Le feu crépitait, illuminant la clairière dans laquelle ils avaient décidés de s'installer. Sans un mot, Liam s'éloigna du petit campement qu'ils avaient monté, Roggvir, Harald et lui. Un de ses comparses renifla bruyamment mais n'esquissa pas un geste pour l'interrompre : ils connaissaient tous les trois les désagréments secondaire de la bière. S'approchant des bois qui entouraient leurs quelques tentes, le chasseur déboutonna ses chausses sans pudeur ou ménagement. Tirant sur son engin jusqu'à l'extraire des fourrures, le trappeur ne chercha même pas à retenir le grognement qui perça ses lèvres décharnées. «
Foutu froid. P'tain d'hiver qui veut pas f'nir. » Frissonna-t-il, en se rappelant les vieilles légendes grivoises qui se racontaient chez les habitués des régions froides. Parfois, on l'avait averti :
« Tu pisses de la glace, garçon, quand ta queue est pas encore tombée... ». Rien de tout cela n'était déjà arrivé, mais quand l'hiver durait si longtemps et quand la nuit obscurcissait les coeurs autant que les yeux, de vieilles craintes de gamin resurgissaient souvent. «
Allez, garçon, fais ton office et on retourne se chauffer les miquettes avec les autres. » Souffla-t-il à son propre égard, comme pour se donner du courage. Il avait beau chasser depuis des années, il ne s'était jamais senti à sa place en forêt, quand mourrait le jour. «
Allez, allez, allez ! » Reprit-il, tout en soulageant sa vessie. Le froid n'aidait pas à se presser.
Après quelques minutes qui lui semblèrent être une éternité, le trappeur retourna vers ses deux comparses, inquiet. Jetant sans arrêt des coups d'oeil vers l'orée des bois, désormais d'un noir presque abrutissant, tant il était sombre. «
Les gars... Vous vous souvenez de l'histoire ? » Grimaça-t-il en s'asseyant sur la roche qu'il avait trouvé plus tôt. La pierre lui gelait le cul, mais au moins ne le trempait-elle pas comme la neige. «
Laquelle ? » S'enquit Harald en faisant tourner la broche sur laquelle tronait un des faisans qu'ils avaient attrapé. Un peu plus loin demeuraient les restes de deux autres oiseaux, dodus et lourds comme des sangliers. Avec eux, du menu gibier que Liam peinait désormais à attraper. Les rotules du pauvre homme n'étaient plus ce qu'elles étaient, depuis qu'une Gérudo y avait calé une flèche lors d'un raid sur le Village. «
Y'en a pleins par ici. On dit qu'à Hyrule, tout est magie et qu'y a que des bois maudits. » Liam garda le silence, sentant le poil s'hérisser sur sa nuque. Depuis qu'il était allé pisser, le vieillard se sentait comme... observé. «
Je suis certain que le vieux Liam parle de l'Histoire. Celle avec un grand I, quoi. » Siffla alors Roggvir, non sans avaler une longue gorgée d'ale. À l'instar de ses compagnons et comme beaucoup en Hyrule, il ignorait tout des arts de la lecture à la calligraphie. À trois, les hommes peinaient déjà à faire leurs comptes, et sans la petite Marine qui semblait connaître tout ça sur les doigts de la main, ils n'étaient pas sûr de s'en sortir. «
Celle de la Femme-Hiver. Celle qui est morte il y a mille ans, au moins, dévorée par les loups. » Roggvir s'était rapproché des flammes pour conter l'histoire à ses amis. Il profitait de l'absence momentanée de leur protégée pour reprendre quelques mauvaises habitudes. «
On disait d'elle qu'elle était trop belle et trop intelligente. Bien sur, les hommes n'aimaient pas ça et ils ont fini par la chasser, trop envieux de ce qu'elle refusait d'offrir. » Harald secoua la tête, à la fois nerveux et sceptique. «
Notre bonne reine eul'Dame Zelda, elle aurait jamais laissé faire ça. » Tança-t-il, non sans continuer de rôtir le faisan. Roggvir fit les gros yeux, agacé. «
J'y parle d'une fille qui est-ty morte y'a mille ans. Ou plus, peut-être même deux mille ans, et y m'cause d'eul'Princesse. Elle a même pas encore les seins qui tombent ta Zelda ! » Harald préféra garder le silence, taire ses difficultés à compter ainsi que son affection pour la Reine. Heureusement que ses seins ne tombaient pas ! «
Enfin, bref, on s'en fout », reprit Roggvir qui se calmait à l'aide d'un peu plus d'ale. «
Laissez-moi vous raconter la légende de la Dame-Hiver... » un sourire presque malsain déchirait sa gueule. Pour un peu, Liam aurait juré qu'il était taillé au couteau.
