur une table couverte de fioles pour leur permettre de s'asseoir et manger convenablement.

"Ça me chagrine de dire ça, mais je crois qu'il vaut mieux que tu ne me donnes pas plus d'informations sur ce que tu vas faire exactement. Je ne sais pas s'ils prendraient la peine de venir jusqu'ici, mais je m'en voudrais tellement s'ils me forçaient à parler."

Elle se savait farouchement attachée à son amie mais elle n'avait jamais été très courageuse. Elle aurait eu trop peur de lâcher involontairement des informations. Dans le doute, elle ne voulait pas prendre de risque.

"Je t'attendrai, et si tu as besoin de quoique ce soit ma porte te sera toujours ouverte..."

Ayant fini de remplir les bols elle s'assit en invitant son amie à faire de même. Mais elle resta un instant pensive en agitant sa cuillère au dessus de la soupe, l'air soucieuse.

"Et... tu pars toute seule ? Ou le grand rouquin t'accompagne ? Il est fiable au moins ?"

Elle ignorait ce qui s'était passé exactement après leur séparation et à quel point l'ex-compagnon de cellule de Swann avait été impliqué ou non dans la promesse qu'elle avait faite. Elle n'aurait pas non plus aimé qu'il cafte s'il en avait été témoin.


Swann

Cygne Noir

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Si la désormais ex-dragmire eut pensé un temps qu'elle avait réussi à se débarrasser des inquiétudes de sa jeune amie sorcière, elle déchanta pourtant bien vite. Après lui avoir arraché un maigre sourire accompagné d'une boutade, son visage ne tarda pas à trahir de nouveau ses nombreux doutes quant au futur et les projets de Swann. Une chose était néanmoins plus que certaine : si le marché qu'elle avait passé avec Zelda était découvert par Ganondorf et le Trône, elle en subirait les terribles conséquences. Et pourtant, malgré cela, Swann allait tenter de traverser la Mer de Sable coûte que coûte. Elle n'avait jamais été du genre très prévoyante et se satisfaisait bien souvent de la surprise provoquée par son audace et son impertinence. L'Étranger n'avait pas eu tout à fait tort, finalement, lorsqu'il s'était agacé du comportement désinvolte de l'assassin ; la vie était probablement un jeu, à ses yeux. Et elle n'avait toujours pas perdue la partie.

Lorsque Songe commença à s'occuper de mettre la table pour leur permettre de manger, Swann se contenta de l'observer en silence, tout en écoutant ce qu'elle avait à répondre à toute cette histoire. C'était assez amusant de constater comme la sorcière pouvait se montrer impitoyable avec ses ennemis et pourtant presque trop clémente à l'égard de son amie hylienne. Elle avait beau l'avoir embarquée dans un conflit qui ne la concernait en rien et l'avoir entraînée dans ses aventures les plus farfelues, elle ne semblait pas lui en tenir rigueur, comme si cela ne comptait pas à ses yeux. Pourtant, Swann savait que cela lui coûtait parfois ; comme lorsqu'elle lui avait demandée de procéder à un rituel d'invocation dans le cratère même du Mont du Péril. Son regard perdu dans le vide, elle se surprit à ressentir comme un léger pincement au cœur lorsque la sorcière l'invita à passer à table avec le sourire. Sans piper mot, elle la rejoignit.

Après avoir passée un mois à se satisfaire de quelques bouts de pain rassis et d'un peu d'eau, la Championne d'Aegis avait enfin le droit à un repas digne de ce nom. Certes, il s'agissait que d'une simple soupe mais à ses yeux il s'agissait surtout des premières gorgées pleine de saveurs et de goût depuis une éternité. Elle porta très vite le bol à ses lèvres et avala la mixture, pourtant encore brûlante, avant de constater que son amie ne s'était toujours pas défaite de son air soucieux. « Lanre ? » Présuma-t-elle alors qu'elle s'essuyait le contours des lèvres avec la manche de sa chemise. « Je n'irais pas jusqu'à présumer de ça... mais il me semble honnête et il doit quitter la ville aussi tant que l'agitation règne », répondit-elle calmement tout en reposant le bol de soupe, à moitié vide, sur la table. Elle sonda pendant quelques secondes le regard que lui renvoyait la sorcière avant de pousser un long soupire presque de dépit. « Tu doutes de moi, c'est ça ? » Questionna-t-elle ensuite sérieusement tout en s'arrachant à ses yeux. De fait, c'était bien la première fois qu'elle ressentait un début de désaccord de la part de la jeune Tristenuit et elle ne pouvait pas s'empêcher d'en être désolée. Certainement trop habituée à ce que ses idées et ses choix ne soient jamais remis en cause, elle finit par se dire que c'était normal, après tout. Sur ses lèvres, lentement, se dessina un sourire.

« Je crois que tu n'aurais pas pu tomber sur pire personne que moi lorsque nous nous sommes trouvées dans ce désert, soupira-t-elle, presque nostalgique. Une assassin qui échoue à tuer la reine puis qui rejoint l'armée du Seigneur du Malin, pour finir par devenir l'une des personnes les plus recherchées et haïes dans le royaume... On peut dire que tu n'as pas eu l'œil très avisé. »

Swann avait beau se moquer gentiment, elle se demandait pourtant réellement si elle méritait le dévouement de Songe à son égard. En y réfléchissant, elle avait davantage le sentiment d'avoir profité de sa crédulité et de sa mauvaise connaissance du royaume et des enjeux qui s'y jouaient pour en faire un atout dans son jeu. Pourtant, elle n'avait jamais caché son affection à son égard et c'était toujours un réel plaisir de pouvoir partager quelques moments avec elle, lorsqu'il n'était pas question de guerre, de trahison et de meurtre. « Vous, les sorcières... Je n'arrive décidément pas à vous endormir avec mes belles paroles et mes jolis yeux », dit-elle nonchalamment tout en haussant légèrement les épaules. L'ambre et le gris, tout d'un coup beaucoup plus joueurs, se posèrent sur la jeune femme à la crinière cendrée. Le Cygne Noir ne s'était toujours pas défait de ce fin sourire espiègle qui lui éclairait le visage. « Alors, dis moi : quel prix aurais-je donc à payer pour ne plus voir ma belle amie se morfondre le jour de ma libération ? » Demanda-t-elle sur un ton beaucoup trop langoureux pour qu'il paraisse trop anodin. Doucement, sa main arrangea une mèche de la chevelure de la sorcière, celle-ci lui barrant le visage. Tout en regagnant un poil de sérieux, la Traître-Lionne se redressa sur son siège et envisagea de finir sa soupe.

« Tu m'as dis que tu connaissais quelques sortilèges », reprit-elle tout en faisant écho à ses propos tenus un peu plus tôt. L'assassin avait assez vu de magie pour savoir que tout ou presque était réalisable, pour peu que l'on y associait les bonnes ressources à de grandes connaissances en la matière. Les sorciers et les magiciens étaient nombreux autours d'elle et elle avait toujours été intrigué par l'étendue de ce qu'ils étaient capable de réaliser. « S'il existe quelque envoûtement ou magie qui puisse te rassurer, je t'écoutes » Précisa-t-elle ensuite sa pensée. Quelque soit le mauvais sort qu'elle pourrait lui jeter, l'hylienne était beaucoup trop confiante envers elle pour songer à en avoir peur. Peut-être était-ce encore faire preuve d'inconscience mais s'il fallait en passer par-là pour satisfaire au mieux la sorcière, elle s'y plierait. De toute évidence, elle avait elle aussi à cœur de payer sa propre dette et de prouver à celle qu'elle considérait comme une sœur toute sa loyauté.


Songe Tristenuit


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(vide)

"Ne dis pas des choses comme ça !"

Le visage de la sorcière s'assombrit, comme piquée au vif, lorsque la jeune femme lui parla de leur rencontre au désert. Elle écouta toutefois la suite du discours de son amie avant de détailler sa pensée. Un air renfrogné se peignait sur ses lèvres si bien qu'elle ne réagit pas immédiatement à la proposition de sortilège lancée par la jeune femme.

"Est-ce que c'est vraiment l'idée que tu te fais de notre rencontre ? Tu penses que je me suis contentée de toi par défaut ?"

Songe baissa les yeux sur son bol de soupe dont le contenu n'avait toujours pas été entamé. Était-elle vexée parce que son attachement était remis en cause ou parce qu'elle aurait pu y sentir une pointe de vérité ?

"C'est vrai, ça peut y ressembler de l'extérieur... Quand je t'ai rencontrée, je cherchais quelqu'un, une famille, un clan... Je voulais remplacer celles que j'avais condamnées..."

Elle ne s'attarda pas sur les détails. Le souvenir de ce qui s'était passé cette nuit-là était désagréable et elle ne tenait pas vraiment à s'appesantir dessus. À bien y réfléchir elle ne pensait pas être tellement plus fréquentable que l'assassin.

Ses yeux se relevèrent enfin pour chercher le regard de Swann.

"Mais je ne suis pas restée auprès de toi juste parce que tu es la première dont je me suis rapprochée. Et je me fiche de ces histoires de guerre, en tout cas quand elles ne te mettent pas en danger..."

Pourquoi alors ? Pourquoi la jeune femme était-elle devenue une des raisons qui la poussaient à rester dans ce royaume ? Quand elle l'avait rencontrée elle ne vivait plus que par automatisme. À présent, elle se sentait plus sereine, elle se projetait dans l'avenir. Elle tourna le regard, un peu gênée alors qu'elle entremêlait une mèche de ses cheveux entre ses doigts.

"C'est pas vraiment évident à expliquer... Je pense que tu m'as aidée à comprendre que je pouvais m'épanouir seule ? Et puis... J'aime bien quand tu es là..."

Elle préféra toutefois arrêter là sur ce sujet, peu habituée à s'épancher. La jeune femme avait annoncé accepter d'être la cible d'un sortilège, et elle avait bien quelque chose en tête en vérité. Elle ne savait pas si c'était "bien" ou si ça lui plairait, mais elle y voyait un moyen de protéger l'impulsive qu'était son amie d'elle-même. L'essentiel était de bien doser ses conditions pour que sa magie ne se produise pas l'effet inverse de celui escompté.

