Posté le 20/06/2014 14:31
-Mon père, Feu Renard du Chai de La Varenne, était un chevalier hors pair qui, à sa retraite, utilisa son or pour acquérir quelques terres et demeures, afin de les louer aux paysans qui… trainaient par ci par là.
Tout le dédain de la demoiselle ressortit en quelques mots. Voilà bien ce qu’Abel pensait… A Hyrule, comme partout ailleurs, les nobles méprisaient les petites gens. On pouvait presque se demander, parfois, si toutes les hautes classes de toutes les sociétés ne méprisaient pas les gens d’en bas juste parce qu’ils avaient peur. Peur de tomber de leur piédestal doré, par la force d’une révolte.
-De par son ancien statut et son acte louable, on le nomma noble. A sa mort, c’est ma génitrice, Elizabeth du Chai de La Varenne qui reprit ses possessions, et qui continue de les gérer admirablement bien, avec compassion et sagesse dit-on dans les hautes sphères.
Comme s'ils savaient ce que signifiaient compassion et sagesse dans les hautes sphères, pensa Abel en reniflant.
-Je me dois donc d’attendre que ma très chère mère quitte ce bas monde pour avoir mon mot à dire, et en attendant, j’évite de me mêler de ses affaires, de peur d’être contaminée par sa mollesse d’action.
Il avait donc bien affaire à une ambitieuse, qui attendait le décès du teneur de la fortune familiale pour en hériter… et qui sait, serait peut-être prêt à user de quelque poison pour y arriver. C’était ainsi, en tout cas, qu’Abel interprétait ses mots. Peut-être Valéria ne pensait-elle pas à mal, en parlant de sa mère, mais Abel aimait à croire le contraire. Par fantasme pour les femmes vicieuses, peut-être.
Valéria lui paraissait si vicieuse qu’elle ne répondit pas réellement à sa question ; celle dont Abel attendait vraiment une réponse. Pis, elle la lui renvoya : que ferait-il si la guerre éclatait demain ?
-Vous êtes déjà bien coquine pour une jeune fille de votre âge et de votre condition, déclara Abel. Vous supposez qu’avec une guerre, votre réaction dépendrait de nos adversaires ? Les vôtres ? C’est une façon détournée de dire que votre loyauté à la couronne actuelle n’est pas sans faille.
Au beau milieu des jardins du château, Abel avait l’impression qu’il venait de lâcher une énorme grossièreté. Fort heureusement, personne ici ne les écoutait.
-J’ose espérer que vous ne dîtes pas cela à n’importe quel quidam ? Vous devez vouloir me tester, analysa-t-il en plissant légèrement des yeux. Personnellement, je ne dois peut-être rien à cette terre, mais je l’aime déjà. Je suis venu ici pour m’installer durablement, peu importe le souverain, tant que celui-ci gouverne bien ce beau royaume. Moi, l’étranger qui mène rondement ses affaires, je n’ai pas à prendre parti. Mais sachez que, guerre ou non, je continuerai de placer mes pions.
La dernière phrase sonnait comme un avertissement : peu importe les évènements, Abel se débrouillerait pour conserver sa position de force. Peu importe qui règnerait, peu importe si le ciel devenait sombre ou s’il se débarrassait de toute perturbation, lui, sur ses terres, serait là.
-L’heure tourne et je vais bientôt devoir prendre congé de vous pour me rendre à mon entretien. Je compte encore parlementer affaires, rappela Abel avec malice. Toutefois, si le cœur vous en dit de m’adresser quelques lettres, pour quelque raison que ce soit… je vous invite à ne pas hésiter.
Leurs deux regards se croisèrent, se fixèrent, et se détaillèrent.
Comme si l’un pouvait discerner le vice et l’ambition chez l’autre.
-Nous ne tarderons de toute façon pas à nous revoir, Mademoiselle. Soyez sûre que bientôt, je serai capable de siéger à vos côtés lors des conseils de la noblesse. Vous me reverrez auprès de vous très souvent.
Le ton employé laissait entendre à Valéria tout un éventail de sous-entendus possibles.