La jeune serveuse observait chaque geste de son tortionnaire. Il allait, de droite à gauche, et tendait quelques fils de fer d'une horloge jusqu'à la porte d'entrée. Le tout dans un calme pesant. Elle-même ne pouvait rien dire, bâillonnée. Les seuls interactions qui lui était possible d'avoir avec l'autre brune ne se faisait que par le regard. Parfois, cela se fit. Mais alors qu'elle y recherchait un réconfort, elle n'y voyait que du désespoir ; les yeux de cette inconnue ne laissaient transparaître aucune émotion. Jamais elle n'avait croisé un regard si glacial. Elle avait toujours espoir, cependant, qu'elle lui parle enfin. Ne serait-ce que pour lui dire ce qu'elle voulait d'elle. La jeune fille, qui avait tout juste passé le cap des vingt années de vie la semaine passée, n'avait pas la moindre idée de ce qu'elle faisait ici. Un étrange sentiment l'envahissait. Elle avait cette impression plus que désagréable de ne pas exister, du fait qu'on était loin de lui porter la moindre attention.
Elle tenta donc de se dégager, vainement. Les fils de fer lui lacéraient le corps, aussi bien vite cessa-t-elle ses protestations. Elle émit quelques bruits, bien sûr. Des gémissements, tout au plus, mais pas de quoi alerter les gens du village de sa captivité dans cette chambre. Elle eut cependant un frisson, lorsque la jeune femme qui la gardait prisonnière se tourna vers elle, et la fixa du regard avant de s'approcher lentement. Enfin ! se dit-elle. Enfin elle existait de nouveau. Mais elle déchanta bien vite, tandis que l'inconnue revêtait l'armure délabrée d'un soldat de l'armée hylienne. Tachées de sang, incomplète et rouillée par endroit, la tenue qu'elle enfilait était loin d'être des plus attirantes. Mais surtout, comment un soldat pouvait-elle lui faire ça, à elle ? Ils se devaient de protéger le peuple, pas l'inverse ! La situation n'en devenait que plus énigmatique.
« Cesse donc de me regarder de la sorte », lâcha la brune, qui s'approcha à hauteur de sa prisonnière. Son regard était impénétrable, et toujours aussi froid. La serveuse ne savait plus quoi penser, mais elle ne lâcha pas pour autant le morceau, et défia son tortionnaire en lui envoyant un regard remplis de haine.
« Je comprend ta colère, mais modère-la. Celles qui t'ont placée dans cette situation ne sont autre que les trois déesses, en te modelant de la même manière que je l'ai été. » Enfin un élément de réflexion. Enfin une raison, qui expliquait en partie sa présence ici, avec elle.
« Ne les prie pas. Ce ne sont pas elles qui décideront de ton sort. Au contraire, emplie tes pensées du seul espoir qu'il te reste : que je réussisse mon coup. »
---
Bigre, qu'il faisait froid. Si froid ! L'hiver était arrivé plus vite qu'aucun hylien ne s'y était attendu. En tout cas, pas le Sergent Dorian. Et il pestait corps et âme contre ce temps un peu trop rafraîchissant, à son goût. Mais ainsi était la volonté des Déesses, et il l'acceptait - difficilement, certes. L'uniforme de garde n'était pas adapté à ces températures si basses, aussi avait-il pris soin de bien se couvrir sous sa carapace de fer. Mais rien n'y faisait, et sûrement la neige qui tombait en permanence du ciel n'y était pas étrangère. Cette saleté avait recouvert le sol sur une bonne vingtaine de centimètres, et ses bottes s'était imprégnée très vite d'une humidité désagréable, et surtout glaciale. Des frissons lui parcouraient l'échine, et pourtant il devait attendre la relève, avant de quitter son poste et se réchauffer.
" Tu trembles de partout Dorian ! Ahahah ! Évite de te pisser dessus, ça réchauffe un temps, mais après c'est un enfer ! "
" T'es franchement dégueulasse dans ton genre, Jack ", répliqua le sergent dans un soupire.
Quelle plaie, celui-la. Heureusement le sergent ne l'avait pas toujours dans les pattes, et il s'en passait bien. Simplement, cette fois, ce n'était pas sa journée. Entre l'hiver et l'abruti, le sergent Dorian avait du mal à faire sa place, alors il préférait rester silencieux la plupart du temps, et comptait les secondes, les unes après les autres. De fait, il savait que son tour de garde serait bientôt fini, même malgré un soleil qui se cachait derrière les nuages pleureurs de flocons.
« La peste emporte cet imbécile... », soupira le soldat, désireux de se retrouver seul quelques instants. Il avança alors de quelques pas, pour s'écarter un peu de Jack. Son regard fut alors attiré par une silhouette, plus qu'étrange, venant directement du Bourg par la route principale. Il crut voir un vieillard au début, la silhouette se pliant en deux, mais il ne pouvait en être sûr à cause de la neige qui redoublait. Il s'approcha, jusqu'à distinguer enfin des pièces d'armures spécifiques de la garde. Puis le soldat s'écroula au sol, la face dans la neige.
