« Messire Astre ! Quelle félicité de vous rencontrer en ce lieu ! Je suppose que votre acolyte de toujours doit lui aussi être dans les environs ? »
Astre se sentit flatté d’être ainsi reconnu. Le Chevalier noir avait senti la colère vriller les poignets du Dragmire, tenté de manier de l’épée et de faire un peu de boudin avec ses tripes. Pourtant, cet homme était plus nuancé ; si en présence de la Dame-Louve il était un réel canidé fonctionnant à l’instinct, hors du champ de son maître il était justement maître de ses actes. Un sourire élégant se dessina sur les lèvres délicates du fils de la grisaille, qui s’empressa de se tourner vers Arkhams.
« Déclinez votre identité ! Messire ! »
Il y avait une femme de présente, qu’Astre n’avait pas cru bon voir. Le Dragmire et elle échangèrent quelques vaines paroles.
« Me voilà comblé par cet accueil si… -il aperçut les efforts infructueux des flammes- chaleureux », compléta-t-il avec un sourire espiègle. « Mon acolyte de toujours, disons de presque toujours (il s’en est passé, des choses, depuis que nous nous sommes quittés sur ce véritable conte de fées, princesse dans sa bière de gel, deux héros maudits et un tumultueux disciple fidèle à sa maîtresse jusqu’à la mort), est en effet à mes côtés, ici présent. » Il désigna du chef le vil gredin, avec un peu de dédain.
« Quelle piètre fratrie vous faites, tous. Ne pas reconnaitre un des siens ? Si ton Père savait cela ! »
Le Chevalier devait reconnaître à son comparse ce don de la moquerie, du mépris, cette lascivité désintéressée qui lui aurait promis, en d’autres occasions, s’il avait emprunté d’autres chemins, une grande destinée aux côtés de la Princesse. Arkhams, nobliau de cour, Astre l’aurait vu certainement. Mieux encore… Prince d’Hyrule lui aurait allé à perfection ; Zelda dans ses bras fragiles, le regard crétin et abandonné, lui puissant et ennuyé, une fois le mariage consommé. L’ex-sénéchal connaissait bien le vieux renard ; il aurait charmé la donzelle, les yeux amoureux, la faisant danser et tournoyer au milieu des autres gentilshommes et dames fortunées, étincelants de bonheur et de beauté. Puis, une fois son objectif atteint, il se serait enfoncé dans la richesse, il aurait épuisé les fortunes insoupçonnées de la gueuse royale ; il aurait pris des bains d’hydromel, caressé par des pucelles, grand sultan avachi dans ses piscines d’or et de joyaux. Il aurait grossi, se serait empâté, les traits brouillés, gras et luisant comme un gros chien trop nourri. Vice-roi et Roi du Vice, que demander de plus ? L’ennui insatiable, les désirs jamais refoulés, toujours insatisfait… Astre se laissait emporté dans cette perspective autrefois probable, et cela le fit rire.
« Je suis celui que tu hais pour avoir occis quelqu’un que tu aimais. Je suis celui que tu apprécies pour avoir sauvé ta sœur. Et je suis aussi un de tes frères, pour l’instant. »
Le Chevalier noir ne releva pas le flot incessant de mots qu’houspillait le Larron. Il avait tant de choses à dire c’en était comique. On aurait dit l’une de ces petites catins en herbe qui agacent sexuellement un petit chenapan, lui promettant mille caresses mais se défilant à l’ultime moment.
« Quel heureux hasard. Tu peux contempler l’œuvre d’un mauvais génie. Ce chaos est magnifique et voici que notre bon ami des Dragmires voudrait tout effacer pour protéger l’intégrité de ses Grands-Mères. Ces vieilles sont bien les seuls êtres dans cette pathétique famille à posséder un semblant de noblesse. Astre, aide-moi à conserver les travaux de Kotake. Je te laisse la pucelle d’émeraude, je sais que tu les aimes jeunes. »
L’ancien Chancelier des Propagandes du Ganondorf d’antan (le grand, le puissant, le lucide) éclata de rire. Il était mauvais magicien, mais il accepta de fournir quelques efforts et se mit à jouer avec les ténèbres. Un brouillard noir se mit à émerger dans l’air tandis qu’il se concentrait. Les noirs tentacules, sinueux, se dirigèrent vers les flammes pour les étouffer.