Posté le 11/07/2016 16:51
Lieu : Les appartements de Ganondorf.
Titre : Tromperie
Pris dans les tourbillons de la fièvre, le malade se sent vaporeux et vit une sorte d’expérience extra-corporelle où les contours de son être cessent d'être clairement définis. Il ne marche plus, il flotte, sa voix n'est plus singulière mais est une multitude d'échos, il ne voit plus mais il devine au travers d'un épais brouillard.
L'Humain est né dans un monde tangible, compréhensible, vivant, logique qui possède ses codes, sa trinité de dimensions physiques et sa temporalité. Plonger un Humain dans une configuration perverse ou toutes ses caractéristiques ordinaires sont corrompues, lacunaires alors se pose une effrayante question : cet être perd il son humanité ? Peut on appeler son existence dans un tel univers comme étant une Vie ?
Malgré sa fièvre, Arkhams grimpait inlassablement le donjon. Les escaliers en accordéon ne semblaient posséder aucune fin. A chaque demi tour, l'ancien Lord espérait apercevoir le sommet ou au moins un palier reposant. Mais rien de tout cela n'existait car l'architecte fou de cette structure et de ce monde voulait détruire toute trace de volonté dans l'esprit de ses invités et disciples. Ganondorf n'a jamais rien bâti de ses mains, il n'a fait que détruire la cohérence et la vie dans l'univers.
Combien de temps Arkhams rodait il dans ce château ? Cet homme qui n'en était plus un ne le savait pas. Une semaine ? Un siècle ? Le moteur qui faisait avancer le temps était grippé et chaque seconde qui aurait normalement dû s'écouler dans la clepsydre universelle venait abîmer l'esprit du Mille-Casaques. Sans Horloge, l'humain n'a plus ni passé, ni présent, ni futur. Il n'existe plus. Il est une parodie du vivant, une illusion.
Le Traître se surprit à sourire, dans un accès de fièvre délirante.
"Je me nomme Arkhams. Non, je me nommais Arkhams. Non, je me nommerai Arkhams ? Que dois-je dire en réalité ? Que devais-je dire ? Que devrai-je dire ?"
Les phrases n'avaient plus de sens. Elles étaient une danse hasardeuse de mots vides aux embrassades de syllabes impossibles.
Son âme se dissolvait, comme un mauvais poison au fond d'un verre d'alcool traître. Mais c'est en un battement de cils ou après une éternité d'escalade que ce maudit hère atteignit le sommet de la montagne, le toit du monde : Les anciens appartements de Ganondorf.
"Avant d'entrer, la politesse veut que je me présente."
Bien que sa noblesse et les bonnes manières tapissaient toujours le fond de son cœur malheureux, il ne put en exprimer davantage.
"Mais je ne sais même plus faire cela. Savais ? Saurai ... ?"
Arkhams s'effondra sur le tapis, la conscience au bord du précipice du coma. Au fond de ce ravin ténébreux, les Enfers.
Mais c'est d'une main blafarde, aussi moite que glacée par les tortures psychologiques de ce quasi-univers, qu'il parvint tout de même à ouvrir la porte.
Cette dernière grinça, comme toutes les antiques choses coulissantes de ce manoir solitaire, et frôla un tapis épaissi par une poussière collante. La pièce était ronde, sans coin ou recoin pour se protéger du regard omniscient de son habitant disparu. Elle ne possédait aucune ostentation, aucune excentricité pourtant habituelle chez le monarque Gérudo. Seul un trône, taillé directement dans un bois anormalement gris, servait de meuble. Ses arêtes étaient rudes, façonnées par les coups de hache et non par le ciseau expert et délicat d'un maître artisan. Le royal fauteuil était brut et sec comme son maître. Il faisait face à une unique fenêtre.
Ce qu'Arkhams vit à travers elle le combla d'horreurs pour une vie entière. Nul paysage désolé ne s'y laissait entrevoir. L'ouverture à travers l'épaisse tour donnait sur un spectacle intolérable. S'y voyait un tourbillon angoissant de néant, flottant en sa mer chaotique des images pèle-mêle de mondes morts ou à naître. Ici les lumières d'Hyrule, là bas les couleurs de l'Enfer, du Paradis, du Saint Royaume, qui se tordaient à l'infini, se mélangeaient sans complexe dans un tableau incompréhensible. Pris d’épilepsie devant la folie galopante de cette vision, Arkhams se mit à vomir et s'écroula définitivement derrière le trône. Il parvint à prononcer, la voix brisée par un haut le cœur déchirant sa gorge :
"je t'en supplie Maître, tue moi ou prend moi".
Des paroles d'un autre temps. Des mots de lâche, de faible. Une supplication qu'un Arkhams enfant avait déjà émise. Une maudite prière faite par ce Kokiri banni et condamné à la damnation, sans race et sans avenir.
Le temps n'étant pas cyclique, les événements ne se répétant pas, cette fois ci son ténébreux sauveur et souverain n'était pas là pour lui répondre.