Posté le 13/04/2017 23:54
Elle soutint le regard de Nesreen sans sourcilier. A plus d'un égard, la remarque de sa sœur faisait sens et elle en avait toujours été consciente. Les galeries creusées à même la montagne, derrière les chutes, recelaient de nombreux mystères et plus encore de dangers. Combien de fois avait-elle mené des expéditions, adolescente, pour déloger les Vers des Cavernes qui s'installaient régulièrement à l'ombre des parois ? Elle ignorait si Ganondorf avait permis aux monstres de proliférer et pourtant elle jouait leurs vies à tous en choisissant ce chemin. Elle jouait leurs vies à tous dans l'espoir de sauver celles de quelques unes de ses sœurs, celles qu'une chienne et un chacal avaient faites prisonnières. Aussi, c'est sans honte et sans remord qu'elle affronta le regard de la Gérudo : elle avait toujours été prête à mourir pour son peuple, son clan, sa tribu, ses sœurs. Certaines l'appelaient Reine, certes, mais toutes mangeaient à sa table, dormaient en son palais, vivaient, combattaient et tombaient à ses côtés. Elle n'était Reine que parce qu'elles en avaient décidé ainsi. L'Exaltée ne l'avait jamais oublié. Et pour elles, elle était prête à toutes les batailles. Si elle avait véritablement eu le choix, elle aurait bravé les cimeterres avec plus de fougue et de puissance qu'une tempête. Mais cette guerre-là, celle qui visait à reprendre la Forteresse qu'elle avait sottement perdue, ne viendrait pas de suite. Il leur fallait encore panser et lécher leurs plaies avant de s'attaquer au Fils-du-Malin. Son cœur désirait ce combat autant que son bras : elle rêvait chaque nuit du jour ou son sabre éviscérerait le Mandrag Dragmire. Tout ce qu'elle était la tirait vers ce duel qu'elle se savait bien incapable de gagner... et elle n'y résistait qu'au prix d'un effort considérable. La seule raison qui parvenait encore à la dissuader de se jeter dans la gueule du lion et de lui arracher la langue de ses mains, c'était la situation de ses sœurs, de leur peuple et de leur chair. C'était la culpabilité qui alourdissait ses épaules, le sang qui poissait ses paumes, colorait la pulpe de ses doigts. La rage brûlait ses tripes, nouait son estomac. Mais le combat qu'elle désirait ardemment attendrait d'autres lendemains. En silence et sans un geste, tandis que Nesreen se ralliait finalement à elle, elle se fit une fois de plus la promesse de percer le giron du Sorcier de sa lame. Le même serment qu'elle faisait chaque jour de son existence depuis des mois, sinon des années.
Ils finirent par s'engager dans ce dédale qui l'avait toujours effrayée, plus jeune. Le désert avait ça d'incomparable qu'il s'étendait à perte de vue et même plus loin que l’œil ne pouvait discerner. La nuit, la lune l'illuminait de reflets d'argents tantôt mystiques et éternels, tantôt éphémères et insaisissables. Il était immense, plus qu'aucune chose qu'il lui ait été donné de voir, et le Temple de l'Esprit n'en tutoyait que le commencement. Par delà les limites du monde connu, elle avait vu tant de choses qu'il lui était impossible de ne pas se sentir prisonnière dans de pareils labyrinthes obscurs. Elle retint en frisson quand les Saigneurs tuèrent le peu de lumière qu'ils avaient amenée, pressée de retrouver les dunes qu'elle chérissait. Qu'elle finirait par récupérer. Sous son masque de tissu, ses dents grincèrent tandis qu'elle adressait une requête – plus qu'une prière – à la Déesses des Sables. Si ces maudites chauves-souris s'avéraient être leur seul obstacle dans ces tunnels de roche noire, ils pouvaient presque se considérer arrivés. Presque. Restait encore à percer les méandres et les tromperies d'un lacis que des insectes géants aimaient à modifier régulièrement. Tandis que Walder, ou Sakristi elle ne le savait pas véritablement, s'acharnaient à rallumer des torches que des souffles glacés s'évertuaient à éteindre, ils progressaient. Lentement, bien trop à son sens, mais ils avançaient. Ses genoux commençaient doucement à la lancer quand elle hésita à prendre la sortie qui les auraient menés au Vallon. Ils passèrent finalement devant, alors qu'elle essayait encore de se raisonner : son bras devrait patienter, sans faiblir. La mission lui semblait chaque minute un peu plus complexe, alors qu'ils approchaient. « Hyliens, » siffla-t-elle bas, mais assez pour que tous l'entendent, « ... Le désert Gérudo vous souhaite la bienvenue. » Sous ses yeux s'étendait le domaine Gérudo, majestueux, grandiose, solennel et... hostile. Soufflant sa torche avant de la raccrocher à sa ceinture, la jeune femme agrippa rapidement la façade de pierre déchirée et se propulsa dehors. Sentir les derniers restes du Khamsin glisser sur sa peau lui tira immédiatement un sourire. Pour la première fois depuis sa défaite, sa séquestration et les tortures que le faux-Trône lui avait infligé, elle était chez elle. A nouveau. Enfin. Son être portait toujours les marques de ses échecs, les traces des coups portés qu'aucun guérisseur ni aucun onguent de la jeune Suzeraine Hylienne n'avait su soigner. Et pourtant, la seule vue des ergs bercées par la lueur de la lune suffisait à l’apaiser.
