Les yeux de l'étrange animal ne la quittaient toujours pas. Et cela faisait des heures que la situation était ainsi. Resté pour la surveiller et lui ôter l'envie de s'enfuir, le félin était parfaitement obéissant à sa maîtresse. Ou plutôt sa « mère », comme elle s'était désignée peu avant son départ. La serveuse avait bien tenté de s'extirper de ses liens de fer, mais au moindre le mouvement il avait redressé le museau vers elle et se préparait à se lever. Alors elle avait finalement décider de prendre sur elle. Il n'y avait malheureusement que deux espoirs possibles : le premier, quelqu'un décide d'entrer dans cette chambre, et le second, que son mystérieux agresseur ait réussi son entreprise. Elle en ignorait toute la teneur, malheureusement, aussi espérait-elle être libérée sous peu.
La seule chose qui bougeait, c'était cette saleté de neige qu'elle pouvait voir à travers la seule fenêtre de la chambre. Les flocons avaient défilés toute la journée les uns après les autres, jusqu'à la tombée de la nuit. Jusqu'au moment même qu'elle définissait comme le présent. Et ça continuait, ça défilait... La jolie Marjorie avait cette affreuse impression d'être isolée, coupée du monde et perdu quelque part dans l'espace temps. Sa vie était en suspend, entre les mains d'une dangereuse femme et de son féroce animal. Et pendant ce temps, derrière la fenêtre, la vie continuait, et les nuages continuaient de pleurer. Elle n'avait, de fait, pas eu l'occasion de voir le soleil en cette bien triste journée.
Des bruits de pas particulièrement insistants se firent entendre dans l'escalier situé derrière la porte de la chambre. Un soudain regain d'espoir emplit les yeux de la demoiselle, alors que ceux-ci se dirigèrent d'instinct sur la poignée de la porte. Avec ceci, une myriade de question lui arriva à l'esprit ; elle essaya de deviner d'abord de ce qui pourrait être cette personne, au bruit des pas. Mais elle n'arrivait pas à en saisir la moindre cohérence. A vrai dire, elle entendait les pas de manière saccadée, mais aussi des chocs contre les murs. Des plaintes aussi. Une voix de femme. Marjorie désespéra au fur et à mesure que se rapprochait cette voix qui commençait à devenir trop familière à son goût.
L'étrange garde - qui d'ailleurs ne portait plus sa tenue - entra en trombe dans la chambre. Il ne fallut pas longtemps pour la serveuse de comprendre que sa mission était un échec, lorsqu'elle vit le sang dégouliner le long du bras de l'agresseur. Plusieurs jurons accompagnèrent la scène, avec également quelques plaintes. Elle pleurait. Ceci dit, ça avait l'air plus nerveux que triste, même s'il était possible que les deux aspects soit mêlés pour cette fois. Un sentiment de peur envahit alors Marjorie ; il n'y avait aucune compassion, aucune empathie. Seulement une grande crainte, suite aux derniers propos qu'avait tenus cette jeune femme avant de s'en aller.
« Saurais-je me pardonner cet échec ? », dit alors la femme-au-félin en se couvrant les yeux de sa main gauche - son bras droit, au passage, avait l'air parfaitement inutilisable. Il y eu comme un instant de flottement ensuite, que Marjorie prit d'abord pour une hésitation à exécuter ses menaces proférées plus tôt dans la journée. La jeune femme se calmait en même temps que le coeur de la serveuse s'emballa, la crainte lui revenant soudainement. Quel affreux sentiment que celui du doute et de l'incertitude ! La réponse n'allait pas tarder à arriver. Un long frisson lui parcourut le dos lorsque le regard de cette femme, rougi par les pleurs, se posa sur la jeune femme. Un long silence, qui lui parut durer une éternité. Puis derrière, ces paroles qui lui dirent perdre tout ce qu'elle avait du peu d'espoir qu'il lui restait jusqu'ici.
« Je suis désolé... mais je dois prendre certaines précautions avant de partir. » Elle eut peur, très peur. Encore plus lorsque son tortionnaire dévoila un sac rempli de bouteilles d'alcool, dont elle déversa le contenu sur le sol et sur les murs. Les gémissement que Marjorie tenta n'eurent aucun effet particulier. En vain, elle tenta à nouveau de se libérer, tandis que l'étrange félin quittait la pièce avant de s'asseoir de l'autre côté de la porte de la pièce.
« Je suis désolé », répéta de nouveau la brune, tandis qu'elle déversait une première bouteille sur la serveuse elle-même, puis une deuxième, puis une troisième. Les gémissements ne la touchaient pas. La serveuse se secoua sur sa chaise de bois, dont un pied rompu au bout d'un moment. Elle s'écroula sur le plancher gorgée d'alcool, et vit sa future meurtrière effectuer quelques dernières manipulations avec ses fils de fer. Puis elle ferma les yeux ; non pas qu'elle acceptait son sort, mais elle avait du mal à voir venir la mort en face...