Mais avant ça une autre des paroles de la jeune femme avait retenu son attention. Un détail essentiel pour ce qu'elle s'apprêtait à faire. Vous. Pourquoi avait-elle évoqué plusieurs sorcières ? Songe était bien placée, d'autant plus avec le recul qu'elle avait pris, pour savoir combien la compagnie de ses semblables était peu recommandable. Prise d'un affreux pressentiment elle se leva soudainement sans se préoccuper du crissement produit par sa chaise. S'avançant près de Swann elle souleva sans une explication quelques mèches de ses cheveux pour glisser le nez dans son cou et inspirer longuement.

Lorsqu'elle s'éloigna son visage était à nouveau chargé d'inquiétude. Sans doute avait-elle été trop égoïste pour y prêter suffisamment d'attention plus tôt, mais elle ne pouvait l'ignorer à présent.

"Quelles sorcières t'ont touchée... ? Qu'est-ce que tu as fait... ?"

Son regard se perdit dans les beaux yeux vairons de l'assassin. Quand elle y prêtait attention, elle sentait en eux une magie encore plus malsaine que la sienne. Était-ce en rapport avec ce changement de couleur ? Pourquoi ne s'en était-elle pas préoccupé plus tôt ? Avait-elle été trop aveuglement confiante ou juste trop distraite ?

Elle regrettait à présent de ne pas avoir été plus présente aux côtés de son amie ces derniers temps, et elle osait espérer qu'il ne soit pas trop tard. D'autant qu'elle ne sentait pas une mais plusieurs magies mêlées. Pourtant de toutes c'était celle qu'elle pensait liée à ses yeux qui l'effrayait le plus. Elle se rendit compte que son ton avait peut-être été brusque et lorsqu'elle reprit ce fût sur un ton plus doux.

"Je ne peux rien faire avant de savoir, ce serait dangereux... Je t'en prie, raconte-moi..."


Swann

Cygne Noir

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« Excuse-moi, Songe, je ne voulais pas te blesser », déclara la Belle de Villarreal, désolée que sa jeune amie ait vu dans ses propos de la moquerie là où elle n'avait chercher qu'à se montrer légèrement taquine dans l'espoir de dissiper sensiblement les doutes qui semblaient l'éprendre. Au contraire, à aucun moment elle n'aurait osé remettre en cause l'amitié et la dévotion de son amie à son égard ; preuve en était encore cette nuit même où elle n'avait pas hésité une seule seconde à se jeter dans le repaire des loups de la Couronne pour la délivrer de ses chaînes. Compte tenu de l'ensemble de l'aide apportée par Songe dans chacun de ses projets les plus récents, Swann ne pouvait décemment pas lui reprocher quoique ce soit. Aussi se retrouvait-elle quelque peu gênée d'avoir fait preuve de maladresse en cet instant ; visiblement, la sorcière était trop préoccupée — et à raison — pour ne pas aborder la discussion sous un angle plus sérieux. Le Cygne Noir, que l'on connaissait d'un naturel très démonstratif, se mua dans un silence durant quelques instants, peu fier, et profita de ce temps pour finir son repas.

Pour le rompre, ce fut la sorcière à la crinière de cendre qui s'en chargea, lorsqu'elle se leva subitement de sa chaise avant de plonger sa tête dans le cou d'une Swann autant troublée que décontenancée. Du plus loin qu'elle se souvienne, Songe n'avait jamais eu de réaction aussi étrange à son égard ; bien qu'elle lui reconnaissait quelques drôles d'habitudes, comme le fait de ne pas porter de chaussures la plupart du temps, qui faisaient autant témoins des différences culturelles avec ce royaume qu'elles éveillaient chez la Traître-Lionne une curiosité certaine et qu'elle n'avait jamais cherché à cacher. Aussi n'émit-elle aucune protestation quant à ce geste surprenant, moins encore encore quand la respiration de son amie lui tira un léger frissonnements. Après quoi elle finit par s'écarter avant de planter ses émeraudes dans l'ambre et le gris, puis de lui poser clairement ses interrogations. Finalement, après des mois à éviter que le sujet ne soit sérieusement abordé, il venait à sortir sur le tapis ; cela devait finir par arriver un jour ou l'autre.

Swann baissa aussitôt les yeux, comme une enfant qui se ferait gronder par sa mère. L'assassin, loin de ressentir en elle une énorme honte, n'éprouvait pas pour autant une quelconque fierté à ce qu'elle avait fait subir à son corps en quelques mois. Si elle ne pouvait pas grand-chose quant aux magies de Kelya Netil et de l'Ordre des Quinze, elle avait cependant sa part de responsabilité dans les deux autres ; que ce soit à cause de son inconscience ou par son manque d'expérience en la matière, elle avait accepté plus gros que ce qu'elle avait imaginé à l'époque. « C'est compliqué », admit-elle à demi-mot, cherchant la meilleure façon d'aborder le sujet sans passer pour une imbécile aux yeux de la sorcière. « Il y a beaucoup de choses qui se sont passées », sourit-elle nonchalamment alors que ses yeux s'élevait de nouveau pour se plonger dans ceux de Songe. Comme habituellement, la Belle de Villarreal était plus à même d'en rire plutôt que d'en pleurer.

« Il y a d'abord la magie de Ganondorf, probablement l'une des plus éprouvante pour le corps et pour l'esprit... mais tu l'as déjà vu à l'œuvre. Et elle ne se manifeste que lorsque je suis proche de lui et dans des conditions très particulière », commença-t-elle. La Flamme de Din, la bénédiction du Patriarche, était certainement la magie la plus puissante qui s'écoulait dans ses veines puisqu'elle était directement liée aux deux fragments divins que portaient le Seigneur du Malin. Swann approcha sa main au-dessus de la flamme d'une bougie, laissant celle-ci lui lécher sa chair goulûment sous le regard de la sorcière. « Elle a aussi transformé mon corps sur certains aspects. Mon rapport au feu et à l'ombre n'est plus tout à fait le même depuis », soupira-t-elle, presque de regret, lorsqu'elle repensait à ces jours où elle ne se sentait pas si éloignée des autres hyliens. Pour autant, ces changements constituaient essentiellement des avantages ; aussi n'avait-elle pas vraiment de raison de s'en plaindre. Elle ramena enfin sa main et ouvrit sa paume devant elle. Ensuite de quoi elle souffla doucement dessus pour laisser une poussière grisâtre se disperser dans l'air, dévoilant sa peau qui n'avait pas subi la moindre brûlure.

Swann déboutonna ensuite quelques boutons de sa chemise ; juste de quoi lui laisser suffisamment de jeu pour dévoiler la marque qu'elle portait sur l’omoplate droit. Un nombre, le sien, lorsqu'elle faisait encore parti de l'Ordre : XII. Elle se tourna de façon à ce que Songe puisse l'observer. « Ça, je le porte depuis l'enfance. Je ne sais pas qui me l'a posé », avoua-t-elle, ne sachant pas vraiment si cela pouvait avoir un quelconque intérêt vis-à-vis des projets de la sorcière. « Elle servait à mes... "employeurs", disons-le ainsi, si je tentais de les fuir. Grâce à ceci, ils pouvaient me retrouver n'importe où, peu importante les distances parcourues et le temps qui avait passé », commenta-t-elle. Elle aurait pu s’épancher davantage sur le sujet mais cela lui semblait hors de propos ; autant la marque était-elle resté, autant il n'y avait plus vraiment personne de vivant capable de s'en servir. Et quand bien même quelqu'un pouvait la retrouver avec ça, Swann était beaucoup plus à-même de se défendre dorénavant.

En dévoilant cette marque, Swann avait aussi inévitablement montré à Songe un petit bout du grand tatouage en forme de rosier qui ne lui lui prenait, fut un temps, que le bas de son dos, pour finalement en ce jour déborder jusque sur ses épaules. Puisse-t-il seulement un jour cesser de pousser ; voir faner, dépérir et disparaître, qui sait ? C'était en tout cas ce qu'espérait l'épéiste au plus profond d'elle-même. « Le tatouage c'est... un cadeau d'adieu de ma chère mère », ironisa l'ancienne dragmire avec beaucoup d'amertume. « Lorsque j'étais encore une enfant, elle a scindé une partie de son esprit et l'a implanté en moi, dans le but qu'il me protège à tout jamais, même lorsqu'elle ne serait plus de ce monde. L'intention était louable... », avoua-t-elle tout de même. Elle s'adossa contre le dossier de sa chaise, le temps d'une petite pause. Le souvenir était encore douloureux, et honteux. « Je ne connais pas l'étendue de ses connaissances en matière de magie, mais au lieu de créer un esprit protecteur, elle a créé un esprit vengeur. Et celui-ci a essayé de prendre possession de mon corps, il y a quelques mois... j'ai dû le détruire. J'ignore ce qu'il en reste, dorénavant, mais il ne s'est plus jamais manifesté », déclara-t-elle pour conclure sur ce sujet.

Ceci étant, il lui restait un dernier point à aborder. Et il s'agissait certainement de ce dont la descendante des Netils était le moins fier ; il remontait à une époque ou son insouciance et son impertinence étaient encore extrême et où elle avait probablement commis la grande majorité de ses erreurs quant à ses choix. Et si elle n'en avait pas encore payé les conséquences, elle n'oubliait pas en permanence l'épée de Damoclès qui planait au-dessus d'elle et de tous ceux qu'elle côtoyait depuis ce jour-ci. « Mais ce que tu as senti... ce qui sent le plus fort, chez moi, ce doit être ça », dit-elle en pointant son œil gauche, dont la pupille était étrangement grisâtre là où le second resplendissait d'une lueur ambrée inégalable. « C'est le prix que j'ai dû payer lorsque j'ai fait appel aux services de la Pernicieuse... celle de Cocorico », glissa-t-elle en serrant les dents. « Cette... chose, ni humaine ni rien du tout d'ailleurs, m'a volé mon œil pour le remplacer par le sien. Et depuis, je porte son regard loin de chez elle, par delà les landes et les montagnes », annonça-t-elle, soucieuse et particulièrement mal à l'aise devant l'évocation de ce qu'elle aurait préféré oublier à tout jamais. Elle ignorait comment Songe prendrait la nouvelle, ni comment elle la jugerait en apprenant toute cette histoire ; ceci étant, Swann espérait que ça ne change pas le regard qu'elle lui porte.

