La fumée et le sang

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[Premiers posts pour Négus et Abel]

L'air serait chargé de fumée, et de sang.

Du haut de la colline, Ganondorf observa les flèches monter dans le ciel nocturne, décrire un mouvement de cloche avant d'entamer leur redescente. La poix ardente qui les embrasait les faisait ressembler à des étoiles filantes qu'un dieu aurait tiré avec un arc magique, dans un des nombreux mythes qui encombraient sa mémoire. Tyrté ? Non, Pyndar. Voilà un héros digne de lancer de nouvelles étoiles rejoindre le manteau de la nuit ! Sauf que ces flèches là ne se fichèrent pas dans la toile des astres. Elles entamèrent leur chute après un instant, et vinrent se planter dans des toits de chaume, des murs de bois, un stock de foin mal rangé.

Le gérudo savoura les quelques instants de silence qui le séparait encore des cris. Des cris d'alarmes, de lamentations, de fureur pour les plus braves... Peu importe. Ce qui comptait, c'était que le calme plat de la nuit ne tarderait pas à être rompu. Cette douceur sombre qui endort les périls et soulage les yeux fatigués allait disparaître dans les flammes, dans la fumée, et dans le sang. Encore quelques instants...


« Alerte ! On nous attaque ! »

Enfin. On y était.
Ganondorf tendit le bras à sa gauche, et une gérudo y déposa son casque, qu'il enfila aussitôt. Il pouvait sentir le poids du cimier rouge et la forme de la pièce d'arme limitait sa vision. Mais ce soir, sa valeur au combat ne compterait pour presque rien. L'essentiel était de charger, en avant, et de ne jamais reculer. Il eut un regard vers sa main, où la Triforce ne brillait pas. Pas encore. D'abord le combat. Alors, la lumière viendrait. Oh déesses, faites qu'elle vienne !
Au fond de lui, le Roi pouvait déjà entendre le démon ricaner, à ses dépends. Pour une fois, sa moquerie était justifiée. Alors autant lui clouer le bec, en l'oubliant. Sous son heaume, sa lippe se releva en un rictus las et mauvais. Son regard éreinté embrassa une dernière fois la plaine en dessous de lui. Demain, il n'y aurait plus que des champs désolés. Son sabre tiré du fourreau émit un son strident presque intolérable tandis que sa voix s'élevait, caverneuse, en un rugissement hurlé dont l'écho semblait résonner au sein des enfers.


« Du sang, pour mon trône ! Mort ! Mort ! »

De la fumée et du sang. Tandis que les cavalières autour de lui talonnaient leurs chevaux et se jetaient dans la bataille, Ganondorf accorda son dernier instant de lucidité au chevalier de crânes qui l'accompagnait et à Abel del Naja, également présent. Négus était vraiment sorti affaibli de son séjour dans la fosse commune du village Cocorico. Sans doute quelques os de plus ne lui ferait pas de mal. Quand à son noble-espion, le gérudo ignorait la raison exacte de sa présence. Il n'avait pas ressenti le besoin de lui poser la question. Peut être la violence se justifiait elle par elle même, au si beau regard de cet homme que d'autres auraient trouvé inquiétant. Sous son casque, le Lion adressa un rare sourire à ses fidèles avant de lancer son destrier au galop.

* * *


« Pourquoi ? Pourquoi me faire ça ? »

D'un geste empli de rage autant que d'un trouble inhabituel, Ganondorf renversa la bassine d'eau sur le sol. Le reflet qu'il y avait observé... C'était trop pour lui. Insupportable. Une offense faite à sa personne, à sa gloire, à sa puissance. Mais rejeter la vérité ne fit pas plus disparaître celle ci que les sentiments tourmentés qui l'étreignaient. Profondément las, le gérudo se laissa pleinement choir sur son lit, qui encaissa difficilement le choc. Un instant, il fut pris d'un espoir. Celui de fermer les yeux et d'enfin sentir son fardeau s'alléger. Que son esprit s'en aille vagabonder aux confis de la conscience, s'abîmer dans les récifs de l'île des songes et qu'enfin ses paupières restent closes jusqu'au lendemain matin. Mais rien de tout cela n'advint.

« Le sommeil ne vient pas sous la torture. » Lui avait dit le démon, quelques lunes auparavant. Pour une fois, Ganondorf ne trouvait rien à lui rétorquer. Ses mots avaient le poids d'une lourde vérité. Le Roi était tourmenté. Rien ne tournait plus rond.

Sa défaite avait constitué son premier sujet de frustration. Non pas réellement la mise à sac incomplète du village Cocorico, mais bien l'échec de son dialogue avec le dragon. Jamais il ne s'était senti aussi humilié, aussi moqué... aussi faible. En offrant sa liberté au lézard, Ganondorf ne pouvait imaginer se voir opposer un refus aussi catégorique, et méprisant. Volcania... Pour la première fois depuis une éternité perdue dans les sables, le Lion trouvait un être à sa mesure, voire au delà. Rien que cela constituait un choc, rude à avaler.

Et puis, sa main avait commencé à le tourmenter. Sa main, la seule qui comptât, celle que la grâce divine avait touché. Naturellement, la Force brillait toujours de mille feux... Mais depuis la bataille, le Courage faiblissait. Chaque jour, la lueur du fragment récupéré de la main du voleur pâlissait un peu plus. Ces derniers temps, il n'était plus qu'une parodie du souvenir qu'en gardait Ganondorf.

