Posté le 04/01/2014 00:50
L'eau s'insinuait parfois dans l'esquif qu'ils avaient trouvé, mais il doutait que cela soit la sources d'un mal à venir ou de complications inattendues. Tout au plus, les remous du fleuve saurait rafraichir le bois rendu bouillant par les rayons du soleil, quand bien même celui-ci fut tombant, fatigué et prêt à laisser sa place à une soeur tout juste plus clémente. Le crépuscule saurait bientôt happer le Désert tout entier, et sous peu le loup chasserait probablement le chien. La lumière de la lune, si elle apportait avec elle un froid qu'il ne connaissait que trop bien et redoutait déjà, leur serait sans doute nettement plus profitable que n'avaient été les assauts de l'astre du jour. Car, en dépit de cette tristesse morne et de cette rigueur aussi insensible que glaciale qu'apportait la nuit des confins de l'Ouest Hylien, elle amenait aussi une espèce de repaire, de cachette pour quiconque savait mettre à profit le silence et l'ombre. Et pour cela, il pouvait tout à fait compter sur sa passagère.
Son regard glissa aussi loin qu'il lui était possible sur sa droite, tout en sachant pertinemment qu'il ne pourrait pas même apercevoir la Sheikah. Il se concentra à nouveau sur leur destination. Ses doigts se crispèrent sur la longue perche de cèdre vernis et le cuir qui bardait ses paumes grinça comme toujours. Encore une fois, il tira sur ses bras, non sans ancrer ses deux jambes le plus possible. La chaloupe avait beau être longue, elle était bien fine pour maintenir un équilibre décent lorsqu'il prenait la folle idée à qui que ce soit de se tenir debout plutôt qu'assis. Et sans être un habitué des gondoles ou des rafiots, l'Hylien avait préféré se déchausser. Comment mieux sentir le pont vibrer sous son poids qu'en laissant la plante de ses pieds communiquer avec ? Comment mieux rester alerte et vif qu'en conservant appuis et accroches stables ? Il ne lui avait pas fallu bien longtemps à lutter contre le courant pour comprendre qu'à chaque houle, la semelle de ses bottes se faisait plus glissante. Il ne rencontrait plus ce problème, dorénavant, et il lui semblait pouvoir mieux comprendre et mieux anticiper le navire comme la rivière.
D'avantage que le vent chaud qui soufflait tant sur les berges que sur les eaux, son véritable adversaire n'était autre que le courant. Certains l'avaient déjà bravés, il le savait. Le vieillard qui leur avait prêté l'embarcation avait été aussi clair et formel que faire se peut. Il s'agissait indéniablement d'un tour de force, mais pas d'une épreuve insurmontable. Petit à petit, heure après heure, au fur et à mesure que se levait le soleil et s'éteignaient une à une les étoiles, jour après nuit et nuit après jour, ils gagnaient lentement sur les flots. Ils se relayaient, parfois, et à d'autres moments faisaient des haltes. Quand ils pouvaient regagner la rive. L'Enfant-des-Bois n'aurait su dire depuis combien de temps ils étaient partis, mais une nouvelle nuit saluait leur expédition. Toujours en silence, mais non sans sueur, il repoussa à nouveau la rame pour mieux avancer.