« Tu sais tout », soupira le Cygne Noir, dont la main droite vint masquer une partie de son visage. De honte, mais aussi de soulagement après avoir enfin pu parler de tout ceci à quelqu'un.


Songe Tristenuit


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De toute évidence sa question avait mis l'assassin mal à l'aise. Pourtant, passé la surprise de ce qu'elle avait découvert, il n'y avait pas de jugement dans sa démarche. Elle aurait été bien culottée de juger les choix de la jeune femme alors que les conséquences de ses propres erreurs avaient touché bien plus de monde qu'elle-même.

Attentive, elle évita d'interrompre Swann pendant qu'elle lui présentait un à un les sortilèges qui l'avaient touchée. À mesure que le voile se levait sur les différents envoûtements à l'oeuvre, leurs subtils parfums devenaient plus distincts à son nez de sorcière et elle avait l'impression de démêler les fils invisibles d'une pelote de laine.

La magie du patriarche ne l'étonna pas. C'était effectivement la partie la plus émergée de l'iceberg qu'elle avait pu voir. Si elle n'avait pas été suffisamment proche du Clan des Dragmire pour en faire l'expérience elle-même, elle avait été témoin de ses effets et il n'y avait pas besoin d'être une mage expérimentée pour en saisir la puissance. Elle partageait l'impression de Swann que ce pouvoir lui était principalement bénéfique malgré ses quelques effets secondaires. Toutefois, elle ne put s'empêcher de se demander un instant ce qu'il adviendrait de ce "cadeau" à présent et se prit à espérer qu'il n'ait pas de revers dans le cas où le Trône se retournerait contre l'assassin.

Les révélations sur l'enfance de la jeune femme furent plus surprenantes. Elles n'avaient jamais tellement parlé de leurs passés respectifs. La macrale laissa cependant mourir sur ses lèvres les nombreuses questions suscitées par ces révélations. Elle espérait bien avoir le loisir de les poser plus tard et elle ne souhaitait pas interrompre la jeune femme dans ses explications. Elle-même gravait dans sa mémoire la moindre information.

Le maléfice de la Pernicieuse était le plus imprévisible et celui qui l'inquiétait le plus. En arrivant à Hyrule elle avait instinctivement cherché la compagnie de ses pairs. Ce qui, au delà de n'avoir sûrement pas été son plus intelligent réflexe, l'avait menée au Village Cocorico et elle n'était pas mécontente d'avoir fait demi-tour. Même sans avoir été jusqu'à rencontrer cette créature elle-même, les rumeurs entendues et la seule odeur de sa magie malsaine suffisaient à hérisser ses poils. Savoir que l'attention de la sorcière aurait pu être portée sur elles en cet instant précis était d'ailleurs aussi malaisant que préoccupant et elle aurait été bien incapable de prédire les desseins de ce qu'était devenue cette femme. Pourtant elle n'avait pas l'intention d'abandonner son amie pour autant et il faudrait bien qu'elle compose avec.

Petit à petit son air s'était fait plus soucieux. En proie à un dilemme intérieur Songe craignait que son sortilège ne fasse plus de dégâts qu'autre chose. Elle savait que les meilleures intentions pouvaient finir en catastrophes. Et pourtant, l'idée de protéger son amie contre sa propre impulsivité n'était que plus renforcée par certains de ses aveux.

"Je n'aime pas trop ça... Mais je ne suis pas en mesure d'y faire grand chose..." Elle secoua la tête, préoccupée. "Tu sais, je ne te juge pas... Je ne prétends pas avoir fait mieux..."

Était-ce une façon de se dédouaner pour ce qu'elle songeait à présent à faire ? Après tout, elle n'était pas certaine que ce soit une meilleure idée que tout ce que venait de lui décrire l'assassin. Peut-être s'apprêtait-elle seulement à ajouter une couche de sorcellerie déraisonnable à un tableau déjà bien trop chargé.

"Je ne suis pas née avec ces affreux cheveux blancs. C'est l'oeuvre d'un esprit que j'avais moi-même appelé." Cet épisode avait beau avoir été la plus utile des leçons, ç'avait aussi été la plus douloureuse. "Quelle sottise... Tout ça pour un homme qui n'en valait pas la peine..."

Mais elle avait compris que son pouvoir avait des limites. Tordre la réalité avait un prix et des conséquences, et elle ne pouvait pas tout prévoir ou maîtriser. Elle repensa aux paroles qu'avaient prononcées Swann à propos de sa mère. Elle aussi n'était apparemment pétrie que de bonnes intentions mais ça ne l'avait pas empêché de causer plus de tort que de bien à sa fille au travers de son dernier présent.

"Et ces cheveux ne sont qu'une moquerie. Pour me rappeler que tout mon Clan a péri par ma faute." Pensive, sa main avait glissé machinalement dans ses cheveux dont elle venait de saisir rageusement une mèche, comme pour faire une démonstration. "Tu ne devrais peut-être pas me faire autant confiance..."

Et pourtant, si un sortilège pouvait la rassurer... Les cheveux immaculés de la jeune femme retombèrent doucement alors qu'elle desserrait sa prise.
La proposition n'était pas tombée dans l'oreille d'une sourde. Elle ne supportait pas de se sentir impuissante face aux événements. Elle avait besoin de contrôle. Le simple fait d'apposer sa marque sur son amie, si chère à ses yeux, avait quelque chose d'apaisant. Négligeait-elle les risques ? Se croyait-elle encore une fois plus maline qu'elle ne l'était ? Ou l'idée de la perdre et de ne plus la revoir était-elle trop douloureuse à envisager pour qu'elle s'en remette au simple hasard ? Doucement, l'idée faisait son chemin.

En relevant les yeux vers l'assassin elle se rendit compte qu'inconsciemment elle s'était mise à fuir son regard depuis qu'elle avait appris qui pouvait se cacher derrière. Elle prit une grande inspiration avant de planter ses yeux dans ceux de Swann.

Elle eut toutefois un blanc avant de reprendre la parole. La jeune femme qui lui faisait face était incontestablement douée, indépendante, habile. Elle ne doutait pas de ses compétences. Son problème en revanche était le même que Songe, elle ne connaissait pas ses limites. La Chouette aurait pu simplement se comporter comme une bonne amie. Elle lui aurait souhaité bonne chance pour son entreprise, lui aurait fait promettre de faire attention à elle. Sans doute l'assassin aurait-elle accepté cet engagement pour la rassurer. Elle aurait même peut-être été sincère. Mais au fond, elle aurait su toutes les deux que ces bonnes intentions seraient balayées face au premier danger. À Cocorico, ne s'était-elle pas attaquée à un homme qui était censé compter parmi les meilleurs épéistes du royaume ?

Les gens, même les mieux intentionnés, étaient faillibles. Pourtant, il existait des serments qu'on ne peut briser. Des ordres magiques si fortement imprimés qu'ils pouvaient causer une indicible souffrance à ceux qui essayaient de les contourner. Bien sûr, elle ne souhaitait pas que son sortilège tue la jeune femme. C'eût été contre-productif. Mais une douleur qui l'empêchait de commettre des actes inconsidérés et lui sauvait la vie... N'était-ce pas un mal pour un bien ? Elle pouvait atténuer le sort, tout en conservant son essence. Elle pouvait même envisager un garde-fou. Si tout ça dérapait, elle comptait bien remuer ciel et terre pour retrouver son amie.

"Je pourrais malgré tout... Je pourrais réaliser un envoûtement qui me permettrait de veiller sur toi."

Menteuse. Sous ces paroles candides elle omettait sciemment les plus importants détails. Elle n'avait pas les ingrédients ni le temps pour préparer un véritable sort de protection comme on aurait pu se le figurer. Et elle avait beaucoup trop peur d'opérer un charme qui aurait permis à qui que ce soit de passer par elle pour retrouver la jeune femme en fuite. Mais si elle lui en parlait, si elle lui disait exactement quelles chaînes elle pensait poser sur elle... Elle dira non, tu le sais.

"Un peu improvisé certes... Avec les moyens du bord..." Pendant qu'elle parlait nerveusement, la jeune femme avait tiré de sa ceinture un petit poignard qu'elle tournait à présent entre ses mains. "Tu sais que c'est avec la magie du sang que je suis la plus douée pour ça..." Sa voix s'était faite doucereuse.

Songe n'eut qu'un léger frisson lorsque l'athamé ouvrit la chair de la paume de sa main. Elle y était si habituée qu'une large cicatrice côtoyait déjà la rivière rouge qui s'y traça. Elle aimait la sensation de pouvoir que ce sacrifice faisait affluer en elle. Une légère lueur brillait dans ses yeux émeraudes, peut-être accentuée par la pénombre de la pièce, lorsque de sa main intacte elle tendit à Swann le petit poignard rituel. Elle l'invitait à l'imiter. Sa paume tâchée de carmin prête à se mêler à la sienne pour sceller leur pacte.

"Je suis prête, mais le choix te revient..."

Elle était peut-être incapable de lui offrir la vérité, mais c'était bien parce que c'était son amie, si précieuse pour elle, qu'elle lui offrait la possibilité de reculer. Ou bien n'était-ce qu'une façon égoïste de fuir ses responsabilités pour ce qui pourrait suivre ?