Nabooru se retourna, observant ses compagnons s'extirper à leur tours des grottes sous la montagne. D'abord Abigaïl, puis Nesreen, suivie de l’apothicaire et du mage. Aucun d'entre eux ne s'était laissé happé par les ombres mouvantes de l'entrelacs souterrain. Tous autant qu'ils étaient – et elle autant que les autres, sans doute – avaient perdu de leur superbe. Elle les jaugea du regard, un à un, sans animosité, malveillance ou amertume. Sans non plus les juger, du moins pas vraiment. Ils étaient tout ce dont elle disposait pour libérer les siennes et en cela, elle leur était redevable. Ça non plus, la Gérudo ne l'oubliait pas. Son regard glissa ensuite vers le Sud, en direction de la Citadelle du Malin, toujours invisible dans l'immédiat. Elle se souvenait encore ses créneaux, ses mâchicoulis, ses meurtrières et ses tours. D'instinct, à cette simple pensée, ses doigts enserrèrent la fusée de son cimeterre jusqu'à en pâlir légèrement. Elle n'avait peur, non. Elle bouillonnait d'une fureur nourrie par sa propre honte, ses remords. « La Citadelle Noire se dresse par-delà les dunes, au Sud du Désert Hanté », lança-t-elle, les cheveux battus par le vent. De profil, elle désigna du menton leur direction. « Plus au Nord, caché aux yeux de ceux qui le cherche, sommeille le Colosse du Désert », ajouta la Reine, désignant cette fois le chemin à entreprendre d'un geste de la main un peu négligé. Elle espérait vraiment qu'ils n'auraient pas à s'y rendre. « Ce fut, et c'est probablement toujours, le repaire des Mères de l'Ignominie. » La grimace qui déchirait sa trogne était sans doute voilée par l'étoffe qui lui dévorait une bonne moitié de la gueule, mais elle était là. Ces femmes l'avaient tué, jadis. A deux reprises. « J'ignore tout autant que vous quels maléfices le Chacal pourrait encore nous envoyer », souligna la fille des sables, cherchant cette fois-ci de ses yeux ambre le regard de chacun de ses acolytes. D'abord, celui de sa sœur, puis celui de Sakristi, avant de se reporter sur les deux soldats. « Aussi... — », commença-t-elle, la gorge plus nouée qu'elle n'aurait aimé le reconnaître. Ce n'était pas tant ce qu'elle allait dire qui lui pesait que tout ce que cela traduirait. Elle avait toujours reconnu ses erreurs. Sauf celle-ci, qu'elle ne parvenait toujours pas à accepter. « Merci... — », souffla-t-elle, tapotant des ongles la petite gaine de cuir qui retenait son acier contre sa hanche. Les mots lui venaient moins aisément que d'autres. « ... de mener ce combat épaule contre épaule avec moi », acheva-t-elle finalement, peu désireuse de s'exprimer plus dans l'immédiat. Dire ce qu'elle venait de dire, c'était déjà aborder ses excès de confiance passés, à la Forteresse, quand elle avait défiée seule Ganondorf et qu'elle lui avait servi ses sœurs sur un plateau. Elle se haïrait toujours pour son arrogance. « En route ! » Ordonna-t-elle ensuite, sans plus s'épancher dans l'immédiat. Le chemin qu'il leur restait à parcourir était long.
