Posté le 26/06/2012 06:20
-JE LE SAIS !
Jamais Orpheos ne l’avait vue faire. Jamais il ne l’avait vue hurler, ni balayer d’un geste si colérique ce qui se trouvait sous ses yeux troublés. Quand ceux-ci croisèrent les siens, le chancelier eut beaucoup de mal à les soutenir.
-Je le sais... ! haletait la princesse. Ne crois-tu pas que j'ai pensé à tout cela !? Que je n'arrive toujours pas à comprendre comment il a pu me faire ça !?
C’était vrai. Elle était la première victime de cette haute trahison, et dans sa colère, il l’avait oublié. Il avait pensé à sa propre douleur, avant celle de sa souveraine et amie. Orpheos ne put s’empêcher de penser qu’elle avait bien fait de hurler, d’exprimer ainsi sa souffrance : cela l’avait un peu remis à sa place, et surtout, il n’aimait pas la voir se taire.
-Un grand nombre de nos guerriers sont morts... Mon royaume souffre... Link a été enlevé...
-Zelda…
-Et ce n'est pas fini... Et tout cela... C'est arrivé par ma faute, c’est moi qui ai ordonné cette expédition dans le désert, avec tous les risques que cela comportait, et tout ça pour...
Les trois hommes se turent avec la princesse. Le silence était bien trop éloquent pour que quelqu’un ose le briser… Mais ce silence n’allait pas calmer la colère d’Orpheos, qui bouillonnait toujours en lui. Il ne savait pas comment l’exprimer calmement, ni comment la contenir comme arrivait à le faire Zelda.
Tout le laïus de la princesse lui passa bien au-dessus de la tête. L’esprit d’Orpheos avait déconnecté un instant de la réalité, pour se focaliser sur un détail qui attira son œil dans la pièce. Un détail que les autres ne paraissaient pas avoir vu. Son ombre, qui aurait dû être projetée sur le mur par la lumière des nombreux éclairs au dehors…
Son ombre n’était plus là !
Orpheos retint un hoquet de surprise, au moment même où Zelda recommença à l’observer. Avait-elle capté son malaise soudain… ou était-elle trop affaiblie pour le remarquer ? Elle semblait elle-même trop occupée à masquer sa propre peine.
-Je n’en sais pas plus que ce qui t’a été rapporté. Seulement que le jour de son enlèvement au sein même du château, pas un garde n’a été appelé ou prévenu... Je n’ai pas assisté à la scène, mais j’ai toujours trouvé étrange... Tu l’as aperçu, non ? T’a-t-il semblé possédé ?
-Dun était au seuil de l’inconscience, répondit-il d’une voix agacée.
Zelda marqua une pause, et Orpheos regarda à nouveau vers le mur. Son ombre avait repris sa place parmi les autres…
-Enfin... Pour répondre à ta question, tu me surestimes. Je ne prétends pas pouvoir à coup sûr triompher seule face à Ganondorf, ou même en compagnie réduite. Ce dernier n’était d’ailleurs pas vraiment seul... Mettre en péril le château et ma vie, c’est mettre en péril tout le royaume, et mon sacrifice ne l’aurait pas sauvé, loin de là... Je crois que j’ai pris assez de décisions risquées pour l’instant, il n’était pas temps pour un affrontement...
Comme un serpent qui s’était réveillé en lui, prêt à mordre de nouveau, la colère du chancelier refit surface. Si Llanistar ne s’était pas agenouillé face à Cerscastel et Zelda, il aurait hurlé pour la seconde fois dans le bureau.
-Zelda, princesse d'Hyrule. Pardonnez moi ce geste prompt mais je ne peux vous laisser sombrer plus longtemps…
Il eut beau écouter le guerrier d’Artensyr, il ne put s’empêcher de penser que cela ne servirait à rien de prêter serment à la princesse. A quoi bon, si celle-ci était incapable de se battre elle-même ?! Oui, Orpheos était en colère après elle. En colère parce qu’elle aurait pu tenter, au moins, de se battre comme il l’avait fait. Mais cette colère, il la reportait surtout sur elle parce qu’il n’avait personne d’autre sur qui le faire – faible comme il était, et comme il se plaisait souvent à le penser.