" EH ! " cria d'abord Dorian, avant de se tourner en direction de Jack.
" Appelle les deux autres, on a un pépin ! "
Aussitôt il accourut vers le corps inerte du soldat, qu'il retourna, face tournée vers le ciel. Une femme. C'était une femme, jeune qui plus est, et particulièrement belle. Il la souleva quelque peu, de sorte qu'elle ne se retrouve pas gelée sur ce matelas blanc. Il remarqua alors la probable cause de l'évanouissement : une blessure, à l'épaule droite. Le sang s'en déversait à flot, et sûrement en avait-elle perdue suffisamment pour s’évanouir. Son armure était également dans un sale état ; elle devait avoir rencontrer un brigand, ou quelque chose dans le genre. Là n'était pas la question, à dire vrai.
Lorsque ses trois compagnons arrivèrent, le sergent donna d'emblée ses instructions.
" Toi, va tout de suite à l'infirmerie, et préviens les de se préparer pour une intervention d'urgence ! Jack, aide-moi à la porter. Quant à toi, tu gardes le passage jusqu'à notre retour. Aller, on se grouille ! "
---
Le Cygne ouvrit un oeil. Puis le second. Elle mit un certain temps avant de retrouver toutes ses sensations. Ses membres, tous engourdis par la potion qu'elle avait bu à la va-vite, refusaient de se mouvoir. Et aussi, elle avait mal au crâne. Voila donc ce que ressentaient les personnes qu'elle avait endormis de la sorte, à leur réveil. Elle tourna la tête, et observa dans un calme absolu la pièce où elle avait atterri. Sans surprise, et d'après l'unique mur qui formait un cercle tout autours d'elle, elle se trouvait dans la tour des gardes. Et vu les instruments et potions qu'elle voyait un peu partout, sûrement était-ce une infirmerie, ou quelque chose s'en rapprochant du moins. Et surtout, il n'y avait personne.
Après quelques minutes à attendre que son corps lui réponde enfin, la jeune Villarreal se leva. Aussitôt, elle porta une main sur son épaule droite lorsqu'une vive douleur se réveilla, soudainement. Sa blessure... Avait-elle bien fais, au final, de porter un coup si terrible à cet endroit, rien que pour entrer dans cette forteresse ? Seul l'avenir le lui dirait. Mais peut-être aurait-il mieux fallut enfoncer la lame moins profondément. Qu'importe. La plaie était recousue, aux frais de la Princesse. Merci, osa penser le Cygne avec un sourire moqueur.
Son équipement avait été déposé sur une autre table, juste à côté. Les plaques de son armures avaient aussi été échangées par de plus neuves et reluisantes. Swann soupira, et ne s'habilla que de ses vêtements, qui lui avait été retirés pour que l'on puisse la soigner. Par chance, le haut était toujours là, bien qu'imbibé de sang et troué. Elle s'en contenterait. Ces quelques étoffes de soie noire faisaient partis des rares tenues qu'elle possédait. Elle en changerait très vite, bien sûr, une fois sa besogne accomplie - ou non.
L'assassin ramassa les deux couteaux de lancé qu'elle avait prédestinés pour le foie et la jugulaire de sa Reine bien-aimée, puis les attacha à sa ceinture, recouverte par le tissu noir qu'elle avait revêtis. Elle attrapa également une enveloppe non cachetée, qu'elle garda néanmoins à la main ; enfin, elle poussa l'unique porte de la froide pièce, pour enfin débuter ses recherches.
" Enfin vous êtes réveillés ! " Lança subitement une voix de femme, alors qu'elle venait à peine de poser un pied dehors. Lorsqu'elle tourna la tête, Swann vit une femme d'une quarantaine d'année. Elle tenait un panier en osier, avec quelques étoffes de tissus.
" Vous n'auriez pas dû vous lever. Tenez, j'étais allé chercher ces vêtements, pour vous. "
" Je n'en ai pas besoin. Est-ce toi qui a pansé ma plaie ? "
" Effectivement, et d'ailleurs... "
" Tiens, prend ceci ", coupa l'ancien Numéro XII de l'Ordre.
