Cerscastel s'amusait de la situation, Llanistar le savait et il le lui pardonnait d'autant moins. Ce qui arrivait au général n'était que la conséquence d'un des pans de sa politique récente, et il n'avait pas à s'en plaindre. Son rôle à la cour de Rheinnor l'avait déjà amené à côtoyer ceux qui venait de l'accabler de courriers incendiaires, suppliants ou menaçants. Tous riches, tous pingres. Au lendemain du décret royal instaurant des taxes sur les terres et les biens, et ce en vue de la protection du royaume, les pigeonniers du château avaient vu déferler des nuées de messagers aillés annonçant l'indignation de leurs propriétaires. Comme prévus, les avares ne voulaient pas participer à l'effort. Llanistar aurait bien ignoré ces lettres et tout ce qu'elle contenait. Il connaissait déjà par coeur leurs contenus et méprisait déjà leurs auteurs. En outre, l'armée avait un besoin vital de l'argent de ces taxes et il préférait serrer la ceinture des obèses que des affamés. La pénurie due au raid sur le ranch Lonlon restait vive et douloureuse pour le bas peuple, tandis que les possédants n'en avaient pas souffert.
Mais son devoir était aussi de répondre à chaque lettre, personnellement. Et si Cerscastel surveillait les réponses afin que le nordique ne se laisse pas aller à des mots crus, il s'amusait de la corvée que subissait son surveillé, comme l'aurait fait un enfant. Au final, sous son blanc manteau, le vieux était bien fait de chair, d'os et d'une âme de gamin bien enfouie, comme chez tous les hommes que Llanistar avait connu. Donc, ce fut comme un cadeau du ciel que le général vit un jeune garde franchir la porte. Francis, selon ses souvenirs. Peu bavard, à l'écart des autres mais plutôt motivé. En tout cas, malgré sa jeunesse, il ne faisait pas partie des nouvelles recrues et était garde avant que le nordique ne fut général d'Hyrule. Après un bref salut et s'être assuré qu'il pouvait parler, il déclara,
"Ser Rusadir, dame Impa souhaiterait vous rencontrer prestement, ainsi que vous l'avait demandé sa majesté la princesse Zelda."
Trop beau pour être vrai. Llanistar se souvint du message transmit par la souveraine, et le malaise qui s'était emparé de lui à sa lecture. Impa n'était pas n'importe qui, surtout au sein de la cour. La nourrice de l'héritière du trône...Une telle responsabilité n'existait même pas à Artensir où les nourricières de l'enfant se comptaient par dizaines et où aucune ne prévalait sur les autres. Que cette femme fut en sus la fondatrice du village Cocorico rajoutait à son influence. Le général ne doutait pas qu'ils se rencontreraient un jour... Mais cette demande de Zelda avait quelque chose de dérangeant. Comme si il s'était agit d'une inspection. Et en la matière, le vieux chevalier suffisait largement à Llanistar. Il n'avait nul besoin d'une nounou... aux deux sens du terme ! Mais dans la situation d'alors, où il devait choisir entre ces messages geignards et une femme puissante à rencontrer, le choix fut vite fait. Avant même que Cerscastel ne put l'en empêcher et remettre la confrontation à plus tard, le nordique répondit vivement,
"J'y suis disposé immédiatement. Où puis je la trouver ?"
"Dans la bibliothèque royale, ser. Elle vous y attendra."
"Je viens dés lors que cette lettre sera achevée."
Le garde s'inclina et repartit, en courant presque. Il semblait d'un zèle inhabituel. Se pouvait il qu'il fut un privilégié de cette dame Impa ? Au moins n'était il pas un sheikah ! Il n'avait pas ce regard carmin inquiétant, qui semblait refléter le sang qu'avait fait couler cette tribu au nom de la famille royale. Si il ignorait leur existence avant d'entrer lui même dans la cour, on l'avait rapidement mit au courant et expliqué en quoi ils différaient des Hyliens. Rien de bien rassurant et Llanistar s'était toujours arrangé pour s'en tenir loin mais puisqu'ils défendaient la même personne... Une coopération s'imposait sûrement.
Il s'empressa d'achever la réponse, apposa sa signature et, après avoir roulé le parchemin, posa le sceau de la chancellerie sur la lettre. L'instant d'après, il s'était levé et se dirigeait vers la porte. Avant qu'il ne la passe, le vieux lui demanda,
"Qu'en est il de votre devoir de réponse, Général ?"
Le ton était froid et l'expression de Cerscastel contrariée mais Llanistar lui répondit avec un sourire espiègle à son tour, la main sur la poignée de la porte,
"Je suis certain que votre amour du royaume vous aidera à me remplacer !"
Et il sortir de la pièce.
Celle ci, qu'il utilisait pour toutes les tâches de l'administration, se trouvait dans les étages supérieurs et il dût descendre deux escaliers successifs et franchir plusieurs couloirs avant d'enfin se retrouver au premier niveau, où se trouvait la bibliothèque. Bien sur, des archives se trouvaient bien plus bas dans les sous sols mais puisque le garde n'avait pas précisé qu'il s'agissait de celle ci, Llanistar supposait le contraire et se dirigea vers le lieu de savoir. A y réfléchir, il ne s'y était pratiquement jamais attardé. Cela ne ressemblait pas vraiment à l'enfant qu'il avait été, bien plus jeune, lorsque lire lui faisait oublier les coups donnés par son père et les insultes lancées par ses frères. Une naissance noble mais traité comme un bâtard... Le premier de ses malheurs, et non le dernier. Mais il avait su dépassé cela et s'était ainsi éloigné de ces compagnons d'infortunes ; les livres. Peut être avait il cherché à oublier ces souffrances en ne s'y plongeant plus. Ou peut être l'atmosphère poussiéreuse et ancestrale de cet endroit l'impressionnait elle à chaque fois. Sans doute un peu des deux.
Ainsi, rendu mal à l'aise par ces rangées d'étagères immenses garnies d'ouvrages anciens, il avança dans la bibliothèque jusqu'à la trouver. Une femme grande, mince, vêtue d'une armure légère et de vêtements mauves. Elle portait les cheveux assez courts et fermement maintenus en place derrière la tête. Llanistar ne put s'empêcher de remarquer en elle une beauté sage et mure, très différence de celle d'une jeune fille. Il y avait en elle une assurance que le nordique captait, sans même avoir à user de son empathie. Mais lorsqu'il approcha, il put voir son regard rouge, et en fut d'autant plus mal à l'aise. Néanmoins, il n'avait pas l'intention d'afficher son malaise et déclara d'une voix qu'il voulut assurée,
"Dame Impa ? Ser van Rusadir. Vous avez demandé à me rencontrer."
Cela pouvait paraître froid mais l'ambiance du lieu ne se prêtait pas la familiarité...Ni même ce que Llanistar percevait de la femme en face de lui. Sans être apeuré par elle, il lui reconnaissait une aura. Cela, il le respectait autant qu'il s'en méfiait.