Swann

Championne d'Aegis

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(vide)

Comme espéré, la sorcière n'émit aucun jugement quant aux déclaration de l'ancienne Ambrée, pas même après qu'elle lui eut raconté le malheureux épisode avec la Sorcière de Cocorico. Il n'échappa cependant pas à Swann que la mine de sa jeune amie s'était assombrie à mesure qu'elle lui avait énuméré chacune des magies qui l'habitait. Comment en aurait-il pu être autrement ? Son cas n'était certainement pas des plus anodins à la vue du tableau qu'elle venait de dresser. Elle avait beau essayer de ne pas trop y penser et d'aborder tout cela d'une manière assez légère, il n'en demeurait pas moins qu'il y avait matière à s'inquiéter pour n'importe qui partageant l'espace dans lequel elle se trouvait bien que la Pernicieuse ne se soit jamais mêlée de quoique ce soit depuis ce triste épisode au village d'Impa. Observait-elle seulement réellement ce que traversait la jeune femme ; l'avait-elle suivi dans l'ensemble de ses aventures, de ses trahisons, de ses mensonges ; elle doutait lui être utile à quoique ce soit même si elle concevait de ne pas être la plus à même de comprendre ses réelles motivations. Peut-être Songe y voyait-elle plus clair, par ailleurs, ceci expliquant en partie ce regard émeraude qui la fuyait tant depuis qu'elle eut levé le voile sur le mystère de ses yeux vairons. Assurément, elle devait être davantage au courant de l'éventail de possibilités que cette magie pouvait engendrer. 

Ce fut ensuite au tour de sa jeune amie de lui faire une confidence. Swann demeura attentive, se gardant de l'interrompre de quelque manière que ce soit. Bien qu'elles avaient partagés déjà beaucoup, leurs passés respectifs n'avaient jamais fait l'objet de quelconque discussion auparavant. Aussi fut-elle forcément peiné d'apprendre qu'elle avait malencontreusement provoqué la disparition de l'ensemble de son Clan ; plus encore, le trouble qui sembla la traverser la toucha en plein cœur. Le Cygne Noir n'avait certes pas beaucoup d'amour et de compassion à distribuer en dehors de sa propre personne, Songe faisait partie de ces rares individus qu'elle préférait voir sourire plutôt que de se morfondre. D'autant plus que son apparence ne l'avait jamais rebutée. « Moi, je les trouve magnifiques, tes cheveux », glissa-t-elle, l'air de rien, tout en se mordant la lèvre inférieure. Même si elle se montrait éventuellement un peu maladroite dans son propos, elle n'en demeurait pas moins sincère. Malgré tout, elle comprenait sans mal la honte que devait couver la sorcière pour cette chevelure ; après tout, elle avait elle-même sa propre marque honteuse qui lui couvrait l'ensemble de son dos. Le problème n'était pas tant esthétique, simplement ces marques éternelles leur rappelaient sans cesse les erreurs qu'elles avaient commises chacune. Swann espérait toutefois que ses mots puissent l'apaiser sensiblement.

Après cela, les deux sœurs s'enfermèrent chacune dans un profond silence. Certes, l'assassin aurait certainement aimé vouloir parler un peu plus longuement des épreuves qu'elles avaient traversées toutes deux dans leurs plus jeunes années mais la situation ne semblait pas vraiment s'y prêter. Songe lui sembla être plongée dans une profonde réflexion personnelle qu'elle ne souhaitait pas déranger — et puis, elle n'avait toujours pas donné sa réponse quant au principal sujet de leur discussion. Aussi garda-t-elle pour elle l'ensemble de ses réflexions tout en se contentant d'attendre sagement, telle l'enfant bien éduquée qu'elle n'avait jamais été mais qu'elle se plaisait mystérieusement à jouer en quelques rares occasions. La présence apaisante de son amie y étant sûrement pour beaucoup.
Lorsque celle-ci reprit la parole après un certain temps, son ton se fit plus hésitant. Du coin de l'œil, Swann chercha ce qui la mettait aussi mal à l'aise en observant l'ensemble de ses gestes et les mimiques de son visage avec minutie. L'écho de leur discussion peu avant le Tournoi d'Aegis lui revint doucement ; son incertitude était tout aussi palpable que ce jour-là, à ceci prêt que les raisons devaient être fatalement assez différentes. L'idée d'un mensonge dissimulé lui traversa l'esprit, ce qui, dans un premier temps, faillit la révulser. Mais le Cygne Noir n'était le Cygne Noir que parce qu'il aimait se jouer de tout danger et de tout secret ; il ne fut donc pas surprenant de voir un fin sourire de défi se dessiner sur ses lèvres.

Le choix était déjà fait depuis bien longtemps. La jeune Tristenuit pouvait encore se jouer d'elle et lui jeter un mauvais sort qu'elle n'en aurait cure. Toute inconsciente qu'elle était, la peur lui était trop inconnue pour qu'elle ne commence à émettre quelques doutes dorénavant. Sa main attrapa délicatement le poignard que lui tendait son amie, sans qu'elle se défausse de son assurance apparente. « Je n'ai pas peur. Ni de toi, ni de ta magie », affirma-t-elle en plantant l'ambre et le gris dans les yeux verts de la sorcière. « Peut-être le devrais-je, mais je te fais suffisamment confiance pour te laisser apposer ta propre marque comme tu l'entends », nuança-t-elle ensuite, laissant la lame tracer sur sa paume une longue cicatrice. Son sourire, jusqu'ici teintée d'une provocation qu'elle ne souhaitait pas dissimuler, mua pour devenir plus affectueux et tendre. « Et puis, c'est moi qui t'ai proposé cette idée. Fais simplement attention à toi : elles ne se laisseront pas envahir facilement », conclut-elle en allusion aux magies qui l'habitaient. Effectivement, il y avait fort à parier que certaines d'entre-elles, plus que d'autres, ne laissent pas autant d'espace dans ce territoire qu'elles avaient conquis depuis de long mois déjà.

Après cette mise en garde, Swann attrapait la main ensanglantée de Songe avec la sienne. Lorsque leur sang entra en contact, les magies se déchaînèrent.


Songe Tristenuit


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(vide)

Elle eut un pincement au cœur lorsque Swann joignit sa main à la sienne, et scella leur pacte de sang. Elle tâchait de se raccrocher au fait que si ses intentions étaient bonnes, elle ne trahissait pas vraiment la confiance de son amie. Tout ça, c'était pour son bien, et faire à nouveau un tel pacte avec une sorcière prouvait qu'elle avait bien besoin de sa protection.

Mais déjà, elle sentait le pouvoir affluer en elle. Alors que l'obscurité semblait dévorer doucement la pièce, et le froid s'insinuer par chaque interstice de la vieille bâtisse, un fil invisible se tissait entre les deux femmes. Un lien inégal puisqu'elle était la seule à savoir comment en tirer profit. Avec douceur et presque à regrets, elle plaça sa main libre sur le front de la jeune femme avant de la laisser glisser pour abaisser ses paupières. Ses gestes l'accompagnèrent en douceur pour la stabiliser sur sa chaise afin qu'elle ne chancelle pas.

"Dors à présent, mais écoute ma voix."

Ce qui allait suivre, elle espérait lâchement le garder secret, et si un jour Swann le découvrait ou devinait malgré tout, qu'elle le lui pardonnerait. Elle ne pensait pas valoir mieux que les sorcières qui étaient passées par là avant elle, simplement, elle n'avait jamais appris comment gérer les choses autrement.

"Comprends-moi, tu es tout ce qu'il me reste.", murmura-t-elle, plus pour elle-même que pour son amie qui était à présent endormie si ses pouvoirs ne l'avaient pas trahie.
Malgré tout, derrière ses paupières closes et alors que les ombres rodaient dans les recoins de la pièce, elle devinait la présence insidieuse de la Pernicieuse. Il en fallait plus pour lui cacher ce qui se tramait. Elle était celle qui l'inquiétait le plus, mais Songe avait bon espoir que leurs buts se rejoignent : si elles n'avaient pas la même considération pour la Dragmire, la garder en vie plus longtemps servait sûrement leurs deux intérêts.

"Esprits soyez témoins par votre présence.
Par ce don tu m'offres ton sang, par ce sang tu m'offres ton obéissance."


C'était une magie ancienne, utilisée depuis l'aube des temps pour soumettre celles et ceux qui n'entendait pas ployer l'échine. Elle en utilisait une version basée sur le sang transmise par son clan mais c'était loin d'être le seul moyen. Cependant quelle qu'en soit la forme, le principe du sort était le même : imprimer sur sa cible un serment, un ordre si fort qu'il lui serait impossible d'y contrevenir, du moins pas sans en payer le prix. Cet ordre, c'était la partie la plus délicate du sortilège qu'elle réalisait pour la première fois, et elle n'avait malheureusement pas le temps d'y réfléchir plus. Elle espérait qu'il serait suffisant. Et précis. Son timbre de voix changea, prenant une note plus caverneuse.

"Ta vie est précieuse, tu la protégeras quoiqu'il en coûte. Cesse de chercher le danger, fuis-le."

Ce genre de magie était rarement utilisé avec bienveillance, et il n'était pas rare que le châtiment pour la désobéissance soit la mort. Dans son cas, c'était tout l'inverse de ce qu'elle souhaitait. Aussi, avait-elle tout naturellement décidé d'adoucir la sanction. Elle la voulait dissuasive, pas définitive.

"Cet ordre te liera à moi jusqu'à ce que je décide de le rompre. Désobéis, et la souffrance te rongera. Tu n'en mourras pas. Mais le supplice grandira jusqu'à ce que tu respectes notre marché."

Elle serra les dents. La suite n'était pas sa partie préférée à envisager, mais elle avait besoin de savoir si ce jeu dangereux allait trop loin. Si c'était le cas, elle se promettait de remuer ciel et terre s'il le fallait pour retrouver son amie et rompre le sort.

"Et je prendrai une part de ta douleur."

Une légère part certes. Rien qu'elle ne puisse supporter ou qui l'empêche d'accomplir ce qui s'avérerait nécessaire, mais assez pour sentir si les événements tournaient mal. Si elle en venait à souffrir, ça signifierait que la situation avait dégénéré et elle espérait ne pas en arriver là.