Et pour couronner le tout, le Lion sentait que quelque chose ne tournait pas rond avec sa fille. La nouvelle de son évasion du château s'était largement et rapidement répandue. Depuis lors, il attendait chaque matin et chaque soir qu'on lui annonce l'arrivée de celle ci. Par affection et respect, il se refusait à courir la plaine pour la retrouver au plus mal. Sachant sa lionne fière, il espérait bien plus la retrouver droite et forte, comme elle l'avait toujours été. Mais les jours passaient, sans nouvelle, ni silhouette à l'horizon. Et alors le doute s'insinuait. Ou bien était ce le démon qui le lui murmurait. Qu'importe. Le vernis des certitudes s'effilochait sur la toile de son esprit. Les rêves de retrouvailles laissèrent la place à des cauchemars terribles. Dans le dernier qu'il avait fait, Ganondorf était confronté à sa fille, arborant les armes de la famille d'Hyrule, lors d'un combat à mort. En se réveillant, le gérudo s'était juré de ne plus se laisser aller au sommeil avant d'avoir retrouvé Swann.


« Tu sais bien pourquoi tout s'effondre autour de toi. » Il n'avait plus la force d'imposer le silence au démon. Depuis quelques temps, ce dernier profitait ainsi honteusement de son état, pour laisser couler le miel et le fiel de ses sournoises paroles. « Volcania t'a toisé car tu es faible. Le courage te rejette car tu as fui. Et ta fille ne te revient pas car elle se fiche bien de toi. » Si n'importe quel de ses serviteurs lui avait parlé sur se ton, Ganondorf lui aurait imposé un trépas long et douloureux. Mais étrangement, la voix du démon l'apaisait. Au moins exprimait il clairement ce que ses tripes craignaient sans oser le penser. « Tu n'oses pas encore y croire. Tu veux rester persuadé que tu avais raison. Le temps te prouvera le contraire. Alors, tu verras. Je suis ta seule option. »

Ganondorf ricana en s'emparant d'une carafe de vin avant de l'engloutir d'un coup. Le vin rendait le monde plus supportable.

* * *


Ils n'avaient eu aucune chance de l'emporter, et même fort peu de seulement s'en tirer en vie. Ganondorf observait attentivement les corps des villageois, traînés et massés au centre du village par les gérudos. Des idiots, pensa-t-il. En temps de guerre, faut il manquer d'instinct pour rester ainsi sans défense sur la ligne de front ! A y réfléchir, le gérudo ne se rappelait pas d'avoir déjà mener un raid aussi simple, même du temps où il faisait ses armes dans des contrées autrement moins civilisées que le royaume d'Hyrule. D'un mouvement sec, il rangea son sabre au fourreau, ignorant le sang qui allait en maculer l'intérieur. La bataille était finie, pour autant qu'on puisse décemment nommer ainsi ce qui relevait plutôt du massacre en coupe réglée. Par un simple ordre, par sa volonté pure, Ganondorf venait de prendre des dizaines de vies. Il inspira longuement cette odeur de fumée, et de sang. C'était là le plus enivrant des multiples parfums du pouvoir.

Au milieu des flammes, on aurait pu dire de lui qu'il était le mal incarné. Lui même appréciait qu'on se le dise, car la moins coûteuse des armes d'un monarque restait la peur. Mais à ses yeux, le Lion faisait ce que la nature lui ordonnait : chasser les faibles, pour que survive les forts. Alléger l'humanité de ses poids morts, afin que les autres vivent dans l'opulence et la gloire de son règne. Il doutait que beaucoup fussent en capacité de le comprendre, mais au fond, cela n'avait pas d'importance. l'Histoire jugerait, durement mais d'autant plus justement qu'il l'écrirait lui même avec soin. Son regard se porta sur le tas de cadavres qui commençait à s'accumuler au centre de la bourgade en flammes. La veille, des êtres vivants. Maintenant, des bouts de viande en décomposition. Et entre les deux, un instant magique où le miracle de la vie s'était éteint en eux.


« J'espère que tu auras de quoi te refaire une santé. »

Déclara-t-il à Négus, non loin, dont il sentait la présence avec acuité. Si le monstre aux os tirait un avantage de concret de cette soirée, et bien au moins ces gens insignifiants se seraient pas morts en vain. En revanche, il chercha Abel des yeux en vain. Peut être était il en train de s'amuser avec une des victimes de la nuit. En réalité, Ganondorf n'avait fait attention à rien de ce qui l'entourait durant le combat. Seule comptait son envie de se battre, de sentir ce frisson le parcourir et inhiber tout le reste. Surtout, d'oublier ce qui l'empêchait de dormir depuis aussi longtemps.

Autant dire qu'en cela, cette nuit ne lui avait apporté qu'une satisfaction courte et peu intense. Le seul qui s'était opposé plus longtemps qu'un bref instant à sa lame était sans doute le forgeron du lieu. Mais le reste de ces paysans ne valaient rien avec une fourbe ou une hache à la main. Pour se satisfaire, il lui en faudrait plus.
Marchant un peu vers la limite Est du village, le regard de Ganondorf dévia alors sur une colline, où se dressait une demeure de noble. Pas un château, ni une forteresse, mais sans doute un lieu abritant un butin conséquent et, avec un peu de chance, quelques combattants de bonne valeur. D'autant que les nobles avaient pour coutume de conserver avec soin leurs ancêtres trépassés. Le Lion déclara alors à Négus, Abel, et aux gérudos derrière lui.


« Ma soif n'est pas épanchée. Remontez sur vos chevaux. Ce soir, Négus aura droit à un menu de premier choix. »

Sur sa main, un fragment brillait.

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