Posté le 06/08/2012 17:32
La Sage avait rit à la plaisanterie qu'il avait faite, ce qui était encourageant. Le jeune homme avait sans doute brisé la glace froide et dure qui les séparait depuis le début de leur rencontre, et elle lui souhaita même la bienvenue. La bienvenue? Cela fit chaud au cœur de Dun, ce qui lui permit de s'ancrer plus profondément dans la réalité. Peu lui importait si elle ne disait cela que dans le but de l'amadouer, toujours est-il qu'il pourrait -à priori- revenir en ces lieux en quiétude de repos.
"Après pour ce qui est de vos crimes... Je crois qu'il n'y a que le fait que vous ayez trahis la couronne. D'ailleurs... Pourquoi vous être détourner du pouvoir, de votre femme, de votre vie de manière aussi radicale ? Je pense que pour vous la réponse est simple... Mais ne vous connaissant pas comme je le voudrait, elle est flou pour ma part et je préfère l'entendre de votre bouche que d'une éventuelle rumeur sans fondement à moitié affabulée."
Alors que l'ex-Prince s'était complètement apposé contre l'arbre, la question eut pour effet de l'interpeler. Il se releva alors légèrement et fixa l'Enfant de la Forêt avec des yeux ronds, signe de l'incompréhension. Les raisons lui restaient floues... ?
"Je n'ai pas trahi."
La voix posée et déterminée, et il lui expliquerait ce qui relevait pourtant de l'évidence.
"Ou peut-être l'ai-je fait... Je ne sais pas."
L'instant d'après, cette évidence s'était volatilisée. Le Dragmire savait parfaitement ce qu'il en était, mais il ne pouvait le décrire; le tourbillon le hantait en permanence. Il ne pouvait répondre à Saria comme elle le désirait, mais essaya tout de même de le faire au travers d'autres mots au prix d'un énième mal de crâne : Ne lui avait-elle pas souhaité la bienvenue dans son propre foyer?
"Comment voyez-vous cette Forêt, Sage Saria? Verdoyante, luxuriante, et débordant de vie?
... Ce n'est pas mon cas.
Un instant, je la vois dévastée, remplacée par des rues et l'air empestée par les relents des forges que l'on y aurait bâti afin de repousser le Patriarche; privilégiant la race Hylienne aux êtres de la Forêt. L'instant d'après, j'y vois des Kokiris -en bien plus grand nombre qu'actuellement- courir joyeusement entre les arbres et sautant avec des parachutes de feuilles Mojo depuis la cime des arbres.
Depuis que je vous ai aperçu, j'ai eu 83 visions différentes de ces lieux; non des visions prédisant le futur, mais des visions de ce que ce Bosquet si cher à votre coeur pourrait être, transformé même par la Folie de ceux que vous défendez aujourd'hui."
Passant incessamment du sourire béat à la morosité la plus profonde, il se plongeait à nouveau dans le tourment afin d'expliquer une chose aussi insaisissable que la Folie.
"Vous, Fausse-Enfant, arrivez à vous ancrer dans une vérité... mais cette vérité n'est pas forcément la réalité; celle-ci se cache sous une couche encore plus épaisse que l'humus de ce bosquet ancestrale.
Vous, plus que tout autre, savez que le manteau verdoyant de la forêt n'est qu'un trompe-l’œil, que les troncs se cachant en dessous sont innombrables, et que leurs racines le sont plus encore."
Il était essoufflé. Tout comme pour les handicapés qui devaient faire preuve d'une grande détermination afin de réaliser un geste pourtant simple aux yeux de la majorité des personnes, décrire et expliquer étaient tout juste à sa portée.
"Vous m'affublez aujourd'hui du titre de 'traître' mais cela ne sera peut-être pas le cas dans cent ans, lorsque nos descendants hériteront de notre histoire et qu'ils bénéficieront du recul que nous n'avons pas aujourd'hui. Vous n'êtes pas pourvue du don d'omniscience, pas plus que je ne suis doté du don de prédiction... Si je n'avais pas fait ce que j'ai fait, sans doute ces terres seraient-elles recouvertes d'une Grande Mer aux jours d'aujourd'hui, et Hyrule attendrait patiemment la naissance du Héros du Vent; comme décrit dans l'une de ces foutues prophéties de la Bibliothèque..."
Dun réalisa lui-même qu'il avait été vulgaire, et décida de s'arrêter là pour cette question : il deviendrait irritable s'il cherchait encore à décrire le tourbillon qui le hantait. A l'image de Cassandre et de Troie, le jeune homme savait qu'il était sans doute vain de parler et d'essayer de convaincre, car son esprit brisé par le Seigneur du Malin ne pouvait recoller ses propres morceaux. Les horreurs qu'il avait subi revenaient sans cesse, mais il aimait son Patriarche comme il avait aimé sa femme pour une raison qui lui échappait totalement; il l'aimait d'un amour différent, mais mourrait pour lui s'il le fallait.
On ne pouvait expliquer les pensées d'un Fou rationnellement, et jusqu'à ce qu'il guérisse -si jamais cela était possible-, Saria devrait s'en tenir là, point final. Fixant les rayons qui perçaient au travers du toit verdoyant, le jeune homme reprit d'un ton plus serein.
"Saria... Vous n'avez que faire de mes raisons et vous le savez. Seuls comptent mes actes à vos yeux, alors pourquoi ne pas poser cette question qui vous brûle les lèvres, qui vous met autant aux abois que moi; au point même de se retirer en ce sanctuaire sacré afin de retrouver un semblant de sérénité ?"
La nuque posée sur le tronc, il fixait la jeune fille d'un regard vide. L'ancre qu'il avait agrippée quelques secondes, le temps de ce brusque accès de lucidité, s'était de nouveau détachée...
[Je reprends du service ]