Posté le 13/05/2015 20:07
Voilà à présent deux longs mois, si ce n'était plus que cela, que l'étranger se trouvait en ce pays bien étrange qu'est Hyrule. Une large semaine s'était écoulée lors du séjour d'Eckard au Ranch Lon Lon, durant laquelle il s'était pris d'affection pour le propriétaire des lieux. Talon avait surpris l'homme guidant un de ses ô combien précieux étalons il ne savait trop où. Tous les autres semblant avoir complètement disparu. Aussi le fermier ne manqua-t-il pas de paniquer et de virer au rouge en menaçant l'intrus d'une fourche, jusqu'à ce que le nordique ne lui dévoile, en ouvrant les portes des écuries, que tous les autres chevaux s'y trouvaient, rangés dans leurs cases à grignoter le foin qui leur restait. Le vent s'était levé et avait soufflé dru en cette supposée première journée de printemps, où givre et neige fondaient à vue d’œil. Cet ersatz de tempête avait grandement profité au chasseur qui se vit remercié par le fermier pour sa bonté. Eckard ne demanda en échange qu'asile pour tempérer la rudesse de son périple. Talon lui fit grâce d'une nuit pour service rendu à la ferme, et le fit en revanche travailler dur pour pouvoir continuer à séjourner dans le ranch en toute liberté.
Durant les dix jours que le barbu avait passé dans l'enceinte du ranch, il avait aidé le propriétaire dans toutes les tâches relatives au milieu et auxquelles le bon Talon s'adonnait chaque jour : nourrir les vaches, cochons, chevaux, lapins et poules très tôt dans la matinée, remplir les auges en prévision des prochains jours à venir, changer le foin des étables et écuries tous les deux ou trois jours, planter les premières graines de fleurs printanières, les arroser, de même pour les premières pousses de légumes dans le potager, donner du grain aux volatiles fréquemment, récolter les œufs tous les soirs, nettoyer les animaux, régler leur compte aux goupils affamés s'aventurant trop avant dans le ranch et bien d'autres tâches déplaisantes auxquelles Eckard se plaisait pourtant énormément. Il était même, de son propre chef, parti chasser quelques lièvres pour le plus grand plaisir du moustachu qui ne fit qu'apprécier de plus en plus son hôte.
En effet, les deux hommes s'entendaient comme cul et chemise, presque au point de pouvoir dire qu'ils avaient élevé les cochons ensemble, ce qui n'était pas si loin de la réalité. Eckard avait fortement avancé le travail du fermier si occupé à gérer l'entièreté de la ferme, en plus de son commerce de lait et de légumes. Ce n'était toutefois pas sans compter la présence des quelques aides de travail du moustachu, mais fort était de constater qu'une épine lui avait été retirée de son gros pied poilu.
Durant chaque journée passée à la ferme Lon Lon, Talon n'eut que peu l'occasion de voir Eckard, lui donnant la plupart du temps ses instructions depuis une fenêtre d'un bâtiment ou bien de l'autre bout de l'enclos. Ce fut notamment lors des soirées passées près du feu -car les nuits demeuraient des plus roides- que les deux compères purent discuter un peu d'eux réciproquement, du travail, de tout et de rien. Le second jour, le fermier avait affiché une mine mélancolique qui n'avait guère manqué de faire réagir le nordique. C'est ainsi que Talon avait évoqué sa fille Malon ayant fugué du ranch il y a de cela des mois, demeurant introuvable. L'homme ne s'attarda pas sur les détails mais était très inquiet pour sa petite protégée. Eckard avait dégluti difficilement et s'était également confié à propos de la perte de sa femme et sa fille sans non plus rentrer dans les détails, ce qu'il désirait de toutes façon éviter par-dessus tout.
Leur discussion de ce soir avait commencé à les rapprocher. Aussi se traitaient-ils réciproquement avec égards, comme de vieux amis s'étant retrouvés après moult années, ne se connaissant plus trop. Une sorte de respect amical, de compassion mêlée d'accolades, signes qu'ils se comprenaient et se soutenaient mutuellement.
Eckard s'en était allé à l'aube du dixième jour, remercié par Talon pour son aide. L'une des phrases du gros bonhomme lui était d'ailleurs resté en tête durant tout le voyage qui venait de reprendre : « Si un plus grand nombre d'entre nous préférait la nourriture, la gaieté et les chansons aux entassements d'or, le monde serait plus rempli de joie. »
Le nordique revoyait le fermier hoqueter après la gorgée de bière qui suivit cette phrase, et se mit à sourire. Ce bon bonhomme allait lui manquer, pour sûr.
Le chasseur respecta à présent les conseils de son ami en suivant la route de jour, et en s'en écartant la nuit pour éviter qu'un coupe-jarret ne décide de le détrousser. Comme à son habitude dans la plaine, l'homme dormait peu mais tâchait de s'abriter près des arbres ou des rochers par nuits et temps sombres. Des cernes ne tardèrent pas à réapparaître sur son faciès après deux semaines de marche éprouvante, agrémentées seulement de quelques animaux à chasser.
Parfois, un petit village apparaissait sur son chemin où il put rendre à nouveau service du mieux qu'il pouvait pour se faire un peu d'argent. Mais la plupart de ses demandes se soldaient bien souvent par un simple regard de travers. Le peu de piécettes qu'il parvint à se faire lui servirent à se payer des repas chauds et une bière dans des tavernes crasseuses aux enseignes illisibles. Et bien que les villageois hyliens fussent des plus mornes, ces petits moments lui paraissaient toujours plus chaleureux que la rude plaine.
Reprenant la route, baluchon sur une épaule meurtrie par la lanière de cuir malgré d'épaisses fourrures, l'homme aperçut enfin distinctement cette infime pointe se dressant à la fin de la route. La Citadelle d'Hylia. Eckard, qui n'avait jamais vu de grande ville de sa vie, imaginait déjà tout ce qu'il pourrait y trouver. Des gens accueillant, des auberges chaleureuses où la bière et la pitance seraient bonnes, des marchés, de hautes maisons et un sol recouvert de pavés. C'est ainsi que le fermier en parlait, bien qu'il sembla que cela fusse un long moment qu'il ne s'y soit plus rendu.
Le chemin se dessinait droit devant lui, cessant enfin de serpenter inutilement entre les escarpements de la plaine.
Jusqu'alors, rien d'étrange ne s'était produit depuis la reprise de son voyage, mais il vit une immense et large silhouette s'avancer d'un pas fort et résonnant au loin, comme si chacun des pas remuait la terre et la faisait tressaillir de toutes parts. « Qu'est-ce que cela ? » susurra-t-il à lui-même, pensant trouver une réponse sans même y réfléchir, tant la masse imposante l'impressionnait à mesure qu'elle se rapprochait.