Elle les guida sans mal à travers la mer de sable, se jouant des Esprits qui, parfois, osaient s'approcher d'eux, camouflés derrière leurs artifices. Elle n'était peut-être plus Sage – ou peut-être l'était elle encore – mais elle avait toujours conservé une réelle affinité, sensibilité même, pour ce genre de choses. A l'inverse de Link, ou de qui que ce soit en vérité, elle n'avait pas besoin du Monocle pour trouver son chemin entre les pièges que leur tendait l'océan brun-beige. Peu à peu, alors que le Soleil s'éveillait doucement mais avec force, ils distinguèrent les premières colonnes de la Citadelle du Malin. La chaleur semblait les faire osciller, brouillant l'air et la vue des non initiés. Rapidement, l'Exaltée jeta un œil par dessus son épaule pour s'assurer que tous la suivaient encore, cherchant brièvement le regard de Nesreen. Si elle tombait aujourd'hui, ce serait à sa sœur de les mener hors d'atteinte des crocs d'un lionceau qui se voyait déjà dieu. S'épongeant le front, qu'elle avait légèrement poisseux, la Reine mit genoux à terre et se cacha derrière une dune quand ils arrivèrent suffisamment près de leur cible pour en apercevoir l'intégralité. Depuis la bataille pour le Prince Parjure et la destruction partielle des lieux, la situation avait largement changé. On lui avait fait savoir que Swann Dragmire s'était attelée à la reconstruction, condamnant invariablement ses proies aux travaux forcés pour un roi qu'aucune ne reconnaissait. Le chantier terminé, les Gérudos et les Hyliens étaient restés esclaves, prisonniers et surveillés d'autant plus près qu'ils avaient tenté de se mutiner. Elle n'avait malheureusement pas plus de détails, mais ceux-là suffisaient à lui faire grincer des dents, à faire pâlir ses phalanges autour de la garde de son sabre. « Ecoutez-moi », dit-elle en veillant à ne pas parler trop fort, alors qu'autour d'elle se rassemblaient ses camarades. « Cet amas de roche, de sang, d'os et de chair, au loin, c'est la Citadelle de Ganondorf. Son ultime bastion. » Du bout du doigt, elle se prit à dessiner dans le sable une espèce de cercle, comme pour l'aider à réfléchir. « Le campement où nous avons séjourné a été installé sur ordre de Llanistar van Rusadir », fit-elle, avec toutes les difficultés du monde à ne pas écorcher ce nom qu'elle peinait beaucoup à prononcer, « après mon échec et ma défaite à la Forteresse. » Les mots étaient sortis, mais le poids demeurait lourd sur son échine. Un instant, elle ferma les yeux. « Ils ont surveillé les mouvements en provenance du Désert depuis ce moment. » Dans sa paume, la jeune Reine attrapa une poignée de sable qu'elle écrasa entre ses doigts, avant de la laisser rouler. « Ces hommes sont mauvais. Ils n'ont rien vu. Mais ils prétendent que Ganondorf demeure ailleurs qu'à la Citadelle. Peut-être à la Forteresse. » Ce n'était pas improbable. Il y avait passé tout une partie de son enfance, après tout, et elle soupçonnait qu'il ne se soit jamais senti autant chez lui à la Citadelle qu'en son bastion à elle. « Soyons clairs », siffla-t-elle de sa voix à la fois aride, sèche, et juste. « Trop d'entre nous sont morts jusqu'à présent. Personne ne doit tomber aujourd'hui. » Ses yeux plongèrent au fond de ceux de Walder qui lui semblait le plus susceptible de se mettre en danger. Elle n'en dit pas plus, mais elle espérait qu'ils comprendrait que leurs vies comptaient assez pour qu'ils prennent le parti de fuir, le cas échéant. « Vous avez survécu. J'ai confiance en vous. » Lâcha-t-elle sobrement, ensuite. Elle tira de sa ceinture un petit compas qu'elle glissa entre les mains de Nesreen, non sans s'approcher d'elle. « Tu devras peut-être les guider à travers le Désert », souffla-t-elle à sa Sœur. « Marche vers le Nord-Est, et tu trouvera la Forteresse, ainsi que les galeries. Ne laisse jamais le Désert vous séparer. C'est primordial. »