Un instant elle contempla son amie et son air paisible. Doucement, l'obscurité se levait, du moins celle qui n'avait rien de naturel. La jeune femme sentait les ombres quitter la pièce et sa main lâcha celle de Swann. Déjà le sentiment enivrant de toute puissance retombait et elle se sentait plus lourde, coincée dans une prison de chair. Dégrisée, elle ne voulait pas s'attarder sur ce qu'elle venait de faire et à la place elle alla chercher de quoi bander leurs mains.

Elle préférait laisser son amie se réveiller naturellement. Bientôt les yeux de cette dernière se rouvriraient. Elle apercevrait Songe à sa place, face à elle, en train de finir sa soupe avec un air plein serein. Elle la verrait sourire avant d'entrouvrir les lèvres, hésiter puis déclarer d'une voix chaleureuse.

"J'espère que mon sort veillera sur toi." Sa tête s'inclinerait, désignant un jeu de cartes posé sur la table. "En attendant je voudrais profiter de mes derniers instants avec toi avant ton départ. Est-ce qu'une partie te tente quand nous aurons fini de manger ?"

Sa tentative de changer de sujet ne serait sans doute pas discrète, mais son air plus apaisé envers la décision de son amie la rassurerait peut-être.


Swann

Championne d'Aegis

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Doucement, les paupières de la Belle de Villarreal se rouvrirent. Légèrement désorientée, elle se frotta les yeux avant d'observer le cadre qui l'entourait ; et de se remémorer les évènements qui l'avaient conduite jusqu'ici. La prison, le Castel, la fuite... jusqu'à cette empoignade ensanglantée avec la sorcière. Sans un mot, Swann contempla la jeune Tristenuit, occupée à terminer son repas tandis que son visage arborait un air profondément serein et apaisé. Le Cygne Noir lui rendit timidement un sourire affectueux avant de s'étirer longuement et de se redresser sur son siège. Si elle était soucieuse de ce que sa jeune amie avait scellé avec sa magie, elle n'en restait pas moins satisfaite de la voir moins préoccupée que tantôt. Aussi ne tarda-t-elle pas à se saisir du jeu de carte que lui indiquait son amie d'une main, tandis que l'autre venait tendrement caresser une mèche de ses cheveux blancs. Ses yeux vairons, malicieux et perçants, sondèrent les émeraudes de la sorcière. « Que ne faut-il pas sacrifier à une sorcière pour la voir sourire aussi sincèrement ? » Questionna-t-elle avec un fin et discret sourire dépeint sur son visage, ces mots faisant sensiblement écho à ceux qu'elle avait pu prononcer quelques minutes plus tôt, juste avant que l'idée d'un sortilège n'émerge. Pour aussi affectueux qu'ils soient, ils questionnaient pourtant ce pacte de sang que la sorcière avait passé seule ; ce qui avait pour don d'attiser la curiosité mal placée d'une néophyte en la matière qui avait crue un moment qu'on lui laisserait au moins comprendre tous les tenants et les aboutissants de ce dans quoi elle s'embarquait. Comme quoi, la jeune Tristenuit pouvait s'avérer retors dans ce genre de circonstances.

Pourtant, la sorcière ne lui accorda pas de réponse ; aussi insistant que pouvait l'être son regard d'ambre et de gris, ils ne parvint pas à transpercer celui de sa jeune amie. Mais Swann n'en laissa rien paraître quant à ce simili d'agacement qui naissait en elle. Ne pouvant se résoudre à laisser cela filer comme l'auraient fais la plupart des gens, elle se saisit d'une carte et la fit glisser en direction de Songe, face cachée. Après quoi elle en tira une pour elle-même. « Si ma carte est plus forte que la tienne, je veux la réponse », souffla-t-elle du bout des lèvres. Si le ton utilisé n'était résolument pas vindicatif, ses mots ne témoignaient pas moins de son impatience et sa volonté. Et tandis qu'un silence s'installait entre les deux jeunes femmes, Swann constatait de l'hésitation de la macrale. Aussitôt, elle y coupa court. « Tu voulais jouer aux cartes, non ? » Renchérit-elle avec une pointe d'insolence. Si son amie n'avait pas perçue sa — toute relative — mauvaise humeur, elle préférait l'afficher clairement et lui faire comprendre que les cachotteries n'étaient pas ses préférées. Néanmoins, elle n'irait  jamais plus loin que ça, et tout comme elle, Songe le savait pertinemment. Si tacites menaces il y avait, elles étaient toutes plus vaines les unes que les autres. Bien embêtée, la Traître-Lionne quitta des yeux la sorcière et retourna sa carte. Valet de Trèfles.

Après un court moment, Songe en fit de même et dévoila sa carte : une Dame de Pique. Ne pouvant cacher que partiellement son désarroi, l'assassin se résolut cependant bien vite à sa défaite. Hélas, les jeux de hasard n'avaient que rarement été d'un grand recours, à son grand damne. En témoigne cette fameuse partie de carte, quelques mois auparavant, au clair de lune. « Bien », soupira-t-elle entre ses lèvres, puis de hausser nonchalamment ses épaules avec un sourire forcé accroché sur la figure. « Je ne t'ennuierai plus jamais avec ça », conclut-elle, aussi pénible que cela le lui était. Et pourtant, elle respecterait son engagement et plus jamais elle ne ferait mention du sortilège que Songe lui avait jeté. Et puis après tout, il était bien possible qu'elle découvre d'elle-même ses effets d'ici les prochaines semaines. Tout ce qu'elle espérait, c'était qu'il ne l'handicape pas plus que nécessaire. Or, elle savait combien parfois les meilleurs sentiments du monde pouvaient se transformer en de véritables poignards lorsqu'on laissait à certain un petit peu trop de contrôle. Le fol espoir de l'ancienne dragmire étant que ce ne soit pas le cas de son amie sorcière.

Effaçant toute l'impolitesse et la grossièreté dont elle avait fait preuve, Swann se contenta de laisser respectueusement Songe finir sa soupe, ayant déjà terminée la sienne bien plus tôt en quelques grosses rasades. Regagnant petit à petit une certaine sérénité, son regard vagabonda aux quatre coins de la petite masure, dont certains secrets se taisaient dans la pénombre. « C'est étrange », reprit-elle finalement au bout d'un petit moment, l'air assez circonspect. « Tu es étrange », précisa-t-elle dans un second temps avant de reposer ses mirettes sur la concernée. Elle se permit de suspendre sa réflexion pendant un instant, puis de reprendre avec un air amusé : « Les autres sorcières en auraient profité pour me soumettre à leur volonté. Ou me voler un œil ! » Bien sûr, elle savait qu'elle devait cela à leur amitié ; il n'était pas certain que d'autres puissent se targuer d'avoir cette chance. Malgré cela, Songe détonait assez avec les autres sorcières qu'elle avait pu croiser, plus enclines à utiliser leurs nombreux pouvoirs pour tout et rien, dès que cela pouvait servir leurs intérêts. Au contraire, Songe donnait l'impression parfois de se restreindre. Constatant qu'elle avait finie son repas, Swann fit glisser le jeu de cartes dans sa direction ; elle ne savait pas encore à quel jeu elle voulait jouer, alors elle lui laissait la main.

« C'est comme cet endroit », reprit-elle en longeant tant bien que mal les murs du regard dans l'obscurité, « je n'ai jamais compris pourquoi tu t'étais installée ici. Il n'y a pas de sorcière dans le coin, ni quoique ce soit s'en rapprochant. Les plus renommées sont à des lieux de cet endroit... Aussi dois-je en conclure que tu ne recherches pas plus de pouvoirs que tu n'en as déjà. Du moins, pas particulièrement », soupçonnait-elle sans pour autant en percevoir la raison. Mais peut-être était-elle tout simplement dans le faux et que Songe était suffisamment mature pour en apprendre davantage par ses propres moyens ; ce qui l'aurait étonné compte tenu de sa jeunesse. « On dirait que tu te caches », avoua-t-elle sans jugement. Après tout, elle avait de bonnes raisons de faire profil bas, comme le fait d'avoir aidé les dragmires à plus d'une reprise. Mais en ce cas, pourquoi tenter le diable en plein Bourg ? « A un moment, j'ai cru que c'était à cause de moi », avoua le Cygne Noir, le regard bas, les dents serrées. Puis de préciser sa pensée : « A cause de ce qu'il s'est passé contre le Chancelier... la transformation... »

La jeune Netil évita d'en ajouter, ne souhaitant pas réellement revenir sur cet évènement déjà lointain. Pourtant, elle se souvenait encore de l'incommensurable pouvoir qui avait parcouru ses veines ce jour-là et de ce corps presque monstrueux. Si cette créature n'était jamais réapparu depuis, il n'en restait pas moins que Swann la devinait encore présente, quelque part, espérant vainement qu'elle viendrait à disparaître un jour.


Songe Tristenuit


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Alors qu'elle finissait la soupe qu'elle avait à peine entamée auparavant, la sorcière contemplait le visage endormi et paisible de son amie, ignorant dans quels rêves son petit tour avait pu la plonger. Elle craignait autant qu'elle n'était impatiente de la voir se réveiller. Elle avait beau savoir que la Dragmire ignorait ce qui s'était passé, elle avait du mal à chasser l'appréhension d'un regard accusateur. Elle fut donc soulagée que ce ne soit pas le cas et de retrouver le sourire de son amie : du moins pendant un temps. Son propre sourire s'élargit alors que Swann se laissait aller à un geste tendre mais elle se borna à ignorer la question sous-jacente à la remarque qui l'accompagnait. Ce qu'il fallait lui sacrifier ? Étrangement la sorcière n'aurait pas formulé les choses de la même façon. Elle se demandait plutôt jusqu'où elle était prête à aller pour protéger la jeune femme d'elle-même.