Il ignorait pourquoi ils étaient parti, précisément. Impa n'avait pas pipé mot. Il ne pouvait guère lui en faire reproche, puisqu'il partageait plus que quiconque son mutisme et cet aspect taciturne qui conférait, jadis, à lui donner un air profondément mystérieux. Et si plusieurs fois ses lèvres l'avaient brûlés tandis que lui venaient milles questions, il en savait suffisamment pour le moment. On lui avait fait mention d'un Chancelier fait captif pendant la bataille pour la Place-Forte de Nabooru. Il ne lui en fallait pas plus pour comprendre pourquoi la femme la plus proche de la Princesse avait fait appel à lui. Somme toute, il s'agissait de le tirer discrètement des griffes du Lion Dragmire. Nouveau coup d'oeil vers la Sheikah. Un réflexe instinctif, sans doute, tandis que ses pensées se perdaient dans l'effervescence des vagues, renvoyées par la cascade à bien des lieux en amont. Le Sans-Lignage soupçonnait la Nourrice d'y voir un quelconque danger pour les intérêts de Belle et du Royaume. Le silence lui seyait bien, indubitablement, mais il était aussi le premier moteur d'interrogations. Certainement, le statut de Dignitaire lui valait plus que d'autre l'expédition qu'ils avaient montés, néanmoins Link persistait à se demander si Impa ne craignait pas d'avantage qu'il parle, d'avantage qu'elle ne tenait à le voir rentrer sain et sauf. Et maintenant qu'était passé l'attentat sur son propre Fief de Cocorico... Il était tout à fait temps de se tourner vers d'autres préoccupations.
Son regard de glace se perdait entre la grève et les flots tumultueux, sans vraiment savoir à la recherche de quoi. La lune illuminait désormais le fleuve d'une large coulée d'un argent palot et faiblard. Le vent qui soufflait venait maintenant lui geler les os, et il regretta presque d'avoir retiré ses bottes ; comme chaque soir depuis qu'ils avaient rejoint le Domaine Gérudo. Grognant presque, il poussa encore, néanmoins. Jusqu'à ce que la coque ne ripe salement contre une roche qui s'évertuait à se dresser par delà les courants et les rapides. « Mille épées brisées.. — » Jura-t-il dans un murmure, non sans se battre tant pour ramener la rame à lui avant qu'elle ne se brise que pour ne pas chuter. Mais les nuits de l'Ouest étaient plus fourbes les unes que les autres. Dans l'obscurité il ne réalisa pas où il reposait le pied. Les cordages s'enroulèrent autour de son mollet comme autant d'aspics sournois et malin. Avant qu'il n'ai eu le temps de comprendre, l'eau gagnait sa bouche, s'insinuait dans ses narines et lui piquaient les yeux. Bien vite il perdit la notion de bas et de haut. Recroquevillé sur lui même, son premier mouvement consista à se saisir de ce qui s'était refermé sur sa cuisse. Une corde. Instantanément après s'en être débarrassé, non sans la garder en main, il frappa du pied vers ce qu'il pensait être le bas. Et l'air revint. Il perça la pellicule aquatique alors même qu'il inspirait, bruyamment. Surpris par la chute, il s'était rapidement retrouvé en asphyxie, une fois sous l'eau, et comme n'importe quel être humain, la panique était montée d'elle même. Quand il eut fini de courir après l'oxygène, il réalisa enfin à quel point les flots l'avait charrié en arrière et il pesta contre sa maladresse. Au moins tenait-il toujours le peu de ficelle qui lui permettrait de regagner la barque au plus vite. L'Hiver réchauffait les cours d'eau sans distinction, fussent-ils proches des Sandlands chers aux Parjures et aux traitres.
Mais la curiosité fut rapidement la plus forte. Passant les cordages par dessus son épaule gauche, comme pour mieux tirer le frêle esquif sur lequel se tenait toujours Impa. Il lui avait semblé voir briller quelque chose. Comme si un pan de fer ou d'acier scintillait, au fond de l'eau. A force d'efforts et de brasses, il parvint à regagner le rocher et y attacha la corde sans tarder. « Impa..! » Grogna-t-il, trempé et gelé. « Le bateau ne risque plus de bouger si tu arrimes la corde ! J'ai vu quelque chose briller par le fond, je... — » Une nouvelle vague l'empêcha de terminer sa phrase. La Sheikah aurait surement compris son intention, néanmoins, et le Fils-de-Personne saisit l'occasion pour mieux plonger. Avançant aussi promptement que possible, il tacha de progresser vers les sables qui tamisaient les abysses, de triompher envers et contre les torrents qui le rejetaient vers l'Est. La lueur semblait surgir à nouveau, au détour d'une petite colline marine. Foutredieu que l'eau était froide ! A mesure qu'il avançait, il avait le sentiment de se transformer en un bloc de glace à la fois suffisamment large et compact pour l'emprisonner tout entier, mais aussi assez malléable pour laisser le bout de ses doigts tomber et couler. Ce givre aquatique sapait doucement son moral et son énergie. Comme si son cerveau lui même s'embrumait, tandis que la fatigue germait dans chacun de ses muscles meurtris. Et s'il n'avait aperçu que le reflet d'un rayon de lune sur les écailles d'un esturgeon ou d'un autre animal..? S'il se tuait la tache pour une simple illusion ?