Nabooru se hissa un temps au dessus de sa barricade naturelle, pour mieux voir ce à quoi elles allaient faire face. A première vue le parvis de la Citadelle, qui menait vers la Grand-Salle, avait été conservé tel quel. Une garnison en arme le protégeait. Un peu plus loin une femme – Swann peut-être ? Elle s'était récemment évadée, disait-on – se tenait seule visiblement occupée, sans qu'elle puisse en dire quoique ce soit de plus. En dehors de cela, elle ne voyait pas d'obstacles spécifiques mais savait précisément à quel point le Lionceau pouvait tenir du serpent, retors et trompeur. Les lèvres pincées, elle repensa aux épreuves qu'ils avaient du franchir jusqu'à présent. « La bête qui nous a attaqué il y a quelques jours est sur nos talons », avoua d'abord l'Exaltée. « Ce... Traqueur est une créature maudite, qui me traque depuis des mois. C'est après moi qu'il en a. » Comme pour s'éviter un frisson, une faille qu'elle ne souhaitait révéler, elle se pencha en arrière, observant encore et encore la place-forte qu'ils s'apprêtaient à prendre d'assaut. « Cet enfant corrompu comptait parmi les assaillants sur la Forteresse, puis ensuite, faisait parti des bourreaux. » Elle se refusa à donner les moindres détails de sa séquestration, le poil encore hérissé au seul souvenir de ces moments odieux. « De tous les monstres qu'il aurait pu lâcher, il en est peu de pires. Mais la Citadelle ne sera pas vide pour autant... » Elle soupira, consciente de l'âpre bataille qui les attendaient. « Il ne s'agit pas de prendre la Citadelle. Notre mission consiste uniquement à libérer nos sœurs », fit-elle en jetant un bref regard à Nesreen. Elle n'avait jamais annoncé qu'elle libérerait les esclaves Hyliens et n'en parla donc pas. Si elle en avait l'occasion, elle le ferait probablement, mais l'objectif pour lequel elle avait monté cette expédition lui semblait déjà suffisamment ardu à atteindre pour qu'elle ne se mette pas davantage de bâtons dans les roues. « Elles se battront. Pour leur liberté. » Confirma la Reine, confiante en son peuple, ce tout qu'elle formait avec. Elles ne l'avaient jamais déçue. « De mon côté, Zelda m'a fait une requête », leur confia-t-elle, sans trop savoir comment elle allait récupérer l'ouvrage de Dun. « On verra bien comment tourne le vent... » Conclut la jeune femme, avant de tirer son cimeterre. Les esclaves demeuraient en dehors des murs de la Citadelle, ainsi que lui avait confirmé ses rares informatrices. C'était là leur punition pour une mutinerie de trop. Une punition qui, peut-être, pourrait leur être utile aujourd'hui. « Prêts ? Allons-y ! » Lança-t-elle une dernière fois, avant d'enjamber la dune comme on bondit par dessus une motte de foin. La Reine s'approcha ensuite, épée au clair, profitant de la couverture qu'offrait le désert.
Bientôt, elle sentait sous ses babouches les premières dalles de l'allée centrale. Nabooru s'avança lentement, défiant du regard l'escouade qui, face à elle, semblait perdre ses moyens. Elle savait que cela ne durerait qu'un temps, mais elle comptait sur cette distraction pour laisser à ses compagnons le temps d'agir. « Je suis Nabooru l'Exaltée », clama-t-elle haut et fort, pour alpaguer l'ensemble des Gérudos présentes sur place, esclaves et traîtresses. « Reine, parmi les reines, Maîtresse et Dame du Désert ! » Son cimeterre reflétait le Soleil, brillant de milles feux. Elle abaissa son masque. « Aujourd'hui, je viens prendre ce qui de droit me revient. » Déjà, le sang lui battait les tempes. Son bras n'éventrerait pas le chien, ce jour, mais il contribuerait à l'affaiblir.
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