Posté le 21/07/2013 00:16
Ses lèvres se pincèrent un instant et son regard se perdait presque rageusement entre les lignes qu'il peinait à saisir. Silencieusement, mais dans un silence lourd de sens, il déposa le livre sur la table, et baissa les yeux. Pour un peu ses dents auraient grincé, mais au moins avait-il cette décence-là de s'abstenir. La vérité, tout aussi dure qu'elle puisse être à avaler, c'est Impa qui la détenait et la lui assénait aussi violemment qu'elle aurait pu le faire passer à tabac par l'ensemble des garnisons en faction au Castel. Il était plus que jamais incapable de défendre Zelda ; seul tout du moins. Ce constat lui restait sévèrement en travers de la gorge et bien qu'il se refuse à l'avouer, il jalousait déjà ceux et celles qui remplirait ce qu'il avait cru être son office à lui. Qui devait protéger Belle, sinon lui ? Il ne frappait pas du poing sur la table, mais c'était tout comme. Tiraillé entre jalousie, rancoeur et honte, le garçon courba un peu plus la nuque. De l'extérieur, on aurait sans doute dit qu'il se contentait de lire des formules aussi compréhensible qu'il était natif de la Forêt Kokiri.
Et pourtant... Il savait pertinemment que ce que disait la Sheikah relevait du simple bon sens. Par deux fois, au moins, il avait failli et par deux fois il avait fallu que d'autres protègent sa souveraine. Qu'il s'agisse de l'attaque du Château, de la nomination d'un Chevalier Servant – sur laquelle il n'avait jamais rien dit et ne dirait probablement jamais rien –, de la venue impromptue de Ganondorf alors qu'il affrontait son spectre au désert ou de toutes ces années qu'il avait passé à fuir ses propres démons alors que Loireag la protégeait... La raison avait beau sortir de la bouche de la Doyenne de Cocorico, il ne tenait qu'à tout balayer d'un poing colérique comme l'orage.
L'Hylien préféra taire ces émotions qui, s'il n'était pas aussi endurci et habitué à rester serein et stoïque, l'aurait sans doute fait rougir. Jalousie et rancoeur s'emparaient certes de son coeur, mais la honte brûlait ses joues. Là où il aurait du être heureux et se réjouir qu'il ne soit encore rien arrivé à son amie, il ne parvenait qu'à en vouloir aux autres ; comme pour mieux faire écho aux reproches qu'il se faisait lui même. Et malgré le compliment aimable que lui faisait la Sage de l'Ombre, chose rare, il ne desserra pas les mâchoires, laissant les femmes parler entre femmes de problème qu'il était bien incapable de résoudre. Quoique...
Lorsque la voix de la dernière Hyrule s'était élevée en réponse à celle de la Sheikah, il avait déjà relevé la tête, comme guidé par un pressentiment. Il ne s'était pas encore assis, mais sa main s'était installée un peu plus tôt sur la tête de la chaise. Il l'en retira, calmement alors que son être bouillonnait d'une rage qu'il ne saurait contenir parfaitement.
"La mort." Lâcha-t-il, sur un ton serein mais sans appel. « Et si ton sortilège ne saurait le faire, c'est moi qui te ramènerait leurs têtes. » Si son épée avait été à sa ceinture, indéniablement il aurait tôt fait de poser la main sur la fusée, comme pour accompagner cette déclaration. Non pas humilier la Reine en tirant l'acier au clair sous son toit, en ses murs ; mais bien un réflexe guerrier qui trancherait sûrement avec ce qu'elle connaissait de lui. Elle ignorait qu'une fois loin des remparts il avait plusieurs fois été amené à baigner ses mains dans des sens divers et variés. Parfois le sien, mais le plus souvent celui d'autrui. Cependant... Et même s'il n'aimait pas plus cueillir la vie qu'auparavant, il était indubitable qu'il s'était endurci. Son visage s'était fermé aussi promptement qu'il n'aurait été aisé de lui tiré un sourire quand il retrouvait celui de la fille de feu-Daphnès le Juste. Les évènements étaient tels qu'il avait été forcé de s'entourer de cette coquille, au fur et à mesure. Qu'il s'agisse de ce qui l'avait poursuivi jadis, des années noires que le Royaume avait vécu sous le joug du Gérudo ; ou des centaines d'Hyliens que le Prince déchu avait envoyé à la mort...
Sa main gagna l'épaule de la Princesse, balayant tout le dédain qu'il avait pu mettre dans sa voix, involontairement, quand il avait abordé l'idée de la magie. S'il n'avait toujours aucun affect pour tout ce qui avait attrait aux enchantements – primaires ou avancés –, il se devait de reconnaitre que si cela avait été le cas en d'autres occasions ; les choses auraient sans doute tourné différemment. L'enfant-venu-de-nulle-part laissa sa main glisser d'une épaule à l'autre, en suivant les omoplates, passant par la nuque, tandis que sur sa langue les mots se bousculaient. Déjà ses joues se teintaient de rouges.
"Zelda, je..." Commença-t-il, avant de retirer sa main. Son intonation n'avait plus rien de semblable à celle qu'il avait pu avoir auparavant. Toujours dans le dos de son amie, il chercha un instant le regard d'Impa, comme pour savoir si elle pouvait le sauver de ce qu'il s'apprêtait à faire.
"Je crois que..." Il inspira, comme pour évacuer tout ce stress qui montait en lui. Le bout de ses oreilles avait déjà commencé à s'empourprer. « Je crois qu'il est temps de rattraper le temps perdu. » Son regard avait quitté celui de la Gardienne de Cocorico un peu plus tôt, deux voiles vinrent désormais l'aveugler, tandis qu'il fermait les yeux. Link expira ensuite, s'apprêtant à faire ce que jamais, ô grand jamais, il n'avait fait par le passé. Dans un silence profond, il s'avança jusqu'au niveau d'Impa, côte à côte. Puis, après une seconde d'immobilité, il osa affronter le regard de Belle.
Maladroit, il avança d'un pas vers, elle, avant de ployer le genoux. Son poing gauche vint renforcer sa stabilité en s'appuyant sur le sol, alors que son autre main venait se jucher sur sa jambe. « Je sais que... » Débuta-t-il, avant de courber la nuque, avouant une vérité qu'il lui était difficile de reconnaitre. « Je sais que je n'ai pas toujours été là, et rarement au bon moment. Cela dit... Il n'est jamais trop tard pour corriger ses erreurs, n'est-ce pas ? » Le Sans-Lignage ne releva pas la tête, le regard encore ardemment posé sur le sol froid. Cependant, il était bien des erreurs auxquelles il souhaitait remédier. Et si son coeur lui était déjà loyal, à elle et son royaume ; il était sans doute temps de formuler clairement cette allégeance qui était toujours resté tacite. Oh, il n'irait sans doute pas plus loin que ce qu'il venait de faire, mais personne n'en aurait vu autant.
C'était bien la première fois qu'il se faisait vassal ainsi. Et quand bien même il conserverait cette liberté qui lui était propre, il estimait que témoigner son indicible soutien à sa Princesse valait bien tout cela.