" Voici ma bourse. Je n'en ai plus l'utilité. Prend cela comme un paiement pour tes soins. J'aurais néanmoins une dernière requête, peut-être pourras-tu me répondre. "
" Je vous écoute. "
" Je cherche la Princesse Zelda. Où est-elle ? "
" Et bien, dans sa suite je suppose, à l'étage supérieur. Demandez aux gardes, ils sauront vous renseigner mieux que moi. "
Sur ces mots, le Cygne Noir faussa compagnie à la guérisseuse, puis se faufila dans les couloirs de la tour. Elle trouva les escaliers menant à l'étage sans mal. Elle croisa du beau monde sur le chemin ; des seigneurs, des gardes et des servants, la plupart du temps. Aucun ne vînt à son encontre, aucun ne la détourna de son objectif. De toute évidence, maintenant qu'elle était infiltrée, la peuplade de la forteresse ne faisait preuve d'aucune méfiance à son égard. Au contraire, ils la remarquaient à peine, comme si elle n'existait plus. Quelle magnifique chance que voila pour un assassin. Ces pauvres ahuris se croyaient donc tellement à l'abris, ici ? Misérable illusion que celle-ci.
Ce serait mentir que de dire que le Cygne Noir mit longtemps à repérer les appartements de sa cible. Bien qu'elle n'en était pas tout à fait sûr au début, mais les deux gardes qui gardaient la porte la laissait penser avoir pioché la bonne carte. Et encore plus lorsque l'un de ces gardes la poussa en arrière alors qu'elle s'était approché d'un peu trop près à son goût.
« Recule ! Il te faut une autorisation pour passer », lança-t-il en empoignant le pommeau son arme, toujours rangée ceci dit.
« Je dois voir la Princesse » répondit simplement l'assassin d'un ton plus que blasé. Elle sortit l'enveloppe, dont elle montra uniquement une face aux deux gardes.
« Un message de la plus haute importance, du Général Rusadir », renchérit-elle.
Les portes s'ouvrirent, et Swann pénétra les lieux du futur crime. Luxueuse, spacieuse et lumineuse, tels étaient les termes qu'elle pouvait employer pour décrire cette pièce. Ça la dégoûtait. Bien qu'il s'agisse d'une reine, il n'était pas envisageable pour elle de voir tant de belles choses réunies ici, et non aux mains du peuple où elles seraient bien plus utiles. Elle s'approcha lentement, tout en observant les moindres recoins de la pièce. Elle n'accorda d'abord aucun regard vers la Princesse, ni le moindre mot. Elle l'avait pourtant bien repéré, évidemment. Elle s'avança jusqu'à une fenêtre, et observa en contre-bas.
« J'ai un message, pour vous », dit alors le Cygne, en tendant la lettre à la belle blonde. L'enveloppe ne contenait qu'une brève phrase écrite par l'assassin, mais avant que la Princesse ne l'ouvre et n'y découvre l'inscription, Swann se mit à chanter d'une voix douce. Pas un mot plus haut que l'autre, et pas la moindre erreur de prononciation. On eut dis qu'elle le soupirait, ou presque.
Adieu rêves et merveilles, je n'espère plus,
La Paix tant espérée est une quête vaine
J'ose penser qu'elle viendra en temps voulu
Elle est de loin la plus souveraine des reines.
Le peuple se meurt dans la souffrance
La noblesse se complaît dans la suffisance
Hyrule a perdu tout ce qui faisait sa vaillance
Et moi, je ne puis supporter sa déchéance.
Pardonnez-moi, pardonnez mon geste
J'ai le malheur de vous apprendre
Ne plus être en mesure d'attendre
Puissent les déesses ne pas me reprocher ce jour funeste.
J'ai bien essayé de faire preuve de gentillesse
...
Tout en récitant ces quelques vers, l'assassin avait progressivement marcher jusqu'au bureau de la Reine. Elle gardait néanmoins deux bons mètres de distance avec sa cible.
Voyant le regard d'incompréhension que lui jetait cette dernière, d'un simple geste de main, le Cygne invita Zelda à ouvrir l'enveloppe, sur laquelle la fin de sa chanson était marqué.
Malheureusement, l'heure de ta mort sonne, Princesse.
Tout alla très vite ensuite. Tandis que Zelda avait à peine eut le temps de lire ces mots, l'assassin attrapa ses deux couteaux de lancé. Le geste d'élan, la visée, la cible, tout était ok. Les couteaux partent, fusent littéralement. Ils fendent l'air, et se plantent. Malheureusement, ils ne se plantent pas aux endroits voulus. Le premier finis sa course dans un carreaux de fenêtre, qui se brise sous le choc. Le second ne fait pas mieux et finit dans une arrête du bureau de la reine.
La jeune Villarreal n'en croit pas ses yeux. Elle était pourtant si sûre de son coup... Elle en avait pourtant tué bon nombre de la sorte. Au moins l'un des couteaux touchaient forcément. Vexée, la jeune femme sortit une lame courte, puis s'élança avec rage vers sa proie.
Mais obnubilée par son affaire, elle en perdit le contrôle des évènements. Tout alla dès lors beaucoup trop vite. Oh, oui, beaucoup trop pour elle...