Alors que le Cygne Noir persistait, le visage de Songe se ferma quelque peu. Elle n'était pas dupe, ce qui prenait la forme d'un jeu n'était qu'une tentative de plus d'obtenir ce qu'elle réclamait. Elle grommela, agacée : "Je t'ai dit qu'il s'agissait d'un sort de protection pourtant."
Le manque de confiance de son amie était aussi blessant qu'il était justifié. Toujours était-il que cette vague explication ne semblait pas suffisante à ses yeux, et que le sommeil dans lequel elle avait été plongée l'avait rendue soupçonneuse. Songe lâcha sa cuillère en fixant Swann qui retournait sa carte, insistante. Elle la connaissait suffisamment pour savoir qu'elle ne s'arrêterait pas avant d'avoir obtenu ce qu'elle voulait et elle se doutait que plus elle hésiterait à répondre à son petit défi et plus ses soupçons augmenteraient. L'air contrarié de la jeune femme ne lui semblait rien augurer de bon et lui donnait encore moins le courage de lui révéler la vérité. N'avait-elle pas été suffisamment honnête plus tôt en lui conseillant de ne pas se fier à elle ?

Songe haussa les épaules avant de soupirer d'un air las et faussement détaché : "D'accord...". Ses doigts glissèrent jusqu'à la carte posée sur la table. Subrepticement, son pouce glissa sur la tranche de cette dernière. Elle retint un frisson. L'entaille était bien plus légère et discrète que celle que l'athamé avait ouverte un peu plus tôt, pourtant elle n'avait jamais réussi à s'habituer à la sensation du papier qui déchirait sa peau. Mais s'il y avait une chose que la Macrale aimait encore moins, c'était laisser son sort au hasard.

Si fine que soit la blessure, elle n'avait pas besoin de plus qu'un léger contact pour obtenir ce qu'elle voulait, et de toute façon elle ne voulait pas laisser de marque trop visible. Son esprit s'insinua le long des fibres de la carte, parcourant les chemins tracés par l'encre qu'elle ne pouvait voir. Alors que ses pouvoirs lui révélaient une figure féminine, elle fut intérieurement soulagée de constater qu'elle n'aurait pas besoin d'altérer le dessin de la carte, ce qui l'aurait obligée à écarter le paquet ensuite pour dissimuler son méfait. Ravie d'être dans son bon droit, elle finit par retourner la carte, feignant de la découvrir en même temps.
Elle craignait que son amie ne s'arrête pas là, mais le résultat du petit jeu semblait avoir réellement tranché la question. La sorcière accueillit volontiers l'occasion d'abandonner le sujet et rangea prestement la carte parmi les autres avant de reprendre son repas. Gagner "à la loyale" et écarter le sujet qui la rongeait d'un même coup lui avait rendu l'appétit.

Quelques instants après, elle repoussait doucement le bol, rassasiée. Swann s'était mise à inspecter la pièce avant de reprendre la parole pour commenter le comportement de la sorcière. Songe fronça les sourcils, ne sachant comment prendre la remarque ni s'il s'agissait vraiment d'un compliment. "Étrange" ? Elle avait cru un instant que ce qui ressemblait à une accusation silencieuse était une façon de remettre ses interrogations sur la table, mais le commentaire paraissait finalement innocent et bien intentionné. Pourtant, à proprement parler, si elle ne lui avait effectivement pas dérobé un œil, elle avait malgré tout conscience d'avoir soumis Swann à sa volonté. La seule différence qu'elle voyait, c'était de le lui avoir caché, et d'avoir des motivations plus nobles. Ou du moins s'attachait-elle farouchement à cette dernière justification pour se donner bonne conscience et se distinguer des autres sorcières. N'avait-elle pas déjà averti son amie un peu plus tôt de se méfier ? Elle n'avait plus aucune envie de la contredire à présent, aussi se contenta-t-elle de fuir son regard.

Toujours silencieuse, elle écouta la jeune femme s'attarder ensuite sur le lieu qu'elle avait choisi pour s'installer. Elle-même n'avait pas vraiment réfléchi longuement à la question, elle s'était en grande partie laissée porter lorsqu'elle avait découvert cette vieille bâtisse en vente, le butin récolté à la forteresse en poche. Son expression se mua en étonnement et elle écarquilla les yeux lorsque l'ex-Dragmire avoua avoir cru être la cause de son éloignement. Elle lâcha enfin quelques mots, à mi-voix : "Tu es bien la seule personne que je ne fuis pas..." Certes, la transformation l'avait surprise, mais elle n'avait pas changé la vision qu'elle avait de son amie. Et en matière de créatures, il en fallait beaucoup pour la repousser.

"Je n'aime pas le désert, je n'y trouve pas ma place..." La Forteresse Gerudo avait beau être impressionnante, elle n'avait que peu apprécié de s'y installer après leur victoire. Du sable partout, tout le temps. Une chaleur étouffante dès qu'elle mettait un pied dehors. Peu de plantes à récolter, et encore moins celles auxquelles elle était habituée. Elle n'aimait pas non plus le manque d'intimité qui accompagnait le fait de partager un bâtiment commun à tous. Si elle avait supporté la vie en communauté plus jeune, c'était parce qu'elle ignorait qu'il y avait d'autres possibilités. À présent, elle avait pris goût à la solitude, à posséder ses propres affaires. "Quant aux sorcières... Lorsque mon Clan m'a rejetée, j'ai souhaité de tout mon cœur trouver d'autres préceptrices pour terminer ma formation." C'était d'ailleurs dans ces circonstances qu'elle était tombée sur le Cygne Noir. Elle n'avait pourtant, et heureusement sans doute, pas mené à terme son projet de croiser la Pernicieuse. Quant aux deux Mères des Dragmires, elle avait compris un peu tard qu'elle s'était avancée dans un nid de serpents, et elle espérait s'en être extirpée à temps. "J'en suis revenue, et c'est sans doute mieux ainsi. Crois-moi, je connais trop bien les sorcières, même s'il m'aura fallu un exil pour prendre le recul nécessaire..." Évidemment, les grimoires qu'elle pouvait se procurer ne valaient pas l'expérience et ses progrès étaient plus lents, peut-être même dangereux d'une façon différente. Il lui arrivait de questionner son choix lorsqu'elle s'acharnait en vain sur un sortilège un peu complexe, mais jusqu'ici la liberté semblait en valoir la peine.

Ses yeux parcoururent avec affection le capharnaüm qui les entourait et qu'elle devinait dans la pénombre. "Cet endroit n'est pas plus mal qu'un autre." Grigris, vieux bouquins, fioles aux contenus suspects, modules suspendus un peu partout, plantes de toutes sortes, vieilles antiquités... Il fallait s'y connaître pour faire la part entre ce qui avait une réelle valeur magique ou ce qui servait juste à entretenir l'ambiance qu'on attendait de la boutique d'une magicienne. Mais même les objets qui n'avaient aucun autre usage que celui d'éblouir le client crédule, elle les avait choisis soigneusement parce qu'elle les trouvait beaux. Ce désordre était son désordre. "Je voulais juste quelque part où me sentir chez moi..." Elle aimait le charme de la vieille maison dont les planchers murmuraient doucement à chaque pas. "C'est discret ici, et malgré tout les clients trouvent le chemin..."

Machinalement elle avait récupéré le paquet de cartes, et elle le mélangeait sans trop savoir où elle allait. Elle ne connaissait pas beaucoup de jeux à deux, elle avait seulement souhaité leur changer les idées à toutes les deux.

"Je ne me contente pas de vendre des potions ou des objets enchantés tu sais... J'ai tout intérêt à ne pas trop attirer l'attention..." Son regard glissa jusqu'à un coin de la pièce où se trouvait une petite armoire qu'elle savait verrouillée à clef avant de revenir à Swann.

"Une bataille ? Sans autre enjeu que la gloire cette fois ?" dit-elle avec un petit sourire en répartissant les cartes entre elle et son amie. "Tu sais... Toi aussi, tu es... Étrange ? Dans le bon sens..." Ses yeux fuyèrent ceux de la jeune femme pour se reconcentrer sur les cartes qu'elle distribuait alors qu'elle développait sa pensée. Elle n'avait jamais été vraiment à l'aise pour se confier. "Tu as l'air si libre, sans attaches." Si Songe avait depuis un certain temps trouvé quelques avantages à la solitude, c'était parce qu'elle s'était construit un foyer, qu'elle avait trouvé son amie, bâti des repères dans sa vie. Elle avait l'impression d'avoir tissé une nouvelle toile, et pourtant chaque fois qu'un fil tremblait, elle était déstabilisée. Le Cygne Noir ne semblait pas s'embarasser de liens de ce genre.  "Et puis... Tu fonces toujours tête baissée... Si je le déplore, j'admire aussi ton courage... Est-ce qu'il y a seulement quelque chose qui te fasse peur ?" Il n'y avait aucune malice dans la question de la sorcière, juste de la curiosité et une volonté de mieux comprendre son amie au caractère tellement différent du sien.


Swann

Cygne Noir

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Machinalement, Swann abattait l'une après l'autre ses cartes à mesure que la bataille se déroulait ; son attention n'était en vérité que tourné vers son amie et ce qu'elle lui racontait. Accoudée nonchalamment à la table, elle l'écoutait, un fin sourire tendre et affectueux pendu à ses lèvres. Encore une fois, il lui sembla que la macrale lui cachait encore quelques informations mais à aucun moment elle ne se permit de l'interrompre. Doucement mais sûrement, une forme de fatigue la gagnait et elle n'avait par ailleurs aucune envie de quitter la jeune femme en mauvais termes. S'essayant de faire contre mauvaise fortune bon cœur – pour une fois ! elle se contenta de ranger les maigres informations récoltées dans un coin de sa tête, dans l'espoir d'y revenir peut-être une autre fois. La nuit était déjà bien avancée et l'un de ses enseignements fut qu'au fond, elle ne savait pas réellement grand-chose sur la jeune Tristenuit, si ce n'est que sa loyauté indéfectible pouvait la pousser aussi bien dans le cratère d'un volcan qui servait de prison à un dragon de la même manière qu'elle s'était introduite dans les Geôles du Castel pour l'en délivrer. Cela, elle n'était pas prête de l'oublier ; elle aurait aimé par ailleurs pouvoir en faire davantage pour lui signaler son infinie reconnaissance. Par les astres, si elle avait pu éviter ce marché avec cette satanée Princesse… !

