Posté le 13/08/2014 19:25
L'acier fila et manqua son oreille de peu. Le sifflement de l'air, déchiré, et le cri sans appel du bois mutilé. S'il était encore en proie à la fatigue un instant plus tôt, son corps tout entier s'était raidi sitôt qu'il avait perçu la menace. Ses doigts ankylosés s'étaient refermés sur le premier objet qu'ils avaient rencontré quand l'épouse du tenancier avait lâché, de crainte autant que de surprise, la carcasse qu'il venait de troquer. Au fond de son poing, les restes d'un tabouret brisé dans une rixe encore vivace dans les esprits. Ses yeux cherchèrent la menace, conscient que c'était peut-être sa présence qui mettait en danger l'intégralité de l'auberge. A voyager en compagnie de la Prêtresse, il en avait presque oublié pourquoi il devait vivre dans un exil constant, en paria. Il fronça les sourcils en réalisant qu'il faisait face à un adolescent à peine plus âgé que ne devait l'être Flora. Une longue lame pendait à sa ceinture, tandis que celle-ci ne serrait, d'apparence, aucune armure. Il avait un moment cru à une attaque de brigands et comprenait à quel point il était dans l'erreur. Baissant l'avant-bras, il se contenta de lancer un regard particulièrement noir au gamin, avant de déposer son arme d'occasion sur le comptoir et de se retourner vers son amie.
C'est à peine s'il eut le temps de voir venir la déferlante aquatique que la Prêtresse avait jeté sur eux. La peste les prenne, tous ! Il grogna, avant d'improviser une esquive. Il connaissait la jeune femme suffisamment pour savoir qu'elle disposait d"assez de ressources pour arracher le comptoir et sans doute malmener tant la chaux que les fondations de la masure. S'il pouvait s'éviter une nouvelle épaule brisée par maladresse... La vague maintenue sous pression se glissa par dessus son crâne alors que ses jambes s'arquaient presque douloureusement. Sur son visage se brossait une exaspération presque colérique. Pourquoi fallait-il toujours que les rares nuits qu'il s'accordaient ailleurs qu'en errance, sous les étoiles, la lune et parfois quelques pins dans un sous-bois, finissent toujours de la même façon ? Il avait ce sentiment si persistant qu'il ne pourrait jamais prétendre à la sérénité. Qu'une main invisible qu'il ne comprenait pas plus qu'il ne contrôlait le lui interdirait ad vitam eternam. Ses dents grincèrent silencieusement, mais traduisant l'humeur qui était la sienne. Il se hissa à nouveau, sans prêter une véritable attention à ce que déclamait l'enfant de fer et de soie paré. Il avait d'autres soucis plus terre-à-terre dans l'immédiat.
L'Hylien planta ses yeux dans ceux de l'Enfant-de-Foi. Il savait qu'elle ne le verrait pas, pourtant il espérait qu'elle puisse sentir le poids de son regard. Il en avait assez. Assez de cette vie de héros qu'il n'avait pas choisie. Assez des conséquences qu'elle impliquait, assez de ne pouvoir envisager autre chose que de lever l'épée partout où son bras était nécessaire. Assez de ne pouvoir être quelque chose qu'il aurait décidé. « Ca te prend souvent, ça ? » Souffla-t-il à son amie, dans un sifflement agacé. Inconsciemment il avait fermé son poing gauche, avançant vers elle doucement. Ca n'était pas contre la Dame Bleue, loin de là, qu'était dirigée sa colère. Ni même contre ce qu'elle représentait. Un pas de plus le mena jusqu'à la petite table à laquelle il avait installé Flora del Carmen. Il prit alors une grande inspiration, comme auraient pu le faire Talon ou le vieux maître-charpentier quand l'un querellait Flamboyante ou quand l'autre aboyait des ordres à ses ouvriers. Mais le Fils-de-Personne soupira plutôt que de se décider à ouvrir des joutes verbales parfois capable de cisailler mieux qu'une dague. Il n'en avait tout simplement pas le courage.