*
Sans un mot, le Ceald s'approcha du peu de carcasse qu'il restait de la bête. La nuit commençait à tomber quand ils avaient commencé à dépecer et à dépouiller le petit mammifère et dorénavant, la neige brillait d'une douce lueur d'argent là où pouvaient passer les bras d'Ilaah-la-Grande. Jetant un rapide coup d'oeil aux abats, il se saisit assez vite de la mâchoire, dont il extirpa la langue. Si l'arracher avait souvent été sa solution, enfant, il avait fini par comprendre les colères de l'Ancien et procéda donc minutieusement, avant de s'atteler aux dents. Quant aux yeux du lapin, ils avaient été abimés quand la flèche l'avait cloué à l'arbre. «
Ruth... », siffla-t-il entre ses dents, agacé. Ils ne lui auraient pas été de grande utilité, mais Brieg savait quand les employer pour obtenir des résultats qu'il enviait toujours au Doyen. Laissant le reste des déchets de chasse, il se laissa mener jusque dans l'ombre qui recouvrait de sa lourde cape le Domaine Sylvestre. Son regard cherchait, quelque peu en vain, des traces de Chélidoine, de Bryone ou d'Aloès. Fronçant les sourcils et plissant les yeux, le paria tenta d'ignorer les flocons qui chutaient doucement, et s'accrochaient dans ses cheveux comme dans sa barbe. «
Non merci. » Lança-t-il simplement à la fermière qui l'avait rejoint. S'il appréciait la proposition, il s'évertuait le plus souvent à refuser l'aide qu'on lui proposait. Certains chez lui y voyaient une espèce de lutte contre une forme d'aliénation à l'autre quand d'autres fustigeaient parfois un excès d'arrogance. Il était loin d'être le seul à partager ce genre de défauts parmi les enfants de son clan. Plus que tout, ils partageaient tous ce sentiment, cette espèce d'instinct de survie, enraciné et insurmontable qui les liait à une liberté parfois si dangereuse. Mais sans laquelle rien ne valait – à leurs yeux – la peine d'être vécu. «
La nuit tombe vite. Il fait trop noir pour trouver quelque chose. » Souffla-t-il, simplement, sans s'acharner davantage. Il n'y avait de toute façon pas d'urgence.
Il la laissa s'approcher en chantonnant, prêtant plus d'attention à ses mains qu'à l'air qu'elle fredonnait. S'il ne s'estimait pas en danger, le chemin qui avait été le sien laissait malheureusement quelques traces. De couteau, notamment, mais aussi de flèches. Ainsi que de hache, de fouet et de tant d'autres outils qu'il ne se souvenait plus de tous. Mais, à l'évidence, il faudrait qu'il revienne sur quelques unes de ses habitudes. S'autorisant un dernier coup d'oeil, qu'il savait tout aussi inutile que les autres puisqu'il n'y voyait pas dans un noir si profond. La raillerie de l'enfant le laissa de marbre : s'il témoignait parfois un certain orgueil, ça n'était pas dans ce genre de situations qu'il se manifestait. «
Allons-y. » Lança-t-il simplement en se retournant sur la jeune femme. «
Je te suis. » Son regard chercha celui de la fermière dont il ignorait encore le nom. Il n'en avait pas besoin de toute façon.Dépoussiérant rapidement son haut des neiges qui s'y était accrochées, le maraudeur entreprit de suivre la rouquine qui s'éloignait déjà. Sans un mot de plus, il rabattit le capuchon de fourrure sur ses oreilles, ignorant les affres du froid.