Son regard accompagna celui de la sorcière lorsqu'il parcourut la petite masure qui servait de boutique et de logement à Songe. La Traitre-Lionne réalisa à cet instant qu'elle n'avait d'ailleurs plus de toit depuis cette nuit, compte tenu de sa trahison à l'égard du Trône. Elle ne pouvait donc plus regagner ses appartements dans la Forteresse, ni même le confort de sa chambre dans la Citadelle qu'elle avait faire reconstruire et dont elle était progressivement devenu la maîtresse en l'absence du Roi Gérudo. Sa présence n'était plus tolérer qu'entre ces quatre murs ; une fois qu'elle aurait mis le pied dehors, elle évoluerait en terrain ennemi jusqu'à ce que la situation ne change. En temps normal, cette idée ne lui aurait pas déplu. Après tout, elle n'avait de cesse de vouloir attirer l'attention sur elle et de provoquer ses ennemis. Pourtant, peut-être simplement à cause de la fatigue ou bien fut-ce par un profond et réel cas de conscience, elle ne parvint pas à conserver son discret sourire davantage. L'ambre et le gris retombèrent ensuite sur les cartes qu'elle et son amie se disputait silencieusement au gré de la partie. « Je comprends ce que tu veux dire », répondit-elle finalement d'une voix peu enjouée qui trahissait ses inquiétudes. Elle s'évita d'en révéler davantage néanmoins et continua de jouer en évitant quelques instants le regard de la sorcière.

Songe l'invita cependant à répondre à une question qui semblait la travailler, d'une certaine façon. Le Cygne Noir l'écouta religieusement, attentive, jusqu'à ce qu'elle ne la pose concrètement ; l'ancienne Dragmire s'en amusa aussitôt, flattée et touchée par les propos tenus à son encontre. Habituée aux plus sales insultes – d'autant plus durant son séjour en prison – elle n'avait que rarement droit à ce genre de considération. Quand bien même elle ne doutait pas que Songe lui prêta ce genre de qualité depuis un moment, elle restait attendrie de pouvoir les entendre. Cependant, elle se garda bien quelques précieuses secondes pour répondre aux interrogations de la sorcière. Elle s'accorda deux ou trois petites manches au milieu de leur partie, avant que sa voix ne s'élève tout doucement pour rompre le silence. « Lorsque j'étais petite, j'avais peur de tout et de rien », commença-t-elle. Ses yeux semblaient se perdre dans le vide alors qu'elle ressassait de vieux souvenirs. « J'avais peur du noir, des araignées… des souris… et même des gros chiens ! » Enuméra-t-elle avec amusement. « Pour ne rien arranger, ma mère m'effrayait avec des légendes et des contes sur des créatures, des monstres mythiques. Certains soirs, avec mon petit frère, elle nous racontait des histoires plus invraisemblables et terrifiantes les unes que les autres. Le pire, c'est que j'en redemandais à chaque fois et ça finissait toujours de la même façon : je n'en fermais pas l'œil de la nuit et finissait par m'endormir dans ses bras un peu avant l'aurore, lorsque la fatigue prenait le dessus », se rappelait-elle. Son regard croisa celui de son amie lorsqu'un sourire affectueux lui étira les lèvres de nouveau. « Froussarde comme je l'étais, je me cachais constamment dans les jupons de ma mère, et c'est mon frère, de deux ans mon cadet, qui me protégeait des bêtes et des insectes qui me terrorisaient ! » Avoua-t-elle dans un petit rire nerveux. Puis, après un moment sans rien ajouter, elle déclara d'un ton moins joyeux : « Tout ça, c'est finis. » Aussitôt après, son sourire s'effaça de nouveau et ses pupilles se recentrèrent sur les cartes à jouer.

Il lui fallut de nouveau quelques manches avant qu'elle ne reprenne la parole. Son ton, dès lors, se fit nettement moins mélancolique et plus monocorde, voir froid. « Un soir, des hommes sont venus nous chercher, mon frère et moi. Je devais avoir à peine huit ou neuf ans, environ », soupira-t-elle. Elle se garda malgré tout de donner trop de détails ; ce n'était pas le propos et il s'agissait rarement de choses agréables. L'odeur du sang, ineffaçable, lui prenait immédiatement au nez dès qu'elle se remémorait ces instants douloureux. « Ils m'ont arrachée à ma mère et si mon frère à eu la chance de leur échapper, ce n'est pas mon cas. J'étais plus apeurée et docile qu'un agneau que l'on s'apprête à saigner », avoua-t-elle difficilement. La comparaison était pourtant aussi effrayante que vraie. « Alors ils ont commencé leur œuvre. Ils m'ont battu, forcé à tuer, abusé psychologiquement jusqu'à ce que je craque. Ils ont fait voler mon esprit en éclat puis l'on reconstruit, jour après jour, nuit après nuit, jusqu'à ce que ça donne ça », déclara-t-elle tout en se désignant du doigt. Son regard, intense, se planta dans celui de la sorcière. « Une arme. Un outil sans moral ni volonté ; sans peur et sans crainte. Une parfaite tueuse, » souffla-t-elle du bout des lèvres. Puis, revenant au jeu en abattant une énième carte : « Du moins, c'est ce qu'ils voulaient. » Sur son faciès se dessina une moue de dégout, alors que dans ses yeux brulait une colère noire qu'elle avait appris à contenir. Doucement, un silence grave retomba sur les deux jeunes femmes.

Il fallut un certain temps pour que Swann retrouve finalement toute sa contenance. Sa haine à l'égard des ravisseurs s'était brutalement ravivée à mesure qu'elle délivrait son récit des événements ; pourtant, elle n'avait pas envie d'en faire pâtir son amie. Surtout pas ce soir, pas avant de devoir la quitter. Aussi poussa-t-elle un profond soupire qui l'aida à évacuer les pensées noires qui s'étaient accumulées. Puis elle en revint à la question qui l'avait amenée à raconter brièvement ces douloureux souvenirs. « Tu m'as demandé ce dont j'avais peur », reprit-elle d'un ton plus calme, voir terne. « Je ne me souviens pas d'un seul instant où je n'ai pas eu peur depuis cette nuit-là », déclara-t-elle étonnamment. Puis, consciente de la surprise que pouvait susciter sa réponse, elle enchaina pour clarifier sa pensée. « La petite-fille n'a en réalité jamais vraiment disparue. Ils n'ont pas réussi à la faire partir. Elle reste tapie là, quelque part dans l'ombre, aussi effrayée qu'elle l'a toujours été. Pendant ce temps, l'assassin porte le masque et la protège soigneusement, prêt à massacrer tous ceux qui oseraient s'en prendre à elle », précisa-t-elle avec une force de conviction sans égal. Pourtant, elle se garda d'en rajouter et se contenta de tirer une nouvelle carte de son jeu. Bien que, quelque part, déballer tout ça lui avait fait un peu de bien, cela n'en demeurait pas moins des sujets difficiles à aborder. Et pour le coup, elle n'en avait jamais parlé à personne ; pas même à son frère ou à Cécilia du temps où elles étaient encore en bons termes. L'espace d'une milliseconde, le Cygne Noir se rappela aux mots de la sorcière l'incitant à ne pas lui faire ouvertement confiance ; l'idée qu'elle puisse se servir de cela contre elle avait quelque chose de glaçant. Mais très vite, le bon sens la regagna et elle chassa cette idée de son esprit troublé. Néanmoins, aussi vite fut-elle partie qu'elle fut remplacée par une autre. Une angoisse latente qui la prenait au ventre, de plus en plus alors qu'elle voyait sa sauveuse s'éloigner du Trône.

« Et tu as tort sur un point », affirma-t-elle, la gorge nouée. Ses yeux fuirent son interlocutrice ; si la maison n'était pas autant plongée dans la pénombre, on aurait presque pu la voir rougir. « Je ne suis pas sans attaches. Je tiens à toi et je ne suis pas à l'aise à l'idée de devoir te laisser seule dans cette ville. Encore moins après ta petite escapade au Château. Et s'ils remontaient jusqu'à toi, hein ? »


Songe Tristenuit


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C'était déroutant d'imaginer son amie craintive. La sorcière ne put vraiment retenir une expression d'amusement en entendant ses révélations sur son enfance. Mais si se figurer la petite Lionne peureuse et choyée lui tirait un sourire, la remarque tranchante de Swann le fit fondre rapidement. Bien sûr, il s'agissait du passé, et s'il l'image lui semblait si surprenante, c'était justement parce que depuis la vie de la jeune femme avait pris une toute autre direction.

Songe resta muette, laissant à son amie le temps dont elle avait besoin, et attentive dès qu'elle reprit la parole pour expliquer ce qui avait suivi. Immobile, elle continua machinalement de poser les cartes à mesure que son amie les déposait elle aussi. Si ses yeux croisaient souvent ceux de l'Assassin, elle semblait rester de marbre, mais il n'en était rien pourtant. La colère qui montait en elle était silencieuse, et elle peinait à la contenir.

Même une fois le récit de l'ex-Dragmire terminé, le silence se prolongea. Elle resta suspendue dans son mouvement, une carte en main. Ce fut seulement lorsque la jeune femme lui fit part de ses craintes que Songe sembla se réveiller, répondant complètement à côté.

"Ces hommes... Est-ce qu'ils sont encore en vie ?"

Elle tournait la carte entre ses doigts. Bientôt, la tranche entra en contact avec sa peau, et presque instantanément la carte se désintégra, laissant un petit tas de cendres sur le bois en dessous.
Alors que quelques minutes auparavant elle ne connaissait pas les bourreaux de Swann, l'idée qu'ils soient toujours de ce monde lui était à présent insupportable. Une fine goutte de sang coula le long de son doigt avant de chuter jusqu'à la table et d'y creuser un petit trou fumant. La Chouette attrapa son bras de son autre main, avant de ramener les deux vers elle. Elle avait bien senti que Swann n'avait pas envie de trop s'attarder sur le sujet. Elle ignorait peut-être même ce qu'il était advenu de ces gens. Ou elle s'en était occupé elle-même. La jeune femme aux cheveux cendrés prit une longue inspiration.