Elle était là, toute fragile, devant un Artensys soumis et un vieux chevalier qui ne faisait rien d’autre que de se taire, alors que lui avait pactisé avec les Ombres pour sauver Dun. Zelda aurait pu agir d’elle-même !
Et ainsi, suite au discours de Llanistar et coupant la parole à Zelda, la colère d’Orpheos déborda une nouvelle fois. Voir la reine aussi passive le rendait fou.
-Tu parles de responsabilités royales, mais tu ne comprends pas que ces mêmes responsabilités incluent de te battre pour ton royaume ?! tempêta le Sheikah. Ganondorf était en face de toi, tu avais le pouvoir de le blesser ! Tu en avais le devoir, au vu de la situation dans laquelle était plongé Dun ! Je te connais depuis des années, et malgré la séparation due à mon exil, tu n’as pas changée ! Tu n’oses toujours rien faire ! Tu restes là, à recevoir des serments de fidélité comme maintenant, à laisser les autres agir sans le faire par toi-même ! Au vu de ton apathie, ce n’est guère étonnant qu’Efelron ait réussi à s’enfuir si aisément !
Un nom ressurgi du passé et des paroles blessantes : les mots d’Orpheos dépassaient maintenant sa pensée.
-Dès notre première rencontre j’ai voulu que tu t’affirmes, car je sais ce qui repose au fond de toi, Zelda ! Mais tu n’es pas capable d’oser ! Pas capable de sortir du rôle passif dans lequel on t’a formatée, et dans lequel tu t’es toujours enfermée ! Même aujourd’hui : je préférerais tant que tu hurles sur moi, plutôt que tu persistes à te murer dans le silence ! Je ne te surestime pas : tu vaux tellement mieux que ce que tu veux être ! En duel, une personne comme toi n’aurait pas été vaincue comme tu le crois !
La respiration du musicien se faisait saccadée.
-J’ai le plus grand respect malgré tout pour cette capacité, que tu as, à garder ton sang-froid même dans ces circonstances dramatiques ! Moi, pour une fois, je suis incapable de conserver le mien ! Car dans le désert, je suis venu pour le prince, et j’ai aussi sacrifié une part de moi-même pour… pour…
Pour rien. Pour perdre le prince, voilà le résultat de ses actions.
Sa voix s’étrangla. Il devait sortir sous peu, sinon il allait exploser davantage. Et le regard de Zelda, plein de douleur, lui était tout simplement insupportable. Ceux de Cerscastel et de Llanistar lui importaient peu : cette discussion n’était qu’entre lui et elle.
-…Excusez-moi, je crois qu’il vaut mieux pour moi de partir, murmura-t-il enfin d’une voix qu’il fit trembler le moins possible. Pour un moment, pour quelques jours…
Il était profondément touché ; il avait réussi à reformer une liaison d’amitié avec Dun, malgré leur passé compliqué, et on venait de le lui enlever… alors que tout n’avait fait que recommencer entre eux.
Il s’en voulait aussi, et déjà, d’avoir hurlé de la sorte sur Zelda. De l’avoir fait passer pour une souveraine faible, devant Llanistar qui n’avait même pas pu entendre de réponse à son serment. Mais, trop fier, le Sheikah ne s’excuserait pas. Regarder la réalité en face lui faisait déjà assez mal.
-…Pense à ce que je viens de te dire, en attendant, conclut Orpheos avant de tourner les talons, et de disparaître de la pièce sans un regard pour les deux autres hommes.
La porte se referma derrière le Sheikah, qui claudiqua comme un forcené à travers le couloir. La colère lui avait presque fait retrouver toutes ses forces physiques. Mais la colère lui fit également oublier ce qui s’était passé avec son ombre, dans le bureau royal.
Une heure plus tard, tous les gardes du château donnèrent la même nouvelle à son sujet : le chancelier des Beaux-Arts et de la Culture s’était, une fois de plus, volatilisé. Sans doute s’était-il enfui de la citadelle, sous la pluie torrentielle provoquée par le malin.