La pulpe de ses doigts s'enfonça dans la vase et dans le sable. Il referma doucement le poing, pour mieux le retirer aussi prestement qu'il ne l'avait laissé descendre. Et même si les eaux étaient bien trop sombres pour qu'il distingue quoique ce soit, il n'avait pas besoin de preuve plus concrète pour savoir que quelqu'un reposait ici-bas. L'Hylien avait assez souvent eu affaire au fer pour le reconnaitre dans les premières secondes, et tout particulièrement quand celui-ci mordait sa chair. Et jusqu'à preuve du contraire, il ne connaissait aucun poisson capable de forger un cimeterre, un sabre ou une lame courbe. Pas même le fameux Gyorg qu'il avait du terrasser il y a de cela des années. Une seconde fois dans la soirée, son pied percuta le fond, alors qu'il se propulsait vers la surface, la main gauche auréolée d'un sang qui se diluait dans les tréfonds du fleuve.
Alors que son visage perçait les eaux à nouveau, il distingua enfin la dépouille que l'obscurité lui avait dissimulé. Arrêtée dans sa course par la même roche que celle qui avait éraflé tout le flanc de leur embarcation. « Impa ! » Lança-t-il, non sans se souvenir qu'il avait toujours la rame en main. Il gagna alors la petite barque à la nage. Ses deux mains vinrent s'appuyer sur la proue. « Tiens. » Fit-il, en lui tenant la longue perche, dorénavant trempée. « Il y a un corps, un peu plus loin, du côté de ce qu'on a percuté. Je vais essayer de le ramener sur le bateau... Si tu pouvais le rapprocher, ça ne serait pas de refus.. — » Le Fils-de-Personne tentait de ne pas trop grelotter en parlant, mais il savait qu'il n'aurait pas deux essais. Le froid ne le lui permettrait pas.
Cette fois ci, il ne plongea pas. Bien au contraire, le vagabond s'aida du filin qu'il avait tendu pour mieux progresser. Nager n'était plus si facile que lors de sa chute. Si le fleuve devait être bouillant en journée, il avait tôt fait de refroidir quand l'argent chassait l'or. Bientôt, ses mains laissèrent une trace carmin sur la pierre, tandis qu'il en faisait le tour. Il passa un bras sous l'aisselle de l'homme, avant de glisser sa main jusqu'à sa bouche, et de constater qu'il respirait encore. Peu, mais encore. D'un bref regard, il crut reconnaitre le Chancelier qu'il avait déjà croisé à la Citadelle, mais il n'aurait pas mis sa tête sur le billot. Toutefois, quelque fut la certitude qu'il avait ou non, il était hors de question de laisser périr cet homme. « Umpf..! Funérailles.. — » Cracha-t-il, tandis qu'il laissait retomber le blessé sur son torse pour mieux le porter jusqu'à leur bicoque. Même dans l'eau, le Sheikah – il lui semblait qu'il était du Peuple d'Impa – pesait son poids. A moins que le froid n'ai trop engourdi son propre être.
C'est dos à l'embarcation que Link finit par arriver. Dans un effort de plus, il s'essaya à soulever le bougre au dessus de lui, pour qu'Impa puisse le faire glisser sur le rafiot. La peste prenne l'Hiver et les Nuits du Désert.