"Pardonne-moi."

Cherchant à fixer ses pensées sur autre chose et quelle que soit la réponse de son amie, elle en revint au sujet que cette dernière avait abordé.

"Tu ne devrais pas t'inquiéter pour moi. C'est si j'étais un certain Chancelier que j'aurais du souci à me faire." Elle ne savait pas si elle aurait pu rêver meilleure utilisation du sang de cet arrogant. "C'était un vrai jeu d'enfant d'entrer avec son apparence. Je crois que beaucoup de gens l'apprécient..." Elle se corrigea, un petit sourire narquois aux lèvres. "L'appréciaient je veux dire..."

Personne ne l'avait vue, elle. Et elle s'était toujours comportée de façon discrète jusque là, son petit commerce n'ayant de toute façon aucun intérêt à attirer l'attention de la Garde. Non, vraiment, elle doutait fort qu'on la retrouve et qu'on l'associe à ce qui s'était passé. "Et même si par miracle ils remontaient jusqu'à moi, j'ai plusieurs autres identités dans ma poche." La Macrale espérait ne pas en arriver là, mais elle pouvait facilement se fondre dans la nature au besoin. Peut-être était-elle un peu trop sûre d'elle, mais elle ne redoutait pas grand monde à part les sorcières et les entités surhumaines.

"Tu en as pensé quoi d'ailleurs, de mon déguisement ?" Ajouta-t-elle, plutôt fière de son plan d'intrusion et de la mauvaise blague jouée au jeune homme. Dans l'urgence de leur fuite, elles n'avaient pas eu beaucoup l'occasion de creuser vraiment le sujet. Elles partageaient pourtant le même souvenir de l'agaçant Chancelier et du combat qu'elles avaient mené contre lui. Songe était trop prudente pour s'approcher à nouveau du château avant un moment, mais elle aurait donné beaucoup pour voir sa tête au moment où il apprendrait les accusations qui pesaient contre lui.


Swann

Cygne Noir

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Tout en reportant son attention sur la sorcière, Swann se rendait enfin compte que son récit ne l'avait pas qu'impacté personnellement ; sa jeune et belle amie lui parut absente, le regard fixé au loin. Elle ne semblait même pas avoir entendu ses inquiétudes vis-à-vis de sa présence dans cette bicoque située en plein Bourg et encerclé par leurs ennemis. Lorsque la voix de Songe s'éleva pour donner ce qu'elle crut d'abord une réponse, elle déchanta bien vite et son visage afficha un air sombre. Est-ce que l'organisation de l'Ordre des Quinze avait survécu à la folie vengeresse de son petit frère ? Le Cygne Noir n'avait jamais cherché à vraiment connaître la réponse. La plupart de ses souvenirs de cette période étaient pour le moins flous pour ne pas dire complètement absents, la faute à une consommation excessive d'alcool en tout genre dès que l'occasion lui paraissait être un prétexte suffisant pour descendre quelques verres. Cependant, il y avait un souvenir parmi tous les autres qui sortaient du lot ; celui-ci était clair comme de l'eau de roche et aussi précis que la pointe de son épée. Dans ses yeux, elle revoyait l'image de Bakar Sa'al, ligoté et suspendu à la poutre d'un grenier au cœur de la Citadelle d'Hylia. Elle revoyait la lame de sa dague lui ouvrir le bas-ventre pour lui faire vomir ses tripes sur le sol. Elle sentait encore l'odeur nauséabonde qui s'en était dégagée. Puis cette infinie sensation de soulagement et de bonheur qui l'avait envahie, quand Bakar hurlait à la mort, à l'agonie. Swann n'avait jamais été sadique et pourtant, spécifiquement ce jour-ci, elle s'était délectée de ce spectacle abject et repoussant.

Cet énième souvenir évacué de son esprit, l'attention de Swann se reporta sur la sorcière alors que celle-ci s'ouvrait le bout du doigt avec la fine tranche d'une de ses cartes à jouer. Elle sursauta presque lorsqu'elle vit la carte disparaître subitement et qu'une goutte du sang de la jeune femme aux cheveux cendrés creusait un trou fumant dans la table sur laquelle elles venaient de finir de dîner. « Ça va ? » Demanda-t-elle, soudainement alertée. « Pardonne-moi », lui répondit Songe du tac-au-tac alors qu'elle ramenait ses mains auprès d'elle. Le cœur serré, la Traître-Lionne s'évita d'en rajouter ; elle aurait voulu en dire plus pour rassurer sa jeune amie mais elle restait décontenancée de voir qu'elle prenait son histoire autant à cœur. « Ce n'est rien », glissa-t-elle malgré tout alors qu'elle reposait sur son jeu la carte qu'elle s'apprêtait à jouer. Dans la foulée, Songe reprenait la parole dans l'espoir de taire les inquiétudes qu'elle avait pu soulever quelques instants plus tôt. Ce qu'elle ne réussit qu'à moitié, en vérité. Si l'idée que le Chancelier puisse vivre quelques expériences déplaisantes lorsqu'il rentrerait au palais avait de quoi l'amuser, l'assassin restait préoccupée de laisser la sorcière seule dans ce nid de vipère. Mais après tout, elle ne s'était pas attiré d'ennuis avant qu'elle ne la rejoigne récemment et peut-être même que, finalement, s'éloigner d'elle pour quelques temps était une perspective préférable. Frustrée, la Lionne n'osa pas pousser plus loin sa pensée.

Celle que l'on appelait jusqu'à récemment les Larmes du Clan croisa ses bras en retombant contre le dossier de son siège, le regard planté dans les deux émeraudes de Tristenuit. Lorsque celle-ci lui posa une nouvelle question, plus légère, un large sourire carnassier se dessina petit à petit sur ses lèvres. Doucement, elle levait son bras à hauteur de tête de la sorcière et mimait de lui attraper le visage, tout en déclarant en toute franchise : « J'avais envie de t'arracher les yeux avant de te les faire avaler. » Ils n'étaient pas des plus rares, les hommes et les femmes de ce monde qui pouvaient se targuer de soulever chez l'ancienne ambrée des sentiments de haine aussi violents et intenses. Le Chancelier des Beaux-Arts, Orpheos, faisait parti des nombreux noms qu'elle avaient sur cette liste. Depuis ce difficile affrontement en compagnie de la sorcière dans lequel les trois avaient plus ou moins fini à l'article de la mort, Swann entretenait un souvenir insupportable dans sa mémoire ; ce jour-là, quand cette jeune et innocente enfant Gérudo avait été assassiné devant ses yeux et qu'une infinie tristesse mêlée à un irrépressible sentiment de dégoût avait fait surgir le démon qui dormait en son sein. Heureusement, ses souvenirs s'étaient très vite effacés lorsqu'elle s'était rendue compte que la sorcière avait revêtu l'apparence de l'un de leurs pires ennemis pour lui venir en aide.

La Belle de Villarreal se leva ensuite et fit quelques pas dans la demeure de la sorcière. Sous ses pieds, le plancher murmura à peine, quand sa voix s'éleva de nouveau. « Je te savais douée mais je ne t'imaginais pas capable de telles prouesses, je l'avoue », reprit-elle. Son regard parcourut rapidement les lieux avant de se recentrer sur son interlocutrice. « Bien que je ne connaisse pas grand-chose à la magie du sang, tu as toujours su me surprendre », ajouta-t-elle alors qu'elle se rapprochait de la démarche féline qui l'avait toujours si bien caractérisée. Elle se permit ensuite de s'assoir délicatement sur un bord de la table, à la droite de Songe ; du bout d'un doigt, elle relevait doucement le menton de la sorcière. L'ambre et le gris se plantèrent dans son regard. « Et tu me disais courageuse… Mais regarde toi : as-tu seulement hésitée avant de te jeter dans la gueule du loup pour venir me délivrer ? » Questionna-t-elle avec un sourire affectueux alors que son regard, insistant, mêlait une réelle tendresse à une forme d'admiration. La question était rhétorique et n'appelait à aucune réponse ; pour autant, il apparaissait important pour Swann de lui réaffirmer son indéfectible amitié. Et puis, après tout, elle n'avait que rarement eu l'occasion d'évoquer ce genre de chose et la situation s'y prêtait merveilleusement. D'autant que ce n'était pas la première fois que la sorcière démontrait son courage : n'était-elle pas celle également qui avait avait acceptée de participer à un rituel magique à la seule demande de l'ancienne dragmire ? « Lorsque j'étais là-bas, agonisante, dans les Geôles du Général », commença-t-elle à se rappeler alors que ses yeux se perdaient dans ses souvenirs une fois de plus, « Tu étais mon seul espoir… La dernière chose à laquelle je me raccrochais pour ne pas perdre la tête », avoua-t-elle en détournant le regard. Elle se revoyait là-bas, enchaînée en compagnie du Ceald, lui rappelant chaque jour au cours de leurs brèves discussions que Songe allaient venir les délivrer. « Alors… merci », conclut-elle finalement en même temps que son sourire s'évaporait doucement.

Le Cygne Noir, peu enclin à ce genre de déclaration spontanée, se sentit forcément peu à son aise bien que débarrassée d'un certain poids. C'est alors qu'elle remarqua en jetant un coup d'œil par la fenêtre que le ciel commençait à reprendre des couleurs plus chaleureuses. Déjà, se dit la jeune brune en constatant que le temps avait passé bien plus vite qu'elle ne l'aurait cru. Pour une fois, elle aurait voulu que cet instant dure éternellement ; la crainte de ne pas revoir Songe avant de longues semaines, bien qu'elle l'ait assurée du contraire plus tôt dans la nuit, lui serrait le cœur plus que de raison. Elle poussa un long soupire. « C'est l'heure », déclara-t-elle tout en sobriété. Son regard n'osa pas affronté une fois de plus celui de la sorcière.


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