*
Jetant ses mains devant le feu, Liam se concentra sur le récit de Roggvir. Il n'était pas sûr d'avoir tout saisi, sinon qu'il était question d'esprits et de revenants. Rien que d'y repenser, le vieil homme frissonna. Sur sa nuque, il sentait peser une espèce de regard surnaturel, accompagné d'un froid plus glacé que la neige elle-même. «
'Rrête ek tes conneries », grimaça-t-il à l'attention de Roggvir. «
On f'rait mieux de chercher la petiote. La nuit tombe. » Harald opina du chef, plus parce que l'histoire l'inquiétait que parce que l'absence de Marine l'effrayait. Des trois hommes, il était celui qui avait passé le moins de temps avec et, au fond, il ne l'appréciait pas plus que de mesure. C'était presque s'il la voyait comme un poids, une bouche de plus à nourrir. «
Bourse-molle ! » Mugit Roggvir à l'attention de ce dernier. «
Arrête de faire semblant de t'inquiéter du sort de la petite Marine, Harald. On sait tous que t'as mouillé tes chausses. » Liam fronça les sourcils, sans s'occuper de la dispute naissante entre les deux hommes. Les flammes l'aveuglaient partiellement – peut être moins que la noirceur de la nuit, il n'aurait su dire – mais il était presque sûr d'avoir vu quelque chose bouger derrière Roggvir, dans les fourrés. «
Ferme ta gueule, Roggvir, tu veux ? Tu dis que des conneries et t'essayes de te faire passer pour un savant. Tous les braves types intelligents savent que ce que tu racontes n'existe pas. C'est pour faire peur aux enfants... » Harald se défendait tant bien que mal, non sans couvrir ses jambes dans un peu plus de fourrure. Tandis que le conteur lui assénait une nouvelle pique, le vieillard referma doucement ses doigts sur les lanières de cuir qui entouraient son arc.
Sans pouvoir expliquer pourquoi il n'alertait pas ses camarades, Liam se dressa soudainement, au dessus des flammes. Une vingtaine de coudées derrière Roggvir, quelque chose avait bougé. «
J'le jure... », siffla-t-il entre ses dents, bandant son arc comme s'il visait quelque chose. «
J'le jure, y'a-t'y quelque dans l'noir...! Ça bouge ! » Ses doigts caressaient sa joue, l'empennage de la flèche soulignait sa pommette. Sans écouter Roggvir qui se moquait de lui, le vieil homme décocha. Le trait fila, plus rapide qu'une bourrasque. «
Si y'a-t'y une de ces Dame-Pâles comme qu'tu dis, j'lui ai câlé ma flèche entre les yeux..! — » Siffla-t-il rageur, en détendant le bras. Il ne voyait déjà plus le carreau, englouti par l'obscurité, comme tous les sons sinon celui du feu qui crépitait, prêt à tous les avaler lui aussi. Son regard, usé, balaya le campement. Autour d'eux, les quatre tentes formaient une espèce de ronde. Les proies s'empilaient, près de la tente de Marine, comme un monticule de cadavres. Il les avaient tous saignés et s'étaient assurés de faire le nécessaire pour leur conservation. Du ciel tombaient une myriade de flocons, comme une pluie blanche et scintillante.
« C'est-tu des larmes de fantôme ? » S'interrogea le vieillard, sans réaliser que la tête lui tournait.
*
L'acier déchira la fourrure, surprenant le Ceald comme un coup de tonnerre. Lanre ne prit pas le temps de prévenir la fermière du danger : il avait tout juste eu le temps d'entendre le vrombissement de la flèche, mais la nuit l'empêchait de distinguer les assaillants. Et s'il espérait que ceux-ci ne pouvaient pas le voir non plus, rien ne lui permettait de d'en être sûr. «
Hmpf..! — », grogna-t-il doucement, en percutant le sol. Ses bras s'étaient refermés sur la fermière pour mieux amortir la chute et lui éviter une dernière étreinte. Celle de la Reine des Corbeaux. Gardant le silence, volontairement, le brigand glissa un doigt sur sa gueule, barrant ses lèvres et intimant le silence à la belle. Après l'avoir prévenue, il la libéra de son emprise. D'une main, il essaya de la convaincre de rester baissée, tandis que de l'autre il tirait la dague de Blanche. Le coutelas était froid, gelé même. Doucement mais sûrement, il rampa jusqu'aux racines d'un grand-arbre, derrière lequel il se hissa sur ses deux jambes. Jetant un rapide coup d'oeil, le vagabond chercha à déterminer combien d'archers leurs ennemis alignaient, sans parvenir à distinguer autre chose qu'un brasier. Un feu de camp à l'évidence.
« Plægja... — » Ses dents grincèrent sans produire le moindre bruit. Pliant les genoux, comme lorsqu'il chassait, le Ceald referma plus encore son emprise sur le surin.