La main appuyée sur le hêtre qui avait servi à monter la tablée, il jeta son regard par dessus son épaule, en direction du tavernier que la jeune femme apostrophait justement. Le comptoir, sans être ravagé, était luisant de l'eau et sans dessus dessous. L'homme, son épouse et ce qu'il pensait être leur fille dégoulinaient tandis que le sourire bienveillant de la vieille femme laissait place à un visage encore ébahi de ce qui venait de lui arriver. « Reste tranquille un instant... D'accord ? — » Lança-t-il à sa partenaire, la voix plus posée qu'auparavant. En vérité, il ne parlait que pour elle et de façon à ce qu'elle seule puisse l'entendre. S'il n'avait pas la force de se lancer dans un affrontement comme à Cocorico, il savait tout de même capter le trouble de son amie — et s'en inquiéter.
"Excusez mon amie, elle ne souhaitait blesser personne. S'il faut réparer quoique ce soit, je serais ravi de vous aider." Sa voix tonna maintenant assez fort pour que le couple d'aubergistes puisse l'entendre. La femme ferma la bouche et hocha la tête sans rien dire. Le patron grogna, visiblement dans une colère noire mais sans la possibilité d'objecter. Link n'avait pas aperçu d'autres serveurs : de toute évidence ils manquaient d'ores et déjà de bras pour le travail qu'ils menaient. Un peu d'aide n'était pas quelque chose qu'ils pouvaient refuser. Sans attendre confirmation, il s'installa à table et ses yeux voyagèrent jusqu'à l'inconnu à l'initiative de tout le grabuge. Le silence, tombé après le début de rixe, ne s'était toujours pas relevé. La majorité des badauds ne cessaient de les fixer. Eux, et ce serviteur de la Couronne dont il ignorait tout. Comme il ignorait tout de la majorité d'entre eux. Ils étaient si nombreux à jurer fidélité et loyauté à Zelda. Plus encore, comme lui, à se battre pour elle. Pour elle et pour Hyrule, de toute évidence, bien que la façon dont cet étranger le faisait lui échappait radicalement. Leurs regards se croisèrent un instant, jusqu'à ce qu'une jeune femme le ramène sur terre.
"Un peu d'eau pour mademoiselle... — madame ?" Lança-t-elle, hésitante. Il ignorait ce qui provoquait cela chez elle, mais cela se résumait vraisemblablement à deux possibilités : soit elle craignait de violer le protocole et ne savait pas comment s'adresser à une oracle des Trois ; soit elle n'avait guère écouté et s'interrogeait sur le liens qui les unissait tout deux. « Ainsi qu'un peu de ragoût pour deux, cuisiné à base de lapin ! » Souffla-t-elle pleine d'entrain, luttant aussi bien que faire se peut contre la chape de plomb qui couvrait le chef de tout un chacun sous le toit de la taverne. Il grogna un merci, avant de se saisir d'un peu du pain noir qu'elle avait apporté également. Plus loin, un autre homme grognait également.
"M'voyez bien d'solé, m'ssire le servant d'la Princesse." Commença le tenancier, d'un ton plein d'ironie.« S'avère qu'avec les récents événements — v'savez, la guerre, les brigands et les rigolos qui brisent les tables, ceux qui les inondent ou les marques du bout du couteau... Ben, s'avère qu'ek tout ça, on rentre plus dans l'frais. Sans compter eul'taxe d'vot' bien aimé château. » Il lâcha nonchalamment la bolée qu'il tenait en main. Le récipient tomba lourdement sur la table, non sans arroser un peu le Sheikah. « D'ragoût d'chien. J'spère que vous saurez l'apprécier à sa juste valeur. » Sourit-il enfin, narquois et mauvais.
[Toutes mes excuses pour le délais, j'ai été un peu débordé !]