Au bout de quelques minutes seulement elle dû rouvrir les yeux, lorsqu'elle se sentit soulevée et entraînée malgré elle. L'autre femme l'amena jusqu'au niveau de la fenêtre, puis la redressa pour la mettre debout. Toujours les pieds et poings liés, elle la fit tenir de bout avant de dégainer une dague. Marjorie n'eut pas le temps de s'en rendre que l'acier s'enfonçait au niveau de son épaule droite. La lame, froide et extrêmement douloureuse, semblait la traverser de part en part. Elle en pleura ses dernières larmes, les premières ayant déjà couler en même temps que l'alcool s'était déversé sur elle.
La dague fut retirer, puis un nouveau fil de fer vint l'empêcher de tomber au sol, la collant contre le mur. Tout fut alors beaucoup plus confus et de toute façon, la serveuse se passerait bien des détails superflus de la suite des évènements. Elle ne vit que le départ de la jeune femme, qui prit soin de fermer la porte de la pièce, dont un fil de fer reliait la poignée jusqu'à un mécanisme qui lui était inconnu. Elle se savait morte, dorénavant.
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Les cliquetis des armures dont les jointures s'entrechoquaient se firent entendre au Bourg. Par une telle tempête, rares étaient ceux qui se risquaient dehors. Néanmoins, les soldats ne pouvaient en faire autrement. Une grande troupe qui venait droit du château se dissémina à travers les ruelles du Bourg, à la recherche de leur cible : l'assassin. Celui-ci avait berné bon nombre d'entre-eux, et avait osé s'en prendre à leur Reine. La Princesse Zelda n'avait heureusement pas la moindre égratignure, à ce qu'il se racontait. Ça n'empêchait pas le fait qu'il fallait de toute urgence traduire ce criminel devant la Justice, et ce au plus vite.
Le Sergent Dorian était sans aucun doute le plus touché par la tromperie de cette femme. Lui qui l'avait trouvé puis emmené pour recevoir des soins d'urgence... Il regrettait amèrement son geste, tout autant qu'il condamnait sa fabuleuse bêtise. Avoir laissé cette femme sans surveillance était une erreur que tout Hyrule aurait pu payer très cher, en d'autres circonstances plus tragiques. Autant dire qu'il était extrêmement remonté, et qu'il prenait l'affaire personnellement - bien que rien ne l'y obligeait si ne n'était sa fierté. Il filait à vive allure, tellement qu'il échappait parfois à son petit groupe. Ses hommes peinaient à le suivre, même si pour eux également l'affaire était particulièrement importante. Ceci dit, ils étaient tous découragé d'avance par cet unique mais néanmoins important soucis : l'assassin avait filé, et ils ne savaient pas où. Cela revenait à rechercher une aiguille dans une botte de foin.
Le fils d'Ergond ne se laissait pas pour autant démonter, et suivit comme il pu les traces laissé dans la neige, la seule piste qu'il avait là. Il avait la chance, par une telle tempête, que le nombre de piste à suivre soient assez restreinte, tout comme cela posait le soucis que les traces disparaissent au fil des minutes. Il repéra alors un homme qui ramassait quelques affaires étalées un peu partout dans la neige, non loin. Du moins, c'est ce qu'il crut reconnaître de par les gestes de la silhouette, même s'il n'en était pas très sûr. Il s'en approcha bien vite pour découvrir un vieil homme dont le contenu de son chariot était renversé. D'une voix claire et parfaitement audible, le sergent s'adressa d'emblée à ce qui pourrait être sa seule piste.
« Eh là ! Citoyen ! As-tu vu passer une jeune femme vêtue de noire par ici, dis moi ? », lui lança-t-il sans plus attendre. L'ancien le regarda avec des yeux haineux, avant de s'expliquer.
« C'est ti pas que ch'tais là bien, pis une donzelle m'rentre d'dans, seigneur ! 'vec des habits noirs, c'comme vous dites ! L'malpolie s'tirée par là ! », lui répondit le vieillard en pointant de sa main en direction d'une rue sur la droite. Sans le remercier, Dorian se précipita sans plus attendre dans ce sens, son petit groupe peinant à reprendre son souffle et toujours à la traîne, derrière. Le soldat avait à coeur de réussir cette périlleuse mission, ne serait-ce que pour se faire bien voir du Général ; il avait rarement l'occasion de le faire. En même temps, il était le premier impliqué sur cette tentative infructueuse, le premier fautif. Il voulait à tout prix réparer cette regrettable erreur.
