Posté le 01/09/2015 22:56
Nesreen ne s’offusqua pas du regard fixe que le jeune homme lui lança en ouvrant la porte. Elle commençait à avoir l’habitude que les gens la dévisagent, par simple curiosité plus que par hostilité, la plupart du temps. Non, plus que son attitude, ce fut le physique du forgeron qui capta son attention : devant elle se tenait un jeune homme, certes, mais un jeune homme dont les longs cheveux rouges et la peau sombre rappelaient fortement les siens, et ceux de ses sœurs. Elle secoua la tête face à l’émotion qui l’étreignit brièvement, en colère contre elle-même. Ce n’était pas le moment. Elle était là pour une raison précise, et elle avait autre chose à faire de ses journées que de devenir émotive à chaque fois qu’elle croisait un garçon aux cheveux un peu trop vifs ou à la peau un peu trop foncée. Simple coïncidence, simple coïncidence si ce jeune homme lui rappelait les siens de façon si frappante : de mâle Gerudo, il ne pouvait en avoir qu’un.
Elle soupira. Elle commençait à trouver agaçant le fait que, à chaque fois que ses pensées se mettaient à s’égarer, elles la menaient exactement vers ce point précis. Alors, elle porta à nouveau une attention qu’elle se voulait désintéressée sur son interlocuteur, qui semblait lui aussi, au même moment, reprendre un peu ses esprits.
« Bonjour », dit-elle simplement.
Elle entra dans la pièce, après y avoir été invitée, et se mit à observer les alentours. Elle fut tout de suite prise à la gorge par la chaleur étouffante, familière, qui régnait dans l’endroit.
« Il fait chaud à l’intérieur, je travaillais. »
Elle lui sourit, l’air indulgent. Peut-être ces quelques temps passés à vivre parmi les Hyliens, à rapiécer des chaises et cueillir des herbes de soin, l’avaient un peu déshabituée aux températures extrêmes. Et bien ! Ce n’était pas un mal qu’elle soit venue. Il n’était jamais très bon de trop se ramollir.
« La chaleur ne me gêne pas. J’avais une forge, dans le désert. »
La fébrilité du jeune homme avait quelque chose d’amusant. Elle songea que dans cette bourgade, il ne devait pas y en avoir beaucoup, des comme elles, même si la teinte de son interlocuteur lui faisait songer à quelques métissages avec des peuplades du sud. Il lui était sympathique. Surtout quand il lui proposa des rafraîchissements, pour elle et pour sa bête : elle était en train d’accepter avec vigueur alors qu’il s'exécutait déjà. Elle prit avec reconnaissance le verre d’eau entre ses mains. Le voyage lui avait laissé le corps las et la gorge sèche.
« Merci. Merci beaucoup. Hum… »
Bon. Il lui semblait qu’à peine arrivée, elle commençait déjà à abuser de l’hospitalité du forgeron. Il lui avait dit qu’il était à l’œuvre, et elle était bien placée pour savoir l’importance de la minuterie, dans le métier. Elle s’en voudrait de lui gâter son travail.
« J’espère que je ne vous dérange pas. Je peux repasser plus tard, si ça vous arrange. Mais… merci de m’accueillir, tout de même. »
Bah. Autant continuer.
« Vous voyez, ma mule est plutôt chargée. En fait, je viens de Cocorico. Je ne sais pas si on en a entendu parler ici… des derniers… évènements. »
Le raid, retint-elle entre ses dents. L’attaque lâche et sanglante de ce Roi du désert, qui avec ses sbires avait réussi à mettre le village à sac. Si les soldats de la Reine avaient fini par bouter dehors l’envahisseur, les dégâts avaient été considérables, et le bourg se remettait, peu à peu, de ses blessures.
« Enfin. Il y a eu des combats, et donc il y a eu de la casse. La forge du bourg est inutilisable, et les paysans ont besoin de leurs cognées, de leurs socs de charrue et de leurs houes. Bien sûr, nous pouvons payer. »
Elle hésita un instant.
« Et… hum. Il y a aussi autre chose. »
Elle prit alors sur son dos un paquet qu’elle portait sur elle, contrairement à ses autres commandes dont la malheureuse mule s’était chargée. Dedans était caché son cimeterre. Lors du raid, elle avait accompagné quelques familles de Cocorico pour les conduire saufs à un refuge, attendre que les choses se passent, et elle avait dû chèrement vendre sa peau. Elle n’avait pas pensé que l’assaillant connaîtrait, bien sûr, les techniques de combat de son peuple. Les lames de son peuple. Et leurs points faibles. Elle n’aurait pu croire cela possible, mais durant l’assaut, son arme adorée, celle qui était pour elle tant chargée de souvenir, avait été brisée. On avait réussi à l’acculer, et on avait réussi à lui briser son arme. Il lui avait fallu l’intervention opportune de son ami Ad’, qui l’accompagnait, pour en réchapper indemne. Elle déballa le paquet, et un pincement au cœur la prit au souvenir de la peur qu'elle avait ressenti face à la mine féroce et sanguinaire de son adversaire, face à la sensation qu'elle allait mourir ici, loin des siennes. Au souvenir de la douleur qui l'avait saisie lorsqu'elle avait du ramasser les deux morceaux, brisés nets, de l'arme de sa mère. Elle fixa le jeune homme, droit dans les yeux, et demanda :
« Vous vous y connaissez, en armes Gérudo ? »
La dernière fois qu’elle avait abordé le sujet avec le forgeron du bourg, celui-ci avait semblé refroidi. Peut-être cette ignorance le vexait-il. Moment était venu de comprendre d’où le garçon tenait son apparence.