La course des soldats fut relativement longue, il fallait l'avouer. Le vieillard rencontré sur le chemin n'était pas le seul à avoir croisé le chemin de la demoiselle ; deux autres personnes, un marchand et une couturière firent la rencontre des combattants, chacun ayant une dent contre la femme que Dorian poursuivait. A croire qu'elle avait fais exprès de s'en prendre à ces personnes et de se faire remarquer...
Le petit groupe arriva enfin jusque dans un cul de sac au terme d'un long parcours sous la tempête de neige. Ils n'étaient pas les premiers à arriver sur les lieux, ceci dit : un autre groupe de quatre soldats étaient là, à la porte d'une maison, dans l'attente de renfort. Ils les rejoignirent en vitesse, se demandant ce qu'attendaient ces soldats pour intervenir et surtout la raison qui les poussaient à attendre devant cette maison en particulier, en plein milieu de la nuit. Une fois assez proche, le soldat Dorian pu reconnaître son supérieur, le Capitaine Hellénoïre.
" Sergent, enfin vous voila ! On attendait du renfort, nous pouvons enfin intervenir ! " Lâcha d'emblée le dernier cité en voyant arriver la petite troupe.
" L'assassin est au premier étage, près de la fenêtre. Vous le voyez ? " Il attendit que les soldats eurent lever le regard pour apercevoir la silhouette de la fuyarde avant de reprendre.
" Nous avons interrogé le voisinage en attendant votre arrivée, et beaucoup nous ont signaler une jeune femme blessée rentrant dans ce bâtiment. Nous la tenons, c'est certain ! Tenez, voila de nouveaux renforts ! "
Un autre groupe de soldats arrivait effectivement. Le Capitaine mit tout le monde au parfum et continua son speech. De son côté, Dorian continuait de regarder par la fenêtre. L'assassin restait statique, il ne bougeait pas. Étrange... Il n'eut pourtant pas le temps de réfléchir davantage qu'il reçut ses ordres. Tandis que les autres se chargeraient d'empêcher toute fuite de l'ennemi, lui était chargé de monter au premier étage avec son groupe pour arrêter le dangereux criminel. Voila qui était parfait pour lui ! On lui donnait une chance de briller, et il n'allait clairement pas s'en priver !
Il s'élança le premier dans la maison en défonçant la porte, tandis que quatre autres soldats allèrent derrière la maison pour couvrir toutes les sorties. Le revanchard soldat monta bien vite les escaliers, puis s'arrêta net devant la porte. Il y avait un petit mot, accrochée à l'aide d'un couteau. Intrigué, il le décrocha pour le lire avec attention, tandis que ses hommes le regardaient avec insistance. Il n'en saisit pas tout à fait la portée, et s'écarta de la porte tandis qu'il lisait et relisait ce fichu bout de papier.
« Chef ! Vos ordres ? », lança le moins patient de tous. Après un court silence, Dorian fit part de son incompréhension.
" Je... Il y a écris sur ce bout de papier : ouvrir cette porte déclenchera les flammes de ma colère. "
" Putain mais j'en ai rien à foutre ! On entre ! " Lâcha le fougueux Jack de rage, lui aussi visiblement très irrité par ce qu'il s'était passé.
" NON ! "
Il tourna la poignée. L'explosion retentit. Et la Mort s'empara de leurs pauvres âmes.
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Fatiguée. Souffrante. Affreusement dégoûtée. Ses pas étaient lents, comme s'ils réveillaient en elle une douleur à chaque fois que l'un de ses pieds foulait le sable. Mais à y regarder de plus près, on comprenait vite qu'elle était juste dans un état catastrophique. Le sang coulait toujours malgré le bandage qu'elle avait entreprit de poser sur sa blessure à la va-vite, laissant une trace rougeâtre derrière elle. Elle perdait la vie ; et malheureusement pour elle il n'y avait pas un rat au moindre kilomètre à la ronde. D'un autre côté, elle n'en avait plus rien à faire. Elle avait fui ses ennemis et son ancienne condition d'esclave de la Reine, plus communément appelé citoyen. Se lancer dans une telle traversée sans la moindre goutte d'eau et dans l'état - autant physique que mental - dans lequel elle se trouvait, il fallait avoir un sacré culot. Certains parleraient même d'un grain de folie.
Il était évident qu'elle en avait un, même si elle continuait de se leurrer à ce propos. La fin justifie les moyens, auraient-elle sans doute répondu à celui qui la questionnerait sur son affreuse plaie. Et s'il aurait trouvé quelque chose à lui redire, elle aurait sans doute répéter la même chose avec plus de virulence. De toute évidence, elle n'était pas en état de débattre avec des arguments très poussés et s'en tiendrait à l'essentiel. Son plan était bon, son exécution parfaite. Ce n'était que dans le dernier geste que quelque chose avait merdé, mais elle ne savait absolument pas quoi.
Et elle se passerait bien de le savoir, aussi. La réflexion était un luxe qui lui était impraticable en ce moment. Non seulement à cause de sa faiblesse physique mais aussi parce que ses pensées étaient toutes tournées sur une seule et unique chose : son échec. Swann avait terriblement honte de la tournure qu'avait pris les évènements tout comme elle avait honte d'avoir fais brûler vive une innocente serveuse. C'était pourtant son seul espoir de s'enfuir, et de se faire passer pour morte. Cette nuit-là, presque six heures après les terribles évènements, sa haine ne cessait de croître à l'égard d'une monarque qu'elle jugeait lâche, hautaine et insensible. Elle l'avait bien vu, dans son regard impassible et vide de toute terreur lorsque le Cygne Noir s'était jeté sur elle l'arme à la main.
La Colère du Cygne grondait en elle. Comme une incroyable et terrifiante tempête, les foudres de son aversion se mêlaient à l'ouragan de sa rancoeur, savant mélange de dégoût et d'exécration. Ses membres en tremblèrent presque d'excitation ; ou alors était-ce le fait que son corps était à cette heure plus fragile et frêle que celui d'un enfant. Son regard méprisant se déporta jusque sur le château d'Hyrule, dont on devenait le bout des plus hautes tours malgré la distance.
« J'te crèverais, ouais... Je te ferais la peau, pétasse ! » Cria-t-elle, puis de reprendre avec toute les forces que ses poumons pouvaient encore lui accorder :
« JE VOUS DÉTRUIRAIS TOUS !!! »
Le cri résonna au loin ; ses jambes fléchirent. Elle tomba à genoux et y resta, n'ayant plus la force de se relever à cause de tout ce sang perdu. Était-elle seulement consciente que la Faucheuse se rapprochait d'elle à grandes enjambées ? Aucunement. Il y avait trop de chose inaccomplies dans sa vie - à commencer par elle-même - pour ne serait-ce que songer à la Mort. Et surtout, elle était beaucoup trop fière pour admettre être mourante. Son bras gauche retint l'inévitable chute du reste de son corps dans le sable, tandis que son bras droit pendait nonchalamment d'avant en arrière. La douleur qu'elle en ressentait était importante, mais beaucoup moins que celle qui la détruisait de l'intérieur. Haine et Fureur consumait son âme déchue, jusqu'à l'inévitable explosion de Tristesse qu'elle cachait derrière ses deux soeurs aînées.
Les larmes de la fragile Villarreal lui montèrent aux yeux avant de redescendre le long de son doux visage. Elle ignorait tout de ce que pouvait être ces gouttes qui perlaient les unes après les autres. Elle pensait le chagrin ne jamais se finir et se surpris à regarder vers le ciel et ses étoiles. Les nuages de la tempête de neige avaient disparus depuis bien longtemps, pourtant ça ne fut qu'à ce moment que Swann le réalisa pleinement. La nuit était déjà moins noire, signe que le soleil arriverait dans l'heure qui suivait ; l'aurore arrivait. Un nouveau jour, la vie continuait. Mais cette fois, elle n'en verrais probablement pas le bout...
Elle était dépossédée de toutes ses forces, plus rien ne pouvait la faire avancer dorénavant. Son bras gauche, qui la retenait de s'écrouler, avait plié au fur et à mesure des minutes. L'assassin réussit néanmoins un dernier exploit, avant de rompre : en balançant sa tête en arrière, elle mit suffisamment de force pour tomber sur le dos. Elle s'accordait le droit de regarder le ciel, encore un peu. Sans un sourire, sans le moindre plaisir. Elle sentait la vie la quitter lentement, tout en gardant ce mince espoir que tout ce ne soit qu'un cauchemar. Ses larmes changèrent de trajectoire et coulèrent le long de ses pommettes, jusqu'à ce que la jeune femme n'ait plus une goutte d'eau qui lui permettent d'arracher cette Tristesse à son âme.
Son compagnons félin tournait autours, pris d'une soudaine panique à la vue du sang et de l'incapacité de sa mère à bouger le moindre membre. Il feulait à tue-tête, alarmé comme le serait n'importe quel fils. Son regard se portait aux alentours puis revenait instinctivement sur celle qui l'avait si bien soigné jusque là. Et il feulait de désespoir à son tour. Il appelait à l'aide, lui bien plus vivant que le Cygne Noir ne l'était. Et miraculeusement, quelqu'un vint... redonnant instinctivement espoir de vivre à la mère et son fils-félin.